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mardi 1 mars 2022

 

Nucléaire. Le chantier « vert » de Macron

 

Macron, le versatile, n’est pas  à une volte-face près ! Avant d’être élu en 2017, il annonçait la sortie progressive du nucléaire, et, pour preuve de sa bonne foi, en 2020, mettait à l’arrêt la centrale de Fessenheim. En 2022, il fait le choix inverse, celui du nucléaire, devenu, entre temps, aux yeux de la Commission européenne une « énergie verte » ! A Belfort, le 10 février, devant les salariés d’Alstom, il annonce la relance nucléaire. Le Parlement en a-t-il débattu ? Les citoyens ont-ils été concertés ? Que nenni ! Le président (ou le candidat ?) promet une consultation de la population au 2ème semestre 2022… une fois que tout aura été décidé ? C’est que le calendrier est serré pour que l’ambition affichée de Macron, l’indépendance énergétique du pays, soit assurée. Il faut construire 6 nouveaux EPR2 suivis, après étude, par 8 autres ainsi que des petits réacteurs modulaires (SMR), tout en prolongeant la durée de vie des 56 réacteurs en fonction, au-delà de 50 ans. Les « incidents » sont minorés, voire ignorés ; les déchets, oubliés dans les sous-sols de Bure ou dans les piscines de La Hague.

 

Virage spectaculaire

 

En février 2017, Macron affirmait : « Je m’engage à tenir l’objectif de 32 % en termes d’énergies renouvelables. D’ici à 2022, nous avons pour objectif de doubler la capacité en éolien et en solaire photovoltaïque ». Au moment où il entre à l’Elysée, les énergies renouvelables fournissent plus de 18 % de l’électricité consommée en France. 5 ans plus tard, où en est-on ? 26 % e (45 % en Allemagne).

 

La France est le seul pays européen à ne pas avoir respecté l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables dans sa consommation globale brute d’énergie (électricité, chauffage, transports), elle est à 19.1 %.

  

En 2020, la production française d’électricité est dépendante du nucléaire à 67.1 % (13.5 % de l’hydraulique, 7.9 % de l’éolien, 4.5 % du solaire et bioénergie), le reste (7.5 %) provient du thermique (gaz, fioul, charbon).

 

En 2017, Macron qui a annoncé l’ambition de réduire 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique, à l’horizon 2025/2035, en fermant des réacteurs, affirme aujourd’hui: « il n’y a plus d’objectif de fermetures » mais un plan de « nouveau nucléaire » avec la mise en service des 6 EPR 2   en 2035, pour une dépense de 64 milliards € (dernière estimation) et le lancement d’études pour en construire 8 autres. Il est pressé : les travaux EPR2 démarreraient en 2028. Pour tenir les délais, les procédures (saisine de la commission nationale du débat public, définition des lieux d’implantation…) débuteront dans les semaines à venir et les premiers appels à projet pour les SMR seront lancés « dans les prochains jours ». Quant à la Programmation pluriannuelle de l’énergie qui prévoit la fermeture de 14 réacteurs, Macron annonce sa révision prochaine.

 

Arabelle, je te vends, je te reprends

 

Ce nouveau plan pro-nucléaire, il l’annonce à Belfort. Ce n’est pas pour rien. Il ne risque pas de rencontrer d’opposition devant des salariés craignant pour leur avenir. Ils n’ont pas la mémoire courte. En 2015, l’Etat français (Macron était ministre de l’économie) cédait à l’américain General Electric (GE) toutes les activités rentables d’Alstom, les 2/3 du pôle énergie et notamment la production des turbines à vapeur Arabelle, les plus fiables au monde en 2014. L’ensemble représentait 12,35 milliards €. Les  mobilisations contre ce bradage d’une technologie de pointe ne firent pas céder le gouvernement Hollande, qui sacrifia 1 300 emplois (selon le maire actuel de Belfort). 

 

7 ans après, les turbines Arabelle fabriquées à Belfort, qui équipent les centrales nucléaires, vont repasser sous contrôle français : l’Etat, via EDF, va racheter à GE une partie des anciennes activités nucléaires d’Alstom, l’entité Steam Power, pour 1 milliard €. Un accord d’exclusivité entre EDF et GE est signé, Macron l’a annoncé le 10 février.

