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mardi 1 mars 2022

 

Pour l’Ukraine, la guerre

 

Un inquiétant bruit de bottes résonne en Europe. Faut-il mourir pour Kiev ? Des sanctions peuvent-elles arrêter Poutine ? Questions trop simplistes amenant à considérer qu’il s’agirait d’une lutte entre le camp du Bien et l’empire du Mal, de la « démocratie » contre le despotisme de la Russie. Or, depuis le déclin de l’impérialisme US, cette superpuissance n’est plus capable d’imposer son hégémonie sur le monde après ses défaites au Moyen-Orient, sa débandade en Afghanistan. Elle se heurte désormais à l’émergence de blocs de puissances qui contestent son influence et sa récente extension à l’Est de l’Europe, notamment, la Russie. La manière dont la dislocation de l’URSS s’est produite a laissé pendant un lourd contentieux sur la sécurité en Europe avec l’extension de l’OTAN à l’Est suite à ce que l’on appelle de manière euphémisée les « révolutions oranges » et en Ukraine surtout. Ce pays meurtri, divisé, n’a connu qu’une indépendance tardive où le poids des morts plus qu’ailleurs hante les cerveaux des vivants, où le présent s’écrit à l’encre noire du passé. C’est la raison pour laquelle, pour comprendre les manœuvres guerrières d’aujourd’hui, il semble nécessaire de revenir sur l’Histoire de l’Ukraine avant d’examiner la nature de l’indépendance acquise, le mouvement séparatiste dans le Donbass, le jeu du despote Poutine ainsi que les menées des Etats-Unis et de l’Europe occidentale.

 

1 – Une nation divisée, meurtrie, dépendante, toujours en gestation

 

Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur la période des princes polonais et lituaniens, imposant leur domination sur ce territoire et combattant les Mongols, qu’il suffise d’indiquer que se constitue alors une noblesse polonisée, catholique. Le Sud, quant à lui, est conquis par l’Empire russe en soumettant les Tartares et les Ottomans.

 

Ce n’est qu’au 18ème siècle, en particulier sous Catherine II, que cette « région » est conquise par la Russie. Ensuite la Pologne sera démantelée, occupée, divisée entre la Prusse, l’Autriche-Hongrie et la Russie. On parlera dès lors de la petite Russie de Kiev et de la nouvelle Russie au Sud, sur les territoires enlevés aux Ottomans. C’est à cette époque que se développent, avec l’abolition du servage et le début de l’industrialisation, les villes de Kiev, Sébastopol et Odessa avec un cortège d’exode rural.

 

La guerre 14, première guerre mondiale, particulièrement meurtrière, va engager l’Ukraine dans un cycle de violences dont elle n’est pas sortie. Si la Révolution de février 1917 met fin à l’Empire tsariste, le vide politique est comblé par l’armée allemande. Petrouria, le fondateur du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR), ancien officier tsariste, antisémite fanatique, prend la direction de la Rada (assemblée ukrainienne autoproclamée, sorte de Directoire) qui, malgré la proclamation de Lénine sur l’indépendance possible des nations, s’engage très vite dans une lutte sans issue après la capitulation allemande à l’Ouest : alliance avec les armées blanches de Denikine, pogroms, alliance avec l’armée polonaise de Pilsudski, résurgence du nationalisme polonais et ce, contre l’armée rouge et contre le mouvement insurrectionnel de Nestor Makhno. C’est, qu’en effet, le traité de Brest-Litovsk entre les bolcheviks et les empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie) permet aux Soviets de fonder, le 19.03.1918, la République Soviétique d’Ukraine au Sud-Est, capitale Kharkov, et de revenir en force après le coup d’Etat dont elle fut victime. Malgré l’invasion des armées anglaise, française, américaine, l’armée rouge va finir par l’emporter, notamment sur le territoire ukrainien. L’armée française, en soutien au général blanc Denikine, quittera Sébastopol et Odessa. 1922. L’union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) est créée. Mais les souffrances ukrainiennes vont resurgir. Malgré la construction de la plus grande centrale hydraulique sur le Dniepr, l’électrification qui s’ensuit, la mise en valeur du bassin minier et métallurgique du Donbass, le droit d’enseigner l’ukrainien dans les écoles, Staline va entreprendre la guerre de dékoulakisation contre les paysans déjà affaiblis notamment par les réquisitions et ce, jusque dans les années 1920. Telle fut la cause principale de la grande famine de 1931-1933 occasionnant environ 3 millions de décès (estimation).

