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mardi 31 mai 2022

 

Les jeux troubles du Qatar

 

Après toutes les polémiques autour de l'octroi du mondial de foot 2022 au Qatar et du travail forcé qui y règne, une petite escale y est des plus opportunes pour mettre à nu tout ce que recel ce petit État gazier. De la diplomatie du chéquier au financement terroriste en passant par les printemps arabes le tout sur fond islam wahhabite, le voyage s'annonce riche en surprise.

 

Grain de sable sur la mappemonde, le Qatar, jadis peuplé de tribus nomades vivant essentiellement de la pêche et du commerce de perles, passe sous le giron britannique au 19ème siècle ; ces derniers dans leur habileté coloniale choisissent en 1868, pour une tutelle discrète, de confier les clés d'une partie du petit désert à Mohamed Ibn Al-Thani. En 1916, le Qatar accède au statut de protectorat, Mahamed Ibn Al-Thani, récompensé de son allégeance, devient l'émir roi de tout le pays. La dynastie Al-Thani est née et règne toujours aujourd'hui.

 

La décennie des années 1930 traverse une période difficile due à l'effondrement du commerce local de perles ; le petit pays, à la modeste économie, rencontre de grosses difficultés. Mais jamais à l'abri d'une bonne surprise, le miracle se produit. La petite péninsule est assise sur un puits de pétrole, pas de quoi rivaliser avec son voisin saoudien mais amplement suffisant pour sortir la tête de l’eau. Son exploration commencera au sortir de la deuxième guerre mondiale et transformera les conditions de vie de ses habitants.

 

Les années 1950 vont être marquées par une forte croissance qui lui permettra d'enclencher son processus de modernisation. La première école voit le jour, accompagnée d'un hôpital, d'une centrale électrique, d'une usine de désalinisation d'eau et du téléphone. 1971 le soleil brille plus qu'à l'accoutumée : le Qatar, en veine, déclare son indépendance alors que Shell découvre sur sa côte le plus gros gisement de gaz naturel au monde, le North Dome qu'il devra se partager avec l'Iran. Toutefois, il est le propriétaire de la 3ème plus importante réserve de gaz naturel au monde. 1972, le ciel devient orageux et la foudre porte avec elle un coup d'État, Khalifa ben Hamad Al-Thani, un cousin de l'émir Haman ben Ali Al-Thani, le destitue. Le nouvel émir, plus qu'un simple marchand de pétrole, se veut entrepreneur, transformateur, industriel et a le mérite de lancer des firmes, d’ouvrir des ateliers et va multiplier ses investissements à l’étranger. Seulement voilà, les affaires ne s’avèrent pas très fructueuses. Désespéré de perdre des sommes colossales d'argent, c'est à Paris le plus souvent que l'émir vient trouver réconfort dans l'univers de la nuit où prostitution et alcool font bon ménage (1). Juin 1995, nouveau coup d'État, son fils Hamad ben Kalifa Al-Thani, outré de voir ternir l’image de la presqu’île, destitue le père et prend le pouvoir. Les premières ventes de gaz s’effectueront courant 1996, une rente colossale qui lui donnera les moyens d’une nouvelle politique. Le Qatar bien décidé à affirmer son indépendance face aux voisins du golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, avec qui les relations n'ont jamais été au beau fixe, va investir massivement dans le soft power (2) sur fond d'islam wahhabite (3) où les gazodollars vont faciliter les échanges diplomatiques de l'Occident au monde arabe et alimenter les réseaux terroristes.

 

Dollar et double jeu

 

Tout d'abord il est indispensable pour un pays grand comme l'île de France, qui ne compte pas plus de 200 000 ressortissants, pour une armée de 11 000 hommes, de se dégoter un ange gardien. Il le trouvera, pas au ciel mais bien sur terre, en terre d'Amérique. Les États-Unis y voient un allié de choix et une belle occasion de renforcer leur position dans la région, particulièrement à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et de la méfiance grandissante vis-à-vis de l'Arabie Saoudite, dont 15 des 19 terroristes étaient saoudiens. Ils vont faire pression pour la reconnaissance d’Israël et pour tenter de régler le « conflit » avec les Palestiniens, ce qui constitue, à pour l’époque, une traîtrise dans le monde arabe et singulièrement dans le Golfe. Le Qatar va financer et construire sur son sol ce qui deviendra la plus grosse base militaire US du Moyen-Orient ; sa fidélité paye, il s'est trouvé un grand frère.

 

Mais pour s'imposer sur la scène internationale et monter en puissance, il est impératif de multiplier les échanges, de construire des partenariats, et pour ce faire le Qatar dispose de l'outil idéal, les gazodollars. Il va investir massivement dans le monde entier ; il entre au capital de Suez, Véolia, Total, Lagardère, Vinci, Vivendi, France Télécom, LVMH, Volkswagen, Crédit Suisse…, devient propriétaire du PSG, sponsorise le FC Barcelone, investit dans l'immobilier, s’accapare des terres en Afrique, Cambodge, Thaïlande, Indonésie, Pakistan… Il va libéraliser plusieurs secteurs de son économie, vote une loi autorisant des entreprises étrangères à posséder 100% du capital d’une filiale qatarie et faire appel aux investisseurs étrangers. Acheter des armes tout azimut à plusieurs pays dont la France, les États-Unis, la Russie, l’Angleterre, l’Italie… et va même financer une nouvelle base militaire sur son sol, turque, cette fois-ci. Très habile dans son soft power, il a su diversifier son économie ce qui en fait un acteur incontournable. Si l'ascension est belle, ce sont véritablement les « révolutions » arabes de 2011 qui l'inscriront au rang de puissance (influente) dans le jeu géopolitique international.

