Macron bloqué, et après ?
(édito du PES n° 84 – pour s’abonner, voir plus loin)
Dans
le n° 82 de PES, au vu des résultats du 1er tour des
présidentielles, l’on faisait le constat du paysage électoral chamboulé. Les
partis traditionnels PS et LR étaient en voie de disparition, face à
l’apparition de trois blocs pratiquement équivalents, les Mélenchonistes, les
Macroniens et les Lepenistes. En fait, il y en avait quatre, en comptant ceux
qui ne comptent pas, les
abstentionnistes, les votes nuls et blancs.
Macron,
comptant, quant à lui, sur les mécanismes de la 5ème République
amendée par Jospin (1), semblait assuré
de sa victoire, même si elle devait être moins flamboyante qu’en 2017 : aux
législatives qui suivent l’élection présidentielle, avec ce scrutin majoritaire
à deux tours et l’importance des abstentionnistes, une majorité suffisante
devait lui être accordée. Jouer les hommes d’Etat sur la scène internationale
et cacher le programme libéral devaient suffire. Ainsi, après avoir annoncé
qu’il comptait porter la retraite à 65 ans, transformer le RSA en service
obligatoire… et autres sinistres réformes, directive fut donnée de se taire,
d’anesthésier cette campagne, de congeler le débat à des invectives contre la
LFI, car contre toute attente, l’union des gauches se réalisait autour de la
NUPES. Pas prévue, celle-là par le maître des horloges ! Et ça produisit
une dynamique inattendue en termes de quantité de sièges à l’assemblée
nationale. Le chamboulement s’est poursuivi jusqu’à priver Macron d’une
majorité : il lui manquait 41 élus pour la conforter. Qui plus est, la
dédiabolisation du RN produisait l’entrée en masse (89 sièges) des Lepénistes,
pratiquement absents de la scène parlementaire jusqu’ici. La « trop
molle » Le Pen, selon Darmanin, pouvait pavoiser et se présenter en
respectable républicaine qu’il fallait désormais courtiser. Le terrain avait en
fait été largement préparé par toute la logomachie répandue contre les
« islamo-gauchistes » dans les médias complaisants, et même de
connivence, pour certains, avec le pire éructant Zemmour.
Après
un moment de sidération, Macron, en grand seigneur, convoqua les chefs des Partis
pour formuler un ultimatum : à mon retour de l’étranger, vous devez me
dire si vous soutenez ma politique, avec ou sans pacte, au coup par coup.
Borne, sans cap ni frontière, réitéra les rencontres… Peine perdue, pas moyen
de débaucher massivement. Elle n’avait d’ailleurs guère de marge de
manœuvre : les compromis jupitériens imposaient la règle du ni, ni :
ni augmentation des impôts des plus riches, ni dépenses budgétaires
alourdissant la dette, y compris pour des motifs idéologiques.
Meurtri
dans son ego, se persuadant que l’expression de son verbe pouvait rallier à son
panache nombre d’indécis, à la TV,
crispé, il lâcha un aveu non maîtrisé : « Je ne peux pas davantage
ignorer les fractures et les divisons profondes que traverse le pays ».
Autrement dit, il les avait ignorées jusqu’ici : « Je m’impose malgré vous ». L’illusionniste en perdit sa faconde et les souhaits
proférés avec candeur nous promettant écoute, dialogue, méthode, ce n’est qu’un
nouvel enfumage usé depuis le bla-bla du grand débat. Affirmer son
« projet clair » caché et nous offrir un « élargissement » qui répondrait à une « aspiration (qu’il n’a pas vu venir…) de nombre d’entre nous » est du même
acabit. Il révèle surtout que le mandat de Macron est en suspens. Entravé dans
sa démarche du en même temps, il en
est réduit à s’engager dans des marchandages de combinards jusqu’à draguer les
RN, à défaut de remplir sa besace de LR qui résistent à ses avances.
Alors,
bloqué, Macron ? Pour un temps seulement ?
Certes,
l’absence de majorité bride son élan de régressions sociales promises à la
Commission Européenne : la retraite à 65 ans, les coupes budgétaires pour
parvenir à 3 % de déficit et restreindre le montant de la dette publique.