 

Ses opposants de tous bords qualifient cette annonce d’électoraliste. Certes, Macron a choisi le lieu de son annonce, mais aussi le moment. Le nucléaire est un enjeu de la campagne présidentielle : Le Pen promet 6 EPR, Pécresse veut « un plan de relance gaullien » avec 6 EPR également, Zemmour en veut une dizaine, Hidalgo envisage la sortie du nucléaire mais « pas avant 2050 », Roussel ne sort pas du nucléaire, Taubira veut un référendum, pour Mélenchon c’est sortie du nucléaire en 2045 et pour Jadot, fermer les réacteurs les plus anciens : 10 en 2035.

 

L’objectif, affirme Macron, est d’assurer l’indépendance énergétique du pays, de respecter les engagements climatiques, de maîtriser les coûts pour les consommateurs. Pour faire bonne figure verte, « en même temps », il veut décupler la puissance en solaire d’ici 2050, installer une cinquantaine de parcs éoliens en mer et tripler l’éolien terrestre.

 

Restait encore à décrocher le label « vert » auprès de la commission européenne.

 

 Le nucléaire, énergie vertu-euse ou vert-tueuse ?

 

Le nucléaire c’est la solution contre le réchauffement climatique clament Macron et les pro-nucléaires. Le nucléaire (avec l’éolien) est la source d’énergie qui émet le moins de gaz à effet de serre et qui produit de l’électricité à la demande et de manière continue, contrairement aux éoliennes et aux panneaux solaires dont la production varie avec la météo ou le cycle jour/nuit.

 

Ce 2 février (quelques jours avant l’annonce de Macron, n’y voyez que le hasard !) la Commission européenne a publié (enfin !) son acte délégué (décret) sur la taxonomie ; ce classement reconnaît aux sources d’énergie leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Hallucinant ! Nucléaire et gaz ont reçu « l’onction verte » ! Ce tour de passe-passe devrait surtout permettre de mobiliser des fonds publics et privés vers des activités de réduction des gaz à effet de serre et EDF en aura besoin pour mettre en œuvre le plan Macron.   

 

Les Commissaires européens, représentant les Etats anti-nucléaires ont voté contre : Autriche, Espagne ainsi que Portugal et Luxembourg. L’Allemagne a dit non au nucléaire, mais oui au gaz. D’autres ont choisi d’être absents ou fait valoir leurs réticences comme la Lituanie, le Danemark, les Pays-Bas, l’Italie. Mais, les lobbys avaient bien travaillé et Macron, dans son costume de président du Conseil de l’UE, a fait le forcing pour emporter la mise, faisant cause commune avec notamment la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. La Commission a adopté une formule alambiquée du type moins vert que vert mais mieux que noir charbon. Elle reconnaît que le nucléaire produit des déchets radioactifs et que le gaz émet du CO2 et ne sont ni verts, ni durables… mais dans une UE où 15 % de la production d’électricité provient encore des centrales à charbon et où les énergies renouvelables ne garantissent pas un approvisionnement stable, nucléaire et gaz seraient susceptibles de réduire l’empreinte carbone. Pour faire bonne figure, elle a assorti sa décision de conditions spécifiques, permettant d’ouvrir la taxonomie à toute activité pour laquelle il n’existe pas de solution de remplacement sobre en carbone, réalisable sur le plan technologique et économique. Autriche et Luxembourg ont d’ores et déjà signifié qu’ils sont prêts à saisir la Cour Européenne de Justice. Reste le Parlement européen qui pourrait s’opposer au texte de la  Commission, à condition de rassembler la majorité qualifiée de 20 Etats membres représentant 65 % de la population européenne, ce qui n’est pas acquis du tout.

 

Les anti-nucléaires s’en étranglent !

 

Le défi du changement climatique relèverait de l’unique choix : nucléaire ou réchauffement climatique. Bien entendu, ceux qui défendent cette théorie évitent de parler des déchets et de la pollution générés pour des millions d’années. Ils omettent aussi de pointer la question des délais de mise en service du premier nouvel EPR, au mieux en 2040, ce qui ne contribuera donc en rien la réduction des émissions attendue d’ici à 2030.

