L’OTAN réanimée
L’invasion
russe en Ukraine a redonné vie à l’OTAN qu’un certain Macron en 2019 jugeait
« en état de mort cérébrale ». C’est l’occasion, pour PES, de porter
un regard critique sur cette institution née après 2ème guerre
mondiale, sous leadership des Etats-Unis s’empressant d’apporter « leur »
solution de protection sécuritaire aux pays du continent européen, pour
endiguer « la menace communiste » et parallèlement, développant leur
force économique avec le plan Marshall. Les années 1990, marquées par la
dislocation de l’Union soviétique et par des guerres d’intervention dans le
monde menées par les USA, ont marqué un tournant dans l’histoire de l’OTAN,
passée d’une alliance défensive à une alliance offensive. La guerre en Ukraine
permet, aujourd’hui aux Etats-Unis, de garder la main sur le vieux continent,
qui, à leurs yeux, doit être le rempart contre la Russie et l’axe sino-russe.
Faut-il sortir de cette Alliance pour échapper au leadership étatsunien, comme
l’ont inscrit dans leur programme électoral certains partis politiques ?
L’OTAN :
une alliance défensive contre le bloc communiste
En 1949, 12 pays signent le Traité d’Atlantique nord, pacte
américano-européen de sécurité collective, se promettant mutuelle assistance en cas d’attaque armée contre l’un de leurs membres.
En septembre 1951, naît
officiellement l’OTAN – Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis,
France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Portugal, Royaume Uni –
rejoints en 1952 par la Turquie et la Grèce, en 1955 par la République fédérale
d’Allemagne et en 1982 par l’Espagne). « Garder
les Russes en dehors, les Américains dedans et les Allemands à terre »,
tel fut le propos, on ne peut plus clair, du secrétaire général de l’OTAN en
1957.
Début
des années 1950, l’URSS expérimente sa première bombe atomique égalant les
Etats-Unis, la Corée du nord pénètre au sud de la Corée, sous contrôle US. On
est en pleine guerre froide et il faut agiter le chiffon rouge communiste,
faire contrepoids au Pacte de Varsovie
créé par Khrouchtchev en 1955, entre
8 pays communistes (Albanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne,
Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, URSS). L’OTAN institue une force militaire
intégrée pour protéger ses membres d’une agression extérieure et lutter contre
la « subversion communiste », allant jusqu’à prêter main forte, en 1967, à la dictature des
colonels, pour renverser le pouvoir démocratique grec !
Début
des années 1960, l’OTAN a « réussi » à contenir « l’expansionnisme
soviétique » mais l’URSS, dans le cadre des luttes de libération nationale
qui se sont développées, a débordé le territoire de l’OTAN, développé son
influence au Proche-Orient, en Afrique et en Asie. Son équipement en armes
nucléaires et conventionnelles fait craindre aux Etats-Unis une agression
atomique maintenant possible. Les Etats-Unis,
les seuls, alors, à posséder l’arme nucléaire dans le camp occidental, à pouvoir entretenir un énorme arsenal
militaire et des dizaines de milliers de soldats sur le continent européen,
obtiennent des membres de l’OTAN les pleins
pouvoirs début des années 60 et s’opposent à toute prolifération des
arsenaux atomiques nationaux au sein de l’OTAN. Selon Mc Namara (secrétaire à
la défense de Kennedy), il est « dans
la nature des choses qu’aucune nation occidentale n’échappe à l’ultime
dépendance des Etats-Unis ». Cette volonté de soumettre les Etats souverains, et la France
notamment, fait réagir De
Gaulle refusant d’abandonner la souveraineté de la France en matière de
défense. En mars 1966, la France
quitte le commandement militaire intégré de l’OTAN, qui retire ses troupes de
l’Hexagone en janvier 1967. La France réintègrera les instances militaires de
l’OTAN à partir de 1995 (Chirac) et, définitivement, le
commandement militaire intégré en 2009 (Sarkozy).
La
guerre froide prend fin début des années 1990, après la chute du mur de Berlin
(1989) et la dissolution du Pacte de Varsovie (1991). L’OTAN avait-elle encore
lieu d’exister ?
L’OTAN :
une alliance militaire offensive
A
partir de 1991, plutôt que disparaître, l’Alliance
se renforce et étend son périmètre à la grande majorité des anciens pays du
bloc de l’Est. Elle compte aujourd’hui 30 pays membres dont 14 ont intégré
l’OTAN depuis la fin de l’URSS : Hongrie, Pologne et Tchéquie en 1999,
Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie en 2004,
Albanie et Croatie en 2009, Monténégro en 2017 et Macédoine du nord en 2020. Les
Etats-Unis n’entendent pas lâcher cet instrument de prépondérance sur l’Europe,
bien au contraire, l’OTAN se voit dotée de nouvelles
compétences. L’Alliance entend assurer la sécurité sur le continent
européen et réduire les forces nucléaires
russes. Elle est passée, sans qu’il y ait eu discussion, de la volonté
d’examiner les problèmes de sécurité à l’est de l’Europe, au traité sur la
réduction des forces nucléaires entre USA et URSS et aboutit à la création du
Conseil de Coopération Nord Atlantique (comptant 38 membres et de nombreux
partenaires). Elle s’autorise ainsi à se mêler du traitement des crimes dans
l’ex Yougoslavie, du conflit de l’Abkhazie en Géorgie, de la Moldavie… Elle se dote d’une Force de réaction rapide en
1993 pour intervenir dans les crises où les Etats membres veulent s’impliquer. Et
pour protéger son flanc Est, l’OTAN se dote de groupements tactiques
multinationaux en Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et
plus récemment en Roumanie et Slovaquie. Un grand nombre de navires, d’avions
et de soldats sont positionnés de la mer
Baltique au nord à la mer Noire au sud.
