Krach
boursier et/ou récession ?
Ce
qui taraude les classes dirigeantes c’est cette inflation qui semble
immaîtrisable. Depuis des années, en effet, les banquiers étaient préoccupés
par la déflation. La faible croissance des pays centraux, hors la Chine,
semblait affectée par une trop faible inflation qu’il fallait restaurer à
hauteur de 2%. La crise de 2007-2008 n’a pas changé cette trajectoire : la
surproduction de logements en faveur de populations, à terme insolvables
(subprimes), la titrisation des titres ou dettes privées et le renflouement des
banques par les Etats n’ont pas modifié la donne sauf à considérer que
l’extension des dettes privées aux dettes publiques serait en soi une
nouveauté.
En
fait, la conjugaison d’une surproduction
face à la capacité insuffisante d’absorption de la consommation malgré le déversement de liquidités (création
monétaire) est bien à l’origine d’une inflation
marquée.
Elle
a commencé avant la fin de la pandémie de covid sous la forme d’une
inflation-spéculation d’actifs financiers puis de nouveau, notamment en Chine,
de crise immobilière. La crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine
et les goulets d’étranglement de la circulation des marchandises suite à ce
conflit (céréales…) mais également le blocage provoqué par la Chine (zéro
covid), ont subitement fait surgir l’inflation dans tous les domaines.
La
crainte de la spirale d’augmentation des prix puis des salaires, par
conséquent, le retour d’une conflictualité de classe non maîtrisable conduit
les banquiers centraux (BCE – FED) à tenter d’étouffer la croissance du capital
en augmentant les taux d’emprunt. En tarissant ainsi le recours à
l’investissement, elle interdit toute possibilité de sortie de la crise
écologique. Certes, les villages fantômes en Chine, en Andalousie, sont pointés du doigt, tout comme l’excès monétaire, mais rien n’est en
passe de résoudre ainsi la crise énergétique : en rien la spéculation
boursière sur les marchés dérivés n’est enrayée. La valeur du pétrole, en effet, pour ne prendre que cet exemple,
est 30 fois supérieure à son prix de
production. Aucune disposition n’émerge pour tarir les transactions qui
s’effectuent sur une vingtaine de grandes banques de la planète. Ce n’est pas
l’offre et la demande qui fixent le prix mais la spéculation boursière qui
l’accroît. Pire, il n’est pas question de remettre en cause les dernières
décisions de l’OPEP où la Russie en connivence avec l’Arabie Saoudite ont prévu
de réduire leur production de pétrole pour faire grimper encore plus le prix.
Si l’énergie devient rare, tout particulièrement en Europe, la spéculation
boursière ne fait que s’exacerber ainsi que la concurrence entre pays
producteurs.
Les
bulles spéculatives présentes dans différents secteurs de l’économie
(technologie, énergie, immobilier) révèlent l’ampleur du divorce entre la démesure des actifs financiers et
l’économie réelle. A tout moment, le marché peut s’effondrer, provoquer
brutalement une correction, un effondrement des actifs financiers hors sol et,
par conséquent, des banques qui en sont les supports. Et la précaution mise en
place par la Commission européenne - le fonds de 50 milliards alimenté par les
banques suite à la crise de 2007-2008 - ne suffira pas à absorber le choc. Les
faillites engendreront des paniques et, là encore, l’assurance proclamée de
pouvoir garantir à chacun 100 000€ de dépôt, quoi qu’il arrive, risque
d’être contredit par la réalité.
Le pire est-il certain ? La politique suivie par la BCE, la FED, la banque
d’Angleterre, si elle peut freiner les bulles dans certains domaines, risque de
susciter une croissance négative, fragiliser encore plus les banques privées,
notamment européennes, et provoquer l’effondrement de l’économie réelle. Est-ce inéluctable ?
Non, si les classes dirigeantes sortent de leurs
croyances : l’argent n’est pas comme le poirier qui produit des poires. Il
peut être, non pas un moyen de spéculer, mais une avance monétaire pour le
développement d’une production satisfaisant les besoins de la population. Mais,
tel n’est pas le cas, les capitalistes
sont intéressés par la réalisation de profits à court terme bien qu’à moyen et
long termes, l’investissement est nécessaire. Ainsi, pour rénover les
bâtiments, éviter les fuites thermiques, il faudrait, selon certains experts,
20 milliards € par an, de quoi procurer du travail et des formations (et non
des délocalisations). Le budget 2023 ne prévoit que 500 millions, et encore,
sous la forme « incitative » de réductions d’impôt. Bref, le temps de
l’Etat interventionniste, dirigiste, est pour l’heure passé de mode. De même,
une économie de sobriété, fondée sur les besoins démocratiquement partagés,
semble hors de portée : réhabilitation des réseaux ferrés, réaménagement
du territoire en faveur d’un réseau de petites villes densifiées,
désengorgement des grandes agglomérations, relocalisation et verdissement de
l’industrie et de l’agriculture, protection et lutte contre
le dessèchement des forêts, redéploiement des services publics, semblent
inconcevables dans le cadre de la logique du système.
Ne
reste que les luttes pour inverser
cette pente délétère et, dans l’immédiat, pour imposer le contrôle des prix sur
les produits de première nécessité. Contre
les affameurs et les accapareurs, il faudrait imposer comme Robespierre, la
« loi du maximum ». Sans
invoquer les fourches de la Révolution de 1789, le contrôle des marges
indécentes des dividendes et des revenus mirobolants pourrait, pour le moins,
s’imposer avant même d’aller plus loin, et ce, pour redonner confiance aux
classes ouvrières et populaires dans leurs capacités à modifier le rapport de
forces qui, pour l’heure, leur reste défavorable.
Si
le pire n’est pas certain, son préambule pourrait bien n’être qu’une période de
stagflation (croissance zéro ou négative et inflation) se conjuguant avec le
retour de la lutte des classes où les exploités et défavorisés reprendraient
l’initiative perdue depuis la fin des années 1970.
Serge
Victor le 30.10.2022