 

Greenpeace crie au hold up qu’est ce plan de relance de Macron alors que l’industrie nucléaire enchaîne les fiascos. L’EPR de Flamanville accuse 10 ans de retard (il devrait entrer en service fin 2022 ?) et un gigantesque surcoût : initialement estimé à 3.3 milliards il est passé à 19 milliards ! Pour l’heure, depuis 2005,  un seul au monde est en service, celui de Taishan en Chine, dont l’un des réacteurs a dû être mis à l’arrêt en juillet 2021 à cause d’une accumulation de gaz radioactifs dans son circuit. L’EPR finlandais d’Olkiluoto a, lui aussi, plus d’une décennie de retard. Et les « incidents » sur les réacteurs en fonction (quand ils sont déclarés – cf encart Tricastin) se multiplient. Prolonger la vie des réacteurs au-delà de 50 ans, les anti-nucléaires s’en étranglent ! Avec 56 réacteurs, mis en service entre 1970 et 1990, le parc français est vieillissant (36 ans de moyenne d’âge) : Bugey est la doyenne avec 2 réacteurs de 42 et 43 ans). Malgré toutes les rustines pour les faire tenir, il est certain qu’un certain nombre devront être mis à l’arrêt

 

Macron l’anti-démocrate

 

Depuis 2018, il a tout ficelé. Dans la plus grande discrétion, l’Etat et EDF ont travaillé sur l’hypothèse de 6 nouveaux EPR2 (EPR simplifié). En mars 2020, un rapport en prévoyait le financement ; un mois plus tard, les sites convoités étaient précisés (Penly, Gravelines et Bugey ou Tricastin) et en janvier 2021 EDF avait déjà commandé des pièces forgées en vue de la construction…. alors même que la décision de construire de nouveaux réacteurs ne devait pas intervenir avant la mise en service de l’EPR de Flamanville.

 

Macron affirme avoir lu rigoureusement les rapports des experts. Sauf qu’il a éludé les analyses de l’ADEME (1), la parution de son rapport a été repoussée pour ne pas interférer avec la déclaration de Macron du 10 février : le rapport n’allait pas dans le sens du tout atome et concluait que les options de construction de nouveaux réacteurs sont plus coûteuses que celles basées sur la sobriété énergétique et les énergies renouvelables, contredisant le projet de 14 EPR d’ici 2050. Quant aux 6 scénarios de mix-énergétique de RTE (2) il s’en est joué. Ceux dits de « sobriété » et de « ré-industrialisation profonde » ont été dévoilés, opportunément, le 16 février…quelques jours après l’annonce de Belfort. Les mix présentés en octobre s’appuyaient sur l’évolution de la consommation électrique, prévoyant d’atteindre 645 térawattheure (TWh) en 2050 (480 TWh en 2021)  alors que le scénario « sobriété » s’élève à 555 TWh et celui de ré-industrialisation profonde vise 745 TWh.

 

Le scénario « sobriété » porte sur les modes de vie (logement, travail, déplacements, production de biens) ne nécessitant pas autant d’éolien terrestre, en mer et de solaire photovoltaïque que l’actuelle consommation électrique. Il amoindrit les coûts de 10 milliards d’euros du fait d’une diminution de la consommation. A l’inverse, le scénario de ré-industrialisation les augmente de 10 milliards. C’est le choix de Macron : il table sur une hausse de la consommation électrique de l’ordre de 60 % en  2050.

 

Comment peut-on accepter un tel choix sans un minimum de concertation et de débats, avant toute décision face à un tel enjeu de société ? Peut-on parler d’indépendance énergétique du pays en augmentant sa dépendance à l’uranium, sur la base d’un interventionnisme politique et militaire en Afrique de l’Ouest et dans les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale ? En 2020, la France a importé l’uranium du Kazakhstan (20%), d’Australie (18.7%), du Niger (17.9 %), de l’Ouzbékistan (16.1%)… Il paraît que son extraction est indolore, là-bas !!

 

Qui va payer ?

