A propos du film de Raoul Peck
I am not your NEGRO
(Je ne suis pas
votre nègre)
Ce
film a été diffusé par AES (Alliance pour
l’Emancipation Sociale) au cinéma de Lure le 13 mai. Je l’ai trouvé
extraordinaire.
Le
film n’est pas chronologique. Il donne, en flashs puissants et en phrases coups
de poing, la réalité sombre ce cette Amérique présentée comme un modèle de
démocratie. L’Amérique prétend exporter partout cette démocratie au nom des
droits de l’Homme, en piétinant le droit international, en ne respectant pas
les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, en semant le chaos total dans
des pays qu’elle venait soi-disant délivrer (Irak, Afghanistan), le nombre
estimé de 230 000 morts en Irak est vraisemblablement très en-dessous de
la réalité.
Le
film part de l’éclairage donné par l’écrivain afro-américain James Baldwin. Dans toute son œuvre,
Baldwin parle de ces enfants qui se croient comme les autres et découvrent que
le monde dans lequel ils naissent est dangereux et largement inaccessible pour ceux
dont le visage noir est antinomique avec « le
visage blanc qui est celui du pouvoir ». Nous suivons le calvaire de
ces enfants qui naissent différents et inférieurs, aux yeux des détenteurs du
pouvoir, et qui devront mener un véritable parcours du combattant pour se faire
admettre dans le monde des Blancs.
Dans
ses romans, Baldwin montre la douleur
d’être noir en Amérique, la douleur de l’humiliation, de la négation
constante de sa valeur, de son identité. Il montre l’horreur d’être sans cesse
renvoyé à son infériorité alors même qu’on est extrêmement brillant. Il nous fait
découvrir, avec une puissance remarquable, l’insupportabilité de vivre constamment
la peur au ventre, peur d’être agressé, peur d’être tué uniquement parce que
l’on est noir, surtout quand on quitte le nord pour se diriger vers le sud. A
ce propos, lire tout particulièrement « Un autre pays » (1962) et « Harlem Quartet » qui prouvent que James Baldwin est l’un des
plus grands écrivains du 20ème siècle.
Le
film de Raoul Peck met en lumière ce monde soi-disant parfait de l’American way of life où les filles
sont belles et joyeuses, où les pelouses sont impeccablement tenues, où les
demeures sont imposantes, où la vie semble facile et harmonieuse. Ce mode de
vie auquel la majorité des peuples de la planète ne peut accéder et qui est
possible par leur propre domination, par leur propre misère. Le film nous
renvoie à la magie d’Hollywood où les super héros sont blancs, où la beauté
féminine ne peut être que blanche. En parallèle, le réalisateur filme ces
visages si différents de ceux mis en valeur par Hollywood. Ces visages, qui ne sont pas
blancs mais pourtant si beaux,
n’ont pas de représentation dans l’imaginaire américain.
Quelle
plus grande ignominie que la traite des Noirs, l’esclavage enfin reconnu comme
« un crime contre l’humanité ». Comment a-t-on pu faire cela à des
humains ? Toute l’histoire des Etats-Unis est violente car c’est
l’histoire de la conquête d’un peuple contre les autres peuples, peuple qui
instaure dès le départ la suprématie blanche en passant par l’extermination des
autochtones.
Ceux
qui ont le pouvoir écrivent l’histoire à leur manière. On le voit dans les
westerns avec l’incontournable John Wayne. On fait des chefs d’œuvre avec des
films qui légitiment le massacre des Indiens et nous amènent en tant que
spectateurs à nous identifier aux Yankees. Seuls quelques metteurs en scène se
permettent de rétablir la vérité. Cela fut le cas de John Ford, auteur entre
autres de La prisonnière du désert (1955),
L’homme qui tua Liberty Valance (1962),
L’homme tranquille (1952). C’est Ford
qui commence à renverser les valeurs traditionnellement véhiculées dans les
westerns : les Blancs forcément victimes des Indiens méchants et cruels. Son
film le plus abouti de ce point de vue
est Les Cheyennes (1964). Mais selon
Bertrand Tavernier, c’est surtout à partir du film de Delmer Daves La Flèche brisée (1950) que Hollywood cessa de considérer les Indiens
comme des sauvages.
Le
Sud, même après la guerre de Sécession, reste fortement imprégné par un racisme
viscéral. On y est confronté à une mentalité de lyncheurs, fort bien décrite
dans le magnifique film de Sydney Lumet L’homme à la peau de serpent (1960) avec Marlon Brando qui fut un
défenseur de la cause noire et des Black Panthers. On voit l’acteur dans le
film de Raoul Peck assistant aux obsèques de Martin Luther King.
Le
capitalisme industriel avait besoin de l’émancipation des Noirs. Là encore,
concernant la guerre de Sécession, il faut sortir d’une vision manichéenne des
choses, c’est-à-dire les bons contre les mauvais. Il se trouve que les
Nordistes, les Yankees, n’avaient pas les mêmes intérêts économiques que les
planteurs de coton, les Sudistes, les Confédérés. Cette ambiguïté de la lutte
des Nordistes est bien représentée dans le film de Raoul Walsh (1957) L’esclave libre. Sydney Poitiers, le
premier Noir à avoir reçu l’Oscar du meilleur acteur, y incarne un jeune Noir
élevé par un propriétaire du Sud comme son fils, fils qui se révolte contre son
père adoptif au moment de la guerre de Sécession et constate avec amertume
qu’il demeure un « négro » dans le Nord même si ses droits sont
augmentés.
L’Amérique
a voulu faire croire qu’elle avait changé. Les Sidney Poitiers et Harry
Belafonte sont des faire-valoir. Dans le film de Stanley Kramer Devine qui vient dîner ce soir, Sidney Poitiers, qui incarne le futur mari d’une
fille bourgeoise présenté à ses parents, ne finit par se faire accepter que
parce qu’il est médecin. Comme le disait Mohammed Ali « J’étais
noir quand j’étais pauvre ».
