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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 1 mars 2022

 

Ce racisme qui vient d’en haut

 

D’où vient l’accusation sur la prétendue infiltration de l’islamo-gauchisme dans les universités ? Comment comprendre cette intrusion des ministres de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur, visant à mettre au pas la recherche académique ? Pour saisir, pour partie, cette injonction des hautes sphères de l’Etat vis-à-vis des enseignants, et tout particulièrement des sociologues, il est nécessaire d’évoquer d’abord la suite d’évènements qui ont conduit à l’expression du délire actuel.

 

La classe dirigeante ne peut plus se maintenir comme avant

 

Il apparaît de plus en plus clairement que la mondialisation, les déréglementations qu’elle induit, ne sont aucunement porteuses de « jours heureux » à venir et d’un ruissellement des richesses vers le bas. Dès 1995, suite à la mobilisation contre le Plan Juppé et sa contre-réforme des retraites, un coup d’arrêt a été donné aux mystifications. Les gouvernements successifs, les médias, ont bien tenté de stigmatiser leurs opposants, ces « passéistes arcboutés sur leurs acquis », ces « rétrogrades » qui n’ont pas compris, puis, dans le même temps, d’opposer les usagers aux grévistes, le public au privé, les privés d’emploi aux actifs. Ces tentatives se sont épuisées. La réalité des privatisations, externalisations, précarisations a fait son œuvre dans les consciences. Il fallait trouver un autre bouc émissaire, l’arabo-musulman. Les attentats djihadistes en ont fourni le prétexte. Il fallait d’une part occulter les raisons de l’émergence de ces phénomènes mortifères, à savoir les guerres menées au Moyen-Orient par les puissances occidentales et, d’autre part, faire l’amalgame entre la poignée des tueurs et l’ensemble des musulmans concentrés dans les quartiers populaires, ceux précisément qui étaient les plus précaires et dont la couleur de peau, l’habillement, le foulard, pouvaient désigner comme ennemis de l’intérieur. Peu importait que l’hypocrisie ait été à son comble, avec ventes d’armes à l’appui et complaisances vis-à-vis des régimes réactionnaires tels l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis ou le Qatar, qui diffusèrent le wahhabisme avec ostentation ! Le « nous sommes en guerre » des dominants signifiait que cette guerre était à mener avant tout contre tous ces musulmans sur le territoire national. Dès lors, la porte était ouverte à toutes les lois sécuritaires, liberticides et celle contre le séparatisme, ces « zones de non-droit » que la misère, la ghettoïsation favorisaient.

 

Mais deux phénomènes sociaux allaient contrecarrer cette mise au ban d’une partie de la population française : la répression policière s’en prenant non plus seulement aux habitants des quartiers populaires, mais également aux manifestations syndicales contre la nouvelle mouture des retraites de Macron, puis aux Gilets Jaunes osant manifester dans les beaux quartiers sans autorisation. Par ailleurs, les mobilisations et la jonction des manifestations antiracistes au sein des cortèges syndicaux avec les Gilets Jaunes suscitée par le Comité Adama, changeaient la donne. Pire, toute une partie de la jeunesse prenait fait et cause contre le racisme, s’insurgeant contre le néocolonialisme ambiant, le récit national imposé, les prétendus bienfaits de la civilisation occidentale à importer.

 

Le déclic fut l’assassinat par des policiers de Georges Floyd aux Etats-Unis. Outre les protestations massives, fut mis en cause l’art officiel de la célébration d’esclavagistes et de colonisateurs. Des centaines de statues de par le monde furent renversées. Même si, en France, le déboulonnage ne prit guère d’ampleur, la bourgeoisie nationale en fut choquée. Le roman national de la « République » était miné par l’importation d’idéologies néfastes venues d’outre atlantique : le wokisme et la cancel culture.

 

Haro sur le wokisme et la cancel culture

 

Tout commença avec la prétention du pouvoir à vouloir éradiquer, au sein des universités, ces idéologies qu’on désignait sous la forme d’anglicismes peu compréhensibles pour le citoyen lambda. Un audit de mise au pas fut lancé par Blanquer, des protestations d’enseignants et de chercheurs s’en suivirent. Ce fut un flop, puis un regain de polémiques venues de Sciences-Po Grenoble.

 

Le 4 mars 2021, suite à un débat organisé sur le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, un professeur d’allemand, dénommé Kinzler, prétendit non seulement que l’on ne devait pas mettre sur le même plan la haine des juifs et celle visant les musulmans, mais également que l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) était un camp de rééducation islamo-gauchiste. Malgré la réaction d’étudiants, le prenant pour cible, on aurait pu en rester là si ce prof ne s’était pas répandu sur C News, Marianne et dans le quotidien L’opinion, accusant la direction de l’IEP de dérives idéologiques communautaristes, de diffuser du wokisme. Ses propos diffamatoires lui valurent une suspension disciplinaire de 4 mois. Et la polémique enfla. Liberté académique ou maccarthysme ?

 

Vauquiez, le très droitier LR, bloqua les 100 000 € destinés aux bourses des étudiants mais ne dit mot sur le financement accordé par sa Région à l’Université catholique de Lyon. Cette intervention politicienne reçut le soutien bruyant des Le Pen, Pécresse, Zemmour.

 

Mais, en fait, qu’en est-il du wokisme et de la cancel culture, présentés comme des poisons instillés au sein des  universités ?

 

Le wokisme se réfère aux recherches sociologiques, éveillant les consciences à l’accumulation d’oppressions visant les plus fragiles. On parle également d’intersectionnalité pour saisir les effets de la conjugaison du racisme, du sexisme, de l’exploitation. La cancel culture, une étiquette fourre-tout, vise à discréditer les revendications progressistes, désigne à la fois une culture d’éveil des consciences et un mouvement de protestations, pouvant aller jusqu’à l’annulation ou le bannissement des effets délétères des idéologies de domination culturelle. Cette curiosité intellectuelle, en éclairant les zones d’ombre du passé imposé, met en cause le récit national dans lequel baignent les castes dirigeantes. En posant, par exemple, la question de savoir qui étaient réellement Gallieni, Faidherbe, Bugeaud, c’est tout un pan du prétendu apport civilisationnel de la 3ème  République qui s’effondre. Face à cet effort de dévoilement, l’on assiste à des crispations identitaires, nationalistes, manifestant la volonté de pratiquer la censure et le révisionnisme historique. Telle est l’entreprise menée par Zemmour prétendant que Pétain aurait sauvé les Juifs de l’extermination nazie.

 

Le colloque officiel, tenu le 8 janvier à la Sorbonne, en prétendant imposer une pensée d’Etat fut un procès à charge contre les idées et recherches qui dérangent, tout en fabriquant ainsi un ennemi de l’intérieur. Mettre à l’index Derrida, « un chef de file d’une secte intellectuelle », Bourdieu, Foucault,  « ces sinistres héritiers de Marx », Freud…, manifeste le retour d’une pensée réactionnaire. Sous le couvert de « républicaniser l’école » (Blanquer) il s’agit comme l’indique Elisabeth Roudinesco, de mener « la guerre à l’intelligence ». Cette croisade culturelle est désormais largement partagée par la droite extrême et l’extrême droite. Elle imprègne les esprits pour nous préparer au pire. Il est temps de réagir.

 

GD le 22.2.22