En
renforçant les structures militaires de l’OTAN, les Etats-Unis rendent
impossible toute perspective (si tenté qu’il y en ait une !) d’un système
de défense européen distinct de l’Alliance ; ils s’autorisent, dans les
faits, à intervenir militairement dans des pays non membres de l’Alliance.
Ce
tournant offensif s’est concrétisé dans la guerre
en ex-Yougoslavie. En 1999, l’OTAN s’est autorisée à bombarder la Serbie - non
membre de l’Alliance - et, de surcroit, s’est passée de l’avis du Conseil de
Sécurité de l’ONU. Cette intervention
ne prévenait aucunement une catastrophe humanitaire, comme prétendu, et
a laissé derrière elle un Kosovo dévasté, une économie serbe anéantie, sans
qu’aucune condamnation des forces de l’Alliance n’ait été prononcée. Deux
décennies plus tard, la Russie se
prévaudra de cet exemple pour justifier ses incursions en Ukraine en 2014. En
2003, en riposte aux attentats du 11 septembre, les Etats-Unis et les forces de
l’OTAN envahissent l’Afghanistan, pour déloger les talibans, alors que ce pays
n’avait agressé aucune autre nation. L’invasion
de l’Irak en 2003 (sans l’aval de l’ONU)
a laissé entrevoir des divergences et des irritations de certains Etats membres
(dont la France qui ne s’engagea pas en Irak), sans que cela remette en cause
l’existence de l’OTAN.
L’Organisation
a garanti sa longévité par une profonde institutionnalisation, s’appuyant sur une
structure militaire intégrée, une chaîne de commandement permanente ainsi que sur
une bureaucratie internationale autour du secrétariat général. Elle a constitué
une force de réaction interarmées à très haut niveau de préparation, regroupant
des forces terrestres, aériennes et maritimes et des forces d’opérations
spéciales et de technologie de pointe, pouvant se déployer rapidement dans les
domaines de la formation, de l’entraînement, d’un soutien aux secours en cas de
catastrophe, etc. Il n’y a qu’une chaîne de commandement dans l’OTAN : le
commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) est américain. Est
américain aussi le président du groupe de réflexion chargé de la prospective. Combinant
instruments militaires et non militaires,
partenaires et acteurs multilatéraux, voire non gouvernementaux, elle s’est imposée
comme une « organisation de
politique globale » au-delà de la zone euro-atlantique. En février
2022, en soutenant l’Ukraine envahie par la Russie, elle entérine, de fait, les
nouveaux contours de l’Alliance, pour soutenir, au nom de la légitime défense,
l’Ukraine, non membre de l’OTAN. Au-delà du fait d’invasion par la Russie – qui ne peut qu’être condamnée
- force est de constater que les Etats-Unis
font la pluie et le beau temps dans les engagements de l’OTAN, désignant
« l’ennemi » principal à combattre, en l’occurrence, ce qu’ils
nomment « l’axe sino-russe ».
Les
Etats membres de l’OTAN peuvent-ils
échapper au leadership étasunien, les entraînant dans leurs luttes
inter-impérialistes ? S’allier au plus fort est-elle la seule
solution ?
Sortir de
l’OTAN ?
Alors
que la Finlande et la Suède frappent à la porte pour entrer dans l’OTAN et face
à la perspective d’une guerre intra-européenne, initiée par la Russie, semant
la panique dans ses pays voisins, quel pays aurait « l’audace » de
proposer de quitter l’Alliance ? Depuis le refus de De Gaulle de se
soumettre aux Etats-Unis, aucun autre pays n’a fait acte d’insoumission. Il y
aurait pourtant matière à dénoncer,
voire à quitter, cette Alliance qui outrepasse l’objectif de sa charte
initiale. « L’Alliance était
atlantique, on la retrouve en Irak, dans le Golfe, au large de la Somalie, en
Asie centrale, en Libye. Militaire au départ, elle est devenue
politico-militaire. Elle était défensive, la voilà privée d’ennemi mais à
l’offensive » s’indigne Régis Debray (1) en 2013.
