Les jeux troubles du Qatar
Après
toutes les polémiques autour de l'octroi du mondial de foot 2022 au Qatar et du
travail forcé qui y règne, une petite escale y est des plus opportunes pour
mettre à nu tout ce que recel ce petit État gazier. De la diplomatie du
chéquier au financement terroriste en passant par les printemps arabes le tout
sur fond islam wahhabite, le voyage s'annonce riche en surprise.
Grain de sable sur la mappemonde, le
Qatar, jadis peuplé de tribus nomades vivant essentiellement de la pêche et du
commerce de perles, passe sous le giron britannique au 19ème siècle ;
ces derniers dans leur habileté coloniale choisissent en 1868, pour une tutelle
discrète, de confier les clés d'une partie du petit désert à Mohamed Ibn
Al-Thani. En 1916, le Qatar accède au statut de protectorat, Mahamed Ibn
Al-Thani, récompensé de son allégeance, devient l'émir roi de tout le pays. La
dynastie Al-Thani est née et règne toujours aujourd'hui.
La décennie des années 1930 traverse une
période difficile due à l'effondrement du commerce local de perles ; le
petit pays, à la modeste économie, rencontre de grosses difficultés. Mais
jamais à l'abri d'une bonne surprise, le miracle se produit. La petite
péninsule est assise sur un puits de pétrole, pas de quoi rivaliser avec son
voisin saoudien mais amplement suffisant pour sortir la tête de l’eau. Son
exploration commencera au sortir de la deuxième guerre mondiale et transformera
les conditions de vie de ses habitants.
Les années 1950 vont être marquées par
une forte croissance qui lui permettra d'enclencher son processus de
modernisation. La première école voit le jour, accompagnée d'un hôpital, d'une
centrale électrique, d'une usine de désalinisation d'eau et du téléphone. 1971
le soleil brille plus qu'à l'accoutumée : le Qatar, en veine, déclare son
indépendance alors que Shell découvre sur sa côte le plus gros gisement de gaz
naturel au monde, le North Dome qu'il
devra se partager avec l'Iran. Toutefois, il est le propriétaire de la 3ème
plus importante réserve de gaz naturel au monde. 1972, le ciel devient orageux
et la foudre porte avec elle un coup d'État, Khalifa ben Hamad Al-Thani, un
cousin de l'émir Haman ben Ali Al-Thani, le destitue. Le nouvel émir, plus
qu'un simple marchand de pétrole, se veut entrepreneur, transformateur,
industriel et a le mérite de lancer des firmes, d’ouvrir des ateliers et va
multiplier ses investissements à l’étranger. Seulement voilà, les affaires ne
s’avèrent pas très fructueuses. Désespéré de perdre des sommes colossales
d'argent, c'est à Paris le plus souvent que l'émir vient trouver réconfort dans
l'univers de la nuit où prostitution et alcool font bon ménage (1). Juin 1995,
nouveau coup d'État, son fils Hamad ben Kalifa Al-Thani, outré de voir ternir
l’image de la presqu’île, destitue le père et prend le pouvoir. Les premières
ventes de gaz s’effectueront courant 1996, une rente colossale qui lui donnera
les moyens d’une nouvelle politique. Le Qatar bien décidé à affirmer son
indépendance face aux voisins du golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, avec
qui les relations n'ont jamais été au beau fixe, va investir massivement dans
le soft power (2) sur fond d'islam wahhabite (3) où les gazodollars vont faciliter les échanges diplomatiques de l'Occident
au monde arabe et alimenter les réseaux terroristes.
Dollar et double jeu
Tout d'abord il est indispensable pour
un pays grand comme l'île de France, qui ne compte pas plus de 200 000
ressortissants, pour une armée de 11 000 hommes, de se dégoter un ange
gardien. Il le trouvera, pas au ciel mais bien sur terre, en terre d'Amérique.
Les États-Unis y voient un allié de choix et une
belle occasion de renforcer leur position dans la région, particulièrement à
la suite des attentats du 11 septembre 2001 et de la méfiance
grandissante vis-à-vis de l'Arabie Saoudite, dont 15 des 19 terroristes étaient
saoudiens. Ils vont faire pression pour la reconnaissance d’Israël et pour
tenter de régler le « conflit » avec les Palestiniens, ce qui
constitue, à pour l’époque, une traîtrise dans le monde
arabe et singulièrement dans le Golfe. Le Qatar va financer et construire sur
son sol ce qui deviendra la plus grosse base militaire US du Moyen-Orient ;
sa fidélité paye, il s'est trouvé un grand frère.
