Du soja brésilien au cochon espagnol
Le
soja est une plante annuelle de la famille des légumineuses, originaire d’Asie
centrale. Il et cultivé depuis près de 5 000 ans pour ses graines très
riches en huile et en protéines. Il est resté longtemps inconnu ailleurs qu’en
Asie. Ses fruits sont des gousses velues contenant entre 4 et 6 graines.
Cette
plante a accompagné l’homme pendant très longtemps pour le meilleur en lui fournissant une alimentation riche et,
depuis le 20ème siècle, peut-être pour le pire. En effet, au cours du siècle dernier, sa culture se
développa hors de l’Asie, en particulier aux USA, surtout pour l’alimentation
animale. D’une culture relativement aisée, elle permet d’obtenir de l’huile
puis, avec le résidu, de produire des tourteaux de soja très riches en
protéines et très appréciés des animaux.
Entre
1968 et 1977, sa production augmente de près de 800 %. Le Brésil et l’Argentine
qui possèdent d’immenses territoires « inutiles », selon les productivistes
et extractivistes, vont défricher la forêt équatoriale, brûler la savane à tour
de bras pour y planter du soja. Actuellement, le Brésil produit 40 % et
l’Argentine 30 % du soja mondial.
Et c’est là
que commence le pire
Ce
soja, réservé à la nourriture animale, nécessite de grandes surfaces de
plantation gagnées sur la forêt, sur des zones de savanes très riches
écologiquement. Des millions d’hectares disparaissent au profit de cette
monoculture. Difficile de connaître précisément les chiffres car de nombreux
déboisements se font illégalement. Les Indiens et les petits paysans locaux
sont « priés » manu militari de dégager le terrain et de laisser la
place aux multinationales étatsuniennes (Cargill…).
Depuis
la fin du 20ème siècle, le soja planté est génétiquement modifié par
la firme Monsanto. Le gène modifié permet
de résister au Roundup, herbicide
fabriqué par… Monsanto. Fini le désherbage mécanique ou manuel, il suffit de
pulvériser du Roundup par avion : les mauvaises herbes meurent, le soja
résiste. On retrouve donc cet herbicide dans les cours d’eau, les nappes
phréatiques, la nourriture locale. La culture du soja, de plus, détruit un des
principaux puits de carbone mondiaux.
Le pire du pire est atteint quand on sait que ce soja OGM, bien néfaste à la nature
et donc aux habitants de ces pays, va rejoindre les ports de la côte
atlantique, être chargé dans des bateaux bien polluants pour rejoindre
l’Europe, pour l’essentiel, et servir de nourriture à des animaux élevés
industriellement.
Une
partie de ce soja arrive en France où il va permettre de nourrir une grande
part des animaux abattus pour la boucherie. Et les besoins sont énormes. En
effet, si l’on pense que la France a réussi à préserver un élevage local de
petite taille. Depuis des années, ce n’est plus tout à fait le cas. Jugez
plutôt. En France, sont abattus chaque année : 1 milliard de volailles, 40
millions de lapins, 26 millions de porcs, 7 millions d’ovins, 6.5 millions de
bovins, 2 millions de veaux, 1 million de chèvres et 20 000 chevaux.
Environ 8 animaux sur 10 sont issus de l’élevage industriel intensif.
Et
cela ne va pas en s’arrangeant. Les fermes, ou plutôt les exploitations
agricoles, diminuent en nombre et augmentent en taille. Et les pouvoirs
publics, bien compréhensifs avec les membres de la très productiviste FNSEA ne
font rien pour freiner le mouvement. En 2014, les élevages porcins qui
comptaient plus de 450 animaux étaient répertoriés dans la catégorie Installation Classée pour la Protection de l’Environnement
(ICPE), c’est-à-dire qu’elles sont, théoriquement, contrôlées très
régulièrement mais, dans les faits, ces contrôles ne sont pas systématiques,
les contrôleurs étant en nombre insuffisant. La situation n’était donc déjà pas
très brillante, mais depuis 2014, seules les exploitations agricoles comptant
plus de 2 000 animaux sont désormais classées ICPE…
Et
on s’étonne, ensuite, de retrouver des nitrates, des antibiotiques dans les
cours d’eau, dans les nappes phréatiques et des algues vertes tueuses en
Bretagne. A noter que la France qui interdit la culture de plantes OGM sur son territoire, en autorise l’importation pour la
nourriture animale. Les animaux que nous mangeons, en France, issus de
l’élevage intensif, sont nourris avec des céréales génétiquement modifiées.
De
plus, la production de viande est très gourmande en eau. On entend souvent dire
que pour « fabriquer » 1 kg de viande bovine, il faut 500 litres
d’eau. Ce chiffre peut paraître exagéré mais si l’on ajoute l’eau bue par
l’animal, l’eau utilisée pour faire pousser les céréales qu’il a mangées, l’eau
utilisée à la ferme, à l’abattoir, on n’est pas très loin. L’élevage est donc
une « industrie » très polluante et très gourmande en eau.
Il
semblerait que, depuis quelques années, la consommation de viande baisse en
France, ce qui nous évitera de connaître la situation de certaines régions
espagnoles.