 

A peine remis, les Ukrainiens vont subir l’invasion nazie (1941). A l’Ouest, ils vont de manière éphémère être accueillis, par la Wehrmacht, en libérateurs. L’agent ukrainien Bandera, pronazi, parviendra à recruter 220 000 hommes aux côtés de la Wehrmacht. Ces supplétifs avec les Waffen SS incendieront les villages suspects, traqueront les partisans, aideront à la déportation massive des juifs. Au sortir de cette guerre contre les « sous-hommes » slaves, judéo-bolcheviks, l’on dénombra, en Ukraine, 8 millions de morts dont 1,3 million de militaires. Si en 1945 la fin de la 2ème guerre mondiale est proclamée, elle persiste sous une forme larvée en Ukraine jusqu’en 1954. Le réseau Gehlen, sis en Allemagne de l’ouest (RFA), protégé, soutenu par la CIA, va organiser attentats, sabotages, lutte armée sous la direction du nazi Bandera recruté en 1932.

 

La libéralisation de l’URSS (Gorbatchev) puis sa dislocation, font surgir des rapaces s’emparant, bradant les biens publics, démantelant les mines et la sidérurgie du Donbass.

 

Ce qui précède tente de montrer que le territoire ukrainien, divisé, meurtri, soumis à de multiples influences est une proie à portée des puissances qui prétendent le dominer.

 

2 – De l’implosion de l’URSS au retour de la Russie

 

1991 signe, après les tentatives de réformes de Gorbatchev, l’implosion de l’URSS. Nombre de républiques ex-soviétiques deviennent indépendantes (dont l’Ukraine). Promesse est faite que l’OTAN ne s’étendra pas aux pays de l’Est de l’Europe pour menacer la Russie. Si le pacte de Varsovie, l’alliance des ex-pays « socialistes », est brisé, si les missiles nucléaires sont démantelés en Biélorussie et en Ukraine, l’OTAN demeure, et, de défensive contre l’URSS devient un instrument militaire offensif, intervenant en soutien de l’armée américaine. Malgré la volonté d’Eltsine d’être complaisant avec les USA et même de proposer l’intégration de son pays à l’OTAN, il essuie une fin de non-recevoir. Cette humiliation est inacceptable pour les Russes.

 

Le démantèlement des biens publics fait surgir un capitalisme sauvage dont profite une poignée d’oligarques (sans foi ni loi). Les stratèges de la Maison Blanche misent sur l’éclatement de la Russie, avec les Golden boys ultralibéraux, envoyés dans l’entourage d’Eltsine. Poutine va restaurer la puissance nationale de la Russie, mettre au pas les oligarques cosmopolites qui placent leurs surprofits au Royaume Uni, en Suisse ou se gobergent sur la Côte d’Azur. Ce despotisme national est bien évidemment conspué en Occident et en Tchétchénie où la velléité d’indépendance et l’influence du wahhabisme sont écrasées, poursuivies « jusque dans les  chiottes ». L’économie russe se redresse notamment les secteurs bancaires, financiers et militaires.

 

En Europe de l’Est, les pays ex-socialistes adhèrent à l’UE et à l’OTAN. Poutine y voit une menace contre son régime surtout lorsque les « révolutions oranges » influencées et soutenues par l’Occident se rapprochent du territoire russe, en particulier en Géorgie puis en Biélorussie et en Ukraine.

 

3 – Changement de période. L’amorce du déclin américain

 

Il y a d’abord eu cette prétention éphémère des USA de s’instaurer comme seule superpuissance hégémonique : l’intervention militaire en Yougoslavie de l’OTAN sous l’égide des Etats-Unis marque une inflexion significative. Sans mandat de l’ONU, c’est une première violation du droit international qui sera suivie de beaucoup d’autres : d’abord la guerre en Afghanistan et surtout en Irak puis le désengagement catastrophique des USA sans concertation avec leurs alliés, puis l’invasion russe en Géorgie et les gains de territoires qu’elle s’accorde pour empêcher l’adhésion de ce pays à l’OTAN. La montée en puissance de la Chine fragilise l’empire américain, tout comme l’intervention russe en Syrie puis en Libye. L’UE, ce grand marché ouvert à tous vents, ne parvient pas à résoudre ses divisions et à se détacher de l’empire de Washington. A la logique de règlement des conflits dans le cadre de l’ONU, se substitue celle de puissances qui s’affrontent sans que les peuples aient leur mot à dire.

