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mardi 29 mars 2022

 

Esclaves d’hier et d’aujourd’hui

Lorsque l’on pense au mot esclavage, on imagine des personnes enchaînées et embarquées de force sur des navires en Afrique pour être déportées à travers le monde. Il vient rarement à l’esprit que l’esclavage se rapporte aussi au monde moderne et aux conditions de vie et de travail actuelles. De fait, jamais encore dans l’histoire le nombre de personnes réduites en esclavage n’a été aussi élevé – en chiffres absolus. L’Organisation internationale du travail des Nations Unies estime qu’au moins 40 millions de personnes en sont actuellement victimes par mariage et travail forcé.

Les définitions diffèrent mais toutes ont en commun ces critères : absence de consentement, menace ou recours à la force, élément lié à l’exploitation. Le « consentement » est dû à l’absence d’alternative. On peut parler d’esclavage moderne lorsque les conditions de travail  ne répondent pas aux obligations légales ou qu’elles paraissent inacceptables.

Le colonialisme a induit un usage linguistique de ce phénomène. L’esclavage est désigné par des noms très similaires un peu partout dans le monde, à commencer par les quatre principales langues des Amériques et dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie du Sud et d’Océanie.

La plupart des linguistes s’accordent à dire que le mot esclave vient de slave. Tout aurait commencé dans les Balkans. A partir de l’an 500 environ, des tribus slaves se firent plus présentes dans la plaine danubienne de l’Empire romain d’Orient. Il semblerait qu’un grand nombre de Slaves aient été capturé.es lors des batailles qui les opposèrent aux armées de L’Empire romain. A partir du 9ème siècle, la dénomination du peuple et le statut juridique se confondent. Le nom des Slaves pourrait avoir été donné aux esclaves en raison des longues routes de la traite. Selon cette théorie, ce commerce se développa considérablement au début du Moyen Age, lorsqu’un grand nombre de Slaves étaient « sur le marché ». Cette transformation d’une description ethnique en mot pour désigner un.e « esclave » n’est pas unique en Europe ; en langue finnique, orjo, orjuus et d’autres mots similaires ont pour sens « esclaves », « domestiques », « mendiant.e ».

Enfants-soldats

L’enrôlement d’enfants comme soldats est répertorié comme « l’une des pires formes de travail des enfants » dans la Convention adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT), en 1999. A la fin de 2019, près de 33 millions d’enfants avaient été déplacés de force dans le monde. On estime que le recrutement d’enfants dans les conflits armés a coûté la vie à plus de 2 millions d’entre eux et en a laissé plus de 6 millions mutilés ou handicapés à vie ; 1 million sont devenus orphelins et 10 millions souffrent de graves traumatismes psychologiques. Les enfants-soldats sont soumis à des atrocités déshumanisantes au quotidien : kidnappés, torturés, endoctrinés avec brutalité, forcés de s’intoxiquer avec des drogues qui altèrent le jugement, menacés de mort ou de démembrement s’ils ne combattent pas…

Des jeunes filles, également enlevées, constituent jusqu’à 40% des effectifs des groupes armés dans certains pays. Les soldates sont souvent utilisées comme domestiques et esclaves sexuelles pendant les conflits. Victimes d’un lavage de cerveau inhumain et d’un entraînement au combat sans merci, ils obéissent comme des robots aux ordres et tuent des personnes innocentes – juste pour rester en vie.

 

Système esclavagiste

La Mauritanie abrite l’un des plus grands systèmes esclavagistes au monde, bien qu’interdit par le gouvernement. Les Mauritanien.nes réduite.es en esclavage, principalement des Maures noir.es, sont victimes de sévices, de manipulations psychologiques, de violences sexuelles, de privations de nourriture et de tortures. Les origines de ce système remontent à l’arrivée des Berbères et des Maures arabes à la peau claire, respectivement aux 8ème et 11ème siècles.

Certaines personnes asservies vivent seules dans des villages, dits adwaba. Elles y travaillent la terre et leurs propriétaires viennent seulement pour récupérer la récolte. En dépit d’expériences traumatisantes de famines, viols et démembrements, les propriétaires n’ont pas besoin d’ériger des barrières physiques pour empêcher les fuites ; la manipulation religieuse les contraint à la soumission résignée. Dès leur naissance, on les élève dans l’islam et on leur enseigne que leur accession au paradis dépend de leur maître – argument repris par de nombreux chefs religieux.

La hiérarchisation sociale et religieuse va au-delà de l’esclavage ; l’ensemble de la population noire est cantonnée à une caste d’esclaves. Le gouvernement perpétue activement ce système. Le Global Slavery Index (GSI) lui attribue la note C, l’une des pires en matière de lutte contre l’esclavage.  Il réprime continuellement les militants antiesclavagistes. Depuis la loi de criminalisation de 2007, le nombre de militants emprisonnés, dénonçant l’esclavage, est supérieur au nombre de propriétaires d’esclaves arrêtés : un seul d’entre eux a été reconnu coupable d’esclavage et condamné à six mois de prison ; trois militant.es ont écopé de la même peine pour avoir attiré l’attention sur cette affaire.  

