Conséquences
de la guerre en Ukraine
Dans
le numéro précédent de PES, la situation de l’Ukraine était évoquée, c’était
juste avant l’invasion poutinienne. Le despote russe présente cette réalité
meurtrière comme une simple « opération
spéciale » destinée à réduire le « terrorisme nazi ». Il vise, de fait, à favoriser ainsi un
changement de régime afin de neutraliser ce pays et de réduire toute velléité
d’adhésion à l’Union Européenne et à l’OTAN. C’est une entreprise criminelle
contre le peuple ukrainien.
Les
bombardements des villes et leur encerclement n’ont pas produit, jusqu’ici,
l’effet escompté. La «promenade militaire » s’enlise, l’armée ukrainienne
ne s’est pas (encore ! effondrée, la résistance nationale n’est pas
contestable. Face à la réalité de l’agression, les russophones eux-mêmes,
répudient toute russophilie.
Va-t-on
assister à l’occupation totale ou partielle de ce pays ? Poutine peut-il
faire flancher Zelensky et se contenter d’occuper un bout de territoire allant
de la frontière biélorusse jusqu’à la mer Noire et Sébastopol ? Ce qui
semble certain, c’est que le despote ne veut pas perdre la face, il en va de la
pérennité de son pouvoir. D’ailleurs, face à la menace de livraisons d’armes
par les pays occidentaux à l’Ukraine, il n’a pas hésité à brandir le recours
aux bombes atomiques… Bluff ? Pas sûr, le tabou de l’équilibre de la
terreur nucléaire serait-il brisé ? De fait, les USA, l’OTAN, refusent de
s’engager dans ce qui serait susceptible d’enclencher une 3ème
guerre (mondiale ?) sur le sol européen. Poutine et sa clique peuvent-ils
résister aux pressions occidentales ? Les peuples subiront ils sans
broncher les conséquences économiques et sociales qui risquent de les
affecter ?
Affaiblir,
isoler la Russie ?
Les
sanctions économiques et financières édictées par les pays occidentaux sont
motivées par la volonté de déstabiliser le pouvoir russe. Sont visés les
oligarques qui le soutiennent. Au-delà des effets de manche, leur efficacité
est pour le moins aléatoire. Il s’agit de geler les avoirs de ces kleptocrates
et non de procéder à des expropriations, des saisies immobilières et
financières. Donc, ils en resteront propriétaires et en retrouveront l’usage…
dès la fin du conflit ! Leurs fortunes sont le plus souvent dissimulées
dans l’opacité des paradis fiscaux qu’il n’est guère question de mettre en
cause. D’ailleurs, nombre d’entre eux, dès l’annonce de ces mesures, ont pris
le large avec femmes, enfants, serviteurs, pour être accueillis à bras ouvert
dans des hôtels et palaces de luxe aux Emirats Arabes Unis. Assurés que leur
portefeuille bien garni sera ainsi à l’abri, ils ont l’intention de laisser
passer l’orage censé les menacer.
S’en
prendre à l’économie russe, c’est en outre, dans le système d’interdépendance
instauré par la mondialisation capitaliste, se tirer une balle dans le pied. On
ne sort pas aisément des relations commerciales avec la Russie en matière de
livraison de gaz et de pétrole, voire de blé et de maïs avec l’Ukraine en
guerre. Importer du gaz liquéfié des USA (gaz de schiste), de la Norvège, de
l’Algérie, des pays du Golfe ? Les coûts de transport et de regazéification
font tiquer, d’autant qu’il faudrait construire des usines dont on ne dispose
pas ou si peu. Les pays de l’OPEP, dont la Russie, ont déjà fait savoir qu’ils
n’entendent pas baisser le prix de ces énergies qui s’envole. Quant aux autres
pays, ils sont pratiquement à saturation de ce qu’ils peuvent livrer. Déjà des
voix se font entendre pour relancer la production de charbon et les centrales
destinées à produire de l’électricité. De même, les promoteurs du nucléaire
« civil » se réjouissent. Quant à l’agrobusiness, il prétend que la
souveraineté alimentaire passe par le productivisme, le recours aux engrais,
aux pesticides. En France, la FNSEA déploie en ce sens un intense lobby.
Dans
ces conditions, une révolution de palais à l’intérieur du Kremlin est-elle
envisageable ? Pour l’heure, rien ne l’indique.
Les peuples
trinquent
Outre
les destructions, les tueries, la misère, qui vont affecter les Ukrainiens,
leur exil (bientôt 3 millions), les peuples du monde vont ressentir les
désordres occasionnés par l’invasion russe.
En
Europe, pour le plus grand profit des marchands de mort, les dépenses
militaires sont déjà en augmentation. L’OTAN, en voie de « mort
cérébrale » selon Macron, connaît une nouvelle jeunesse. L’Union
Européenne divisée est ressoudée, quoique toujours plus dépendante des
Etats-Unis. Le néolibéralisme risque d’en être revigoré. Ne faut-il pas encore
plus de « rigueur » budgétaire pour les classes populaires qui
coûtent un « pognon de dingue », baisser le « coût »
du travail pour sortir vainqueurs de la compétitivité, privatiser encore plus
afin que l’oligarchie capitaliste trouve de nouveaux relais de
croissance ? Bref, la voie semble tracée pour des régressions sociales
plus prononcées que celles que nous avons connues jusqu’ici.
