Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 8 novembre 2022

 

Fragmentation européenne

 

(éditorial de PES n° 87)

 

Christine Lagarde avait affirmé qu’il fallait l’éviter ; elle est en passe de se réaliser, non pas seulement sous l’effet de l’augmentation des taux d’emprunt et de l’inflation, mais face aux retombées de la crise énergétique qui secoue toute l’Union européenne. En fait, cette fragmentation était déjà potentiellement inscrite dans les fondements mêmes de cette construction paraétatique. La vision néolibérale, mettant en concurrence sociale et fiscale les Etats, repose sur l’acceptabilité des populations face à ce qu’on leur impose pour « rester compétitif » : baisse des prestations sociales, coupes dans les services publics, précarité…

 

Brutalement, le seuil de tolérance fut atteint. Avec les décisions prises suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions et mesures de rétorsion, l’Allemagne, tout particulièrement, ne pouvait plus compter sur l’énergie bon marché. Qui plus est, avec le zéro covid en Chine, les exportations d’automobiles et de machines-outils se sont taries, les excédents commerciaux ont fondu. Et Scholz, le chancelier allemand, de se précipiter pour être prochainement reçu par Maître Xi dans l’Empire du milieu.

 

Mais les raisons profondes de la « germanophobie » qui gagne toute l’Europe sont ailleurs. Que l’Allemagne fasse cavalier seul, semblant jeter aux oubliettes les fondements de l’Europe, c’est inconcevable : annoncer 200 milliards pour atténuer, pour les seuls Allemands, les effets de la hausse du gaz et de l’électricité, pour « aider son industrie », sans concertation, afin de « ne pas fâcher son industrie chimique (BASF) », c’est de la distorsion de concurrence. De même, 65 milliards versés sous forme de chèques à 2 millions d’Allemands, les plus modestes, c’est de l’égoïsme national ! Prévoir un plan de 100 milliards pour la modernisation de l’armée allemande en achetant du matériel et des armes étatsuniens et israéliens, ce serait de la trahison ! Le mythe du couple franco-allemand explose. Macron ne décolère pas face à l’abandon programmé du projet d’avion et de char du futur.

 

Les dirigeants des autres pays européens sont également fâchés : Pologne, Estonie, disent niet au diktat de Berlin et en appellent à la solidarité européenne du pays le plus riche !

 

En fait, dans nombre d’Etats, tout comme en Allemagne, c’est la panique. Alors ? Finies, les minauderies d’avant l’invasion russe où le couple-moteur de l’UE s’entendait pour prétendre conjointement que la production de déchets nucléaires et la consommation de gaz russe étaient écologiques ?

 

La brouille semble consommée et l’histoire profonde des deux pays refait surface. Mais ce sont des moribonds qui surgissent : la France toujours occupée à défendre son pré-carré néocolonial en Afrique qui part en lambeaux, l’Allemagne qui rêve de trouver son espace vital à l’Est, celui d’une main d’œuvre bon marché, qualifiée, de la sous-traitance généralisée, inaugurée depuis les années 1990 sous Helmut Kohl…


Peine perdue, cette fuite en avant, déjà dans les tuyaux avec l’extension de l’OTAN et de l’UE profite dès lors au grand frère états-unien.

 

Le rêve germanique de la Mitteleuropa, de l’Allemagne-pivot, se heurte aux Etats baltes, scandinaves et d’Europe centrale. Ils n’acceptent plus ni la suprématie allemande, ni les prétentions françaises. Les égoïsmes nationaux et l’engouement transatlantique semblent prévaloir. On assiste désormais, après le Brexit, à la fragmentation et à la dilution de l’Union européenne. La volonté pour y faire obstacle semble faire défaut.

 

GD le 2.11.2022    

 

 

Poème de Pedro

 

lit de sièges intermittents

couverture de cartons déchirés

aliments incertains glanés au hasard

toilette craintive dans les recoins dérobés

hygiène malsaine au gré des bons cœurs

amours muées en souvenirs évanescents

fierté au caquet rabattu

orgueil mis dans la poche trouée

sommeil bercé par les rails grinçants

identité réduite à un sigle

les laissés-pour-compte d’un monde apeuré

regardent passer leurs ex-semblables

gavés de droits de l’homme

remerciant qui le ciel qui le sort

d’être encore à la surface du bourbier

dans lequel s’englue un monde mutant

 

ballottés de haine en résignation

comment font-ils pour demeurer humains

 

Pedro Vianna

le 5.11.1995

in mystères, en toute nudité

http://poesiepourtous.free.fr

 

 

Iran. Les mèches de la rébellion

 

La jeunesse, les classes opprimées et dominées vont-elles sortir de la nuit du cauchemar qu’elles vivent depuis bien plus de 40 ans ? Ce cauchemar c’est celui du retour, toujours renouvelé, de l’oppression, de l’humiliation et de la répression toujours recommencée de l’histoire tourmentée de ce pays. Jusqu’à présent, tous les soulèvements et les aspirations dont ils étaient porteurs ont été dévoyés. Les évènements actuels pourraient en effet tourner à la catastrophe… Quoique !

 

La mèche et la poudre

 

Le 16 septembre, Mahsa Amini, cette Kurde iranienne, se promenait à Téhéran. Elle eut le malheur d’avoir une mèche rebelle dépassant de son foulard mal porté. Arrêtée par la police des mœurs, tabassée, elle en est morte. Enterrée dans sa région, elle a fait surgir d’outre-tombe un rugissement irrépressible de lionnes qui a gagné toutes les villes, toutes les provinces de l’Iran. Les rues, les avenues se sont remplies de manifestantes, vite épaulées par la gente masculine, les parents, toutes les tranches d’âge et de conditions sociales tentant de les protéger. Tous veulent les voir, bravaches, d’une folle audace, enlever leurs foulards, les jeter dans les brasiers et, têtes nues, danser et danser encore…

 

Dans ces manifestations, irrévérencieuses pour la mollahcratie, où les interdictions moyenâgeuses sont bafouées, on a du mal, ici, en Occident, de mesurer l’ampleur de la colère qui anime la jeune génération et embrase une grande partie de la population. Elle a très vite dépassé la question du voile pour se muer en déferlante de colère contre le régime. Elle exprime « la haine que nous avons de vous » contre toutes les « discriminations sexistes, ethniques, économiques ». Et bien qu’elles soient tabassées, gazées, arrêtées, incarcérées, tuées, les slogans sont sans relâche proférés : « Je me bats, je meurs, je récupère l’Iran », « C’est l’année du sang, l’ayatollah sera renversé ».

 

Déjà plus de 250 morts dont de nombreux enfants, plus de 350 blessés recensés, 4 300 arrestations. Et toujours plus de symboles de révolte, comme Nika Shakarami, 16 ans, tuée pour avoir dansé ou Asra Panani, poursuivie dans son école, frappée, plongée dans le coma avant de décéder.

