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lundi 2 mai 2022

 

La France sort du Mali

 

Assa est né au Soudan français en 1955. En 1960, ce territoire devient indépendant et prend le nom de MALI. Assa fait partie de l’ethnie la plus importante, les Bambaras. De nombreuses autres cohabitent sur ce territoire : les Bobos, les Dogons, les Touaregs. Au cours de sa jeunesse, il connaît plusieurs coups d’Etat, faisant alterner des périodes démocratiques ou dictatoriales. Après 1962, il fera ses achats en francs maliens mais sera surpris de voir revenir en 1984, le franc CFA.

 

Assa est choqué de voir dans son pays, qui possède un sous-sol riche en or, une agriculture florissante (bétails, coton), les ressources partir vers l’étranger (principalement la France) et de devoir acheter de la nourriture importée.

Il est indigné de voir dans les rues de Bamako, les travailleurs maliens marcher pieds nus et les dirigeants de leurs entreprises, souvent européens (mais aussi maliens), circuler dans de somptueuses limousines climatisées.

Il a le sentiment que la vie du peuple malien pourrait être bien meilleure s’il gérait lui-même ses affaires, sans cette caste profiteuse et sans la mainmise généralisée de l’ex-colonisateur sur son pays.

Il se demande parfois si cette colonisation a réellement pris fin.

 

Pourtant, le 2 février 2013, il se rendra à Tombouctou pour acclamer F. Hollande et l’armée française. Il veut les remercier d’avoir arrêté l’avancée vers le sud du pays et sa capitale Bamako, des colonnes de Touaregs rebelles et surtout, de djihadistes venus du nord du pays. L’armée française est intervenue en janvier 2013, à la demande du président par intérim Dioncounda Traoré, pour suppléer l’armée malienne, débordée. Dioncounda Traoré, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire (21 mars 2012), a seulement demandé un appui aérien à l’armée française.

 

Assa est surpris de constater que ce sont des hommes et du matériel au sol qui stoppent les rebelles. Mais leur action s’étant avérée plutôt efficace, il ne leur en fait pas reproche. En effet, en quelques semaines, les villes du nord du pays (Tombouctou, Kidal, Gao) sont reprises. Les djihadistes disparaissent et les Touaregs rejoignent leurs territoires du nord.

 

Assa a trouvé tout de même étrange que l’armée française intervienne si rapidement et si fortement pour repousser des djihadistes venus de Libye où ils s’étaient préparés, entraînés, armés, en toute quiétude suite à l’effondrement de l’Etat libyen, provoqué par l’intervention militaire française…

 

Mais, il était tout de même heureux de remercier l’armée française, d’avoir mené à bien cette opération SERVAL, et très très heureux de souhaiter à tous ces militaires un bon retour en France.

 

Mais, il n’y eut pas de retour, les soldats français s’installèrent et l’opération devint BARKHANE.

 

Assa devint de plus en plus suspicieux d’autant plus que J.Y. Le Drian, ministre français des affaires étrangères, déclarait le 15 mars : « la guerre de libération du Mali est finie, elle a été gagnée ». Alors pourquoi l’armée française s’installait-elle sur place ? Pour participer au développement économique, social, du Mali ? Pour faire de ce pays un pays prospère, indépendant, où chaque Malien pourrait vivre dignement, avoir des projets d’avenir, une éducation solide ? Pour faire un pays où chaque Malien pourrait vivre en sécurité, un pays qui ne soit pas un terreau pour les djihadistes ?

 

Assa l’espérait, mais avait des doutes. N’était-ce pas plutôt pour garder la mainmise sur la région ? Sur les mines d’or du Mali, sur l’uranium du Niger et sur toutes les autres richesses ?

 

Assa se souvint alors que BARKHANE est le nom donné à une dune de sable qui change de forme au gré des vents…  A partir de ce moment, beaucoup d’éléments vont conforter le scepticisme d’Assa.

