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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 2 mai 2022

 

« Hold-up sur la terre » (1)

 

Le phénomène mondial d’accaparement des terres – l’achat par des investisseurs publics ou privés de vastes surfaces de terres agricoles – attire l’attention de l’opinion publique internationale. En effet, de l’Union européenne aux Nations Unies, toutes les institutions préconisent le maintien d’une agriculture familiale durable. Or, ce phénomène d’accaparement, en plus de porter atteinte à la souveraineté nationale, génère de nombreux désagréments.

Dans le monde

 

Les acquisitions de terres (ou les locations à long terme) par des multinationales ou des fonds souverains, souvent issus de pays suffisamment pourvus de ressources naturelles pour leurs besoins alimentaires (comme les pays du Moyen-Orient ou des pays asiatiques comme la Corée ou la Chine), ont considérablement augmenté depuis les années 1990. Dans certains cas, les terres sont acquises à des fins purement spéculatives, dans le but de les revendre plus tard avec une confortable plus-value, et sont laissées en friche entre-temps. Souvent, les terres ainsi « accaparées » sont officiellement considérées comme inutilisées, alors qu’elles abritent des communautés traditionnelles qui en dépendent pour leur survie. Le rapport du GRAIN (2) sur l’accaparement mondial des terres recense près de 500 accaparements de terres à grande échelle, engagés au cours de la dernière décennie. Ces transactions portent sur plus de 30 millions d’hectares dans 78 pays.

 

D’un coté, des gouvernements, préoccupés par l’insécurité alimentaire recourant à des importations pour nourrir leurs populations, s’emparent de vastes territoires agricoles à l’étranger pour assurer leur propre production alimentaire offshore. De l’autre, des sociétés agroalimentaires et des investisseurs privés voient dans des terres agricoles à l’étranger une source de revenus importante et nouvelle. Les prix des produits alimentaires sont élevés et l’accès à l’alimentation est une lutte quotidienne pour la plupart des gens. La situation est aggravée par l’impact croissant du changement climatique. D’autant que celui-ci n’est pas provoqué seulement par la combustion du charbon et du pétrole mais qu’il l’est aussi par le système alimentaire industriel. En fait, d’après le GRAIN, le changement climatique et l’accaparement des terres sont inextricablement liés.

 

Certaines des transactions foncières ont néanmoins échoué. En 2009, l’indignation publique à propos du projet de Daewoo sur 1,3 million d’hectares à Madagascar a favorisé le renversement du gouvernement, ce qui a conduit à la suspension de la transaction. En 2011, l’assassinat du leader libyen Kadhafi a mis fin au projet de riziculture du régime sur 100 000 hectares au Mali. Au Cameroun, après de nombreuses protestations, le projet Héraklès (plantation de palmiers à huile par l’entreprise étatsunienne Héraklès Farm) a été réduit de 73 OOO à 19 843 hectares. Certaines transactions se sont transformées en des formes moins directes de prise de contrôle sur les terres. Au Brésil et en Argentine, par exemple, des entreprises chinoises confrontées à l’inquiétude soulevée par des étrangers ont tenté d’élaborer des accords permettant d’obtenir la production des exploitations agricoles plutôt que l’achat des terres elles-mêmes. De plus en plus, de telles transactions sont qualifiées d’ « investissements responsables », mais elles constituent toujours, à de nombreux égards, des accaparements de terres.

 

De nouvelles transactions apparaissent, de grande ampleur, à long terme et déterminées à éviter les écueils auxquels se sont heurtées les transactions précédentes. On trouve dans cette catégorie la plupart des projets d’expansion de l’huile de palme en Afrique, ainsi que les fonds de pension et les conglomérats commerciaux. De plus en plus, l’accession aux terres agricoles s’inscrit dans une stratégie d’entreprise plus vaste visant à bénéficier d’une part du marché carbone (cf encart) et d’autre part de l’appropriation des ressources minérales, des ressources en eau, des semences, des sols et des services environnementaux. Les politiciens et les états-majors des sociétés s’emploient à faciliter leur réussite grâce à une multitude de « cadres » et « principes » sur la façon de procéder à ces transactions tout en minimisant les coûts sociaux et environnementaux.

 

Et en France ?

 

Enseignes de la grande distribution, leaders de l’agroalimentaire, du secteur pharmaceutique et du secteur cosmétique convoitent le patrimoine agricole.  L’objectif est triple : approvisionnement direct, plus de flexibilité et moins d’intermédiaires coûteux. Dans la mesure où un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, les industriels fortunés peuvent en profiter et s’accaparer les terres à moindre coût. Et les autorités n’ont pas réellement de pare-feu. La Safer, Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, a pour mission la redistribution du foncier agricole en faveur des agriculteurs (cf encart). Mais elle accepte de vendre 1 700 hectares de terre dans l’Indre et l’Allier à un milliardaire pékinois et à la société Chanel ! Cette dérive s’explique par la baisse drastique de ses moyens. A leur création dans les années 1960, les Safer étaient financées à 80% par des fonds publics. Depuis 2017, cette proportion a chuté à 2%. Aujourd’hui la majeure partie de leurs recettes provient des transactions qu’elles réalisent.