 

Après le 19 septembre, jour après jour, les manifestations se succèdent malgré la répression policière et parfois les tirs à balles réelles. Le pouvoir, d’abord pris de court, a l’intention d’intensifier encore la répression car il en va de la survie du pouvoir théocratique. Les gardiens militaires du régime sont-ils prêts à s’y substituer ?   

 

La poudre  hautement inflammable

 

1979, le soulèvement contre la dictature du Shah d’Iran, imposé par les Etats-Unis, constitue une mobilisation qui puise ses ressources contre le « modernisme » imposé et la police politique réprimant toutes les oppositions. La religion chiite est invoquée comme un retour aux sources de l’Empire mais dès février 1979 le pouvoir khomeiniste s’impose. Le 8 mars 1979, des manifestations de femmes, certes minoritaires, scandent, avant d’être réprimées : « Ni foulards, ni coups de poing ». Même si la législation religieuse n’est pas toujours intégralement appliquée, elle s’impose : décapitation pour un soupçon de flirt, lapidation pour délit d’adultère pour une femme mariée, dépucelage pour les condamnés à mort, perte des droits de garde des enfants en cas de divorce de la femme. Celles-ci ne peuvent voyager sans l’autorisation de leur mari. En revanche, les hommes peuvent épouser jusqu’à 4 femmes à la fois… Bref, les femmes ostracisées, sont considérées comme une sous-humanité.

 

La guerre contre l’Irak, la martyrologie viriliste et patriotique qu’elle va représenter, enfouira toutes les aspirations sociales et sociétales. La répression sera systématique contre des milliers d’opposants, y compris les alliés de Khomeiny qui avaient tenté de conjuguer marxisme et religion. Ils vont être impitoyablement éradiqués.

 

Paradoxe, les sanctions américaines contre le régime vont le renforcer, lui conférer une teinture anti-impérialiste, un masque moderniste dans sa lutte contre l’Etat islamique. Son expansionnisme en Irak, en Syrie, au Liban, son alliance avec la Russie, sont autant d’éléments qui semblaient lui assurer une sorte de pérennité. Mais, au fil du temps et dans sa recherche de puissance régionale, l’Iran a connu de nombreux bouleversements. Dans ce pays de 85 millions d’habitants, urbanisé à 80 %, Téhéran (comme d’autres villes à un moindre degré) compte désormais 10 millions d’habitants. Féru de sciences, de technologies, le régime a développé les universités qui comptent 4 millions d’étudiants dont… 60 % d’étudiantes… n’ayant pas accès aux emplois qu’elles pourraient occuper. Explosif ?

 

Dans le même mouvement, les populations sont de moins en moins religieuses. Le régime se maintient par un encadrement encore plus répressif depuis l’élection de Raïssi. Police religieuse, gardiens armés de la mollahcratie, corruption généralisée, privatisation des entreprises publiques et accaparement des entreprises privées au profit des militaires et de la police… Cette concentration des richesses et des prébendes au profit d’oligarques fait penser au régime égyptien. Le pas pourrait être franchi vers la dictature militaire au vu de la sclérose et la perte de légitimité des religieux. La nouvelle génération, celle du contournement de la censure et d’internet, celle qui affirme « nos souffrances sont devenues plus fortes que la peur », celle qui reste sans programme, sans organisation, peut-elle se frayer un chemin contre la dictature pour la dignité et la liberté revendiquées ?     

 

Sortir des années de cauchemar ?

 

A part de brèves éclaircies, l’histoire de l’Iran pour son peuple est un cauchemar sans cesse renouvelé. L’empire perse, puis l’Iran, ne furent pas colonisés mais subirent très tôt l’influence et la pénétration de l’impérialisme anglais et de la Russie tsariste avant la 1ère guerre mondiale. Le moment de la monarchie constitutionnelle fut vite circonscrit, la dictature du shah restaurée. La modernisation reprit son cours après la 2ème guerre mondiale. Nationaliste, royaliste, Mossadegh nationalisa le pétrole iranien, expulsa les Anglais. Les Etats-Unis, intéressés, vont venir à la rescousse, organisant un coup d’Etat, et réinstallent le shah d’Iran sur son trône, un régime de terreur dont le bras armé, la Savak, police politique, est pilotée par des conseillers états-uniens.

 

Les années 60-70 sont marquées par une opposition grandissante. Mais le parti Toudeh qui se revendiquait du communisme orthodoxe, celui qui ne s’est pas résolu à soutenir fermement le régime de Mossadegh, est pratiquement anéanti, tout comme les organisations syndicales. Une fraction de la jeunesse politisée va, dès lors, tenter de conjuguer marxisme, religion et tiers-mondisme en recourant à la lutte armée. Sa répression fut impitoyable. Ne restaient plus que les religieux et Khomeiny. Les alliances qui furent tissées avec eux furent un baiser avec le diable.

 

La guerre Iran-Irak (1980-1988) qui fit des millions de morts et le repli desdits Moudjahidines du peuple dans ce pays ennemi, conduisirent à leur quasi disparition en Iran. Ceux qui subsistent sont déconsidérés et vivent en secte, en exil.

 

La chape de plomb qui s’est ensuite abattue sur le pays va progressivement se fissurer. En 2009, l’élection frauduleuse, « volée », d’Ahmadinejad, est contestée. Les manifestants, nombreux, qui s’inscrivent dans la volonté de réformer/libéraliser le système, appellent déjà à la dissolution de la Brigade des moeurs. Ils sont essentiellement issus de la moyenne bourgeoisie. Ils furent rapidement réprimés.

 

20717-2018. Les manifestations changent de nature. Les rues conspuent le gouvernement « incapable » de lutter contre la vie chère. Les sanctions occidentales, et tout particulièrement états-uniennes, en sont la cause. Avec le gouvernement Rohani et l’accord sur le nucléaire, le régime semble s’assouplir, quoique la répression touche les journalistes, les écrivains, les dissidents qui franchissent la ligne noire cléricale. En 2019, des manifestations d’ampleur contre l’augmentation des prix dans un contexte de crise économique, mobilisent les classes populaires, particulièrement dans les banlieues pauvres. Elles s’en prennent au symbole du système répressif. La police, l’armée tirent à balles réelles : 1 500 morts sont dénombrés. La petite et moyenne bourgeoisie semble indifférente.

 

La dénonciation des accords sur le nucléaire par Trump accentue les difficultés économiques et la fuite en avant expansionniste de l’Iran, surtout après le retrait des Etats-Unis du guêpier irakien puis afghan. Avec l’élection fabriquée d’Ebrahim Raïssi, la Brigade des moeurs est restaurée.  