Toutefois,
rien n’est vraiment simple pour la classe dominante ; la baisse du prix de
l’énergie, des matières premières, va provoquer l’inflation, des revendications
salariales plus offensives qu’il va falloir juguler, réprimer. Contenir la
spirale inflationniste conduit inéluctablement à la hausse du loyer de
l’argent. La FED et la BCE s’entendent déjà pour remonter le taux d’intérêt, les
banques suivront. Les bancocrates se doivent d’agir avec doigté pour éviter une
récession, voire une crise financière d’ampleur d’autant qu’ils ont tellement
injecté de liquidités que celles-ci sont de plus en plus réticentes à les
diriger vers la production, préférant, en effet, recourir à la spéculation.
Ce
sont surtout les pays du Sud qui vont connaître le pire : augmentation des
prix, pénuries de blé (Liban, Egypte, Soudan…), famines. Une nouvelle vague de révoltes et de migrations
est d’ores et déjà à l’ordre du jour : l’ONU, la FAO et même le FMI et la
Banque mondiale s’en inquiètent pour des raisons d’ailleurs opposées. Les uns
se soucient du sort des pauvres, les autres du sort des potentats et autres
cerbères africains… L’Asie, la Chine seraient-elles relativement épargnées par
ce bouleversement. Rien n’est moins sûr, à moins qu’un improbable compromis
soit conclu.
Ce
qui s’amorce plutôt c’est un processus de renforcement des instruments de
répression contre les peuples et le déploiement de tous les moyens pour les
diviser. « L’afflux » actuel et à venir des migrants, de ces
populations fuyant la guerre, la misère et le désordre climatique seront l’occasion
de susciter le racisme, de faire le tri entre les « acceptables » et
les « inacceptables » et de décider de mesures coercitives renforcées.
Comment s’y opposer ?
Solidarité
et internationalisme
S’il
est indéniable qu’il faille condamner l’agression russe et ses conséquences
désastreuses, cela ne peut suffire. D’ailleurs, les manifestations anti-guerre
exhortant au retrait de troupes russes, ne sont guère massives et pas seulement
en France. Il semble que prévale l’idée que le camp du « Bien » de la
diplomatie occidentale soit le moindre mal. Ce « campisme » est de
mauvaise augure pour l’indispensable émergence d’un mouvement anti-guerre,
voire anti-impérialiste, qui exigerait le désarmement multilatéral, la réforme
de l’ONU, et mettrait en cause ainsi le système capitaliste. Et pourtant, la
vérité est aveuglante : le « doux commerce », « la
mondialisation heureuse » sont de macabres illusions. La logique
capitaliste est celle de la concurrence, de l’exploitation qui conduit à
l’affrontement d’élites dominantes, à la conquête des marchés sur les rivaux, à
l’assujettissement de territoires, à leur conquête et à la guerre. D’ailleurs,
la course aux armements, les ventes d’armes de destruction massive sont un
business lucratif qui prépare à cette dernière extrémité. Certes,
l’interdépendance des nations complique la situation pour… mieux la remodeler.
Nous
sommes entrés dans une nouvelle phase, celle de la confrontation de blocs de puissances qui ont émergé avec
le déclin relatif de l’impérialisme US. Ils sont d’ailleurs de plus en plus agressifs et prêts à
tous les retournements d’alliance : USA, Chine, Russie, Iran, Turquie,
Inde... Qui plus est, dans la dernière période, on a vu apparaître des
dirigeants assoiffés de puissance, multipliant les guerres (Irak, Afghanistan,
Syrie, Géorgie, Ukraine) et imposant avec arrogance leur mépris pour leur
propre peuple. Et ils sont légion, ils ne se limitent pas aux figures des Trump,
Poutine, Bolsonaro, Modi…
En
revanche, ce qui apparaît le plus certain, dans la séquence qui s’ouvre, c’est le retour de la lutte des peuples. Déjà
en Espagne, la mobilisation contre l’augmentation des prix prend corps. Un
mouvement pour bloquer les prix des produits de première nécessité peut-il être
lancé ? Toutefois, s’il reste encadré dans des revendications économiques,
voire corporatistes, s’il ne met pas en cause le pouvoir et le régime capitaliste
lui-même, il s’essoufflera ou sera réprimé. D’ailleurs, les forces de
transformation sociale sont pour l’heure presque insignifiantes, elles ne
peuvent guère politiser un tel mouvement. Engoncées soit dans leurs querelles
de chapelle soit dans une vision électoraliste, elles ne sont que les témoins
d’un monde qui ne parvient pas à naître. Pourtant, la remise en cause des
privatisations, l’aspiration aux communs,
désignent en creux que la propriété commune s’oppose à la propriété privée des
moyens de production et d’échange, la financiarisation débridée appelle à la
socialisation des banques, la dépendance suggère l’indépendance, le souverainisme
industriel et alimentaire, l’entraide et la coopération entre les peuples plutôt
que leur affrontement concurrentiel.
Gérad
Deneux, le 24.03.2022
Jérôme
- Je partage avec vous cette vidéo que j'ai trouvée très bien faite sur les
impérialismes qui conduisent à la guerre :
https://www.youtube.com/watch?v=8lLdAsYRpr0