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mardi 8 novembre 2022

 

Electricité. Les prix s’emballent, jusqu’où ?

 

La France, pour produire de l’électricité, utilise majoritairement l’énergie nucléaire et peu de gaz, qu’elle importe principalement de Norvège, Russie et Algérie. La part du gaz et du pétrole dans la production d’électricité est de l’ordre de 7 %  (20 % pour l’UE). La reprise économique post-crise sanitaire a augmenté fortement la demande en électricité et les prix des énergies se sont envolés. En France, l’arrêt de 27 des 56 réacteurs nucléaires (24 y sont encore au 1er septembre) pour travaux de maintenance d’une part et d’autre part, les sanctions européennes à l’encontre de la Russie (principal fournisseur du gaz en Europe) ont fait exploser les prix, les pays européens devant se fournir ailleurs. Ces évènements liés à la conjoncture accentuent les phénomènes de hausse du prix de l’électricité mais la cause est structurelle. Elle est à relier à la création du marché européen de gros de l’électricité. Choisissant la politique du tout marché, les Etats ont abandonné leur rôle régulateur. Dès lors, les prix sont fixés par l’offre et la demande. Comment ça marche ? Quels enjeux stratégiques ? Quelles conséquences sur le développement du mix énergétique face à la crise climatique ?

 

 Comment ça marche ?

 

Le marché de l’électricité est l’aboutissement du processus d’ouverture à la concurrence et de privatisation, décidé dans les années 1990 par l’Union Européenne et les Etats qui la composent. L’entreprise publique EDF,  devenue société anonyme, est désormais en concurrence sur un marché où s’achète et se vend quotidiennement l’électricité (idem pour le gaz) (1). Ce système a été mis en place sous le gouvernement Jospin puis Raffarin, etc. Il s’agit, affirment ses défenseurs, de maîtriser les approvisionnements et de stabiliser les échanges grâce au marché « régulateur ». On en mesure, aujourd’hui, l’efficacité ( !). Les pays producteurs font la pluie et le beau temps sur le marché et peuvent ouvrir ou fermer les vannes à tout moment.

 

La reprise économique post crise sanitaire (fin 2021) puis la guerre en Ukraine (2022) ont fait s’envoler les prix de l’énergie et ont révélé la dépendance des pays européens aux hydrocarbures russes (gaz notamment), faisant « péter les plombs » à un système que personne ne contrôle. De 50€/MWh (MegaWattheure) avant la crise sanitaire, à 100€ en sept. 2021, puis à 200€ en décembre, puis à 300€ en février 2022, pour atteindre 500€ après les sanctions contre la Russie, pendant la période de sécheresse alors que nombre de réacteurs nucléaires sont à l’arrêt. Les prix sur le marché à terme ont explosé se négociant à 800€ pour la période octobre/décembre 2022, montant à 1 500€ pour les heures de pointe. La rareté renchérit les prix sur le marché européen alors que pointent l’hiver et les pénuries électriques annoncées… Et les Etats furent bien dépourvus quand la crise fut venue… Ils n’ont pas de solution alternative immédiate et suffisante pour répondre aux besoins de production, sauf à nous annoncer la fin de l’abondance et l’ère de la sobriété, en col roulé…

 

Le marché européen intégré de l’électricité cale les prix de gros sur les coûts marginaux, c’est-à-dire que le prix du marché est égal au coût de production de la centrale la plus chère de tout le réseau interconnecté européen même si la part de production de cette centrale représente une part infime de la production totale. Chaque jour l’électricité est achetée et vendue sur un marché de gros. Négocié la veille pour livraison le lendemain, le prix de gros (prix spot) est fixé en fonction du coût de production de la dernière centrale utilisée pour satisfaire la demande. Pour produire l’électricité, sont appelées en priorité les sources d’énergie les moins chères (renouvelables, nucléaire) puis à mesure que la demande augmente, les centrales à charbon et enfin les centrales à gaz, dont les coûts de production sont les plus élevés. Si une centrale gaz fournit 1 % de l’électricité du réseau interconnecté, le coût de production de cette centrale sera appliqué à 100 % sur le marché de gros.  Ainsi, si le prix du gaz flambe, par effet ricochet, dès qu’une centrale à gaz sera appelée en production, son coût s’appliquera mécaniquement à l’ensemble de l’électricité produite sur le réseau interconnecté européen même si cette électricité est produite à partir de barrages hydrauliques ou de centrales nucléaires dont les coûts sont bien plus faibles et stables. Avec ce mécanisme, les prix de gros sont incontrôlables par la puissance publique et extrêmement volatils.   

