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mardi 31 mai 2022

 

Ukraine.

 Ce qui a conduit à l’invasion russe

 

Contre les théories complotistes et les visions unilatérales consistant à condamner soit l'impérialisme américain soit l'agression russe de l'Ukraine, il faut, pour mieux cerner la réalité, élargir la focale afin de comprendre l'état des rapports de forces mondiales qui ont conduit à cette agression (cf encadré).  

 

Soulignons d'abord ce qu'il est convenu d'appeler la mondialisation néolibérale qui a conduit par ses excès à produire son contraire, à savoir le nationalisme, et à défendre les souverainetés nationalistes. Cette période a commencé avec l'effondrement de l'Union soviétique, les privatisations sauvages qui s'en sont suivi et l'émergence d'une oligarchie capitaliste. Après l'ère Eltsine, la réaction poutinienne a consisté à mettre au pas les oligarques les plus cosmopolites et à tenter de restaurer une classe dominante nationale en capacité de défendre ses intérêts sur le territoire de l'ancien empire soviétique.

 

Dans le même temps, les Etats-Unis s'acharnaient à prouver qu'ils étaient devenus l'hyperpuissance à qui rien ne pouvait résister. L'idée de la guerre contre le terrorisme et l'instauration d'un grand Moyen-Orient démocratique visant les changements de régime, aussi bien en Irak qu'en Iran, allaient prouver, tout au contraire, que le déclin des Etats-Unis s'amorçait. Du moins c'est l'interprétation qu'en eut Poutine lorsqu’Obama décida "de conduire de l'arrière" la guerre en Libye, et même avant, de laisser Bachar Al Assad bombarder les populations civiles à l’aide d'armes chimiques.

 

Poutine en tira la conclusion, pour le moins hâtive, qu'un sentiment de faiblesse s’était emparé des Etats-Unis d'autant que Jo Biden précipitait, dans la confusion, le départ des troupes US d'Afghanistan. Dans ce contexte de l'évolution des rapports de forces, qui vit également monter en puissance la Chine après son intégration à l'OMC, l'on vit apparaître des blocs de puissance impérialistes se concurrençant. Les règles de l'OMC étaient également bafouées par des sanctions unilatérales prises par les USA et par des contre-rétorsions défensives prises par les autres puissances. Par ailleurs, le parti du capitalisme chinois a instauré une société d’économie mixte de type capitaliste qui parvient dans de nombreux domaines à supplanter les économies occidentales. On assiste donc à l'exacerbation de la concurrence pour la conquête de marchés et de ressources naturelles, susceptible de déstabiliser l'ensemble du monde.

 

De quoi Poutine est-il le nom ?

 

La volonté de la classe dominante russe de se réinsérer dans le jeu des puissances mondiales en particulier des Etats-Unis, de la Chine et de l'Union européenne, s’est manifestée avec d'autant plus de vigueur qu'elle se sentait marginalisée (1). Elle ne pouvait plus admettre que les oligarques prorusses d'Ukraine soient évincés et que ce pays adhère à l'UE et à l'OTAN. L’occasion lui en fut donnée avec le soulèvement de l'Euromaïdan, instrumentalisé pour partie par des néo-nazis, et surtout par la décision assez loufoque du pouvoir ukrainien d'interdire la langue russe sur tout le territoire de ce pays. Ce qui provoqua pour partie la révolte dans le Donbass et l'intervention russe ainsi que les accords de Minsk qui auraient pu se traduire par une stabilisation de la situation. Depuis 2014, l'occupation de la Crimée n'a rien arrangé, bien au contraire. C'est  à partir de cette date que les Etats-Unis, l’OTAN, se sont acharnés à armer l'Ukraine. Le pouvoir poutinien développa, par ailleurs, toute une idéologie déjà très présente depuis plusieurs années de restauration de l'empire russe tout en niant l’existence de la nation ukrainienne. Il est d'ailleurs très caractéristique que Poutine, pour justifier la restauration de l’empire, dans ses discours, stigmatise les propos de Lénine sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que sa clairvoyance consistant à signer un traité de paix avec les empires centraux, en particulier l'Allemagne, à Brest-Litovsk (1917).

 

Justifier un positionnement colonial est une rhétorique bien connue en France. L’Algérie, « c’était la France, un département de l’Hexagone ». D’ailleurs, on s’apercevra qu’elle peut encore servir dans les confettis de l’Empire (Nouvelle Calédonie, Réunion, Guadeloupe…).

 

L’alliance du régime poutinien avec l'église orthodoxe va évidemment dans le même sens, celui consistant à faire prévaloir l'idéologie slavophile réunissant les prétendues différentes composantes de la Russie tsariste : les grands-russiens (Moscou), les Biélorusses et les petits-russiens (Kiev). Les discours contre les néonazis ukrainiens, dont la réalité ne peut être niée même si leur importance est à relativiser, ont servi de prétextes pour soi-disant libérer le peuple ukrainien.  Cette vision n'a pu qu'obscurcir la stratégie suivie par Poutine et son entourage et mettre à mal, ainsi, les commentaires répandus sur la réalité de l’invasion.