 

Présidentialisme, despotisme soft ou agressif, les façades démocratiques se craquèlent. Les Etats-Unis, quant à eux, sont soumis au déchirement de leur tissu social interne et au recul de leur influence externe malgré leurs coups de menton et leur volonté de contenir l’expansion mercantile de la Chine. Dans ce contexte, après avoir fait preuve de « patience stratégique » Poutine, jouant au poker menteur, va tenter de juguler les tentatives d’emprise de l’OTAN sur l’Ukraine. Plusieurs signaux envoyés par les USA ont fait comprendre à Poutine qu’il ne devait rien attendre d’eux, ni de l’OTAN et de l’Union européenne par la voie de la négociation. L’indépendance du Kosovo contraire aux accords conclus en 2000, la remise en cause par les USA  du traité antibalistique signé en 1972 avec l’URSS, manifeste la volonté d’installation de ces armes aux portes de la Russie.

 

4 – Le contexte ukrainien suite à l’implosion de l’URSS

 

Après la présidence de Leonid Koutchma (1994-2005), ancien apparatchik du PC ukrainien, corrompu et lié aux groupes maffieux, qui va laisser piller son pays par des oligarques, l’Ukraine entre dans une période d’instabilité politique et économique dont elle peine encore à sortir. Elle reflète d’ailleurs la division entre le nord-Est pro-européen sous influence polonaise et le sud-Est russophone et russophile.

 

En 2004, les élections sont annulées pour soupçon de fraude. C’est finalement le libéral pro-européen Iouchtchenko qui l’emporte. Puis, vont se succéder des élections en 2006, 2007, les présidentielles de 2010 où se suivent et s’opposent des oligarques et ce, dans un climat de corruption généralisée. La crise financière et l’appel au FMI pour l’obtention de prêts ne modifieront pas la situation économique dégradée. C’est fin 2013 que va s’ouvrir la crise ukrainienne avec le refus du gouvernement de signer un accord de libre-échange avec l’UE. Les manifestations de Maïdan se transforment en véritables champs de bataille (82 manifestants tués ainsi que 16 membres des forces de répression). Dans ces affrontements, on note la présence de nazis et néo-nazis qui se revendiquent de Bandera et de Petrouria… La propagande russe va s’en saisir. Après hésitations, le président Ianoukovytch  démissionne puis se réfugie en Russie. Sa villa envahie montre à tous son train de vie pharaonique. En fait, tous les prétendants au pouvoir sont plus ou moins des oligarques.

 

Sur ce, la Crimée déclare son indépendance (elle avait été rattachée à l’Ukraine par Khrouchtchev) et suite à un référendum controversé par les Occidentaux, se rattache à la Russie. Dans le Donbass, les provinces de Donetsk et Lougansk se déclarent prêtes à intégrer la Russie.

 

En 2014, après l’élection de Porochenko, un accord de libre-échange est conclu avec l’UE. C’est le moment opportun pour Poutine d’agir, d’abord prudemment, d’autant que le conflit au Donbass prend la forme d’un affrontement militaire « de basse intensité » avec, déjà, des milliers de morts et de déplacés. Au-delà de l’initiative prise de conclure les accords de Minsk sous le format dit de Normandie, réunissant la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France, cette « bonne volonté » qui s’est traduite par des décisions, force est de constater qu’elles n’ont pas été mises en œuvre. Si elles ont abouti au cessez-le-feu au Donbass, les dispositions essentielles ont été bloquées par les USA et le suivisme des Européens. Etait-il impossible d’aboutir à une modification de la Constitution ukrainienne autorisant l’autonomie relative des régions du Donbass ? Etait-il impossible que l’Ukraine s’engage à ne pas adhérer à l’OTAN, décision qui requiert à l’OTAN l’unanimité de ses membres ? Résultat : tout en maintenant la pression et les provocations, Poutine a durci le ton : la Douma russe vient de s’engager à reconnaître puis à intégrer ces provinces russophones du Donbass. Puis, les troupes russes massées à la frontière et en Biélorussie ont fini par alerter les Européens. Poutine ne s’adressant qu’au véritable décideur, Jo Biden, n’a pas eu plus de succès. Son coup de poker a fini par resserrer les liens entre les Européens alors même qu’il pensait les diviser. Cela ne semble pas, pour l’heure, l’affecter, persuadé à juste titre que les Américains ne sont pas prêts à mourir pour Kiev ; l’envoi de quelques milliers d’hommes armés dans les pays limitrophes de l’Ukraine, tout comme la livraison d’instruments guerriers à l’Ukraine modifient si peu le rapport de forces qu’il s’est senti assuré pour avancer ses pions.