 

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En 2022, toutes les fractions de la population semblent réunies contre le système. Des grèves de solidarité sont déclenchées mais faute d’organisation, de programme, le mouvement va-t-il s’essouffler ? Rien n’indique pour l‘heure que le régime soit prêt à faire des concessions. Des célébrités, des artistes, sont très vite amenés à la rémission après leurs déclarations de soutien. Internet est censuré. Certes, à Berlin, la diaspora en exil a réuni 80 000 personnes venues de toute l’Europe. Ce qui reste étonnant, par rapport à l’ère précédente du tiers-mondisme et de l’internationalisme qui prévalaient en Occident, notamment dans les milieux intellectuels et étudiants, c’est l’apparente anesthésie qui les imprègne, y compris parmi les féministes.

 

Dans le même esprit, pas une voix ne s’élève pour soutenir les femmes, les jeunes qui manifestent au Soudan. Personne ne semble s’émouvoir de la disparition de l’icône Alaa Salah, cette femme tout de blanc vêtue qui haranguait la foule contre le régime islamiste, contre le régime d'Omar el- Béchir. Trois ans plus tard, là-bas, une autre icône est née pour mourir tuée d’une balle dans la tête par les militaires au pouvoir. Elle s’appelait Sihr el-Kafour. Quant à la police, elle s’en prend aux manifestants porteurs de dreadlocks, cette coiffure rastafari. Tondus, cisaillés en public, et après l’humiliation, emprisonnés. Décidément, l’alliance des mouvements syndicaux et associatifs avec les militaires, y compris avec les génocidaires du Darfour, n’était pas la solution… tout comme en Egypte, un coup d’Etat a étouffé, provisoirement ( !) les aspirations à la liberté…

 

Gérard Deneux, le 31.10.2022

 

Pour en savoir plus sur l‘histoire récente de l’Iran :

La malédiction du religieux : défaite de la pensée démocratique en Iran, Mahnaz Shirali, FB éditeur

La guerre Iran-Irak (1ère guerre du Golfe 1980-1988) de Pierre Razoux, ed. Perrin

 

Nous avons vu

Je m’énerve sur Macron

 

Le Canard Réfractaire décortique les propos de Macron lors de sa « prestation » sur France 2 le 26 octobre. Et il est très énervé. Il pointe du doigt les mensonges et postures du président qui affirme sur un ton doucereux qu’il faut protéger les plus faibles et pousser ceux qui ont plus de force… à en faire plus… Comment ? Avec la taxe sur les superprofits ? Nous  n’en saurons rien. Il parle d’un système à mettre en place pour garantir les prix des énergies pour les collectivités notamment. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait dès que les sanctions ont été prises contre la Russie, il y a plus de 6 mois ? Ses solutions ? L’emprunt sur les marchés financiers (au taux de 3% !) et le plein emploi ? Il blablate, il « macrone » en quelque sorte. Subitement,  alors qu’il ne s’est pas mis en colère contre les  entreprises du CAC 40 qui se sont gavées au 1er semestre 2022 avec plus de 70 milliards de bénéfice, il fait son grand cinéma pour dézinguer la NUPES, suite à sa motion de censure votée par le RN. Au fond, il craint un mouvement de type Gilets Jaunes et s’inquiète d’une dissolution possible… OM

Le Canard Réfractaire sur youtube

 

Nous avons lu

 

L’illusion du bloc bourgeois

Alliances sociales et avenir du modèle français

 

Les auteurs tentent une analyse théorique de la crise politique en France. Ils décrivent l’éclatement des blocs sociaux de droite et de gauche qui, depuis 30 ans, affectent les partis politiques. La présidence de Hollande signerait l’échec définitif de la tentative de concilier les aspirations populaires avec les politiques néolibérales. Les ouvriers, employés… seraient désormais sans représentation politique. Le tournant opéré depuis la 2ème gauche rocardienne contenait déjà en germe la crise politique que nous vivons. Bref, il ne faudrait pas, à juste titre, s’en tenir à des explications résidant au sein de querelles d’appareils. Certes, le tournant libéral a été accompli sous Mitterrand-Delors mais de là à considérer que l’identité du PS se serait diluée c’est un pas qu’il est difficile de franchir. Il suffit de se référer à la SFIO de la 4ème République pour saisir que cette gauche-là n’était pas celle de la transformation sociale et encore moins celle de la libération des peuples colonisés. En important des concepts gramsciens (bloc social…) tout en les cantonnant au déchiffrement des influences électorales, ce livre, bien qu’intéressant, évite la pertinence dont il aurait pu faire la preuve : le bloc bourgeois néolibéral de droite et de gauche était déjà à l’oeuvre avant l’arrivée de Macron au pouvoir. Reste à décrypter plus précisément les raisons culturelles, sociales et sociétales qui, même fragilisées, soutiennent encore le bloc bourgeois. GD

Bruno Amable, Stefano Palombarini, ed. Raisons d’agir, 2018, 10€

 

Electricité. Les prix s’emballent, jusqu’où ?

 

La France, pour produire de l’électricité, utilise majoritairement l’énergie nucléaire et peu de gaz, qu’elle importe principalement de Norvège, Russie et Algérie. La part du gaz et du pétrole dans la production d’électricité est de l’ordre de 7 %  (20 % pour l’UE). La reprise économique post-crise sanitaire a augmenté fortement la demande en électricité et les prix des énergies se sont envolés. En France, l’arrêt de 27 des 56 réacteurs nucléaires (24 y sont encore au 1er septembre) pour travaux de maintenance d’une part et d’autre part, les sanctions européennes à l’encontre de la Russie (principal fournisseur du gaz en Europe) ont fait exploser les prix, les pays européens devant se fournir ailleurs. Ces évènements liés à la conjoncture accentuent les phénomènes de hausse du prix de l’électricité mais la cause est structurelle. Elle est à relier à la création du marché européen de gros de l’électricité. Choisissant la politique du tout marché, les Etats ont abandonné leur rôle régulateur. Dès lors, les prix sont fixés par l’offre et la demande. Comment ça marche ? Quels enjeux stratégiques ? Quelles conséquences sur le développement du mix énergétique face à la crise climatique ?

 

 Comment ça marche ?

 

Le marché de l’électricité est l’aboutissement du processus d’ouverture à la concurrence et de privatisation, décidé dans les années 1990 par l’Union Européenne et les Etats qui la composent. L’entreprise publique EDF,  devenue société anonyme, est désormais en concurrence sur un marché où s’achète et se vend quotidiennement l’électricité (idem pour le gaz) (1). Ce système a été mis en place sous le gouvernement Jospin puis Raffarin, etc. Il s’agit, affirment ses défenseurs, de maîtriser les approvisionnements et de stabiliser les échanges grâce au marché « régulateur ». On en mesure, aujourd’hui, l’efficacité ( !). Les pays producteurs font la pluie et le beau temps sur le marché et peuvent ouvrir ou fermer les vannes à tout moment.