 

Vers une guerre longue ?

 

Ce devait être une promenade, une « opération spéciale », partant de la Biélorussie avec 150 000 hommes pour atteindre Kiev et déboulonner Zelinski. Piètre joueur d'échec que ce Poutine malgré tous les renseignements dont il pouvait disposer : il n'a pas su évaluer la capacité de résistance nationale des Ukrainiens aux bords de Kiev. Par ailleurs, l'armement et la logistique russes n'ont pas suivi et ce fut dans une certaine mesure une débandade. Ensuite, changement de stratégie : conquête du sud-est de l’Ukraine soi-disant plus favorable à la Russie. Là aussi, on a pu constater le piétinement de l'armée russe malgré sa puissance de feu. Il n'en reste pas moins que le pouvoir russe ne peut accepter une défaite et va tenter de s'en prendre à toutes les régions situées à la fois à l'est de l'Ukraine ainsi que toute la façade maritime de la mer d'Azov et de la mer Noire jusqu'à Odessa. La victoire sur Marioupol est peut-être en trompe l'oeil. Elle signifie pour le moins que la conquête jusqu’à la Transnistrie est loin d'être acquise. Elle pourrait néanmoins déboucher sur l’asphyxie économique de l’Ukraine, incapable d’exporter ses denrées notamment agricoles par voie maritime, et sur un engrenage impliquant l’OTAN. On commence déjà à parler d’une « opération humanitaire » pour débloquer les ports de la mer Noire. L’escadre navale serait en voie de constitution. Poutine serait prêt à négocier contre la levée des sanctions…

 

En tout état de cause, Poutine, celui que la propagande occidentale se plaît à présenter soit comme un stratège cynique, soit comme un fou, a perdu nombre de ses paris. L’invasion de l’Ukraine, au lieu de diviser l’Europe, lui a redonné de la cohésion en renforçant l’OTAN, tout en signant le retour dominateur des Etats-Unis.  

 

La guerre sous toutes ses formes

 

La guerre en Ukraine révèle désormais que les instances dites internationales, comme l'ONU, ne sont plus en état de régler les conflits du moins entre grandes puissances. A la fois tous les coups sont permis (guerre économique, sanctions militaires, technologiques, embargos...) mais ils affectent, de manière inconsidérée, aussi bien ceux qui les utilisent que ceux qui en sont victimes. En effet, l'interdépendance des économies dans le cadre de la mondialisation démontre, s'il en était besoin, que ce sont d'abord les peuples qui vont subir les conséquences de ce conflit. Déjà l'inflation et la spéculation affectent l'ensemble des sociétés et, plus la guerre durera plus les conséquences alimentaires se feront sentir. Pour l'heure il semble que ce sont les Etats-Unis qui tirent leur épingle du jeu dans la mesure où ils font pression pour que les économies européennes se passent des énergies fossiles de la Russie. Ils se proposent ainsi de fournir le pétrole et le gaz de schiste. Mais sanctionner la Russie (comme l'indique le texte suivant de ce numéro), ne fait qu'exacerber les contradictions au sein des pays dits de la Communauté internationale et en particulier de l'Union européenne. Il faudra d'ailleurs suivre l'évolution des prises de position des pays du Sud qui, contre toute attente pour certains d'entre eux, ont pris position soit pour la Russie, soit pour une la neutralité.

 

Le paysage géopolitique risque en effet de faire advenir des surprises étonnantes, telle l'alliance entre l'Arabie Saoudite, Israël et la Russie... Le discours des Etats-Unis prétendant défendre les démocraties contre les autocraties pour justifier l'intensification du soutien à l'Ukraine et ce, sans entrevoir la possibilité d'une quelconque négociation, démontre, s'il en est besoin, que l'ère de conflits encore plus meurtriers pourrait advenir.

 

Gérard Deneux, le 23.05.22

 

(1)       Lors du 1er mandat de Poutine, puis celui de Medvedev, la classe dirigeante russe a cru pouvoir intégrer l’OTAN. Elle s’est heurtée aux intérêts des USA et de ses alliés les plus antirusses (pays de l’Est de l’Europe, notamment la Pologne) qui ont bloqué un tel processus.

 

Encadré 1

 

Il y a ceux qui considèrent que les Etats-Unis, maîtres du monde, manipulent tous les pays. Dans cette optique, la Russie, agressée par l’OTAN, aurait été dans l’obligation de réagir et d’envahir l’Ukraine, pays qui n’existerait pas en tant que  nation… Bref, il n’y aurait qu’un seul impérialisme et le combat se limiterait à la lutte pour l’indépendance nationale. La Russie en engageant cette guerre récupérerait une partie d’elle-même… Et il y a ceux qui dénoncent, à juste titre, l’agression russe, tout en évitant soigneusement d’exposer les responsabilités expansionnistes de l’OTAN et des USA, visant à bloquer, avant la guerre, toute volonté de rapprochement entre la Russie et l’UE et tout particulièrement avec l’Allemagne.