Iran. Les
mèches de la rébellion
La
jeunesse, les classes opprimées et dominées vont-elles sortir de la nuit du
cauchemar qu’elles vivent depuis bien plus de 40 ans ? Ce cauchemar c’est
celui du retour, toujours renouvelé, de l’oppression, de l’humiliation et de la
répression toujours recommencée de l’histoire tourmentée de ce pays. Jusqu’à
présent, tous les soulèvements et les aspirations dont ils étaient porteurs ont
été dévoyés. Les évènements actuels pourraient en effet tourner à la
catastrophe… Quoique !
La mèche et
la poudre
Le
16 septembre, Mahsa Amini, cette Kurde iranienne, se promenait à Téhéran. Elle eut
le malheur d’avoir une mèche rebelle dépassant de son foulard mal porté.
Arrêtée par la police des mœurs, tabassée, elle en est morte. Enterrée dans sa
région, elle a fait surgir d’outre-tombe un rugissement irrépressible de lionnes qui a gagné toutes les villes,
toutes les provinces de l’Iran. Les rues, les avenues se sont remplies de
manifestantes, vite épaulées par la gente masculine, les parents, toutes les
tranches d’âge et de conditions sociales tentant de les protéger. Tous veulent
les voir, bravaches, d’une folle audace, enlever leurs foulards, les jeter dans
les brasiers et, têtes nues, danser et danser encore…
Dans
ces manifestations, irrévérencieuses pour la mollahcratie, où les interdictions
moyenâgeuses sont bafouées, on a du mal, ici, en Occident, de mesurer l’ampleur
de la colère qui anime la jeune génération et embrase une grande partie de la
population. Elle a très vite dépassé la question du voile pour se muer en
déferlante de colère contre le régime. Elle exprime « la haine que nous avons de vous » contre toutes les « discriminations sexistes, ethniques,
économiques ». Et bien qu’elles soient tabassées, gazées, arrêtées,
incarcérées, tuées, les slogans sont sans relâche proférés : « Je me bats, je meurs, je récupère
l’Iran », « C’est l’année
du sang, l’ayatollah sera renversé ».
Déjà
plus de 250 morts dont de nombreux enfants, plus de 350 blessés recensés,
4 300 arrestations. Et toujours plus de symboles de révolte, comme Nika
Shakarami, 16 ans, tuée pour avoir dansé ou Asra Panani, poursuivie dans son
école, frappée, plongée dans le coma avant de décéder.
Après
le 19 septembre, jour après jour, les manifestations se succèdent malgré la
répression policière et parfois les tirs à balles réelles. Le pouvoir, d’abord
pris de court, a l’intention d’intensifier encore la répression car il en va de
la survie du pouvoir théocratique. Les gardiens militaires du régime sont-ils
prêts à s’y substituer ?
La
poudre hautement inflammable
1979, le soulèvement contre la dictature du Shah d’Iran, imposé par les Etats-Unis, constitue une mobilisation
qui puise ses ressources contre le « modernisme » imposé et la police
politique réprimant toutes les oppositions. La religion chiite est invoquée
comme un retour aux sources de l’Empire mais dès février 1979 le pouvoir khomeiniste s’impose. Le 8 mars
1979, des manifestations de femmes, certes minoritaires, scandent, avant d’être
réprimées : « Ni foulards,
ni coups de poing ». Même si la législation religieuse n’est pas
toujours intégralement appliquée, elle s’impose : décapitation pour un
soupçon de flirt, lapidation pour délit d’adultère pour une femme mariée,
dépucelage pour les condamnés à mort, perte des droits de garde des enfants en
cas de divorce de la femme. Celles-ci ne peuvent voyager sans l’autorisation de
leur mari. En revanche, les hommes peuvent épouser jusqu’à 4 femmes à la fois…
Bref, les femmes ostracisées, sont considérées comme une sous-humanité.
La
guerre contre l’Irak, la martyrologie viriliste et patriotique qu’elle va
représenter, enfouira toutes les aspirations sociales et sociétales. La
répression sera systématique contre des milliers d’opposants, y compris les
alliés de Khomeiny qui avaient tenté de conjuguer marxisme et religion. Ils vont
être impitoyablement éradiqués.
Paradoxe,
les sanctions américaines contre le régime vont le renforcer, lui conférer une
teinture anti-impérialiste, un masque
moderniste dans sa lutte contre l’Etat islamique. Son expansionnisme en
Irak, en Syrie, au Liban, son alliance avec la Russie, sont autant d’éléments
qui semblaient lui assurer une sorte de pérennité. Mais, au fil du temps et
dans sa recherche de puissance régionale, l’Iran a connu de nombreux
bouleversements. Dans ce pays de 85 millions d’habitants, urbanisé à 80 %,
Téhéran (comme d’autres villes à un moindre degré) compte désormais 10 millions
d’habitants. Féru de sciences, de technologies, le régime a développé les
universités qui comptent 4 millions
d’étudiants dont… 60 % d’étudiantes…
n’ayant pas accès aux emplois qu’elles pourraient occuper. Explosif ?
Dans
le même mouvement, les populations sont de moins en moins religieuses. Le
régime se maintient par un encadrement encore plus répressif depuis l’élection
de Raïssi. Police religieuse,
gardiens armés de la mollahcratie, corruption généralisée, privatisation des
entreprises publiques et accaparement des entreprises privées au profit des
militaires et de la police… Cette concentration des richesses et des prébendes au
profit d’oligarques fait penser au régime égyptien. Le pas pourrait être
franchi vers la dictature militaire au vu de la sclérose et la perte de
légitimité des religieux. La nouvelle génération, celle du contournement de la
censure et d’internet, celle qui affirme « nos souffrances sont devenues plus fortes que la peur », celle
qui reste sans programme, sans organisation, peut-elle se frayer un chemin
contre la dictature pour la dignité et la liberté revendiquées ?