 

Toutefois, le pouvoir ukrainien n’est plus si divisé qu’autrefois. L’élection surprise de Zelensky, cet acteur de cinéma, monteur de spectacles humoristiques, modifie la donne. Bénéficiant du rejet des figures traditionnelles de la politique, des réseaux sociaux, soutenu par un oligarque propriétaire d’une  chaîne TV, de la diffusion d’un documentaire sur Ronald Reagan dont il doublait la voix, il a réussi à obtenir le soutien de jeunes apolitiques et apparaître comme l’homme de l’unité nationale. Si son programme était des plus flous (légalisation du cannabis, de la prostitution et des jeux de hasard) il n’est plus prisonnier des oligarques.

 

Quant aux sanctions censées étouffer « l’ours » russe, elles ne sont que gesticulations pour l’essentiel, tout comme celles des voyages de Macron. La question fondamentale reste la reprise des négociations de Minsk ou une conférence sur la sécurité en Europe, mettant en œuvre les mesures de désarmement de part et d’autre. Mais est-il déjà trop tard ? La violation de la frontière ukrainienne par les troupes russes, leur volonté d’absorber le Donbass est un fait accompli sur lequel il sera difficile de revenir.

 

5 – La tension va s’accroître… jusqu’où ?

 

Les Etats-Unis et la Russie sont engagés dans un jeu dangereux où aucun des deux ne veut perdre la face. Poutine se dit qu’il a fait preuve de patience et veut désormais profiter de la faiblesse relative des Occidentaux. Kiev va-t-elle entraîner une guerre généralisée en Europe ? Leur est-il possible de s’entendre, sur le désarmement aux frontières de la Russie, pour le moins, sur la garantie de la sécurité des frontières… sans le Donbass ? Va-t-on plutôt vers un conflit gelé comme en Géorgie ? C’est une possibilité pour Jo Biden qui veut à la fois ne pas subir les foudres des va-t-en-guerre dans son pays, ne peut envoyer des troupes en Ukraine et se focalise sur le containment de la Chine…

 

Quant aux sanctions proférées à grand bruit, elles risquent surtout d’affecter les pays européens. Fermer Nord-Stream2 qui n’est pas ouvert, réduire la fourniture de gaz ne profiteraient qu’aux USA, avides de vendre à prix cher leur gaz de schiste. La Russie en construisant un gazoduc vers la Chine pourrait s’en tirer sans trop de dommage. Elle pourrait fermer son approvisionnement en gaz à l’Europe qui en dépend à plus de 40 % (50 % pour l’Allemagne, 20 % pour la France). Les sanctions contre les oligarques, la belle affaire… elles ne feraient que consolider le nationalisme russe tout en invitant les oligarques à placer leurs capitaux en Russie, en Chine… Interdire les transactions financières avec la Russie pénaliserait surtout l’Europe dans ses exportations. Poutine a d’ailleurs pris ses dispositions pour éviter le recours au dollar dans son commerce avec la Chine et s’est constitué un matelas de ressources financières non négligeable. En tout état de cause, Poutine en reconnaissant les républiques séparatistes est conduit à les « protéger ». Cette invasion ne peut conduire, pour le moins, qu’à la neutralisation de l’armée ukrainienne, voire à l’absorption de tous territoires russophones. Et pourquoi pas, marcher sur Kiev ? Un cessez-le-feu est-il possible et à quelles conditions ? Que pourrait signifier la finlandisation (pays neutre) de l’Ukraine ? On sait quand la guerre s’enclenche, on ignore comment en sortir !

 

Et maintenant…

Sortir de la logique de puissance est-ce possible ? Le poids de l’industrie de l’armement dans les économies n’incite guère à l’optimisme. N’a-t-on pas vu la Turquie vendre des drones à l’Ukraine ? Réformer l’ONU, supprimer le droit de veto… mais les blocs de puissance évitent ce « machin » impuissant. Ce qui est certain c’est que la conquête conflictuelle des marchés conduit à la soumission de territoires et à la possibilité de déchaînement de la guerre. Il n’y a que les peuples, pour l’heure absents de la scène, qui sont susceptibles d’arrêter les menées guerrières avant qu’il ne soit trop tard.

 

Gérard Deneux, le 23.02.2022

 

encart

 

L’Ukraine d’un point de vue éconmique

 

Ressources minières : fer, uranium, potasse. Dépendante de la Russie en gaz.

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Effondrement de 60 % du PIB entre 1989 et 1999

2009. Crise financière, le PIB chute de 15 %

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