 

La reprise économique post crise sanitaire (fin 2021) puis la guerre en Ukraine (2022) ont fait s’envoler les prix de l’énergie et ont révélé la dépendance des pays européens aux hydrocarbures russes (gaz notamment), faisant « péter les plombs » à un système que personne ne contrôle. De 50€/MWh (MegaWattheure) avant la crise sanitaire, à 100€ en sept. 2021, puis à 200€ en décembre, puis à 300€ en février 2022, pour atteindre 500€ après les sanctions contre la Russie, pendant la période de sécheresse alors que nombre de réacteurs nucléaires sont à l’arrêt. Les prix sur le marché à terme ont explosé se négociant à 800€ pour la période octobre/décembre 2022, montant à 1 500€ pour les heures de pointe. La rareté renchérit les prix sur le marché européen alors que pointent l’hiver et les pénuries électriques annoncées… Et les Etats furent bien dépourvus quand la crise fut venue… Ils n’ont pas de solution alternative immédiate et suffisante pour répondre aux besoins de production, sauf à nous annoncer la fin de l’abondance et l’ère de la sobriété, en col roulé…

 

Le marché européen intégré de l’électricité cale les prix de gros sur les coûts marginaux, c’est-à-dire que le prix du marché est égal au coût de production de la centrale la plus chère de tout le réseau interconnecté européen même si la part de production de cette centrale représente une part infime de la production totale. Chaque jour l’électricité est achetée et vendue sur un marché de gros. Négocié la veille pour livraison le lendemain, le prix de gros (prix spot) est fixé en fonction du coût de production de la dernière centrale utilisée pour satisfaire la demande. Pour produire l’électricité, sont appelées en priorité les sources d’énergie les moins chères (renouvelables, nucléaire) puis à mesure que la demande augmente, les centrales à charbon et enfin les centrales à gaz, dont les coûts de production sont les plus élevés. Si une centrale gaz fournit 1 % de l’électricité du réseau interconnecté, le coût de production de cette centrale sera appliqué à 100 % sur le marché de gros.  Ainsi, si le prix du gaz flambe, par effet ricochet, dès qu’une centrale à gaz sera appelée en production, son coût s’appliquera mécaniquement à l’ensemble de l’électricité produite sur le réseau interconnecté européen même si cette électricité est produite à partir de barrages hydrauliques ou de centrales nucléaires dont les coûts sont bien plus faibles et stables. Avec ce mécanisme, les prix de gros sont incontrôlables par la puissance publique et extrêmement volatils.   

 

Les pourfendeurs du tout marché et de la financiarisation dénoncent ce système qui ne tient compte ni des besoins des populations, ni des sources et des choix d’énergie. Il ne profite qu’aux spéculateurs, considérant que l’électricité est un produit pour faire du profit. Pour les défenseurs de la planète, c’est un non-sens absolu qui aboutit à vendre de l’électricité décarbonée au prix de celle produite par une énergie fossile. Cela s’accentue car les pays dépendants du gaz russe le remplacent par du gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis, encore plus cher puisque, pour le transporter par méthanier, il faut le compresser à – 163°C, puis le décompresser à l’arrivée, dans des usines à construire au plus vite !    

 

Dans ce système, les perdants sont les consommateurs et les contribuables qui paient non pas un coût de production et de transport mais un coût de marché ! Les gagnants sont les gros acheteurs. Engie a plus que doublé son bénéfice au 2ème trimestre 2022, soit 5 milliards € et les producteurs de GNL étatsuniens sont devenus le 1er fournisseur de gaz en Europe. La flambée des prix a fait exploser les marges des producteurs d’énergies fossiles (Total Energie en tête), tout comme les transporteurs et sociétés de fret (CMA-CGM) ont engrangé des bénéfices historiques. Quant aux spéculateurs financiers internationaux, ils se frottent les mains. Tous sont satisfaits d’une Europe néolibérale qui ne faiblit pas et fonce, malgré les signaux d’alarme, vers les  catastrophes annoncées, économiques, financières, écologiques.    

 

Le gaz. Un enjeu stratégique

 

En 2019, 41 % de l’énergie importée en UE provenait de Russie (le ¼ de sa consommation totale). L’UE a besoin de 63 exajoules/an (63 milliards de milliards de joules) d’énergie brute. Elle en produit 25 par les énergies renouvelables, le nucléaire, les combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon). Elle doit donc en  importer 38 soit 60 % de ses besoins.

 

La consommation de gaz a augmenté de plus d’1/3 en Union européenne alors que sa production (Pays Bas) a baissé de 2/3. L’UE a donc accru sa dépendance au fournisseur russe. Entre 1990 et 2020, les importations de gaz naturel dans l’UE ont plus que doublé, la Russie étant, jusqu’en 2022, le 1er fournisseur de l’UE. Certains pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne ou la Hongrie ont privilégié le gaz pour remplacer le charbon et le pétrole dans leur production d’électricité pour les raisons suivantes : il est mieux réparti sur la planète que le pétrole, concentré au Moyen-Orient, sa combustion est moins polluante que le pétrole ou le charbon et jusqu’à 2021, il était peu cher. Ils ont augmenté la part du gaz dans leur mix-énergétique (encouragés par la Commission européenne l’ayant scandaleusement inclus dans les énergies « vertes ») tant pis s’il génère du CO2 et du méthane dont les gaz à effet de serre sont 28 fois plus puissants que le CO2 et s’il n’est pas renouvelable.

 

Pour l’Allemagne, 1er client de la Russie, même si elle a développé sa production d’énergies renouvelables (éolienne notamment), le gaz reste un enjeu stratégique. C’est pourquoi elle a sécurisé ses approvisionnements et s’est engagée avec la Russie dans la construction des gazoducs Nord Stream.  

 

La Russie qui dispose des plus grandes réserves mondiales de gaz (20 %), alimente par gazoduc les ex-pays du bloc de l’Est et l’Europe occidentale avec le gazoduc Yamal-Europe via la Biélorussie et le Brotherhood via l’Ukraine. Chaque pays traversé reçoit une rémunération (4 milliards€ pour la Pologne et la Slovaquie, 3 milliards pour l’Ukraine).