Et l’Europe…

Dans l’esprit de la plupart des Européen.nes, l’esclavage relève d’un passé lointain et révolu. Pourtant, il existe encore sur le continent, à l’abri des regards, des dizaines de milliers de personnes victimes de prostitution forcée, de servitude pour dettes et de travail forcé.

La grande majorité des femmes forcées de se prostituer en Europe sont originaires d’Europe de l’Est et du Sud-Est, et d’un pays en particulier, la Moldavie. Ces femmes partent à l’étranger attirées par la promesse d’un emploi bien rémunéré et, sur place, elles sont contraintes de se prostituer, leurs documents d’identités sont confisqués. En république tchèque, la grave pénurie de main-d’œuvre ne peut plus être comblée par les travailleur.es des Etats membres les plus pauvres. Le gouvernement soutient donc le recrutement de travailleur.es temporaires extra-européens (environ 20 000 Vietnamien.nes). Au Vietnam, l’obtention d’un visa de travail ne peut se faire que par des agents locaux, souvent membres de réseaux criminels. Les personnes versent entre 10000 et 20000 dollars en échange d’un emploi et d’un visa. Le salaire perçu est souvent trop maigre pour rembourser et, à la fin de leur contrat, nombreux restent illégalement. Sans alternative, ils travaillent dans des conditions proches de l’esclavage à la fabrication de stupéfiants.

D’autres formes d’esclavage moderne ont cours dans plusieurs pays du sud-est de l’Europe, notamment en Roumanie. Dans des pâturages reculés, des berger.ères gardent des milliers de bêtes, vivent dans de minuscules huttes, avec peu de nourriture et souvent sans salaire. Autre forme d’esclavage moderne, l’aventure des « Uber » - plateformes proposant la livraison à domicile - a perdu de son glamour à mesure que certains de ses livreur.es se paupérisaient. Selon des enquêtes, ils seraient plus de 4 millions de livreur.es en Europe et toucheraient moins de 3,70 €/heure, une fois leurs frais payés, soit moins d’1/2 Smic horaire. Le but est de transformer les travailleur.es en autoentrepreneurs pour ne plus verser de cotisations sociales. L’ubérisation est aussi une manière d’échapper à toutes les règles du Code du travail : pas de congés payés, absence d’allocations chômage et faible niveau de retraite. Une proposition de directive européenne doit néanmoins être adoptée puis transposée dans les Etats membres pour que ces travailleur.es soient, par défaut, considé.es comme salarié.es

 Bien que le continent européen dispose d’un cadre juridique très complet contre l’esclavage moderne et que les pays membres de l’UE soient pionniers en la matière, les intérêts économiques et le manque de volonté politique font que certains Etats tolèrent encore des formes  graves d’exploitation.

L’Organisation internationale du travail estimait, en 2012, que 880 000 personnes étaient victimes d’exploitation sur le continent. Les personnes en situation d’exploitation vivent souvent isolées et en séjour irrégulier. Les migrant.es en situation de travail forcé peuvent être en servitude pour dettes, contraint.es par la menace ou par la force. Les pratiques d’exploitation par le travail ont cours dans presque tous les secteurs économiques. Potentiellement, les profits sont énormes pour les employeurs. En 2014, l’OIT estimait que les bénéfices annuels dans l’Union européenne et dans d’autres pays développés du Nord s’élevaient à 47 milliards de dollars, voire plus. Au niveau mondial, ils dépassaient les 150 milliards de dollars. 

Législations pénales

Bien que le concept d’ « exploitation » ne soit pas défini en droit international, de nombreux efforts ont été déployés au cours des deux dernières décennies pour s’attaquer au fléau de l’esclavage moderne. Le Protocole à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (CTO), adopté en 2000, a amorcé un rapprochement des législations pénales nationales en établissant les incriminations à caractère universel. Elle a donné lieu à des dispositions législatives régionales et nationales. Le Protocole est l’un des textes des Nations unies les plus largement ratifiés, presque tous les Etats-parties ont élaboré de nouvelles lois ou modifié leurs anciennes législations en fonction de ce document. Bien qu’il soit peu contraignant en termes d’obligations envers les victimes de la traite, le document intitulé Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations, publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme comble cette lacune. 

Comme le Protocole ne comportait pas de mécanisme de suivi intégré, la Conférence des Parties à la CTO a adopté en 2020 un dispositif d’examen de l’application de la CTO et des protocoles s’y rapportant. Cependant la réalité du monde du travail contemporain contredit l’hypothèse selon laquelle l’esclavage moderne pourrait être éradiqué par des mesures de justice pénale. Au contraire, les pratiques d’exploitation sont enracinées dans le paradigme économique actuel de croissance et de développement, qui place les profits au-dessus des personnes. Pour lutter efficacement contre l’exploitation, il est nécessaire d’investir du temps et de l’énergie dans des campagnes de mobilisation et de formation des travailleur.es et dans un plaidoyer qui place les droits et la protection sociale des personnes au cœur des politiques publiques.

Stéphanie Roussillon