Certes, il va devoir jouer les maquignons avec des E. Woerth, JF Copé, toper là pour des postes ministériels ;
il devra compter avec les ambitions de ses affidés, prêts à le supplanter, tels
Edouard Philippe et François le Béarnais et tous ceux qui dans son camp
piaffent d’impatience et se font ses zélateurs. Ainsi, ces quelques macroniens
qui, de godillots craignant d’être réduits à des macron-riens, sont prêts à
débaucher des élus RN, avec les dents : « On va (désormais) chercher
ces voix-là » dit Céline Calvez et Dupont-Moretti lui répond :
« On pourrait avancer ensemble (avec eux) ». La recherche des « constructifs » est sans
frontière, ni barrage… Reste à Borne à former un nouveau gouvernement après la
perte des lieutenants fidèles, les Castaner et Ferrand. Pense-t-elle trouver
des perles rares à gauche, elle qui en porte encore l’étiquette dans les médias
après avoir baissé adroitement les allocations d’un million de chômeurs, fourni
10 milliards de subvention aux patrons dans l’opération dite « un jeune,
une solution » à bas coût, ces apprentissages qui font penser au contrat
première embauche (CPE), rejeté en son temps par le mouvement social. Faut dire
que les illusions médiatiquement semées ont la vie dure… Et puis, viennent les
miettes à dispenser, avec force condescendance, à « nos compatriotes dans le besoin ». Ce sera l’objet des
premières séances de la nouvelle Assemblée. Nous aurons droit au chèque alimentaire
d’inflation, à la suppression de la redevance TV et autres petites gâteries
pour la galerie. Avec l’inflation, l’augmentation des taux d’emprunt,
l’équation va être difficile à trouver mais il faut bien calmer le populo…
Alors,
Macron serait-il condamné à macroner,
comme le disent Ukrainiens et Russes qui, sur ce seul point sont d’accord, pour
moquer le président français qui « parle pour ne rien dire et
s’inquiète pour ne rien faire ».
En
fait, il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire. La crise institutionnelle réelle peut très bien être passagère. Mise à
part l’occupation des postes gouvernementaux, rien ne distingue sur le fond les
Républicains (LR) des macroniens ; ils sont tous néolibéraux et peuvent se
retrouver demain sur le programme
élaboré par le locataire de l’Elysée : adopter d’ici 2027, de
nouvelles baisses d’impôts pour un montant de 15 milliards€ (après les 50
milliards du précédent quinquennat), alléger la fiscalité sur les successions
patrimoniales, soit 3 milliards de recettes budgétaires en moins, réduire les
impôts de production des entreprises à hauteur de 7 milliards. C’est dire que l’hôpital,
les services publics…ne seront pas à l’ordre du jour. Pas d’illusion surtout
que le RN, qui n’a jamais mis en cause le capitalisme, les grandes fortunes,
n’hésitera guère à approuver de telles mesures.
La paralysie institutionnelle probable, même si elle s’avère de courte durée,
manifestera certainement les rancoeurs recuites contre ce Président qui méprise
les politiciens et veut décider de tout en techno-impérial. Le changement de
méthode avancé vise, de fait, à câliner les barons de la République libérale,
ce qui risque d’être difficile voire impossible, avec les Insoumis anti-libéraux. La guérilla
parlementaire faite d’interventions et d’amendements résonnant dans
l’hémicycle, peut trouver un écho dans la rue et la mobilisation sociale. Il y a toutefois des obstacles à cette articulation positive. Les luttes sociales, y compris les amendements parlementaires,
peuvent rester défensifs :
l’espérance de transformation sociale et politique réelle peut être diluée dans
la nostalgie du c’était mieux avant.
Autrement dit, il suffirait d’abroger un certain nombre de lois sur le travail,
les libertés bafouées, pour restaurer un système qu’avant l’on déplorait… S’il
convient de ne pas négliger le fait que les reculs imposés au pouvoir constitueraient
de fait des victoires, force est de constater qu’elles ne modifieraient en rien
les structures du système capitaliste.
Le deuxième obstacle réside dans la composition
de la NUPES. Sans négliger la performance réussie par Mélenchon et son
équipe de coaliser les « résidus » de la Gauche de gouvernement,
contrainte par ses piètres performances aux présidentielles
de rallier les Insoumis, il convient
néanmoins de s’arrêter sur ses faiblesses. Certes, les mesures sur lesquelles
les différentes formations se sont mises d’accord bon gré mal gré existent. Mais l’union s’imposera-t-elle face
aux sollicitations intéressées des macroniens ? Par ailleurs, les Insoumis sont un mouvement en
formation, gazeux, dont la construction démocratique et l’enracinement sont
loin d’être réalisés. Les autres partis sont le plus souvent des coquilles
vides dans lesquelles régnaient surtout au PS des barons et autres éléphants
éloignés de toute construction d’un mouvement de masse. Ils sont déterminés à
contester le leadership de la LFI ; leur alliance électorale dans le cadre
des législatives était de fait le seul moyen dont ils disposaient pour
continuer d’exister. Pour la LFI, il s’agissait d’élargir l’audience de toutes
ces composantes auprès de l’électorat, d’éviter un émiettement qui, dans le
cadre du scrutin uninominal à deux tours, aurait été catastrophique. Plus
fondamentalement, des divergences de fond vont réapparaître. Ainsi, le PS et
EELV refusent la suppression des stock-options des PdG, la remise en cause du
soutien financier des bailleurs quels qu’ils soient à l’occasion de la
suppression des procédures d’expulsion des locataires ; ils s’opposent à
la nationalisation des banques et des grandes entreprises, y compris celles qui
sont productrices d’énergie ; ils sont attachés aux mécanismes du marché
qui serait susceptible de réguler le Capital… Quant au PC et à son candidat
Roussel, il ne sait plus où il habite pour sauvegarder sa chapelle, « je crains, affirme-t-il, une explosion sociale… Je ne la souhaite pas »…
Troisième obstacle qui évoque la situation de juin 1968, celui de la
dissolution qui survient dans une conjoncture indécise de « chaos »
dont peut se prévaloir le pouvoir pour dissoudre
l’Assemblée nationale afin d’obtenir une majorité bleu horizon. L’inflation
générant des grèves pour maintenir à flot le salariat, la peur diffusée au sein
des classes moyennes supérieures, l’agitation désignant les
« musulmans », les étrangers, comme les causes suprêmes des problèmes
engendrés par la crise multiforme (climatique, migratoire, financière…), les
manifestations massives peuvent amener la classe dirigeante à recourir à la
dissolution pour restaurer son apparence légitime. Les blocs, libéral
autoritaire et national-autoritaire fascisant, peuvent dans ces conditions
trouver matière à s’entendre pour réprimer et manipuler. Ce spectre de la
dissolution est d’ores et déjà agité sous la forme d’un « débat »
autour de l’interprétation de l’article 12 de la Constitution. Derrière cette
fausse controverse se profile la question réelle : quand est-il opportun
de dissoudre face à la contestation de l’ordre institutionnel établi ?
