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mardi 29 mars 2022

 

1962. Algérie indépendante

A l’occasion du 60ème anniversaire des accords d’Evian, mettant fin à la guerre d’Algérie, ce que l’on appelait alors les « évènements de pacification contre les terroristes », nous publions ci-après des extraits d’articles d’André Loez et de Dalila Kerchouche. Ils démontrent que les exactions, tortures, regroupements dans des camps, par l’intervention armée de conscrits, étaient la règle pour conserver, coûte que coûte, l’empire colonial français, en particulier cette Algérie qui n’était pas française. La guerre frappe toujours les populations les plus fragiles. Le CR.

 

 « Une violence omniprésente dans les derniers mois du conflit, dont on sait combien, jusqu’à aujourd’hui, elle irrigue des mémoires endolories et opposées : attentats de l’Organisation Armée Secrète (OAS) visant à empêcher l’indépendance ; assassinats par des Algériens de harkis accusés de « trahison » ; combats fratricides au sein du mouvement national algérien entre membres du Front de Libération Nationale (FLN) triomphant et derniers fidèles de Messali Hadj (1898-1974), l’opposant vaincu ; effondrement du monde des Français d’Algérie, soumis aux attentats du FLN, puis contraints au départ dans l’angoisse et le dénuement » (…)

La fin de la guerre, ce sont « les prisonniers libérés et d’innombrables « disparus » à rechercher. C’est surtout un immense bouleversement spatial : la fin de la ségrégation urbaine entre quartiers « musulmans » et « européens » (…)

C’est la fin « des camps de regroupements » dans lesquels l’armée française avait fini par placer plus de deux millions de ruraux algériens (…). Cette réalité énorme, stupéfiante, le déplacement forcé de près d’un quart de la population colonisée, ne figure pas dans les représentations communes. Elle reste paradoxalement moins visible ou moins connue que des faits comme la bataille d’Alger (…). Elle visait à affaiblir les combattants nationalistes, en les privant du soutien de la population rurale où ils se mouvaient « comme un poisson dans l’eau » (…).

« En obligeant les villageois à quitter leurs hameaux, avec force exactions et incendies de greniers, l’armée les ralliait encore plus sûrement à la cause de l’indépendance. Et en les déracinant de leurs terroirs, en les coupant de leurs troupeaux, sans budgets suffisants pour le volet économique et social de leur « regroupement », elle accélérait la précarisation et la prolétarisation de communautés entières. Elles connurent la sous-nutrition et la surmortalité aggravées par des conditions de vie parfois carcérales. Le projet démiurgique du maintien de l’ordre par la transformation autoritaire des campagnes révélait de façon plus cinglante encore les contradictions insolubles de la colonisation. (…)

Sortis des camps en 1962, bien des ruraux affluèrent dans des bidonvilles. Ce fut le dernier legs de l’Etat colonial ».  

André Loez (journaliste)

 

« Le CARA de Bias, un « centre d’accueil des rapatriés d’Algérie » situé près de Villeneuve-sur-Lot regroupa les harkis et leurs familles » (…) Les enfants internés dans ce camp « n’ont eu, pour seul horizon, qu’un grillage de deux mètres de haut surmonté d’un renvoi de barbelés. De 1962 à 1975, ils ont grandi dans cette ancienne prison d’Aquitaine, transformée en camp d’internement, une de ces zones de non-droite où la République a relégué leurs pères (…). Le camp de Bias a ouvert ses portes en janvier 1963. Des centaines d’enfants grelottent dans un océan de boue froide et collante (…) Le camp de Bias est le pire de tous car le plus répressif. C’est là que le ministère des rapatriés envoie leurs pères, blessés de guerre, inaptes au travail et considérés comme des « déchets », un « résidu qui ne disparaîtra qu’après extinction ».

« A l’entrée se dresse un haut portail aveugle cadenassé et surveillé par un gardien. Le camp est organisé pour que les familles sortent le moins possible. Seize fonctionnaires contrôlent leurs vies et organisent la spoliation de leurs ressources. Avec près de 800 mineurs sur 1 300 habitants, le camp compte une majorité d’enfants. Insalubrité, enfermement, violences,  couvre-feu, abus de pouvoir, brimades… La vie de ces jeunes est carcérale. (…) Sur l’esplanade herbeuse, ils dribblent pour échapper à la folie postcoloniale française qui dresse des barrières infranchissables autour d’eux (barbelés, ségrégation, échec scolaire, ostracisme, opprobre social… Ils marquent des buts pour échapper à cette violence d’Etat qui les marginalise pour les faire taire, qui nie leur existence pour les effacer de l’histoire officielle ».

Dalila Kerchouche. Journaliste et autrice, née en 1973 dans le camp de Bias. Elle évoque cette jeunesse française brisée et prisonnière des névroses de la guerre d’Algérie.

 

Pour en savoir plus, lire :

Algérie 1962. Une histoire populaire de Malika Rahal, la Découverte, 25€

Les camps de regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés de Fabien Sacriste, Presse Sciences Po, 24€