 

La relance nucléaire de Macron va coûter cher : 64 milliards pour 6 EPR2, auxquels il convient d’ajouter les énormes travaux pour prolonger la vie des anciens réacteurs + 1 milliard pour les petits réacteurs + 1 milliard injectés dans les renouvelables.

 

EDF dans lequel l’Etat est actionnaire à 84% va être mise à contribution pour la construction des EPR Macron. Sa situation financière n’est pas brillante et sa dette de 43 milliards € en 2021 va s’amplifier. D’autant qu’en janvier, afin de limiter la hausse des factures des consommateurs, l’Etat a relevé de 20% le volume d’électricité nucléaire bradée à ses propres concurrents, cela représente 8 milliards €. En effet, depuis l’ouverture à la concurrence dictée par les directives européennes, EDF doit céder à prix fixe une partie de sa production, en-deçà des prix du marché, c’est l’Arenh – Accès régulé à l’électricité nucléaire historique. S’ajoutent à cela les arrêts des réacteurs sur les centrales de Civaux, Chooz et Penly suite à des problèmes de corrosion et les prochains à Chinon, Cattenom et Bugey ; le manque à gagner total est estimé à 19 milliards €.

 

Les syndicats de salariés se sont mis en grève le 26 janvier pour dénoncer le pillage de l’entreprise EDF par l’Etat. Les salariés craignent que ne réapparaisse, après les élections, le projet Hercule, à savoir l’assassinat définitif d’EDF en le saucissonnant en trois : une entreprise publique pour les centrales nucléaires, une cotée en Bourse pour la distribution d’électricité et les énergies renouvelables et une troisième pour les barrages hydroélectriques. « Il faut sortir l’énergie du marché pour retrouver une situation plus stable pour notre entreprise de service public » CGT Energie.

 

Pour conclure,

 

« Le nucléaire n’est ni propre, ni vert, encore moins salutaire ! » (3) Pour ne pas subir le hold-up de Macron et des autres, sur l’avenir de la planète et de ceux qui y vivent, il faut s’emparer du débat : quelle énergie pour satisfaire quels besoins ? Parler sobriété n’est pas revenir à la bougie mais s’interroger sur les besoins de tous dans un environnement supportable pour le vivant. Parce qu’un président, en démocratie, ne devrait pas faire ça… un nouveau livre à écrire ?(4).

 

Odile Mangeot, le 20.02.2022  

 

Sources : Reporterre.net, bastamag, mediapart, Sortir du  nucléaire

 

Relire : PES n° 69 (01/2021) EDF. Combattre Hercule et n° 59 (01/2020) Le retour à la bougie

 

(1)   Ademe. Agence de la transition écologique – établissement public

(2)   RTE. société anonyme, filiale d’EDF, gestionnaire du Réseau de transport d’électricité haute tension

(3)   Sortir du  nucléaire

(4)   clin d’œil à Fabrice Lhomme et Gérard Davet, auteurs de  Un président (Hollande) ne devrait pas dire ça…  et  Le traître (Macron) et le néant

 

 

 

encart

 

Tricastin. Incidents dissimulés et intimidations

Un cadre EDF a dénoncé la dissimulation d’informations et l’intimidation pour l’empêcher d’en faire état. Lourde inondation interne gérée avec des moyens rudimentaires, évènements significatifs minimisés, non déclarés ou avec retard, intimidations et mise au placard de travailleurs qui alertent sur la sûreté, non-déclaration d’accidents du travail, nombreux éléments dissimulés à l’ASN, Autorité de Sûreté Nucléaire. « On a tellement bien dissimulé certains incidents que l’ASN ne les a pas vus, c’est très grave » témoigne ce cadre, lanceur d’alerte.

Les faits dénoncés ne constituent pas des cas isolés. Cette nouvelle affaire constitue une énième illustration de l’impasse d’un système de contrôle de la sûreté qui repose sur un principe déclaratif et donc sur le postulat d’un exploitant qui, de bonne foi, viendra déclarer les problèmes dans les temps et sans les minimiser ! Qui peut encore croire que ce fonctionnement suffit à nous protéger d’un accident ? Pour preuve, cette fuite importante de tritium à Tricastin, déclarée fin décembre par l’exploitant, la deuxième en deux ans…

Sortir du nucléaire n° 92 – hiver 2022