 

                                      Printemps arabes et financements terroristes

 

À l'heure où les révoltes des printemps arabes éclatent, l'émir Hamad ben Kalifa Al-Thani n’a cessé de surprendre. Alors qu'il entretenait de bonnes relations avec les dictatures en question, l'émir vire à bâbord à l'instant même où se produisent les premiers rassemblements : il va mettre au service des « révolutions » tous les moyens dont il dispose. L’opportunité d’élargir davantage son influence à l’étranger est trop belle ! Al-jazira, un atout considérable, la chaîne tv panarabe qatarie créée en 1996, très influente dans le monde arabe, va offrir une tribune permanente pour tout opposant demandant la parole. Elle ira jusqu’à fabriquer de faux documentaires comme les images d'archives tournées aux cours des affrontements en Irak qu'elle présentera comme étant les affrontements de Benghazi durant le conflit libyen. Cette information mensongère, celle-là parmi d'autres, relayée par tous les médias occidentaux contribuera à légitimer l'intervention militaire de ladite Communauté internationale. Le cas de la Libye est emblématique de l'implication du Qatar dans ces révoltes. Hormis les affaires obscures de corruption qui lie l'émir Hamad Al-Thani à Sarkozy (4), le Qatar a été, au nom des Droits de l'homme, l'un des pays à faire partie de la « coalition internationale » dirigée par l'OTAN et a été le premier pays avec la France à reconnaître le Conseil national de transition libyen. Il aura même servi de relais à la France et aux États-Unis pour délivrer des armes aux groupes rebelles (bien souvent terroristes) à qui il transfèrera plus de 400 millions de dollars et enverra des soldats qataris pour soutenir l’insurrection.

En Syrie, il aurait fourni 3 milliards de dollars aux rebelles en plus de centaines de millions de dollars d'aide humanitaire à la population. En Egypte, Doha a soutenu les Frères musulmans, prêtant 5 milliards de dollars au pays en 2012/2013 après l'élection du président issu des rangs de l'organisation, Mohamed Morsi. L'émirat avait également promis d'investir 18 milliards de dollars dans le pays au cours des cinq années suivantes. 

 La proximité que le Qatar entretient avec les groupes terroristes est bien connue et de longue date. Outre les « vertus de la charia » et l'islam radical que prodigue sa chaîne TV en permanence, on y voit s'exprimer nombres de personnes peu recommandables. Notamment Oussama Ben Laden qu'une équipe d'Al-Jazira va suivre durant de longues semaines en Afghanistan pour un reportage intitulé Un homme contre un empire, diffusé en 1999 juste après que le FBI ait mis sa tête à prix ; il offre également une tribune régulière à Abassi Madani fondateur du Front islamique du salut algérien, mort au Qatar en 2019 où il résidait depuis 2004... La liste est longue. Il n'hésitera pas non plus à utiliser la charité pour financer des groupes terroristes par le biais de la Qatar Charity, une ONG d'aide humanitaire, ou sa jumelle le Croissant rouge du Qatar (CRQ), comme par exemple au Mali où un élu local de Gao avait dénoncé en 2012 la proximité constatée entre les Qataris et les guerriers du Mujao (5). Le Qatar s'était même vu refuser une demande d'intervention humanitaire du CRQ à Ménaka, au prétexte que le Mujao n'était pas présent dans ce secteur. Ces mêmes groupes terroristes auront motivé les opérations militaires françaises Serval en 2013 puis Barkhane en 2014. Les accusations de financement terroriste ne finiront jamais de pleuvoir : en 2020, Fox News, un site d'information américain, a sorti un dossier révélant le financement de livraisons d'armes au Hezbollah en 2017. 

Doha est devenue une véritable station de repos pour la plupart des extrémistes du globe, la seule condition d'admission est d'être islamiste. On y trouve, entre autres, le Front Islamique du Salut algérien, plusieurs branches des fous de Dieu tchétchènes, des Syriens intégristes... Le Qatar a même ouvert en 2013 un bureau de représentation des Talibans : c'et simple ! Créez un "front islamique" et Doha vous donne un bureau, le gîte et le couvert. Aujourd'hui, médiateur privilégié du Moyen Orient, il joue un rôle de premier plan dans les négociations entre Washington et Téhéran, le Hamas et Israël, l'Iran et l'Arabie Saoudite, sans oublier son rôle incontournable dans la prise de pouvoir par les Talibans, en Afghanistan en 2021.


Nul doute, le Qatar est devenu une puissance influente sur la scène internationale. Ne manquait plus qu'un mondial de football... (à suivre dans le prochain numéro de PES.

MR, le 27.05.2022  

(1)       l’émir sera mis en cause, avec plusieurs hauts dignitaires des pays du Golfe, libanais, français… dans une vilaine affaire de réseau international de prostitution de luxe (proxénétisme aggravé, viol, pédophilie)

(2) Le soft power ou « puissance douce » représente les critères non coercitifs de puissance d'État

(3) Le wahhabisme se définit comme un sunnisme salafiste, il prône un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes. Pour les wahhabites, il n'est pas de salut hors du wahhabisme

(4) https://www.blast-info.fr/articles/2021/qatar-connection-quand-la-france-et-le-qatar-programmaient-la-guerre-en-libye-DWHG85yAQrODD45JllCsQg

(5) Mujao - Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest. Organisation terroriste d'idéologie salafiste djihadiste

 

Sources :

Le vilain petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal de Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau, Fayard, 2013

Jeux de guerre. Corruption française : la face cachée du terrorisme, Marc Eichenger, Massot éditions, 2022