 

Les pourfendeurs du tout marché et de la financiarisation dénoncent ce système qui ne tient compte ni des besoins des populations, ni des sources et des choix d’énergie. Il ne profite qu’aux spéculateurs, considérant que l’électricité est un produit pour faire du profit. Pour les défenseurs de la planète, c’est un non-sens absolu qui aboutit à vendre de l’électricité décarbonée au prix de celle produite par une énergie fossile. Cela s’accentue car les pays dépendants du gaz russe le remplacent par du gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis, encore plus cher puisque, pour le transporter par méthanier, il faut le compresser à – 163°C, puis le décompresser à l’arrivée, dans des usines à construire au plus vite !    

 

Dans ce système, les perdants sont les consommateurs et les contribuables qui paient non pas un coût de production et de transport mais un coût de marché ! Les gagnants sont les gros acheteurs. Engie a plus que doublé son bénéfice au 2ème trimestre 2022, soit 5 milliards € et les producteurs de GNL étatsuniens sont devenus le 1er fournisseur de gaz en Europe. La flambée des prix a fait exploser les marges des producteurs d’énergies fossiles (Total Energie en tête), tout comme les transporteurs et sociétés de fret (CMA-CGM) ont engrangé des bénéfices historiques. Quant aux spéculateurs financiers internationaux, ils se frottent les mains. Tous sont satisfaits d’une Europe néolibérale qui ne faiblit pas et fonce, malgré les signaux d’alarme, vers les  catastrophes annoncées, économiques, financières, écologiques.    

 

Le gaz. Un enjeu stratégique

 

En 2019, 41 % de l’énergie importée en UE provenait de Russie (le ¼ de sa consommation totale). L’UE a besoin de 63 exajoules/an (63 milliards de milliards de joules) d’énergie brute. Elle en produit 25 par les énergies renouvelables, le nucléaire, les combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon). Elle doit donc en  importer 38 soit 60 % de ses besoins.

 

La consommation de gaz a augmenté de plus d’1/3 en Union européenne alors que sa production (Pays Bas) a baissé de 2/3. L’UE a donc accru sa dépendance au fournisseur russe. Entre 1990 et 2020, les importations de gaz naturel dans l’UE ont plus que doublé, la Russie étant, jusqu’en 2022, le 1er fournisseur de l’UE. Certains pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne ou la Hongrie ont privilégié le gaz pour remplacer le charbon et le pétrole dans leur production d’électricité pour les raisons suivantes : il est mieux réparti sur la planète que le pétrole, concentré au Moyen-Orient, sa combustion est moins polluante que le pétrole ou le charbon et jusqu’à 2021, il était peu cher. Ils ont augmenté la part du gaz dans leur mix-énergétique (encouragés par la Commission européenne l’ayant scandaleusement inclus dans les énergies « vertes ») tant pis s’il génère du CO2 et du méthane dont les gaz à effet de serre sont 28 fois plus puissants que le CO2 et s’il n’est pas renouvelable.

 

Pour l’Allemagne, 1er client de la Russie, même si elle a développé sa production d’énergies renouvelables (éolienne notamment), le gaz reste un enjeu stratégique. C’est pourquoi elle a sécurisé ses approvisionnements et s’est engagée avec la Russie dans la construction des gazoducs Nord Stream.  

