La France sort
du Mali
Assa
est né au Soudan français en 1955. En
1960, ce territoire devient indépendant et prend le nom de MALI. Assa fait partie de l’ethnie la plus importante, les
Bambaras. De nombreuses autres cohabitent sur ce territoire : les Bobos,
les Dogons, les Touaregs. Au cours de sa jeunesse, il connaît plusieurs coups
d’Etat, faisant alterner des périodes démocratiques ou dictatoriales. Après
1962, il fera ses achats en francs maliens mais sera surpris de voir revenir en
1984, le franc CFA.
Assa
est choqué de voir dans son pays, qui possède un sous-sol riche en or, une
agriculture florissante (bétails, coton), les ressources partir vers l’étranger
(principalement la France) et de devoir acheter de la nourriture importée.
Il
est indigné de voir dans les rues de Bamako, les travailleurs maliens marcher
pieds nus et les dirigeants de leurs entreprises, souvent européens (mais aussi
maliens), circuler dans de somptueuses limousines climatisées.
Il
a le sentiment que la vie du peuple malien pourrait être bien meilleure s’il
gérait lui-même ses affaires, sans cette caste profiteuse et sans la mainmise
généralisée de l’ex-colonisateur sur son pays.
Il
se demande parfois si cette colonisation a réellement pris fin.
Pourtant,
le 2 février 2013, il se rendra à Tombouctou pour acclamer F. Hollande et
l’armée française. Il veut les remercier d’avoir arrêté l’avancée vers le sud
du pays et sa capitale Bamako, des colonnes de Touaregs rebelles et surtout, de
djihadistes venus du nord du pays. L’armée française est intervenue en janvier
2013, à la demande du président par intérim Dioncounda Traoré, pour suppléer
l’armée malienne, débordée. Dioncounda Traoré, arrivé au pouvoir à la suite
d’un coup d’Etat militaire (21 mars 2012), a
seulement demandé un appui aérien à l’armée française.
Assa
est surpris de constater que ce sont des hommes et du matériel au sol qui
stoppent les rebelles. Mais leur action s’étant avérée plutôt efficace, il ne
leur en fait pas reproche. En effet, en quelques semaines, les villes du nord
du pays (Tombouctou, Kidal, Gao) sont reprises. Les djihadistes disparaissent
et les Touaregs rejoignent leurs territoires du nord.
Assa
a trouvé tout de même étrange que l’armée française intervienne si rapidement
et si fortement pour repousser des djihadistes venus de Libye où ils s’étaient
préparés, entraînés, armés, en toute quiétude suite à l’effondrement de l’Etat
libyen, provoqué par l’intervention militaire française…
Mais,
il était tout de même heureux de remercier l’armée française, d’avoir mené à
bien cette opération SERVAL, et très très heureux de souhaiter à tous ces
militaires un bon retour en France.
Mais, il n’y
eut pas de retour, les soldats français s’installèrent et l’opération devint
BARKHANE.
Assa
devint de plus en plus suspicieux d’autant plus que J.Y. Le Drian, ministre
français des affaires étrangères, déclarait le 15 mars : « la guerre de libération du Mali est finie,
elle a été gagnée ». Alors pourquoi l’armée française
s’installait-elle sur place ? Pour participer au développement économique,
social, du Mali ? Pour faire de ce pays un pays prospère, indépendant, où
chaque Malien pourrait vivre dignement, avoir des projets d’avenir, une
éducation solide ? Pour faire un pays où chaque Malien pourrait vivre en sécurité,
un pays qui ne soit pas un terreau pour les djihadistes ?
Assa
l’espérait, mais avait des doutes. N’était-ce pas plutôt pour garder la
mainmise sur la région ? Sur les mines d’or du Mali, sur l’uranium du
Niger et sur toutes les autres richesses ?
Assa
se souvint alors que BARKHANE est le nom donné à une dune de sable qui change
de forme au gré des vents… A partir de
ce moment, beaucoup d’éléments vont conforter le scepticisme d’Assa.