 

Afin de sécuriser les livraisons, la Russie n’a pas rechigné à payer 70 % des 32 milliards € pour construire 2 gazoducs acheminant directement le gaz russe en Allemagne via la mer baltique. Les compagnies gazières russe (Gazprom) et allemandes (BASF et EON) ont lancé, en 2005, le 1er gazoduc Nord Stream, 2 tubes parallèles sur 1 220 km déposés au fond de la mer entre 70 et 200 mètres de profondeur (coût 15 milliards €). Il a été mis en service en 2012. Un 2ème, Nord Stream 2, a été construit, doublant la capacité de transport (coût : 17 milliards€). Ces tracés n’ont pas été du goût de tous. Les bénéficiaires de la rente des droits de passage s’y sont opposés, craignant de perdre leur « rémunération ». D’autres pays de l’UE s’y opposèrent ainsi que les USA : Obama, par la voix de Biden son vice-président, voyait là, un « accord fondamentalement mauvais pour l’Europe ! ». Même si le ministre allemand des affaires étrangères et le chancelier autrichien en 2017 rétorquèrent que «  l’approvisionnement énergétique de l’Europe est l’affaire de l’Europe, pas des Etats-Unis d’Amérique ! Nous décidons qui nous fournit de l’énergie et comment selon les règles de l’ouverture et de la libre concurrence », nombreuses furent les attaques, menées par la Commission européenne, contre ce projet. Néanmoins, commencés en 2018, les travaux sont achevés fin 2021. En octobre, le nouveau chancelier Scholz, influencé par les rodomontades de la Commission européenne prétextant que le gazoduc ne respectait pas les directives européennes, suspend la certification de Nord Stream 2, ne permettant pas son démarrage. Et quand, le 22.02.2022, la Russie reconnaît l’indépendance du Donbass et envahit l’Ukraine, Scholz suspend définitivement la certification. Nord Stream 2 ne démarra jamais.  

 

Et comme s’il fallait en finir, voici que les deux gazoducs ont fait l’objet d’une attaque à l’explosif (500 à 700 kg) dans les profondeurs de la mer baltique, le 26 septembre 2022. L’arrivée de gaz ayant été coupée, l’eau de mer a pris la place, endommageant les parois intérieures des tubes en acier nu très sensible à l’oxydation et à la corrosion. Sans un travail colossal d’assèchement,  pratiqué avec un matériel hautement spécialisé et d’énormes moyens financiers, il est très probable que 3 lignes sur 4 des gazoducs soient définitivement perdues. Certains pensent que seul un Etat pouvait déclencher une telle catastrophe… Une enquête nous le dira peut-être un jour ?

 

Vers une dépendance énergétique états-unienne ?

 

Cet évènement majeur se situe en pleine crise d’approvisionnement en gaz entre la Russie et l’UE : le gazoduc Yamal ne transporte plus de gaz depuis mai 2022, la Pologne ayant mis Gazprom sous sanction ;  le gazoduc Brotherhood a réduit ses livraisons, l’Ukraine ayant bloqué le transit sur une de ses branches. Nord Stream 1 ne fonctionne plus depuis début septembre 2022, les Russes prétextant une fuite d’huile nécessitant une intervention technique importante. Les Etats importateurs se tournent alors vers la Norvège (qui refuse de vendre à prix modéré), vers l’Algérie qui n’a que de faibles ressources, ou encore vers le Qatar, le Royaume Uni ou les Etats-Unis. Ces derniers se sont réjouis de l’attentat : « C’est une formidable opportunité de supprimer une fois pour toutes la dépendance vis-à-vis de l’énergie russe… » selon Blinken, Secrétaire d’Etat. Les exportations de GNL sont à la hausse depuis 2015 mais les ressources sont loin d’être infinies et une forte compétition s’exerce pour acheter du gaz dont le prix reste élevé d’autant que le GNL états-unien n’est pas vendu à des prix contractuels mais au prix du marché au jour le jour. Les Etats-Unis vendent le GNL à l’UE 4 fois plus cher qu’à leurs propres industriels. « Cet « attentat énergétique » signe la fin de l’ère du gaz bon marché en Europe ».

 

Un véritable basculement géopolitique s’opère. L’UE se tourne vers les Etats-Unis, la Russie vers la Chine : le gazoduc Force de Sibérie la relie à la Chine depuis 2019 et annonce une 2ème tranche reliant la Sibérie occidentale à la Chine. En février 2022, Russie et Chine ont signé un contrat de 120 milliards de dollars sur 25 ans, vendant le gaz (celui que l’UE refuse suite aux sanctions contre Poutine) à un prix très concurrentiel. Quant à l’UE, Mme Von der Leyen déclarait le 4 février 2022 : « Notre réflexion stratégique est la suivante : nous voulons construire le monde de demain en tant que démocraties avec des partenaires partageant les mêmes idées »… et poursuivait sans sourciller… « Nous parlons avec tous, à commencer par la Norvège… mais aussi avec le Qatar, l’Azerbaïdjan  et l’Egypte »… trois démocraties bien connues !!!

 

Les populations subiront les conséquences de ces engagements décidés sans elles (ce n’est pas le débat public orchestré par Macron, de ce 27 octobre au 27 février, sur la relance du nucléaire qui va changer quoi que ce soit) : la hausse du prix du gaz et de l’électricité va s’accentuer et si Macron décide de maintenir le bouclier tarifaire, ce sont les mêmes, cette fois en tant que contribuables, qui financeront les multinationales se goinfrant de contrats plus que juteux. Les factures vont encore s’alourdir pour les usagers quand, au 30 juin 2023, les tarifs réglementés du gaz seront supprimés (aboutissement de la dérégulation de Bruxelles). Rien ne justifie les augmentations du prix des énergies sinon la politique néolibérale mortifère.

 

En conclusion, il faut souligner que les enjeux écologiques sont remis aux calendes grecques. La production de GNL va augmenter dans le monde et, en corollaire, ses dégâts environnementaux, au fil de sa production, son exploitation et son transport. On entend déjà, en France, des voix demandant la levée de l’interdiction de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste. La multiplication des centrales nucléaires est « la » solution de Macron, tout comme, en Europe, la remise en marche des centrales à charbon. Tels sont leurs remèdes pour vaincre la crise énergétique. Les dirigeants des 27, divisés, ont mis un an pour se mettre d’accord sur l’idée d’une « feuille de route » afin  « d’endiguer les prix élevés de l’énergie ». Reste à décider quelles mesures ! Inutile d’attendre d’eux une ouverture à discussion sur un modèle de société respectueux de l’Homme et de la Nature, encore moins sur la socialisation des énergies à considérer comme des biens communs. L’aveuglement des gouvernants et leur soumission à l’ordre néolibéral et financier nous mènent à la catastrophe économique, sociale et écologique. S’inquiéter ne suffit plus. Penser global et agir local, mais comment ?  