Le cochon,
c’est bon pour le PIB
Dans
la province de Ségovie, dans la région de Castille et Leon, on compte 250 communes et… 750 fermes de cochons, 150 000 habitants « humains »
et… 1.3 million de porcs. L’odeur y est terrible et l’eau, même pompée à 120
mètres sous terre, est imbuvable. Cette région pauvre devient une gigantesque
usine à viande.
Les
pays nordiques (Pays-Bas, Belgique notamment), ainsi que l’Allemagne, baissent
leur production locale, lassés de gérer, de subir les inconvénients de cette
production (déjections, odeurs, pollutions) et préfèrent récupérer les jambons,
les saucisses, sous emballage plastique. D’autant plus que les décideurs
économiques espagnols, qui ne vivent pas à côté des élevages sont demandeurs.
En 10 ans, la production de cochons a bondi de 40 %. Avec 58.5 millions de
cochons conduits aux abattoirs en 2020, l’Espagne
est devenue le premier producteur
d’Europe devant l’Allemagne (seulement 56 millions) qui compte pourtant
deux fois plus d’habitants.
La
plus grande de ces usines à viande se trouve près de Grenade ; elle
produit 650 000 cochons par an. Résultat (entre autres) : 25 % de
l’Espagne est considérée comme zone vulnérable aux nitrates.
Heureusement,
des citoyens opposés à ce développement commencent à s’organiser et à revendiquer
– comme en Catalogne - l’interdiction de construire de nouvelles usines à
viande. Dans les années 1980, avec leur dynamisme habituel, les Catalans se
sont lancés dans l’industrie du cochon. Certes, à court terme, financièrement,
ça a été positif mais ils ont vite déchanté, lassés de respirer les effluves
des élevages et désireux de pouvoir à nouveau boire de l’eau du robinet.
Mais
le voyage de notre pauvre pousse de soja OGM, cultivée en Amérique du Sud,
engloutie par des animaux incarcérés en Europe, n’est pas fini car depuis
quelques années (2018), la fièvre porcine africaine sévit en Asie et 60 % de la production espagnole part en Chine. A l’instar du taureau
dans la chanson de Francis Cabrel, attendant dans son box d’être massacré dans
l’arène, on peut se demander si ce monde est sérieux.
Détruire
la forêt amazonienne, chasser les Indiens, les paysans locaux, y polluer les
sols, les cours d’eau, afin d’y faire pousser du soja,
Polluer
l’air et l’océan avec des cargos fumant pour le transporter en Europe,
Le
faire ingurgiter par des animaux maltraités, bourrés d’antibiotiques pour
fabriquer un aliment de mauvaise qualité, quasiment néfaste à la santé,
Faire
faire encore un demi-tour du monde à cette viande pour intoxiquer les Chinois,
Est-ce bien
sérieux ?
Cet
élevage industriel est une catastrophe écologique,
une catastrophe humaine. Travailler toute une vie au milieu d’animaux
maltraités laisse des traces physiques et aussi psychologiques. Les exploitants agricoles, surtout dans le
domaine de l’élevage, sont devenus des
exploités agricoles, pris à la gorge par les crédits et la nécessité de
s’agrandir pour survivre. En France, l’endettement moyen d’un éleveur de
cochons est de 430 000 €. Ils ont le sentiment réel de ne plus être
maîtres de leur destin, d’être des esclaves au service des banquiers, des
actionnaires et également des décideurs et des profiteurs de la PAC (politique
agricole commune). En échange de subventions, les agriculteurs ont le sentiment
d’être le jouet des tractations commerciales internationales et d’avoir peu de
prise sur l’essence même de leur travail.
En
France, depuis 2016, près de 600 agriculteurs(trices) se sont donné la mort.
Jean-Louis
Lamboley
sources :
Greenpeace, Reporterre, le Monde
Encart
1
Les agriculteurs, pris à la gorge par les emprunts contractés auprès
du Crédit Agricole, pourront se consoler
au mois de juillet en regardant les fringants cadres du LCL (ex-Crédit
Lyonnais racheté en 2003 par le Crédit Agricole) remettre le maillot jaune au premier du Tour de France, se sentir fiers de
participer à la dotation du LCL à ASO (organisateur du Tour de France) = 10
millions d’euros !
Cela
leur mettra du baume au cœur pour aller s’occuper des bêtes dans la soirée,
pendant que ces « pauvres » coureurs se reposeront dans de
luxueux hôtels climatisés !
Encart
2
Peut-on manger des OGM en France sans le
savoir ?
Oui,
nous en consommons par le biais des produits animaux : viande, œufs,
fromages, lait. Les animaux peuvent être nourris par des aliments comportant
potentiellement des OGM… et rien n’oblige légalement les industriels à en faire
mention sur les emballages, alors qu’aujourd’hui rien ne permet de prouver que
les OGM sont sans danger. (Ceci ne concerne évidemment pas la filière
biologique).
Encart
3
Pourquoi entend-on si peu parler de
Monsanto ?
Tout
simplement parce que cette entreprise impliquée dans de nombreux scandales
sanitaires et écocides (agent orange, hormones de croissance, Roundup…) a été
rachetée en 2016 par la firme allemande Bayer (pour 66 milliards €). Le 4 juin
2018, Bayer annonçait la disparition pure et simple de la marque Monsanto pour
« des raisons d’image de marque défavorable ».