Mais pour s'imposer sur la scène
internationale et monter en puissance, il est impératif de multiplier les échanges,
de construire des partenariats, et pour ce faire le Qatar dispose de l'outil
idéal, les gazodollars. Il va
investir massivement dans le monde entier ; il entre au capital de Suez, Véolia,
Total, Lagardère, Vinci, Vivendi, France Télécom, LVMH,
Volkswagen, Crédit Suisse…, devient propriétaire du PSG, sponsorise le FC Barcelone, investit dans l'immobilier, s’accapare des terres en Afrique, Cambodge,
Thaïlande, Indonésie, Pakistan… Il va libéraliser plusieurs secteurs de
son économie, vote une loi autorisant des entreprises étrangères à posséder
100% du capital d’une filiale qatarie et faire
appel aux investisseurs étrangers. Acheter des armes tout azimut à plusieurs
pays dont la France, les États-Unis, la Russie, l’Angleterre, l’Italie… et va
même financer une nouvelle base militaire sur son sol, turque, cette fois-ci. Très
habile dans son soft power, il a su diversifier son économie ce qui en fait un
acteur incontournable. Si l'ascension est belle, ce sont véritablement les « révolutions »
arabes de 2011 qui l'inscriront au rang de
puissance (influente) dans le jeu géopolitique international.
Printemps
arabes et financements terroristes
À l'heure où les révoltes des printemps
arabes éclatent, l'émir Hamad ben Kalifa Al-Thani n’a cessé de surprendre.
Alors qu'il entretenait de bonnes relations avec les dictatures en question, l'émir
vire à bâbord à l'instant même où se produisent les
premiers rassemblements : il va mettre au service des « révolutions »
tous les moyens dont il dispose. L’opportunité
d’élargir davantage son influence à l’étranger est trop belle ! Al-jazira,
un atout considérable, la chaîne tv panarabe qatarie créée en 1996, très
influente dans le monde arabe, va offrir une tribune permanente pour tout
opposant demandant la parole. Elle ira jusqu’à fabriquer de faux documentaires comme
les images d'archives tournées aux cours des affrontements en Irak qu'elle présentera
comme étant les affrontements de Benghazi durant le conflit libyen. Cette information
mensongère, celle-là parmi d'autres, relayée par tous les médias occidentaux
contribuera à légitimer l'intervention militaire de ladite Communauté
internationale. Le cas de la Libye est emblématique de l'implication du Qatar
dans ces révoltes. Hormis les affaires obscures de corruption qui lie l'émir
Hamad Al-Thani à Sarkozy (4), le Qatar a été, au nom des Droits de l'homme,
l'un des pays à faire partie de la « coalition internationale » dirigée
par l'OTAN et a été le premier pays avec la France à reconnaître le Conseil
national de transition libyen. Il aura même servi de relais à la France et aux
États-Unis pour délivrer des armes aux groupes rebelles (bien souvent
terroristes) à qui il transfèrera plus de 400 millions de dollars et enverra des
soldats qataris pour soutenir l’insurrection.
En Syrie, il aurait fourni 3 milliards de dollars aux rebelles en plus de centaines de millions de dollars d'aide humanitaire à la population. En Egypte, Doha a soutenu les Frères musulmans, prêtant 5 milliards de dollars au pays en 2012/2013 après l'élection du président issu des rangs de l'organisation, Mohamed Morsi. L'émirat avait également promis d'investir 18 milliards de dollars dans le pays au cours des cinq années suivantes.
Doha est devenue une véritable station de repos pour la plupart des extrémistes du globe, la seule condition d'admission est d'être islamiste. On y trouve, entre autres, le Front Islamique du Salut algérien, plusieurs branches des fous de Dieu tchétchènes, des Syriens intégristes... Le Qatar a même ouvert en 2013 un bureau de représentation des Talibans : c'et simple ! Créez un "front islamique" et Doha vous donne un bureau, le gîte et le couvert. Aujourd'hui, médiateur privilégié du Moyen Orient, il joue un rôle de premier plan dans les négociations entre Washington et Téhéran, le Hamas et Israël, l'Iran et l'Arabie Saoudite, sans oublier son rôle incontournable dans la prise de pouvoir par les Talibans, en Afghanistan en 2021.
Nul doute, le Qatar est devenu une puissance influente sur la scène internationale. Ne manquait plus qu'un mondial de football... (à suivre dans le prochain numéro de PES.
MR, le 27.05.2022
(1)
l’émir
sera mis en cause, avec plusieurs hauts dignitaires des pays du Golfe,
libanais, français… dans une vilaine affaire de réseau international de
prostitution de luxe (proxénétisme aggravé, viol, pédophilie)
(2) Le soft
power ou « puissance douce » représente les critères non coercitifs
de puissance d'État
(3) Le wahhabisme se
définit comme un sunnisme salafiste, il prône un retour aux pratiques en
vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses
premiers successeurs ou califes. Pour les wahhabites, il n'est pas de salut
hors du wahhabisme
(5) Mujao - Mouvement
pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest. Organisation terroriste d'idéologie salafiste
djihadiste
Sources :
Le
vilain petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal de
Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau, Fayard,
2013
Jeux
de guerre. Corruption française : la face cachée du terrorisme, Marc
Eichenger, Massot éditions,
2022