Libérez Libre-Flot
Le
27 février, un homme de 37 ans, début une grève de la faim en prison. Il veut
protester contre son incarcération de 14 mois, à l’isolement total, sans
jugement (1).
« Cela fait 14 mois que je suis
enterré vivant, dans une solitude infernale et permanente, sans avoir personne
à qui parler, à juste pouvoir contempler le délabrement de mes capacités
intellectuelles et la dégradation de mon état physique et ce, sans avoir accès
à un suivi psychologique ». « Cet isolement, la torture blanche, est
considéré comme inhumain et dégradant par plusieurs instances des droits
humains ».
Arrêté
le 8 décembre 2020 avec 7 autres personnes, il est mis en examen pour
association de malfaiteurs. Il lui est reproché d’avoir « envisagé »
des actions violentes contre des policiers et des militaires.
Dans
quel pays un individu peut-il être incarcéré, à l’isolement, pour avoir
peut-être envisagé des actions violentes ? Sans doute dans un pays
bafouant les droits de l’Homme, avec un régime autoritaire.
C’est en
France que ça se passe.
C’est en
effet à Bois d’Arcy que Libre Flot est emprisonné.
Il
lui est reproché par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure d’avoir
possédé, dans le camion où il vivait, des produits chimiques pouvant entrer
dans la composition de bombes artisanales, comme, par exemple, du peroxyde
d’hydrogène (eau oxygénée), du nitrate d’ammonium (présent dans les engrais
chimiques), de l’essence (qui peut servir aussi à faire tourner un groupe
électrogène) ainsi qu’un fusil de chasse. Il lui est également reproché, sous
couvert de pratiquer l’Air-soft (tir au pistolet à billes), de s’entraîner au
maniement des armes.
Donc,
si vous pratiquez l’air-soft, si vous avez quelques sacs d’engrais, de l’eau
oxygénée, des bidons d’essence pour votre tondeuse, et si vous avez conservé le
fusil de chasse de votre grand-père, il serait peut-être plus prudent de
quitter immédiatement le territoire français car la police anti-terroriste
risque de vous mettre hors d’état de nuire et de vous incarcérer à l’isolement.
Cette
police est celle qui, en 2008, a démantelé le « dangereux » groupe de
Tarnac dont tous les membres furent…. acquittés quelques années plus tard. Seul
Julien Coupat fut condamné à 4 mois de prison avec sursis pour « refus de se soumettre à un prélèvement
biologique ». Le jugement était motivé de la façon suivante :
« l’audience a permis de comprendre
que le groupe de Tarnac était une fiction »…. Le premier synonyme que
le dictionnaire donne pour fiction est « invention ».
Ce
petit rappel étant fait, l’affaire de Libre Flot apparaît totalement
improbable, incompréhensible, incroyable. Un autre élément du dossier permet de
la voir sous un autre angle.
Libre
Flot s’est en effet rendu en Syrie. Pas pour combattre avec Daech, mais contre
Daech avec les forces kurdes du Rojava. « Cela fait plus de 14 mois que je
comprends que ce sont mes opinions politiques et ma participation aux forces
kurdes des YPG dans la lutte contre Daech qu’on essaie de criminaliser ».
Pourquoi
l’Etat français voudrait-il donc, criminaliser,
réduire au
silence les individus qui ont rejoint les forces armées kurdes ?
Serait-ce pour faire oublier que le
Rojava est certainement l’expérience d’organisation sociale, politique et humaine la plus intéressante, la plus
prometteuse de notre époque ? Cette région rebelle autonome est située
dans le nord de la Syrie. Les milices kurdes ont profité du choc de la guerre
civile syrienne pour y prendre le pouvoir. Ils ont mis en place une politique
laïque, fondée sur des principes démocratiques, une forme de socialisme
démocratique ; l’égalité des sexes et l’écologie transparaissent dans sa Constitution
(qui est plus un contrat social). Ce système politique est inspiré par le
confédéralisme démocratique théorisé par Abdullah Ocalan, leader du PKK (Parti
des Travailleurs du Kurdistan).
Au
Rojava, vivent en plutôt bonne harmonie, ce qui est exceptionnel pour la
région, 6 millions de personnes dont des Kurdes, des Arabes, des Turkmènes.
Trois langues officielles y sont enseignées, le kurde, l’arabe et le syriaque.
Des conseils populaires sont élus par des assemblées de communes ; chaque conseil gère les
ressources agricoles, énergétiques, de manière autonome, coopérative et
écologique. Ce n’est certes pas le paradis sur terre mais un exemple très
intéressant en matière d’organisation sociale.
Dans
une telle organisation, pas de multinationales qui financent, soutiennent des
partis politiques, pas d’oligarques, pas de médias aux mains des marchands
d’armes, pas d’homme seul qui décide que son pays (la Russie) de 144 millions
d’habitants va attaquer son voisin…
Le
Rojava, un exemple à ne pas suivre si les élites en place veulent garder le
pouvoir.
Serait-ce,
également, pour faire oublier les trahisons des Occidentaux vis-à-vis des
Kurdes ?