Si
cela ne relevait que de la procédure réglementaire, ce serait simple puisque le
Traité précise qu’après 20 ans d’entrée en vigueur (à savoir depuis 1991),
toute partie peut mettre fin au Traité, un
an après avoir avisé le gouvernement des Etats-Unis qui informe les
gouvernements des autres parties. Mais, cela relève de la décision politique et
de la souveraineté des Etats en matière de défense. En France, certains partis
politiques (LFI, NPA, LO notamment) ont inscrit dans leurs programmes
électoraux la sortie de l’OTAN ou, au
minimum, du commandement militaire intégré. Aucun débat national n’a jamais été engagé sur ce sujet, pas même sur
l’article 16 de la Constitution, donnant tous pouvoirs au Président, pour
« prendre les mesures exigées par
les circonstances lorsque les institutions de la République, l’indépendance de
la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate… », autrement
dit déclarer la guerre !
Les
informations relatives à l’OTAN et les positions de la France en son sein, sont
relatées de manière très éparse et superficielle. Le prochain grand sommet de l’OTAN, a lieu les 29 et 30 juin à Madrid. Il doit accepter
(ou non) l’adhésion de la Finlande et la Suède, qu’Erdogan assortit de
concessions lourdes de conséquences pour les militants kurdes (PKK) que la
Suède pourrait extrader. Le sommet doit adopter
le nouveau « concept stratégique »
de l’OTAN et, sans aucun doute, approuvera son objectif principal : assurer
la sécurité de l’Amérique du nord et de l’Union européenne face à la
« menace russe » (Biden aurait annoncé le renforcement de la présence
militaire US en Europe) et contenir l’influence
de la Chine. C’est la conviction du secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg
qui affirme : « son (la
Chine) expansion est un défi pour nos intérêts, nos
valeurs et notre sécurité ». Certains évoquent la création d’une OTAN
asiatique, la nécessaire présence dans la zone Indopacifique (riche en pétrole,
uranium, gaz, or, réserves halieutiques)… pour faire la guerre ? Soyons
rassurés ( !), la France est déjà présente là-bas et accumule en Asie-Océanie
7 000 militaires, 15 navires de guerre et 38 avions et plusieurs bâtiments
dont le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle, le sous-marin
d’attaque à propulsion nucléaire Emeraude… Un pognon de dingue !
Odile
Mangeot, le 26.06.2022
(1)
écrivain et
philosophe. Extraits d’une lettre « La
France doit quitter l’OTAN » qu’il a adressée à Vedrine, ex-ministre
de la Défense tirant un bilan positif du retour de Paris dans le commandement
militaire de l’OTAN, dans un rapport à Hollande
Source :
Le Monde Diplomatique. Manière de voir
n° 183 (juin-juillet 2022) sur L’OTAN. Jusqu’où ? Jusqu’à
quand ? Manière de voir
est une édition bimestrielle du Monde
Diplomatique. Pour connaître le Monde
Diplomatique et s’abonner au mensuel le
Monde Diplomatique et à Manière de
voir : www.monde-diplomatique.fr/
encart
Financement
de l’OTAN
Les
Etats membres participent de deux manières au budget de l’OTAN. Le financement direct s’élève à 2.5
milliards € pour les frais de fonctionnement de la structure de commandement
militaire permanente, les
infrastructures militaires essentielles. Les ministres de la Défense des pays
de l’OTAN se sont mis d’accord pour consacrer 2% au moins de leur PIB à la
défense, sans obligation, les Etats
rechignant à financer la bureaucratie otanienne. Les contributions indirectes, les plus importantes, correspondent à
l’affectation par les pays des capacités matérielles et/ou des forces aux
opérations militaires de l’OTAN. Ces dépenses figurent dans les budgets
nationaux. Impossible de connaître les financements affectés aux opérations. Contentons-nous
de mesurer les dépenses de fonctionnement des Armées dans le budget
prévisionnel 2022 de la France = 58.7
milliards, le 3ème poste du budget. La Solidarité et la santé = 15.9
milliards €. www.budget.gouv.fr
Encart
Particularité
islandaise
Bien
que figurant parmi les 12 membres fondateurs, l’Islande est le seul pays de
l’Organisation qui ne possède pas d’armée. L’île dispose cependant d’une Unité
de réponse aux crises composée de quelques dizaines de personnels,
principalement des policiers et des garde-côtes. Ils sont formés pour
participer aux opérations de l’Alliance. (Manière
de voir)
Encart
Partage du
fardeau
La
question de la répartition des coûts et avantages est aussi vieille que
l’Alliance. Depuis les années 1960, les sénateurs américains ont adopté presque
chaque année une motion demandant aux pays européens, qui profitent des
« dividendes de la paix » d’augmenter leurs budgets de défense, de
prendre à leur charge une part des coûts supportés par les Etats-Unis, et
d’acheter de l’armement américain, cessant ainsi de se comporter en
« passagers clandestins ». Ces dernières années, les dépenses
militaires de la plupart des Européens ont repris une courbe ascendante.
Aujourd’hui encore, 70 % des « capacités critiques » de l’OTAN –
dissuasion nucléaire, défense antimissile, renseignement, transport aérien –
sont supportés par les Etats-Unis. Philippe Leymarie. Manière de Voir