 

La Russie qui dispose des plus grandes réserves mondiales de gaz (20 %), alimente par gazoduc les ex-pays du bloc de l’Est et l’Europe occidentale avec le gazoduc Yamal-Europe via la Biélorussie et le Brotherhood via l’Ukraine. Chaque pays traversé reçoit une rémunération (4 milliards€ pour la Pologne et la Slovaquie, 3 milliards pour l’Ukraine).

 

Afin de sécuriser les livraisons, la Russie n’a pas rechigné à payer 70 % des 32 milliards € pour construire 2 gazoducs acheminant directement le gaz russe en Allemagne via la mer baltique. Les compagnies gazières russe (Gazprom) et allemandes (BASF et EON) ont lancé, en 2005, le 1er gazoduc Nord Stream, 2 tubes parallèles sur 1 220 km déposés au fond de la mer entre 70 et 200 mètres de profondeur (coût 15 milliards €). Il a été mis en service en 2012. Un 2ème, Nord Stream 2, a été construit, doublant la capacité de transport (coût : 17 milliards€). Ces tracés n’ont pas été du goût de tous. Les bénéficiaires de la rente des droits de passage s’y sont opposés, craignant de perdre leur « rémunération ». D’autres pays de l’UE s’y opposèrent ainsi que les USA : Obama, par la voix de Biden son vice-président, voyait là, un « accord fondamentalement mauvais pour l’Europe ! ». Même si le ministre allemand des affaires étrangères et le chancelier autrichien en 2017 rétorquèrent que «  l’approvisionnement énergétique de l’Europe est l’affaire de l’Europe, pas des Etats-Unis d’Amérique ! Nous décidons qui nous fournit de l’énergie et comment selon les règles de l’ouverture et de la libre concurrence », nombreuses furent les attaques, menées par la Commission européenne, contre ce projet. Néanmoins, commencés en 2018, les travaux sont achevés fin 2021. En octobre, le nouveau chancelier Scholz, influencé par les rodomontades de la Commission européenne prétextant que le gazoduc ne respectait pas les directives européennes, suspend la certification de Nord Stream 2, ne permettant pas son démarrage. Et quand, le 22.02.2022, la Russie reconnaît l’indépendance du Donbass et envahit l’Ukraine, Scholz suspend définitivement la certification. Nord Stream 2 ne démarra jamais.  

 

Et comme s’il fallait en finir, voici que les deux gazoducs ont fait l’objet d’une attaque à l’explosif (500 à 700 kg) dans les profondeurs de la mer baltique, le 26 septembre 2022. L’arrivée de gaz ayant été coupée, l’eau de mer a pris la place, endommageant les parois intérieures des tubes en acier nu très sensible à l’oxydation et à la corrosion. Sans un travail colossal d’assèchement,  pratiqué avec un matériel hautement spécialisé et d’énormes moyens financiers, il est très probable que 3 lignes sur 4 des gazoducs soient définitivement perdues. Certains pensent que seul un Etat pouvait déclencher une telle catastrophe… Une enquête nous le dira peut-être un jour ?

 

Vers une dépendance énergétique états-unienne ?

 

Cet évènement majeur se situe en pleine crise d’approvisionnement en gaz entre la Russie et l’UE : le gazoduc Yamal ne transporte plus de gaz depuis mai 2022, la Pologne ayant mis Gazprom sous sanction ;  le gazoduc Brotherhood a réduit ses livraisons, l’Ukraine ayant bloqué le transit sur une de ses branches. Nord Stream 1 ne fonctionne plus depuis début septembre 2022, les Russes prétextant une fuite d’huile nécessitant une intervention technique importante. Les Etats importateurs se tournent alors vers la Norvège (qui refuse de vendre à prix modéré), vers l’Algérie qui n’a que de faibles ressources, ou encore vers le Qatar, le Royaume Uni ou les Etats-Unis. Ces derniers se sont réjouis de l’attentat : « C’est une formidable opportunité de supprimer une fois pour toutes la dépendance vis-à-vis de l’énergie russe… » selon Blinken, Secrétaire d’Etat. Les exportations de GNL sont à la hausse depuis 2015 mais les ressources sont loin d’être infinies et une forte compétition s’exerce pour acheter du gaz dont le prix reste élevé d’autant que le GNL états-unien n’est pas vendu à des prix contractuels mais au prix du marché au jour le jour. Les Etats-Unis vendent le GNL à l’UE 4 fois plus cher qu’à leurs propres industriels. « Cet « attentat énergétique » signe la fin de l’ère du gaz bon marché en Europe ».

