Con…figurations
électorales
(Editorial du n° 81 de PES)
Que
peut-on espérer des élections présidentielles et des législatives qui
suivront ? Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine où les
citoyens déjà désarmés sont sidérés, pressentant les vents mauvais à venir, les
illusions proférées ne sont guère de mise. Et pourtant Macron s’époumone à
appeler Poutine à la désescalade et semble croire à la reconduction de son
mandat sans débat. Nombreux sont ceux qui subodorent que les jeux sont faits,
que la partie est truquée. Dans ce théâtre d’ombres où les petits candidats
sont appelés à faire de la figuration pour donner une onction démocratique à la
façade républicaine, les spectateurs risquent de ne pas servir la claque. Ils peuvent
même troubler la scène. Ainsi peut-on penser qu’au moins trois scénarios sont
susceptibles d’égarer les metteurs en scène qui tiennent plus ou moins bien la
laisse des acteurs en présence.
Premier scénario. Macron l’emporte au 2ème tour quel que
soit son opposant. C’est la conclusion espérée par le CAC 40 et la médiacratie
qui agite le landernau. Ils risquent néanmoins de déchanter au vu du nombre
d’abstentionnistes. De légale cette
élection suprême s’avèrerait illégitime.
Surtout si les législatives qui suivent ne confortent pas le petit Bonaparte. Dans
cette attente douloureuse, ils sont d’ailleurs fébriles, envisageant même,
selon la rumeur, d’avancer le scrutin des législatives pour échapper à cette
désagréable réalité. D’autant que leur champion n’a pas ménagé la cohorte des
enseignants, les considérant comme des fainéants qui doivent travailler plus,
remplacer les absents pour gagner plus et être managés par leur Dirlo tout
puissant. Il compte néanmoins que l’épouvantail Le Pen ou leur aigreur vis-à-vis
de Mélenchon les rendra raisonnables. En tout état de cause, le futur Parlement
croupion risque d’être plus agité, plus rétif que la majorité actuelle des beaufs
macroniens. Restera à leur faire avaler la pilule d’un programme néolibéral
renforcé, à coup d’ordonnances, de 49-3 et de faire goûter aux irréductibles
manifestants le poids de la matraque et l’air irrespirable des gaz lacrymogènes.
Dans cette ambiance, le sel de la division raciale est susceptible d’éclaircir
les rangs des réfractaires en engageant nombre d’entre eux dans des pugilats
inopérants.
Deuxième scénario, plus improbable. Le Pen l’emporte. Les antifascistes
seront dans la rue à coup sûr. Pour quel effet réel ? Aux législatives, la
Marine recentrée risque de ne pas avoir de majorité. La cohabitation entre la
droite extrême et l’extrême droite serait ainsi ouverte pour le pire. On nous
servira que la France de Jeanne d’Arc ne peut accueillir toute la misère du
monde comme le prônait Rocard en son temps. Qui plus est, le bal serait ouvert
aux racistes de tous poils. Chaos, répression et mise au pas de l’appareil
judiciaire et médiatique seraient à la noce comme chez Orban le Hongrois.
Troisième scénario. Mélenchon l’emporte. Le bloc bourgeois hurle, les
médias s’hystérisent. Les législatives qui suivent pourraient fournir nombre de
dépités rageurs. La cohabitation avec des socialos ralliés ouvrirait la voie à
des accommodements avec le programme de l’avenir qui n’aurait plus rien de
commun. Se pourrait-il, dans la meilleure des hypothèses, que surgisse un appel d’air à la mobilisation populaire ?
La dissolution possible de l’assemblée législative, la convocation d’une
assemblée constituante, provoqueraient certainement entre tous les déçus
d’avoir perdu leurs maroquins, des rixes mémorables. L’on voit poindre déjà
chez les partisans d’Hidalgo et de Jadot des rancoeurs tenaces contre les
mélenchonistes qui risquent de leur ravir leurs sièges. Enthousiastes, les
citoyens le seraient-ils pour modeler la 6ème République comme du
temps de la mobilisation contre le Traité Constitutionnel Européen ? Pas
du tout certain… Et quelle pourrait-être la réaction de la police gangrenée par
des éléments d’extrême droite, de l’armée de métier, toutes deux acquises à
l’ordre républicain d’un exécutif fort par temps troublé ? Tout cela sans
compter avec les intrusions, manipulations des Etats-Unis, de l’Union
Européenne et de la Banque centrale européenne.
Pour
faire bonne mesure, il faut se préparer au pire, tout en sachant, avec plus ou
moins de certitude, que le règne des fondés de pouvoir du capital sera
certainement troublé dans la séquence à venir surtout si la contestation sociale
s’étend dans d’autres pays et pas seulement en Europe. Le retour de la lutte
des classes signifierait peut-être que l’heure des compromis sociaux deviendrait
l’agenda obligé des classes dominantes pour se maintenir. Reste, dans cette
optique, à faire converger les luttes qu’elles soient sociales et écologiques,
pour produire un nouveau mode de pensée
dominante, une nouvelle hégémonie. Or, pour réaliser cette tâche, le manque de militants
chevronnés nuira à cette perspective. Les manifestants de tous ordres, tout en
chantant « Il n’y a pas de sauveur
suprême, sauvons-nous nous-mêmes », les citoyens déboussolés, les
classes moyennes affolées, peuvent comme de coutume, dans ce système
représentatif, déléguer leur pouvoir à un homme (ou une femme), fort(e), susceptible
de ramener l’ordre. La crédibilité de cette hypothèse repose à la fois sur la
défiance des classes populaires pour les appareils des partis, l’absence de
démocratie en leur sein, l’atomisation de la société et l’absence de toute
culture d’émancipation réelle. En l’espèce, en effet, c’est du changement de
rapports sociaux dont il s’agit. Au demeurant, des surprises positives peuvent surgir. Vis-à-vis de l’institué, des
volontés instituantes peuvent naître alors même que l’on ne les attendait pas.
On l’a vu avec les LIP : on produit, on vend, on se paie et on décide en
commun. Et plus récemment on a repéré ces Assemblées des Assemblées des Gilets
Jaunes qui ont su produire des revendications de justice sociale et écologique peu
compatibles avec l’ordre existant. Il n’en demeure pas moins que ce chemin est
escarpé et semé d’embuches quelle que soit la configuration politique qui
sortira des urnes.
GD
le 24.03.2022