Sortir des
années de cauchemar ?
A
part de brèves éclaircies, l’histoire de l’Iran pour son peuple est un
cauchemar sans cesse renouvelé. L’empire perse, puis l’Iran, ne furent pas
colonisés mais subirent très tôt l’influence et la pénétration de l’impérialisme
anglais et de la Russie tsariste avant la 1ère guerre mondiale. Le
moment de la monarchie constitutionnelle fut vite circonscrit, la dictature du
shah restaurée. La modernisation reprit son cours après la 2ème
guerre mondiale. Nationaliste, royaliste, Mossadegh
nationalisa le pétrole iranien, expulsa les Anglais. Les Etats-Unis, intéressés,
vont venir à la rescousse, organisant un coup d’Etat, et réinstallent le shah
d’Iran sur son trône, un régime de terreur dont le bras armé, la Savak, police politique, est pilotée
par des conseillers états-uniens.
Les années 60-70 sont marquées par une opposition grandissante. Mais
le parti Toudeh qui se revendiquait du communisme orthodoxe, celui qui
ne s’est pas résolu à soutenir fermement le régime de Mossadegh, est
pratiquement anéanti, tout comme les
organisations syndicales. Une fraction de la jeunesse politisée va, dès lors,
tenter de conjuguer marxisme, religion et tiers-mondisme en recourant à la
lutte armée. Sa répression fut impitoyable. Ne restaient plus que les religieux
et Khomeiny. Les alliances qui furent tissées avec eux furent un baiser avec le
diable.
La
guerre Iran-Irak (1980-1988) qui fit des millions de morts et le repli desdits
Moudjahidines du peuple dans ce pays ennemi, conduisirent à leur quasi disparition
en Iran. Ceux qui subsistent sont déconsidérés et vivent en secte, en exil.
La
chape de plomb qui s’est ensuite
abattue sur le pays va progressivement se fissurer. En 2009, l’élection frauduleuse, « volée », d’Ahmadinejad, est contestée. Les
manifestants, nombreux, qui s’inscrivent dans la volonté de réformer/libéraliser
le système, appellent déjà à la dissolution de la Brigade des moeurs. Ils sont
essentiellement issus de la moyenne bourgeoisie. Ils furent rapidement
réprimés.
20717-2018. Les manifestations
changent de nature. Les rues conspuent le gouvernement
« incapable » de lutter contre
la vie chère. Les sanctions occidentales, et tout particulièrement
états-uniennes, en sont la cause. Avec le gouvernement Rohani et l’accord sur le
nucléaire, le régime semble s’assouplir, quoique la répression touche les
journalistes, les écrivains, les dissidents qui franchissent la ligne noire
cléricale. En 2019, des manifestations d’ampleur contre
l’augmentation des prix dans un contexte de crise économique, mobilisent les
classes populaires, particulièrement dans les banlieues pauvres. Elles s’en
prennent au symbole du système répressif. La police, l’armée tirent à balles
réelles : 1 500 morts sont dénombrés. La petite et moyenne
bourgeoisie semble indifférente.
La
dénonciation des accords sur le nucléaire par Trump accentue les difficultés
économiques et la fuite en avant expansionniste de l’Iran, surtout après le
retrait des Etats-Unis du guêpier irakien puis afghan. Avec l’élection fabriquée
d’Ebrahim Raïssi, la Brigade des moeurs
est restaurée.
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En 2022, toutes les fractions de la population semblent
réunies contre le système. Des grèves de solidarité sont déclenchées mais faute
d’organisation, de programme, le mouvement va-t-il s’essouffler ? Rien
n’indique pour l‘heure que le régime soit prêt à faire des concessions. Des
célébrités, des artistes, sont très vite amenés à la rémission après leurs
déclarations de soutien. Internet est censuré. Certes, à Berlin, la diaspora en
exil a réuni 80 000 personnes venues de toute l’Europe. Ce qui reste
étonnant, par rapport à l’ère précédente du tiers-mondisme et de
l’internationalisme qui prévalaient en Occident, notamment dans les milieux
intellectuels et étudiants, c’est l’apparente
anesthésie qui les imprègne, y compris parmi les féministes.
Dans
le même esprit, pas une voix ne s’élève pour soutenir les femmes, les jeunes
qui manifestent au Soudan. Personne
ne semble s’émouvoir de la disparition de l’icône Alaa Salah, cette femme tout de
blanc vêtue qui haranguait la foule contre le régime islamiste, contre le
régime d'Omar el- Béchir. Trois ans plus tard, là-bas, une autre icône est née
pour mourir tuée d’une balle dans la tête par les militaires au pouvoir. Elle
s’appelait Sihr el-Kafour. Quant à la police, elle s’en prend aux manifestants
porteurs de dreadlocks, cette coiffure rastafari. Tondus, cisaillés en public,
et après l’humiliation, emprisonnés. Décidément, l’alliance des mouvements
syndicaux et associatifs avec les militaires, y compris avec les génocidaires
du Darfour, n’était pas la solution… tout comme en Egypte, un coup d’Etat a
étouffé, provisoirement ( !) les aspirations à la liberté…
Gérard
Deneux, le 31.10.2022
Pour
en savoir plus sur l‘histoire récente de l’Iran :
La malédiction du religieux : défaite
de la pensée démocratique en Iran, Mahnaz
Shirali, FB éditeur
La guerre Iran-Irak (1ère
guerre du Golfe 1980-1988) de Pierre
Razoux, ed. Perrin