 

Un véritable basculement géopolitique s’opère. L’UE se tourne vers les Etats-Unis, la Russie vers la Chine : le gazoduc Force de Sibérie la relie à la Chine depuis 2019 et annonce une 2ème tranche reliant la Sibérie occidentale à la Chine. En février 2022, Russie et Chine ont signé un contrat de 120 milliards de dollars sur 25 ans, vendant le gaz (celui que l’UE refuse suite aux sanctions contre Poutine) à un prix très concurrentiel. Quant à l’UE, Mme Von der Leyen déclarait le 4 février 2022 : « Notre réflexion stratégique est la suivante : nous voulons construire le monde de demain en tant que démocraties avec des partenaires partageant les mêmes idées »… et poursuivait sans sourciller… « Nous parlons avec tous, à commencer par la Norvège… mais aussi avec le Qatar, l’Azerbaïdjan  et l’Egypte »… trois démocraties bien connues !!!

 

Les populations subiront les conséquences de ces engagements décidés sans elles (ce n’est pas le débat public orchestré par Macron, de ce 27 octobre au 27 février, sur la relance du nucléaire qui va changer quoi que ce soit) : la hausse du prix du gaz et de l’électricité va s’accentuer et si Macron décide de maintenir le bouclier tarifaire, ce sont les mêmes, cette fois en tant que contribuables, qui financeront les multinationales se goinfrant de contrats plus que juteux. Les factures vont encore s’alourdir pour les usagers quand, au 30 juin 2023, les tarifs réglementés du gaz seront supprimés (aboutissement de la dérégulation de Bruxelles). Rien ne justifie les augmentations du prix des énergies sinon la politique néolibérale mortifère.

 

En conclusion, il faut souligner que les enjeux écologiques sont remis aux calendes grecques. La production de GNL va augmenter dans le monde et, en corollaire, ses dégâts environnementaux, au fil de sa production, son exploitation et son transport. On entend déjà, en France, des voix demandant la levée de l’interdiction de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste. La multiplication des centrales nucléaires est « la » solution de Macron, tout comme, en Europe, la remise en marche des centrales à charbon. Tels sont leurs remèdes pour vaincre la crise énergétique. Les dirigeants des 27, divisés, ont mis un an pour se mettre d’accord sur l’idée d’une « feuille de route » afin  « d’endiguer les prix élevés de l’énergie ». Reste à décider quelles mesures ! Inutile d’attendre d’eux une ouverture à discussion sur un modèle de société respectueux de l’Homme et de la Nature, encore moins sur la socialisation des énergies à considérer comme des biens communs. L’aveuglement des gouvernants et leur soumission à l’ordre néolibéral et financier nous mènent à la catastrophe économique, sociale et écologique. S’inquiéter ne suffit plus. Penser global et agir local, mais comment ?  

 

Odile Mangeot, le 26.10.2022

 

(1)   cf PES n° 69 EDF. Combattre Hercule et n° 77  Tarifs énergétiques, ça gaz fort

 

Source : www.elucid.media  « La fin du gaz pas cher ? » un dossier et une vidéo sur youtube

 

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 Les absurdités du système

Cette compétition déraisonnée du GNL s’illustre avec l’exemple du méthanier Hellas Diana. Parti fin novembre 2021 des Etats-Unis pour vendre son gaz en Asie, ce méthanier a finalement fait demi-tour le 20 décembre (en perdant un million de dollars de péages en repassant le canal de Panama en sens inverse) pour aller vendre son gaz… en Angleterre, où un nouvel acquéreur avait surenchéri, privant de fait l’Asie de ce gaz.