 

Odile Mangeot, le 26.10.2022

 

(1)   cf PES n° 69 EDF. Combattre Hercule et n° 77  Tarifs énergétiques, ça gaz fort

 

Source : www.elucid.media  « La fin du gaz pas cher ? » un dossier et une vidéo sur youtube

 

encart

 

 Les absurdités du système

Cette compétition déraisonnée du GNL s’illustre avec l’exemple du méthanier Hellas Diana. Parti fin novembre 2021 des Etats-Unis pour vendre son gaz en Asie, ce méthanier a finalement fait demi-tour le 20 décembre (en perdant un million de dollars de péages en repassant le canal de Panama en sens inverse) pour aller vendre son gaz… en Angleterre, où un nouvel acquéreur avait surenchéri, privant de fait l’Asie de ce gaz.

 

A La Clusaz, la ZAD l’emporte

 

Depuis le 24 septembre, des activistes occupaient illégalement le bois de la Colombière, au-dessus de La Clusaz, pour empêcher la construction d’un vaste réservoir de 148 000 m3 censé alimenter la commune en eau potable et fournir de l’eau pour la fabrication de neige artificielle à destination des skieurs. Les Zadistes espéraient tenir jusqu’au 30 novembre, date à laquelle les bulldozers n’auraient plus pu défricher le bois car c’est interdit après cette date par un arrêté de préservation de 58 espèces. Le Tribunal administratif de Grenoble en a décidé autrement le 25 octobre. Il a suspendu les travaux car « l’intérêt public qui découle de cette retenue d’eau essentiellement destinée à l’enneigement artificiel est insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite ». « Notre présence dans le bois ayant rempli sa fonction et n’étant plus nécessaire, nous plions bagage pour laisser la place au reste du vivant » ont déclaré les occupants du bois. Mission accomplie et réussie ! https://reporterre.net    

 

 

Du Royaume Uni à la Californie,

les travailleurs des plateformes s’organisent

 

Des centaines d’autoentrepreneurs travaillant pour des plateformes comme Uber ont défilé à San Francisco mi-octobre. Ils revendiquent les mêmes droits que les salariés (paiement des  heures supplémentaires, arrêts maladie, congés payés, indemnisation des accidents du travail, salaire minimum. Ils ont annoncé la création de leur syndicat : le California Gig Workers Union. Au Royaume Uni, des mobilisations successives ont eu lieu en septembre/octobre dans plusieurs villes « Just Eat, Uber Eats, Deliveroo et Amazon Flex, tous dépendent à 1000 % des chauffeurs mais ils ne veulent pas que nous ayons un syndicat ». Les grèves des coursiers dans le pays se sont multipliées.  « C’est notre rôle de construire le réseau et de l’organiser à l’échelle nationale et mondiale » affirme le président de la branche des coursiers de l’IWGB (syndicat de travailleurs indépendants britannique). https://rapportsdeforce.fr/ 

 

Assez compétents pour ces postes ?

 

Macron solde ses pantoufles :

Christophe Castaner nommé au port de Marseille,

Didier Lallement nommé secrétaire général de la mer,

Aurore Bergé nommée à France Télévision,

Jean-Michel Blanquer nommé à la direction du patrimoine,

Emmanuelle Wargon, nommée présidente de la commission de régulation de l’énergie,

Agnès Buzyn, mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui, nommée à la Cour des Comptes,

Amélie de Montchalin pressentie ambassadrice,

Florence Parly nommée à Air France…

et même Jacqueline Gourault au conseil constitutionnel !

Voici maintenant Jean Castex nommé PDG à la RATP !

et le directeur du cabinet de Brigitte Macron devient directeur au Mucem !

 

ou gratifiés pour docilité remarquée ?

 

 

 

Batterie de casseroles

Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, bras droit de Macron, accusé de conflit d’intérêts, trafic d’influence pour avoir favorisé Mediterranean Shipping Company (MSC) que sa famille dirige. Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice accusé de conflit d’intérêts pour avoir abusé de sa position pour régler des comptes avec des opposants de sa carrière juridique. L’ONG Transparency International et Anticor appellent à la démission de Dupond-Moretti mais Elisabeth Borne refuse de commenter : « La procédure est en cours ». Gros titres à la une des medias étrangers mais juste en entrefilet chez nous.

 

 

Paru dans Points de vue de Trazibule n° 229 – http://www.trazibule.fr/journal-trazibule.php

 

 

 

Krach boursier et/ou récession ?

 

Ce qui taraude les classes dirigeantes c’est cette inflation qui semble immaîtrisable. Depuis des années, en effet, les banquiers étaient préoccupés par la déflation. La faible croissance des pays centraux, hors la Chine, semblait affectée par une trop faible inflation qu’il fallait restaurer à hauteur de 2%. La crise de 2007-2008 n’a pas changé cette trajectoire : la surproduction de logements en faveur de populations, à terme insolvables (subprimes), la titrisation des titres ou dettes privées et le renflouement des banques par les Etats n’ont pas modifié la donne sauf à considérer que l’extension des dettes privées aux dettes publiques serait en soi une nouveauté.

 

En fait, la conjugaison d’une surproduction face à la capacité insuffisante d’absorption de la consommation malgré le déversement de liquidités (création monétaire) est bien à l’origine d’une inflation marquée.

 

Elle a commencé avant la fin de la pandémie de covid sous la forme d’une inflation-spéculation d’actifs financiers puis de nouveau, notamment en Chine, de crise immobilière. La crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine et les goulets d’étranglement de la circulation des marchandises suite à ce conflit (céréales…) mais également le blocage provoqué par la Chine (zéro covid), ont subitement fait surgir l’inflation dans tous les domaines.

 

La crainte de la spirale d’augmentation des prix puis des salaires, par conséquent, le retour d’une conflictualité de classe non maîtrisable conduit les banquiers centraux (BCE – FED) à tenter d’étouffer la croissance du capital en augmentant les taux d’emprunt. En tarissant ainsi le recours à l’investissement, elle interdit toute possibilité de sortie de la crise écologique. Certes, les villages fantômes en Chine, en Andalousie, sont pointés du doigt, tout comme l’excès monétaire, mais rien n’est en passe de résoudre ainsi la crise énergétique : en rien la spéculation boursière sur les marchés dérivés n’est enrayée. La valeur du pétrole, en effet, pour ne prendre que cet exemple, est 30 fois supérieure à son prix de production. Aucune disposition n’émerge pour tarir les transactions qui s’effectuent sur une vingtaine de grandes banques de la planète. Ce n’est pas l’offre et la demande qui fixent le prix mais la spéculation boursière qui l’accroît. Pire, il n’est pas question de remettre en cause les dernières décisions de l’OPEP où la Russie en connivence avec l’Arabie Saoudite ont prévu de réduire leur production de pétrole pour faire grimper encore plus le prix. Si l’énergie devient rare, tout particulièrement en Europe, la spéculation boursière ne fait que s’exacerber ainsi que la concurrence entre pays producteurs.