 

Les militaires français arrivent en nombre. En 2014,  ils sont 3 000, retranchés dans des camps hyper-protégés. Quand ils sortent, c’est en convoi de véhicules blindés. Les soldats suréquipés, surarmés, sur-connectés, font plus peur à la population qu’ils ne la rassurent. Leur comportement est de plus en plus humiliant pour les pères de famille maliens quand ils distribuent « généreusement » de la nourriture ou des friandises à leurs enfants. Leurs actions consistent essentiellement à « neutraliser » des chefs rebelles depuis des drones ou des avions. Chefs qui sont immédiatement remplacés.

 

Car l’action de la France est militaire et sécuritaire

 

Les conditions de vie du peuple malien ne se sont pas améliorées, elles se sont même parfois dégradées. L’insécurité dans le nord est totale. Les accrochages entre rebelles et militaires sont quotidiens et la population est la principale victime. Une partie de cette population finit même par regretter la présence des djihadistes. Certes, il fallait respecter la charia, mais ils pouvaient travailler, cultiver leurs terres, soigner leur bétail.

 

Le sentiment anti-français se développe très fortement dans tout le pays. Pour y échapper, la France tenta bien d’associer d’autres pays européens dans la force TAKUBA, mais les chiffres sont tragiques : en 2020, aux 5 000 soldats français présents au Mali, s’ajouteront 90 soldats britanniques, 90 Estoniens, 60 Tchèques, plus quelques autres dont « quelques » officiers de liaison belges…

 

La MINUSMA, à partir de 2013, tentative onusienne de coordonner l’action des armées des pays voisins du Mali, est composée de Tchadiens (1 200), de Togolais (1 000), de Nigérians (800) et de quelques autres pays. Là encore, les Européens n’ont pas été prompts à y participer puisque le Royaume Uni a fourni 2 officiers, et la Belgique, un seul…  

 

Malgré ces tentatives d’internationalisation des opérations au Mali, il apparaît aux yeux des Maliens que c’est la France la responsable de l’échec de ces opérations.

 

Car c’est bien un échec

 

Les djihadistes, après le recul initial de 2012, n’ont fait que reprendre du terrain. Certes ce n’est pas une armée qui occupe un territoire mais ils se fondent dans la population, s’en font une alliée et mènent des opérations de guérilla. Limitées en 2012 au nord du Mali, ces actions terroristes s’étendent maintenant à tout le Sahel et se dirigent vers les zones riches du golfe de Guinée (Sénégal, Côte d’Ivoire…).

 

La population malienne a, de plus, payé un lourd tribut : depuis 2013, 12 143 civils auraient été tués au Mali (5 622 au Niger et 8 201 au Burkina Faso) (1). Et surtout, il y a eu plus de victimes dues aux militaires censés les protéger qu’aux djihadistes. Au Sahel, depuis 2013, 2 800 djihadistes auraient été tués par les Français qui y ont laissé 58 hommes. Face à ce bilan, la population ne pouvait que rejeter la présence française. Cette colère a été canalisée, entretenue, utilisée par les militaires maliens pour renverser, le 18 août 2020, le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita, proche de la France. Coup d’Etat salué par la population mais, la situation ne s’améliorant pas, d’autres militaires vont renverser les putschistes, le 24 mai 2021, avec, à leur tête, Assimi Goïta.

 

Les relations entre cette junte et le gouvernement français ne vont alors cesser de se dégrader. Le 31 novembre 2021, le Mali expulse l’ambassadeur français. Dans la foulée, J.Y. Le Drian déclarera « la junte est illégitime et ses décisions irresponsables ».

 

Finalement, sous la pression, E. Macron annoncera le retrait des forces françaises au Mali et leur repli vers les pays voisins, en particulier, au Niger.

 

Assa a beaucoup aimé entendre les autorités françaises traiter la junte malienne d’illégitime, alors qu’elles ont adoubé Mahamat Idriss Deby qui a pris le pouvoir au Tchad en toute illégalité et qu’elles protègent l’ivoirien Alassane Ouattara qui modifie la Constitution pour rester président.