Les
militaires français arrivent en nombre. En 2014, ils sont 3 000, retranchés dans des camps
hyper-protégés. Quand ils sortent, c’est en convoi de véhicules blindés. Les
soldats suréquipés, surarmés, sur-connectés, font plus peur à la population
qu’ils ne la rassurent. Leur comportement est de plus en plus humiliant pour les
pères de famille maliens quand ils distribuent « généreusement » de
la nourriture ou des friandises à leurs enfants. Leurs actions consistent
essentiellement à « neutraliser » des chefs rebelles depuis des
drones ou des avions. Chefs qui sont immédiatement remplacés.
Car l’action
de la France est militaire et sécuritaire
Les
conditions de vie du peuple malien ne se sont pas améliorées, elles se sont
même parfois dégradées. L’insécurité dans le nord est totale. Les accrochages
entre rebelles et militaires sont quotidiens et la population est la principale
victime. Une partie de cette population finit même par regretter la présence
des djihadistes. Certes, il fallait respecter la charia, mais ils pouvaient
travailler, cultiver leurs terres, soigner leur bétail.
Le
sentiment anti-français se développe très fortement dans tout le pays. Pour y
échapper, la France tenta bien d’associer d’autres pays européens dans la force
TAKUBA, mais les chiffres sont tragiques : en 2020, aux 5 000 soldats
français présents au Mali, s’ajouteront 90 soldats britanniques, 90 Estoniens,
60 Tchèques, plus quelques autres dont « quelques » officiers de
liaison belges…
La
MINUSMA, à partir de 2013, tentative onusienne de coordonner l’action des
armées des pays voisins du Mali, est composée de Tchadiens (1 200), de Togolais
(1 000), de Nigérians (800) et de quelques autres pays. Là encore, les
Européens n’ont pas été prompts à y participer puisque le Royaume Uni a fourni
2 officiers, et la Belgique, un seul…
Malgré
ces tentatives d’internationalisation des opérations au Mali, il apparaît aux
yeux des Maliens que c’est la France la responsable de l’échec de ces
opérations.
Car c’est
bien un échec
Les
djihadistes, après le recul initial de 2012, n’ont fait que reprendre du
terrain. Certes ce n’est pas une armée qui occupe un territoire mais ils se
fondent dans la population, s’en font une alliée et mènent des opérations de
guérilla. Limitées en 2012 au nord du Mali, ces actions terroristes s’étendent
maintenant à tout le Sahel et se dirigent vers les zones riches du golfe de
Guinée (Sénégal, Côte d’Ivoire…).
La
population malienne a, de plus, payé un lourd tribut : depuis 2013,
12 143 civils auraient été tués au Mali (5 622 au Niger et 8 201 au
Burkina Faso) (1). Et surtout, il y a eu plus de victimes dues aux militaires
censés les protéger qu’aux djihadistes. Au Sahel, depuis 2013, 2 800
djihadistes auraient été tués par les Français qui y ont laissé 58 hommes. Face
à ce bilan, la population ne pouvait que rejeter la présence française. Cette
colère a été canalisée, entretenue, utilisée par les militaires maliens pour
renverser, le 18 août 2020, le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita, proche de
la France. Coup d’Etat salué par la population mais, la situation ne
s’améliorant pas, d’autres militaires vont renverser les putschistes, le 24 mai
2021, avec, à leur tête, Assimi Goïta.
Les
relations entre cette junte et le gouvernement français ne vont alors cesser de
se dégrader. Le 31 novembre 2021, le Mali expulse l’ambassadeur français. Dans
la foulée, J.Y. Le Drian déclarera « la
junte est illégitime et ses décisions irresponsables ».
Finalement,
sous la pression, E. Macron annoncera le retrait
des forces françaises au Mali et leur repli
vers les pays voisins, en particulier, au
Niger.
Assa
a beaucoup aimé entendre les autorités françaises traiter la junte malienne
d’illégitime, alors qu’elles ont adoubé Mahamat Idriss Deby qui a pris le
pouvoir au Tchad en toute illégalité et qu’elles protègent l’ivoirien Alassane
Ouattara qui modifie la Constitution pour rester président.