 

Les bulles spéculatives présentes dans différents secteurs de l’économie (technologie, énergie, immobilier) révèlent l’ampleur du divorce entre la démesure des actifs financiers et l’économie réelle. A tout moment, le marché peut s’effondrer, provoquer brutalement une correction, un effondrement des actifs financiers hors sol et, par conséquent, des banques qui en sont les supports. Et la précaution mise en place par la Commission européenne - le fonds de 50 milliards alimenté par les banques suite à la crise de 2007-2008 - ne suffira pas à absorber le choc. Les faillites engendreront des paniques et, là encore, l’assurance proclamée de pouvoir garantir à chacun 100 000€ de dépôt, quoi qu’il arrive, risque d’être contredit par la réalité.

 

Le pire est-il certain ? La politique suivie par la BCE, la FED, la banque d’Angleterre, si elle peut freiner les bulles dans certains domaines, risque de susciter une croissance négative, fragiliser encore plus les banques privées, notamment européennes, et provoquer l’effondrement de l’économie réelle. Est-ce inéluctable ?

 

Non, si les classes dirigeantes sortent de leurs croyances : l’argent n’est pas comme le poirier qui produit des poires. Il peut être, non pas un moyen de spéculer, mais une avance monétaire pour le développement d’une production satisfaisant les besoins de la population. Mais, tel  n’est pas le cas, les capitalistes sont intéressés par la réalisation de profits à court terme bien qu’à moyen et long termes, l’investissement est nécessaire. Ainsi, pour rénover les bâtiments, éviter les fuites thermiques, il faudrait, selon certains experts, 20 milliards € par an, de quoi procurer du travail et des formations (et non des délocalisations). Le budget 2023 ne prévoit que 500 millions, et encore, sous la forme « incitative » de réductions d’impôt. Bref, le temps de l’Etat interventionniste, dirigiste, est pour l’heure passé de mode. De même, une économie de sobriété, fondée sur les besoins démocratiquement partagés, semble hors de portée : réhabilitation des réseaux ferrés, réaménagement du territoire en faveur d’un réseau de petites villes densifiées, désengorgement des grandes agglomérations, relocalisation et verdissement de l’industrie et de l’agriculture, protection et lutte contre le dessèchement des forêts, redéploiement des services publics, semblent inconcevables dans le cadre de la logique du système.

 

Ne reste que les luttes pour inverser cette pente délétère et, dans l’immédiat, pour imposer le contrôle des prix sur les produits de première nécessité. Contre les affameurs et les accapareurs, il faudrait imposer comme Robespierre, la « loi du maximum ». Sans invoquer les fourches de la Révolution de 1789, le contrôle des marges indécentes des dividendes et des revenus mirobolants pourrait, pour le moins, s’imposer avant même d’aller plus loin, et ce, pour redonner confiance aux classes ouvrières et populaires dans leurs capacités à modifier le rapport de forces qui, pour l’heure, leur reste défavorable.

 

Si le pire n’est pas certain, son préambule pourrait bien n’être qu’une période de stagflation (croissance zéro ou négative et inflation) se conjuguant avec le retour de la lutte des classes où les exploités et défavorisés reprendraient l’initiative perdue depuis la fin des années 1970.

 

Serge Victor le 30.10.2022   

 

Nous avons lu…

 

Une datcha dans le Golfe

 

C’est le récit d’un journaliste qui a vécu à Bahreïn, ce pays de dictature sunnite sur un peuple de confession chiite. Par la répression, la corruption, les prébendes, il parvient  à se maintenir grâce à l’appui de l’Arabie Saoudite, ce « grand frère » qui est intervenu militairement pour mater la révolte de 2011. Dans ce pays où se construisent de faramineuses îles artificielles par une population de prolétaires, véritables esclaves modernes venus d’ailleurs, l’invraisemblable côtoie les histoires intimes. L’humour et les écoutes en cachette de Michaël Jackson se conjuguent avec les subtilités géopolitiques du Moyen-Orient, parfois rocambolesques. GD

Emilio Sanchez Médiavilla, ed. Métailié, 2022, 20€

 

Ils, elles luttent

 Grève chez Geodis : travail de galère, salaires de misère

 

La plate-forme express » du site stratégique de Geodis à Gennevilliers est bloquée depuis le 17 octobre. Sur ce site arrivent et repartent habituellement, de jour comme de nuit, à flux constant des camions chargés de colis. 90 % des caristes et manutentionnaires sont en grève, sur plus de 80 grévistes au total. « C’est un travail avec beaucoup de pression, des accidents du travail, des troubles musculo-squelettiques », « l’hiver, il fait trop froid dans l’entrepôt en tôle et l’été il fait trop chaud ». C’est à flux tendu tout le temps selon le principe qu’il ne doit pas se passer plus de 12 heures entre la commande et la livraison. Les salariés au salaire minimum d’à peine 1 400€ net demandent 150€ brut d’augmentation pour tous. Geodis, filiale de la SNCF, est le champion français et l’un des leaders mondiaux de la distribution. Elle a réalisé des performances records en 2021, avec un chiffre d’affaires de presque 11 milliards€, en hausse de 33% par rapport à 2019. La direction du groupe ferme la porte à toute négociation, alors que des fiches de paie de trois dirigeants circulent affichant des primes perçues, entre 182 000 à 304 000 €, cette année. De quoi provoquer l’indignation des grévistes. « La grève c’est le seul moyen de leur montrer que, sans nous, les colis ne seraient pas traités, que sans nous il n’y aurait pas ces résultats, cette richesse! et ces primes ! ». Au 11ème jour de grève, ils allument un brasero et voient arriver le soutien des étudiants de l’UNEF, des travailleurs d’autres luttes CGT et SUD Solidaires, des militants du NPA, des élus LFI. Ils ne lâchent pas. https://rapportsdeforce.fr/  

 

A propos de la « sortie du labyrinthe »

 

Dans le numéro précédent de PES, la réflexion proposée pour comprendre le « moment historique » qui est le nôtre, relevait la gravité de la conjonction des crises auxquelles nous sommes confrontés (climatique, financière, guerrière…). Cet article appelait à un échange et ce, dans l’optique qu’il faut comprendre le monde pour le transformer. Notre ami et poète Pedro nous a fait part de ses interrogations (voir ci-dessous) et propositions de débat auxquelles l’article ci-après tente de donner quelques réponses.