 

Assa est heureux de voir partir les ex-colonisateurs, dont la présence n’a en rien amélioré la vie des Maliens, bien au contraire, mais cette joie est teintée d’inquiétude.

 

La junte au pouvoir déclare à l’ONU que les Français ont abandonné le Mali, que c’est une trahison, mais parallèlement, accuse la France d’être complice des terroristes. Il semble certain que cette même junte paie des mercenaires russes pour assurer sa sécurité et se maintenir au pouvoir :  la force Wagner, dont les hommes se sont illustrés dramatiquement en Centrafrique.

 

La nature ayant horreur du vide, la place laissée vacante par les Français est convoitée par les Russes, les Chinois et les pays du Golfe et Assa n’est pas certain d’y gagner au change.

 

Alors, il se dit que le seul moyen d’assurer un avenir digne de ce  nom au Mali est de voir émerger une élite malienne responsable et intègre pour diriger le pays, mais il a l’impression que tous ces pays venus « coopérer » avec le Mali ne le veulent surtout pas et que beaucoup de générations maliennes vont survivre plutôt que vivre dans ce pays qui a pourtant tout pour que ses habitants puissent y être heureux.

 

Jean-Louis Lamboley, le 23.04.2022     

 

(1)   chiffres extraits de l’article « L’inavouable défaite française au Sahel » de Romain Mielcarek, le Monde Diplomatique avril 2022

 

Quelques repères chronologiques

 

19 mars 2011 – début de la guerre d’intervention en Libye

20 octobre 2011 – assassinat de Kadhafi

11 janvier 2013 – déclenchement de l’opération Serval au Mali

2 novembre 2013 – assassinat de 2 journalistes français

5 décembre 2013 – opération militaire Sangaris en Centrafrique

août 2014 – opération Barkhane (Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad)

30 et 31 octobre 2014 – insurrection populaire au Burkina Faso – chute du dictateur Blaise Compaoré, exfiltré par l’armée française en Côte d’Ivoire

11 octobre 2016 – JY Le Drian annonce la fin de l’opération Sangaris en Centrafrique - échec de l’impérialisme français

18 août 2020 – arrestation et démission du président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) au pouvoir depuis 2003

10 juin 2021 – Macron annonce la fin de l’opération Barkhane puis, le 17 février 2022, le retrait de l’armée française au Mali

… à suivre

 

 « A travers la région centrale du Mali, des groupes armés tirent, mutilent et terrorisent des communautés, apparemment sans craindre de devoir rendre des comptes » Corinne Dufka, directrice de Human Rights Watch pour l’Afrique     

 

 

« Paris, comme les puissances régionales, prête beaucoup trop d’attention à l’aspect sécuritaire contre les djihadistes, pas assez au terreau social qui l’alimente ». Corinne Dufka

 

 

Mariage de Bounty le 3 janvier 2021

 

L’enquête de la mission de l’ONU au Mali confirme que la force française Barkhane est responsable de la mort de 19 civils dans le bombardement d’un mariage début janvier. « C’est bien une noce, et non un rassemblement de combattants djihadistes en armes, qui a été frappée par l’armée française et les morts sont bien, pour la grande majorité, des villageois, des civils ». Cette frappe aérienne soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des  hostilités, notamment le principe de précaution dont l’obligation est de faire tout ce qui est possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires.

 

 

L’IDH – Indice de Développement Humain – est un indice statistique visant à évaluer le niveau de développement de chaque pays (189 pays sont classés). Résultats de 0 à 1. Il prend en compte le PIB/habitant, l’espérance de vie, le niveau d’éducation des + de 17 ans.

 

Islande = 0.935 (Norvège – Suisse)

France = 0.901

Mali = 0.417

Tchad = 0.401 – Centrafrique = 0.381 – Niger = 0.377