 

Et nous arrivons à un point de bascule : un agriculteur sur quatre a plus de 60 ans. C’est dire que, dans les trois prochaines années, 160 000 exploitations devront trouver un repreneur. Tout est prêt pour un transfert massif. Qui seront les prochains paysans ? La terre agricole pourrait voir s’affronter des prétendants à armes inégales : à côté de Grasse, Chanel achète l’hectare à un million d’euros. Sur les 26,7 millions d’hectares que compte la France, les grandes entreprises en possèdent-elles 100 000 ou 1 million ? C’est l’opacité. Il est temps que les décideurs politiques s’emparent du sujet car les nouveaux propriétaires fonciers font l’agriculture de demain.

 

Stéphanie Roussillon, le 25.04.2022

 

(1)  titre du livre de Lucile Leclair, ed. Le Seuil-Reporterre, 2022

(2)  GRAIN est une petite organisation internationale qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité. grain.org/fr  

 

Sources :

-        article « L’agro-industrie avale le terre » de Lucile Leclair, le Monde Diplomatique, février 2022.

-         « Les industriels se jettent sur les terres agricoles », Rapport de GRAIN sur Reporterre

 

 

Le marché carbone

 

Ce système a vu le jour en 1997 dans le cadre du « protocole de Kyoto » : les États se sont engagés à réduire les émissions des gaz à effet de serre (GES), le marché carbone étant considéré comme un moyen. Sur un marché du carbone, une entité publique (un Etat, l’UE) fixe aux émetteurs de GES un plafond d’émission et distribue des quotas. A la fin de l’année, les émetteurs doivent prouver qu’ils ont respecté leurs obligations. Ceux qui ont émis plus de GES doivent acheter les quotas qui leur manquent, sauf à se voir infliger une forte amende. Ceux qui ont émis moins peuvent vendre les quotas.

Les entreprises qui ne veulent ou ne peuvent pas réduire leurs émissions ont une solution : « compenser » en payant !

Exemple : l’entreprise norvégienne Green Ressources possède des plantations d’arbres en Ouganda, Tanzanie et Mozambique, soit 38 000 hectares en tout. Pour ces plantations, elle reçoit de l’argent. Autant dire qu’elle est dans l’air du temps. Faire pousser des forêts dans les pays du Sud pour compenser l’émission des industries du Nord semble en effet une parfaite bonne idée, à la fois rentable et morale. Et ça marche !

 

 

La terre est un bien commun qu’il faut conserver

 

En France, la moitié des paysans ont disparu en 25 ans. Il reste moins de 450 000 chefs d’exploitation en 2018. Et pourtant, il est de plus en plus difficile de trouver du foncier pour s’installer. Depuis 1960, la France a perdu près de 6 millions d’hectares de surface agricole utile, au profit d’infrastructures, zones commerciales et pavillonnaires, parcs de loisirs. Le sol agricole est considéré comme un réservoir sans fond.

 

De plus, le foncier libéré va d’abord à l’agrandissement, au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs et petits exploitants. Les politiques agricoles (défendues par la FNSEA – fédération nationale des syndicats et exploitants agricoles), via la PAC en particulier, encouragent cette approche en aidant, non pas l’actif agricole, mais l’hectare. « C’est le modèle d’une agriculture cannibale : se manger entre nous pour être toujours plus grands ! ».

  

Quel rôle ont les 26 SAFER (placées sur tout le territoire, sous tutelle des ministères des Finances et de l’Agriculture) dans la répartition du foncier agricole ? « Leurs décisions sont opaques et peuvent être prises au copinage, en usant de combines » dénoncent les petits agriculteurs, d’autant que la FNSEA, qui défend une agriculture productiviste a un poids déterminant dans les conseils d’administration des SAFER. Il y a d’ailleurs un phénomène qui se développe, celui « d’éviter la préemption des Safer ». Dans des « grands » projets, du type ferme des Mille vaches », la Safer n’a pas de droits d’intervention du fait de montages juridiques de transfert de parts sociales entre diverses sociétés (il existe, d’ailleurs, sur internet des forums, astuces pour échapper aux Safer).

 

La Confédération paysanne, Terre de liens, France Nature Environnement, le mouvement de l’agriculture biodynamique, notamment, s’élèvent contre l’accaparement des terres et refusent l’agrandissement excessif des exploitations. Ils demandent une réforme de la SAFER qui doit intégrer une nouvelle mission de protection des sols agricoles. Son statut de société anonyme doit changer pour qu’elle devienne une personne publique autonome, non soumise aux spéculateurs fonciers. Comment peut-elle être indépendante alors même qu’elle se finance en faisant l’opérateur foncier agricole des bétonneurs : c’est la Safer qui fait les démarchages auprès des propriétaires agricoles pour les inciter à vendre en cas de projet d’infrastructures ! Les Safer doivent disposer de moyens suffisants pour que cela cesse. « Il faudrait que les Safer s’ouvrent à l’ensemble de la société afin que cette instance soit plus démocratique » déclare Terre de liens.

Informations sur www.confederationpaysanne.fr