1962. Algérie
indépendante
A l’occasion du 60ème anniversaire des accords
d’Evian, mettant fin à la guerre d’Algérie, ce que l’on appelait alors les
« évènements de pacification contre
les terroristes », nous publions ci-après des extraits d’articles
d’André Loez et de Dalila Kerchouche. Ils démontrent que les exactions,
tortures, regroupements dans des camps, par l’intervention armée de conscrits,
étaient la règle pour conserver, coûte que coûte, l’empire colonial français,
en particulier cette Algérie qui n’était pas française. La guerre frappe toujours
les populations les plus fragiles. Le CR.
« Une violence omniprésente dans les derniers
mois du conflit, dont on sait combien, jusqu’à aujourd’hui, elle irrigue des
mémoires endolories et opposées : attentats de l’Organisation Armée
Secrète (OAS) visant à empêcher l’indépendance ; assassinats par des
Algériens de harkis accusés de « trahison » ; combats
fratricides au sein du mouvement national algérien entre membres du Front de
Libération Nationale (FLN) triomphant et derniers fidèles de Messali Hadj
(1898-1974), l’opposant vaincu ; effondrement du monde des Français
d’Algérie, soumis aux attentats du FLN, puis contraints au départ dans
l’angoisse et le dénuement » (…)
La fin de la guerre, ce sont « les prisonniers libérés et d’innombrables « disparus » à
rechercher. C’est surtout un immense bouleversement spatial : la fin de la
ségrégation urbaine entre quartiers « musulmans » et « européens »
(…)
C’est la fin « des camps de regroupements » dans lesquels l’armée française
avait fini par placer plus de deux
millions de ruraux algériens (…). Cette réalité énorme, stupéfiante, le
déplacement forcé de près d’un quart de la population colonisée, ne figure pas
dans les représentations communes. Elle reste paradoxalement moins visible ou
moins connue que des faits comme la bataille d’Alger (…). Elle visait à
affaiblir les combattants nationalistes, en les privant du soutien de la
population rurale où ils se mouvaient « comme un poisson dans l’eau »
(…).
« En obligeant les
villageois à quitter leurs hameaux, avec force exactions et incendies de
greniers, l’armée les ralliait encore plus sûrement à la cause de
l’indépendance. Et en les déracinant de leurs terroirs, en les coupant de leurs
troupeaux, sans budgets suffisants pour le volet économique et social de leur
« regroupement », elle accélérait la précarisation et la
prolétarisation de communautés entières. Elles connurent la sous-nutrition et
la surmortalité aggravées par des conditions de vie parfois carcérales. Le
projet démiurgique du maintien de l’ordre par la transformation autoritaire des
campagnes révélait de façon plus cinglante encore les contradictions insolubles
de la colonisation. (…)
Sortis des camps en 1962, bien des ruraux affluèrent dans des
bidonvilles. Ce fut le dernier legs de l’Etat colonial ».
André Loez (journaliste)
« Le CARA de Bias,
un « centre d’accueil des rapatriés d’Algérie » situé près de Villeneuve-sur-Lot
regroupa les harkis et leurs familles » (…) Les enfants internés dans ce
camp « n’ont eu, pour seul horizon, qu’un grillage de deux mètres de haut
surmonté d’un renvoi de barbelés. De 1962 à 1975, ils ont grandi dans cette
ancienne prison d’Aquitaine, transformée en camp d’internement, une de ces
zones de non-droite où la République a relégué leurs pères (…). Le camp de Bias
a ouvert ses portes en janvier 1963. Des centaines d’enfants grelottent dans un
océan de boue froide et collante (…) Le camp de Bias est le pire de tous car le
plus répressif. C’est là que le ministère des rapatriés envoie leurs pères,
blessés de guerre, inaptes au travail et considérés comme des
« déchets », un « résidu qui ne disparaîtra qu’après extinction ».
« A l’entrée se
dresse un haut portail aveugle cadenassé et surveillé par un gardien. Le camp est
organisé pour que les familles sortent le moins possible. Seize fonctionnaires
contrôlent leurs vies et organisent la spoliation de leurs ressources. Avec
près de 800 mineurs sur 1 300 habitants, le camp compte une majorité
d’enfants. Insalubrité, enfermement, violences, couvre-feu, abus de pouvoir, brimades… La vie
de ces jeunes est carcérale. (…) Sur l’esplanade herbeuse, ils dribblent pour
échapper à la folie postcoloniale française qui dresse des barrières
infranchissables autour d’eux (barbelés, ségrégation, échec scolaire,
ostracisme, opprobre social… Ils marquent des buts pour échapper à cette violence
d’Etat qui les marginalise pour les faire taire, qui nie leur existence pour
les effacer de l’histoire officielle ».
Dalila Kerchouche. Journaliste et autrice, née en 1973
dans le camp de Bias. Elle évoque cette jeunesse française brisée et
prisonnière des névroses de la guerre d’Algérie.
Pour en savoir plus, lire :
Algérie 1962. Une
histoire populaire
de Malika Rahal, la Découverte, 25€
Les camps de regroupement
en Algérie. Une histoire des déplacements forcés de Fabien Sacriste, Presse Sciences
Po, 24€