Quatrième obstacle, le plus essentiel, celui du rapport de forces réel. Même si les élections ne sont qu’un
thermomètre déformant, force est de constater que l’illégitimité est le
« bien commun » de toutes les forces politiques. Par rapport aux inscrits, au 2ème tour, les
abstentionnistes (53.77 %), les blancs et nuls (3.54 %)
représentent 57.31 % du corps électoral. La NUPES représente 13.49 %,
les Macroniens Ensemble 16.47 %, le RN 7.39, les LR/UDI 3.11 %, les autres
formations cumulées 2.23 % (2). C’est dire que tous les élus sont de fait
illégitimes pour représenter le corps électoral. Même s’il est incontestable que les Insoumis ont progressé et réveillé
les quartiers populaires, fait émerger une nouvelle génération militante, l’on
ne saurait mettre sous le tapis la réalité de l’abstention de 66.39 % en
Seine-St-Denis, pour ne prendre que cet exemple. D’ailleurs, globalement, le
nombre de suffrages obtenus par la coalition de gauche, nationalement, n’a pas
véritablement progressé par rapport au total des voix obtenues en 2017. De
même, il n’y a pas lieu de surestimer l’enracinement du RN dans les régions
désindustrialisées et les campagnes. Certes, une majorité d’ouvriers et
d’employés qui votent, soutiennent ce parti d’extrême-droite mais précisément
parce qu’ils sont les victimes des politiques néolibérales de droite et de
gauche, impulsées par l’Union européenne. En fait, il s’agit de concevoir que
ces territoires sont à reconquérir.
Alors, le
déblocage, où peut-il se produire ?
A
coup sûr, le terrain décisif n’est pas le terrain électoral pour débloquer les
aspirations populaires. Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas sans effet
lorsqu’un programme progressiste est présenté au corps électoral. Il est
évident, en effet, qu’il faut arrêter le massacre des services publics, des
hôpitaux, des universités, de la SNCF, réindustrialiser le pays, bloquer la
mondialisation financière et la précarisation du travail qu’elle génère, la
désertification des campagnes… Lorsqu’une force politique prône de tels changements,
lorsque les syndicats mobilisent sur de tels thèmes, lorsqu’ils vont au-delà et
posent les questions des structures institutionnelles néolibérales, européennes,
qui entravent la libération sociale, alors, la combativité peut renaître sur
des bases solides, celles d’une union populaire réelle. Est-ce que nous en sommes
là ? Pas encore. Les moments de crise peuvent accélérer le mouvement mais
dans quel sens ? La voie nationaliste, autoritaire, n’est pas bouchée. La
bataille pour l’hégémonie culturelle, prônant et partageant l’idée d’autres
rapports sociaux de production et d’échange, est à peine entamée. L’offensive à
mener doit certes reprendre le programme de la NUPES de suite pour desserrer l’étau
(smic à 1 500€, hausse de 10% du point d’indice de la fonction publique, blocage
des prix sur les produits de première nécessité… pour faire céder le pouvoir et
expulser les locataires de l’Elysée et de Matignon. Il s’agit de prouver que ceux d’en bas refusent désormais d’être
gouvernés comme avant pour, en définitive, se persuader qu’ils peuvent prendre
le pouvoir pour eux-mêmes. Ce qui semble le plus difficile, après les trahisons
de la gauche libérale, c’est de vaincre l’apathie, la passivité qui hantent les cerveaux démunis de perspectives
par rapport à l’ampleur des tâches à accomplir.
Gérard
Deneux, le 27.06.2022
(1)
la réforme constitutionnelle
a consisté à ramener le mandat présidentiel à 5 ans, les élections législatives
succédant à l’élection du Président
(2)
chiffres publiés
sur www.vie-publique.fr/
Encadré
Evasion
fiscale = 80 à 100 milliards€
13 milliards, seulement, récupérés par Bercy
Fraudes
à la CAF (bien médiatisées pour stigmatiser les pauvres et les étrangers = 2 à 3 milliards/an