On ne sait pas, soi-disant, qui a tué Martin Luther King et Malcolm X. On
sait cependant le rôle joué par le sinistre M. Edgar Hoover, patron du FBI
pendant 48 ans ; il avait d’énormes dossiers sur tous les personnages
considérés comme dangereux par les suprématistes blancs. Harry Belafonte avait un dossier bien fourni. Il se permettait
d’être communiste.
Pour
les leaders afro-américains, s’est posée la question de la forme de la
lutte : violence ou non-violence, ce qui opposa un temps Malcolm X et
Martin Luther King, qui finirent par se rapprocher. Même si je suis
fondamentalement opposée à la violence, force est de constater que, dans le
monde capitaliste, violent par essence, la non-violence ne pèse guère. Tous les
leaders puissants et intègres qui ont conduit les indépendances des Etats
africains ont été assassinés, parfois de manière totalement répugnante comme Lumumba, premier ministre de la
République du Congo de juin à septembre 1960, principale figure de
l’indépendance du Congo belge. Arrêté par les Belges, avec le soutien non
officiel de la CIA et de l’ONU qui lui préférèrent Mobutu pour des raisons
géopolitiques, il sera sauvagement assassiné au Katanga, après avoir été, comme
ses camarades, torturé. Les corps ont été dissous dans l’acide ou démembrés.
C’est à vomir. Citons également Thomas Sankara,
le Che Guevara africain, grand leader du Burkina Faso, qui avait réussi
l’autosuffisance alimentaire du Burkina. Homme d’Etat anti-impérialiste,
révolutionnaire, socialiste, il fut assassiné en 1987, soit 4 ans après sa
prise de pouvoir, au profit de son frère de lait Blaise Compaoré, l’homme des
Français et des Américains. Il est devenu une icône de la lutte contre les
impérialismes. Citons aussi Amilcar
Cabral, fondateur du parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau
et du Cap Vert, assassiné en janvier 1977…
Ces
leaders charismatiques ont été assassinés pour mettre en place des
gouvernements fantoches au service des Etats exploiteurs des ressources. Cela
fait dire à Sarkozy à de jeunes Africains
que « l’Afrique n’est pas
entrée dans l’Histoire ».
Il
ne s’agit pas d’instaurer un pouvoir noir car lorsque les Noirs ont le pouvoir,
ils peuvent servir le même système pourri qu’est le capitalisme. On l’a vu avec
Obama aux Etats-Unis. Et pourtant, un Noir à la présidence des Etats-Unis, quelque
chose d’impensable, fut un moment
historique. Mais Obama appliqua les mêmes politiques que ses prédécesseurs, à
quelques virgules près, comme la tentative de l’Obamacare.
Nous
ne pourrons vaincre le racisme, la haine déversée par la fachosphère et la
poursuite du colonialisme qu’en étant en rupture avec le capitalisme.
L’idéologie dominante a toujours essayé de montrer que les inégalités raciales,
sociales, étaient naturelles. Dans Nous
ne sommes pas programmés. Génétique,
Hérédité, Idéologie (1984), Richard Lewontin, Steven Rose et Léon
Kamin, les auteurs, définissent ainsi l’idéologie : « les idéologies sont les idées dominantes
d’une société donnée, à un moment donné, ce sont des idées qui expriment le
« naturel » apparent d’un ordre social existant quelconque et contribuent à son maintien ».
Albert Jacquard, dans la préface de ce livre, écrit : « Les sociétés fondées sur l’exploitation d’une majorité par une
minorité, sur la domination de quelques-uns et la soumission de la multitude,
ne peuvent durer suffisamment stables que si les opprimés sont inconscients de
leur sort ou l’acceptent ou n’imaginent pas qu’un changement soit possible.
Mais cette condition nécessaire n’est pas
suffisante. Il faut aussi que les détenteurs du pouvoir et des richesses ne se
posent pas trop de questions sur le bien-fondé de leurs privilèges ».
C’est
pourquoi 90 % des médias sont entre les mains des oligarques. Steve Bannon,
ancien conseiller stratégique à la Maison Blanche, qui a permis l’élection de
Trump aux Etats-Unis et de Bolsonaro au Brésil, inspirateur du RN, a écrit
qu’il ne fallait pas s’attaquer aux opposants mais se servir des médias pour
« balancer la merde ».
Comme le dit David Dufresne, réalisateur du film Un pays qui se tient sage : « la révolution c’est l’information ».
Marguerite
Vugier
Si Moïse avait été blanc…
…il
serait encore vivant. Moïse, 24
ans, serveur congolais sur les plages de Rio de Janeiro, a été battu à mort le
24 janvier, sous le regard indifférent des témoins. Il demandait sa maigre paie
quotidienne (10 % des ventes, versés au noir) pour son travail (10 à 12 h/jour,
sans pause, sans eau potable ni nourriture fournis), « un travail analogue à l’esclavage ».
Les 2 kiosques où s’activait Moïse étaient gérés par des « associés
occultes » dont un policier militaire, montage caractéristique de la
milice, organisation criminelle formée
de policiers ou de militaires contrôlant les territoires de Rio. En 2021,
1 663 « esclaves modernes », dont 82 % Noirs, ont été libérés
par les inspecteurs chargés de la lutte contre le travail forcé. « Au Brésil, si l’on frappe un Noir, tout
le monde pense que c’est un voleur et tant pis pour lui. En revanche si on
attaque un Blanc, les gens réagissent ». En 2020, plus de 75 % des
victimes d’homicides étaient des personnes noires.