Assa
est heureux de voir partir les ex-colonisateurs, dont la présence n’a en rien
amélioré la vie des Maliens, bien au contraire, mais cette joie est teintée
d’inquiétude.
La
junte au pouvoir déclare à l’ONU que les Français ont abandonné le Mali, que
c’est une trahison, mais parallèlement, accuse la France d’être complice des
terroristes. Il semble certain que cette même junte paie des mercenaires russes
pour assurer sa sécurité et se maintenir au pouvoir : la force Wagner, dont les hommes se sont
illustrés dramatiquement en Centrafrique.
La
nature ayant horreur du vide, la place laissée vacante par les Français est
convoitée par les Russes, les Chinois et les pays du Golfe et Assa n’est pas
certain d’y gagner au change.
Alors,
il se dit que le seul moyen d’assurer un avenir digne de ce nom au Mali est de voir émerger une élite
malienne responsable et intègre pour diriger le pays, mais il a l’impression
que tous ces pays venus « coopérer » avec le Mali ne le veulent
surtout pas et que beaucoup de générations maliennes vont survivre plutôt que
vivre dans ce pays qui a pourtant tout pour que ses habitants puissent y être
heureux.
Jean-Louis
Lamboley, le 23.04.2022
(1)
chiffres extraits
de l’article « L’inavouable défaite française
au Sahel » de Romain Mielcarek, le
Monde Diplomatique avril 2022
Quelques repères chronologiques
19
mars 2011 – début de la guerre d’intervention en Libye
20
octobre 2011 – assassinat de Kadhafi
11
janvier 2013 – déclenchement de l’opération Serval au Mali
2
novembre 2013 – assassinat de 2 journalistes français
5
décembre 2013 – opération militaire Sangaris en Centrafrique
août
2014 – opération Barkhane (Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad)
30
et 31 octobre 2014 – insurrection populaire au Burkina Faso – chute du
dictateur Blaise Compaoré, exfiltré par l’armée française en Côte d’Ivoire
11
octobre 2016 – JY Le Drian annonce la fin de l’opération Sangaris en
Centrafrique - échec de l’impérialisme français
18
août 2020 – arrestation et démission du président malien Ibrahim Boubacar Keita
(IBK) au pouvoir depuis 2003
10
juin 2021 – Macron annonce la fin de l’opération Barkhane puis, le 17 février
2022, le retrait de l’armée française au Mali
…
à suivre
« A
travers la région centrale du Mali, des groupes armés tirent, mutilent et
terrorisent des communautés, apparemment sans craindre de devoir rendre des
comptes » Corinne Dufka,
directrice de Human Rights Watch pour l’Afrique
« Paris, comme les puissances
régionales, prête beaucoup trop d’attention à l’aspect sécuritaire contre les
djihadistes, pas assez au terreau social qui l’alimente ». Corinne Dufka
Mariage de
Bounty le 3 janvier 2021
L’enquête
de la mission de l’ONU au Mali confirme que la force française Barkhane est
responsable de la mort de 19 civils dans le bombardement d’un mariage début
janvier. « C’est bien une noce, et
non un rassemblement de combattants djihadistes en armes, qui a été frappée par
l’armée française et les morts sont bien, pour la grande majorité, des
villageois, des civils ». Cette frappe aérienne soulève des
préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite
des hostilités, notamment le principe de
précaution dont l’obligation est de faire tout ce qui est possible pour
vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires.
L’IDH – Indice de Développement Humain – est un indice statistique visant à évaluer le
niveau de développement de chaque pays (189 pays sont classés). Résultats de 0
à 1. Il prend en compte le PIB/habitant, l’espérance de vie, le niveau
d’éducation des + de 17 ans.
Islande
= 0.935 (Norvège – Suisse)
France
= 0.901
Mali
= 0.417
Tchad
= 0.401 – Centrafrique = 0.381 – Niger = 0.377