La
promesse d’un Etat kurde en 1920, sur les restes de l’empire ottoman (traité de
Sèvres) pour finir par une répartition des Kurdes sur trois Etats (Turquie,
Syrie, Irak) qui pratiquèrent chacun l’assimilation forcée et violente. Comme par
exemple l’attaque aux armes chimiques contre les Kurdes irakiens par le régime
de Saddam Hussein (180 000 morts en 1987).
Le
lâchage des milices kurdes par les Occidentaux dans la lutte contre Daech plus
récemment a tué 11 000 Kurdes pour libérer Kobané, Raqqan et vaincre les
djihadistes. Les Occidentaux ont certes soutenu logistiquement et
financièrement les milices mais les morts étaient kurdes. Et quand le travail a
été terminé, Daech vaincu, les Occidentaux sont rentrés à la maison et ont
laissé les Kurdes seuls face aux Turcs qui ne se sont pas fait prier pour les
attaquer et prendre une partie de leur territoire : la région d’Afrin.
Ou encore,
est-ce pour passer sous silence le
dernier « cadeau » laissé aux milices kurdes,
à savoir la surveillance, la gestion des prisonniers
de Daech ?
Près
de 60 000 djihadistes, dont des Occidentaux et, parmi eux, plusieurs
centaines de français ainsi que leurs familles, ont été laissés aux bons soins
des Kurdes. Les Kurdes n‘ont bien sûr pas les moyens d’assurer correctement
cette mission. Donc les djihadistes sont soit, pour les combattants, entassés
dans des prisons dans des conditions sanitaires catastrophiques, soit, pour les
familles, parquées dans le camp de Al Hol, où 55 000 personnes sont
détenues - dont beaucoup d’enfants - de 57 nationalités. Il y aurait dans ce camp environ 80 femmes
françaises et 200 enfants. La France en a rapatrié une quarantaine. Laisser ces
gens à la charge des Kurdes est cynique et dangereux, car ces camps sont de
véritables « pépinières de djihadistes », des bombes à retardement
laissées dans la région. Car Daech a, certes, était vaincu mais de nombreuses
cellules dormantes demeurent dans la région et les prisons bondées sont une
cible privilégiée pour eux afin de libérer leurs camarades. Comme celle de
Ghwaryan attaquée le 20 janvier. 3 500 djihadistes y étaient retenus. Le bilan
est dramatique : près de 300 prisonniers et près de 100 gardiens y ont
perdu la vie.
On
comprend mieux pourquoi le pouvoir préfère qu’on ne parle pas trop du Rojava et
des Kurdes. Ceux qui pourraient témoigner sont priés de se taire et s’ils ne le
font pas sont, comme Libre Flot, broyés par la machine judiciaire.
«
Puisque l’on cherche à criminaliser les
militants et militantes ayant lutté avec les Kurdes contre Daech »
« Puisque l’on utilise la détention
soi-disant provisoire dans le but de
punir des opinions politiques »
« Puisque cette histoire n’existe
qu’à des fins de manipulation politique »
« Puisque aujourd’hui on ne me
laisse comme perspective que la lente destruction de mon être »
« Je me déclare en grève de la faim
depuis le dimanche 27 février 2022 à 18h. Je ne réclame à l’heure actuelle que
ma mise en liberté en attendant de démontrer le caractère calomnieux de cette
honteuse accusation ».
Le
16 mars, Libre Flot a donné de ses nouvelles : « Après 17 jours de
grève de la faim, les institutions, bien conscientes de ce qui se passe,
restent totalement indifférentes (…) alors, dégradation pour dégradation,
séquelles pour séquelles, autant que ce soit mon choix, autant que ce soit pour
pousser ce cri de vie, autant que ce soit pour lancer cet appel à l’aide
Sortez-moi de ce tombeau ! »
On
peut lui écrire via les comités de soutien locaux : Comité 812
Paris : LAP 393 393 rue de Vaugirard 75015 Paris
Pour
se tenir informé : https://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/
Jean-Louis
Lamboley
(1)
toutes les
parties entre guillemets sont des extraits d’une lettre écrite par cet homme le
28 février 2022
encart
Abdullah Ocalan, également connu sous le surnom d’APO est un homme
politique kurde de nationalité turque. Il est le leader du PKK (Parti des
Travailleurs du Kurdistan). Ce parti revendique un Kurdistan unifié, indépendant
et socialiste. Il se lance dans la lutte armée jusqu’en 1984. A partir de cette
date, il donne la priorité à une solution politique pacifique et démocratique à
la question kurde. Ce parti est considéré comme terroriste par les Etats-Unis,
l’Union Européenne, la Turquie, entre autres.
APO
est arrêté en 1999, emprisonné en Turquie et condamné à la peine de mort. Le
pays abolissant la peine de mort en 2002, sa peine est commuée en prison à vie.
C’est au cours des premières années de prison qu’il élabore, en collaboration
écrite avec Murray Bookchin, écologiste libertaire états-unien, l’idée du
confédéralisme démocratique.
Le
PYD (Parti de l’Union démocratique) est la branche syrienne du PKK
Les
YPG (Unités de protection du Peuple) et les YPJ (unités féminines de protection)
en sont les branches armées qui comptent environ 40 000 combattants et
combattantes.