 

Pedro : « Dans le texte, deux choses me semblent manquer : une analyse sur les classes sociales aujourd’hui et la question de l’aliénation et de la puissance de manipulation des médias, le tout vu en lien avec la précarisation/ubérisation, la destruction des « collectifs de travail ». Plus généralement, il s’agit de savoir quelles classes pourront « faire la révolution ». J’ai quelques idées sans doute trop iconoclastes sur le sujet dont la première est qu’il y a eu une erreur conceptuelle quand on a considéré que la classe ouvrière (classe dominée) serait la classe révolutionnaire du socialisme ; pour moi, la classe ouvrière, comme la bourgeoisie, ont été des classes révolutionnaires qui ont fait la révolution capitaliste. On aurait confondu classe dominée et classe révolutionnaire, comme si, durant le féodalisme, on avait considéré que la classe révolutionnaire était la paysannerie (classe dominée), alors que les nouvelles classes révolutionnaires (bourgeoisie et prolétariat) se formaient à l’intérieur du système, et ce dans un long processus qui a duré quelques siècles. Je pense que pour comprendre ce que nous vivions (passage du capitalisme au ???) on aurait à apprendre de l’étude de la transition du mode romain au féodalisme, une transition de type « implosif » alors que celle du féodalisme au capitalisme aurait été de type « explosif ».   

 

Gérard. Quelles classes pourront faire la révolution ?

 

S’i l’on peut considérer que l’antagonisme de la classe ouvrière avec la bourgeoisie a façonné le système capitaliste, tel qu’il s’est développé dans l’Europe occidentale, il semble difficile de prétendre que ces deux classes ont « fait la révolution capitaliste ». En 1789, et bien après, la classe ouvrière n’était rien, à peine peut-on faire référence aux Sans Culottes… Il faut attendre 1830-1848 puis la Commune, et surtout l’apparition des luttes ouvrières sous la 3ème République, pour parler d’une classe se développant avec l’extension du capitalisme industriel.

 

L’antagonisme entre ces deux classes fondamentales est d’ailleurs à tempérer : avec le développement de l’impérialisme et de la colonisation, l’on a assisté pour le moins à un double phénomène : la colonisation de peuplement forcée (misère, bagne, répression) couplée avec des tentatives de pacification des rapports sociaux au sein des empires coloniaux (aristocratie ouvrière, développement de l’appareil d’Etat…) avant qu’ils ne s’affrontent dans des guerres meurtrières, ces considérations n’épuisant pas les caractéristiques spécifiques des formations sociales nationales. La petite paysannerie disparaît très tôt de Grande-Bretagne (enclosures, répression des vagabonds…) ce qui n’est pas le cas en France. L’Allemagne entre « trop » tardivement dans la course à la colonisation.

 

Ceci suggère qu’il est difficile, si l’on est imprégné d’une conception matérialiste de l’histoire, de s’en tenir à des catégories abstraites. Ainsi, de manière hégélienne, ou de celle du jeune Marx, l’on peut distinguer en parlant des ouvriers, des exploités, d’une classe en soi (notion que l’on pourrait réduire à une appréciation sociologique) à la classe pour soi, consciente de ses intérêts (seulement économiques, corporatistes) à la classe pour les autres, celle qui serait susceptible de « libérer l’humanité toute entière ». Ni la vision statistique, ni celle de catégories idéalistes ne permettent de produire une analyse de classe ou plus exactement du rapport de forces sociales au sein de la « société », en interaction/confrontation avec celles qui en « perturbent » le fonctionnement. Pour le dire autrement, il est difficile d’isoler la configuration des contradictions de classes (en France par exemple) de l’influence d’autres entités qui les conditionnent (Union européenne, OTAN, USA…).

 

Il y a lieu également de reléguer aux oubliettes de l’histoire une appréciation dogmatique et messianique de la classe ouvrière et ce, pour plusieurs raisons. Elle est d’une part en perpétuel renouvellement : ascension sociale, précarisation, apport de populations étrangères. D’autre part, elle est soumise à des influences qui obscurcissent la compréhension de ses propres intérêts (religion, réformisme, médias dominants…).

 

Comme la bourgeoisie a eu en son temps besoin des intellectuels, des philosophes des Lumières pour exister face à la royauté, le « prolétariat », pour prendre conscience qu’il n’a rien à perdre que ses chaînes, a besoin « d’intellectuels organiques » pour construire sa propre vision et son appréhension du monde dans lequel il est inséré. Ainsi, sous certaines conditions, il peut espérer construire sa propre hégémonie sur la société. Mais les conditions sont rarement propices ou peuvent se retourner brutalement. Ainsi, l’anarcho-syndicalisme et les partis dits ouvriers ont pris fait et cause pour l’union sacrée en 1914. En 1918, les sociaux-démocrates ont écrasé la révolution allemande et les Spartakistes, assassinant Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht…

 

Et pourtant, malgré tout, face à l’exploitation, à l’oppression raciste, sexiste, la révolte resurgit. Reste, dans la conjoncture actuelle, à faire partager des perspectives de transformations sociales et politiques matérialisées dans des organisations révolutionnaires.  

 

Mais ce n’est pas tout. La force des mouvements de protestations, de révoltes, et même les soulèvements, s’ils produisent des effets destituants, effritant la légitimité des pouvoirs en place, ne les menacent pas vraiment. Il est nécessaire, pour aller au-delà, que face à l’institué (les formes des régimes en place) qu’ils contestent, ils soient instituants. C’est dire que dans le mouvement doivent naître des comités, des conseils, des organes qui se substituent à ceux qui sont encore en place. Bref, transformer la crise politique d’effritement des forces adverses en crise révolutionnaire.

 

Quant à répondre à la question de Pedro consistant à imaginer la transition de sortie du capitalisme (implosif ou explosif) il est pour l’heure difficile d’y répondre : effondrement, guerres, révoltes, répression, montée des nationalismes d’extrême droite, retour de la lutte de classes dans les pays centraux.  La question essentielle, semble-t-il, est de savoir comment, dans le moment actuel, faire resurgir la réflexion partagée consistant :

 

- à faire renaître l’internationalisme par des mouvements antiguerre, contre les blocs impérialistes, en soutien aux luttes d’émancipation

- à faire converger les luttes ouvrières, de la jeunesse, des femmes, des « racisés »…

- à conjuguer lutte pour le climat et lutte pour la sortie du capitalisme en promouvant la réflexion sur les fondements d’une société socialiste, de sobriété énergétique, d’aménagement du territoire et de redensification des services publics de proximité, de démantèlement des concentrations urbaines invivables.

 

Toutefois, demeure un « problème » que l’on ne peut appréhender. Il surgit là où on ne l’attend guère. C’est celui de l’étincelle qui met le feu à  toute la plaine quand elle est sèche, le sujet historique imprévu, les Gilets Jaunes, les femmes iraniennes, le ticket de métro au Chili… Reste la question du « que faire ? » dans les conditions de survenue de tels mouvements pour éviter qu’ils soient dévoyés ou pire, réprimés… et comment s’y préparer.

 

GD le 30.10.2022