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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 1 mars 2022

 

La Birmanie. Un an après (1)

 

Le 1er février 2021, la tatmadaw, l’armée birmane, prenait le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat. Celui-ci mettait fin à la « transition démocratique », menée par la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD), avec à sa tête Aung San Suu Kyi. En novembre 2020, La NLD avait remporté les élections législatives avec 330 sièges sur 440 à la Chambre des représentants et 168 sur 224 à la Chambre des nationalités. En février 2021, l’armée birmane renouait avec une habitude historique puisqu’elle fut au pouvoir de 1962 à 2011. En 2011, sous la pression populaire, elle « lâcha la bride » et un régime aux apparences  plus « démocratiques » se mit en place : élections, ouverture du pays… même si, comme le prévoit la Constitution inchangée, elle se réservait 25 % des sièges au Parlement et trois ministères (Défense, Intérieur et Affaires étrangères).

 

Tatmadaw est un Etat dans l’Etat. Elle possède des entreprises, des mines… Sentant le pouvoir lui échapper en février 2021, elle reprit ses « bonnes habitudes » et, en quelques heures, balaya 10 années d’avancée, lente et très contrôlée, vers un régime parlementaire. Mais les 55 millions de Birmans ont durant ces 10 années goûté plus ou moins à un régime plus libre et les jeunes, en particulier, n’ont plus du tout envie de revenir à un régime dictatorial militaire.

 

Dans un premier temps, l’opposition au coup d’Etat fut pacifique : manifestations, boycott des produits militaires, grèves, concerts de casseroles. Mais la répression fut immédiatement très dure. Le 19 février, une jeune femme de 20 ans fut la première victime, tuée par balle au cours d’une manifestation. Le 28 février, 17 manifestants furent tués également. Le 3 mars, 22 autres.

 

La junte militaire a été surprise par la résistance populaire. Face à cette violence, les manifestants n’ont eu d’autre solution que d’entrer eux aussi dans la lutte armée. Des milices civiles se sont créées, par quartier dans les villes, plus par groupes ethniques dans les campagnes. Malgré des équipements très modestes, quand ils en avaient, ces groupes ont résisté à la 11ème armée du monde, grâce au soutien de la population qui, dans sa quasi-totalité, ne veut plus des militaires au pouvoir.

 

Un an après le coup d’Etat, la Birmanie est dans une situation de quasi guerre civile. Des groupes armés résistent toujours et de plus en plus, surtout dans les régions périphériques (montagnes, jungle) : l’armée pour l’indépendance du Kachin (nord proche de la Chine), l’armée Karen de libération nationale (Est), l’armée nationale Chin (nord proche de l’Inde), l’armée de l’Arakan, constituée par les Rohingyas. Tous ces groupes comptent environ 75 000 hommes face à ceux de tatmadaw qui en compte 350 000, très bien armés et équipés de chars, d’avions, d’hélicoptères. Et ils ne se privent pas de les utiliser. Ils bombardent les villages, s’attaquent aux civils pour priver les rebelles de leurs soutiens.

 

La situation de ces populations civiles est dramatique. Dans les zones de guerre, Jens Laerke, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, décrit la situation en ces termes : « des milliers de personnes déplacées vivent dans des conditions épouvantables, beaucoup se trouvent dans des camps dans la jungle, sans nourriture, sans abri, sans assainissement, sans protection, sans soins médicaux… ». Dans ces zones Human Right Watch rapporte de nombreux abus qui constituent des crimes contre l’Humanité : tortures, viols, enlèvements, traitements inhumains. A ce jour, le bilan est lourd : 1 400 morts, 11 000 personnes arrêtées, 300 000 déplacées.

 

La Birmanie connaît une récession d’environ 20%. 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 10 % est en insécurité alimentaire. Dans les zones tenues par l’armée, les services publics ne fonctionnent quasiment plus, l’économie est à l’arrêt. Une grande majorité de la population refuse de payer ses impôts.

 

La situation peut paraître mal engagée pour le peuple birman mais les motifs d’espérance sont pourtant nombreux :

-        l’armée birmane par sa violence a réussi à unir contre elle des ethnies qui ne pensaient qu’à s’opposer entre elles, auparavant

-        de nombreux pays occidentaux, mais aussi asiatiques, condamnent le coup d’Etat. La Russie, par contre, continue à fournir des armes à la junte. Quant à la Chine, elle se satisfait de la situation tant que le régime est stable et n’entrave pas les perspectives d’investissement (route de la soie)

-        des militaires et des policiers désertent, ce n’est pas la majorité mais ces désertions désorganisent énormément les institutions

-        un gouvernement en exil s’est constitué

 

Et surtout, la population, la jeunesse  encore plus, ne veut pas des militaires au pouvoir. Elle a goûté à la liberté, à l’ouverture sur le monde, et tôt ou tard, elle chassera, peut-être, la junte militaire du pouvoir.

 

Jean-Louis Lamboley, le 23.02.2022

 

(1)   cf article Répression en Birmanie, PES n° 70 (février 2021)

 

 

Deux encarts

 

La population birmane

 

La Birmanie compte environ 55 millions d’habitants, répartis en 135 ethnies. Les Bamars sont majoritaires (68 %). Ils vivent principalement dans la partie centrale du pays, grande plaine fertile, où se trouvent la capitale Napyidaw et Rangoon, la plus grande ville. Les autres ethnies vivent dans les parties périphériques montagneuses et boisées. Les principales sont les Shan 9 %, les Karen 7 %, les Mons 2 %, les Kachins 1.5 %...

90 % de la population est boudhiste, 4 % musulmane (les Rohingyas), 4 % chrétienne, 1 % animiste.

 

 

Aung San Suu Kyi

 

La leader de la NLD, placée en résidence surveillée par la junte de 1990 à 2010, devient ministre du Conseil d’Etat en 2015. Elle ne pouvait pas être officiellement présidente car mariée à un étranger, mais l’était, de fait. Le 1er février 2021, elle est arrêtée, condamnée dans un premier temps à 2 ans de prison pour violation des restrictions dues à la pandémie, puis à 4 ans pour importation de talkies walkies… Elle est actuellement inculpée pour corruption, sédition et risque plusieurs dizaines d’années de prison. Pour les Birmans, elle reste le symbole de la liberté passée et est extrêmement populaire, malgré son refus de s’opposer aux crimes contre l’Humanité commis contre les Rohingyas.