Clim’
Actions
Ce
25 aout 2022, la province chinoise connaît une sécheresse provoquée par les
pires vagues de chaleur que le monde a connues depuis les premières mesures de
températures. Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres à l’ouest, le
Pakistan vit un excès de précipitations qui a engendré des inondations
meurtrières. Ces événements sont une preuve manifeste de la nouvelle réalité
climatique dans laquelle nous vivons. Jamais les dangers du réchauffement
climatique n’étaient apparus avec une clarté aussi terrifiante. Pourtant, en
matière d’action internationale, nous régressons à de multiples égards. Voilà
plus d’un an que les représentants de près de 200 pays se sont réunis pour la
COP26 à Glasgow et les engagements phares n’ont pas été tenus. Mais reste-t-il
un peu de place pour un brin d’optimisme ?
Moyen-Orient
au vert
Selon
un rapport publié par ONU Climat,
l’Egypte et les Emirats Arabes Unis font partie des 26 pays qui ont mis à jour
leurs objectifs climatiques, conformément aux promesses qui avaient été faites
à la COP26. On reste très loin des besoins pour contenir le réchauffement à
1,5°C d’ici la fin du siècle mais c’est un virage à 90 degrés par rapport au
passé. Dans les années 1990, l’Arabie Saoudite bloquait systématiquement toute
action sur le changement climatique. Les représentants saoudiens siégeant au
sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)
mettaient en doute le consensus scientifique sur le réchauffement climatique.
Or,
la décennie qui vient de s’écouler a vu le Moyen-Orient se tourner vers les
technologies renouvelables et se préoccuper d’environnement. Aujourd’hui, l’Arabie
Saoudite et d’autres grands pays producteurs de pétrole « ne contestent plus la réalité scientifique »,
constate Michael Oppenheimer, ingénieur en sciences de la Terre et chercheur
climatique à l’université de Princeton. Dans les pays tributaires des revenus
du pétrole, ce revirement s’explique par la nécessité de diversifier leur
économie face à la contraction à venir de la demande, mais aussi d’utiliser les
énergies renouvelables pour répondre aux besoins d’une population croissante
tout en conservant des énergies fossiles pour l’exportation. « La région subit en ce moment des vagues de
chaleur extrême qui ont sans doute contribué à la prise de conscience »
d’après Mia Moisio, chercheuse spécialiste des politiques climatiques.
Sur
le front de l’environnement, les Emirats Arabes Unis (EAU) accueillent
notamment le siège de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables
(Irena), le projet écologique phare d’Abou Dhabi. En octobre, les EAU sont
devenus par ailleurs le premier pays arabe à s’engager à atteindre la
neutralité carbone à l’horizon 2050. Le Qatar a annoncé quant à lui qu’il
allait, à l’horizon 2030, réduire ses émissions de 25% et créer son premier
ministère du Changement climatique. Israël et la Turquie ont annoncé l’un et
l’autre des objectifs de neutralité carbone d’ici à mi-2050.
Pour
l’heure, on manque de précision sur la manière dont ces pays comptent tenir
leurs objectifs climatiques. Le gouvernement émirati et saoudien ont déclaré
qu’ils investiraient respectivement 600 et 700 milliards de dirhams (environ
155 et 177 milliards d’euros) dans les énergies propres et renouvelables d’ici
à 2050. Selon Bloomberg New Energy
Finance, un cabinet de conseil implanté à New York, le montant global des
investissements dans les énergies renouvelables au Moyen-Orient a été multiplié
par sept en dix ans, passant de 912 millions à 6,9 milliards de dollars en 2021.
A brève échéance, les pays de la région misent surtout sur le solaire, l’éolien
et l’hydroélectricité pour atteindre leurs objectifs climatiques.
Bilan
négatif donc positif
Trois
pays absorbent plus de gaz à effet de serre qu’ils n’en émettent : le Panama,
le Surinam et le Bhoutan. Ce dernier se révèle même prêt à sacrifier son
économie pour préserver ses forêts et privilégier l’utilisation des énergies
renouvelables, qui limitent les émissions de gaz à effet de serre. La
principale industrie du Bhoutan est le tourisme. Le gouvernement a fixé a
environ 200 dollars par nuitée –contre 65 auparavant - la taxe de développement durable qui s’applique aux
visiteurs étrangers. Cette augmentation a pour objectif la préservation de
l’environnement. En dépit de l’inquiétude de certains professionnels du
tourisme, le ministre des Affaires économiques a affirmé : « La protection de l’environnement à long
terme est plus importante que l’économie ».
Cela
fait cinquante ans que cet Etat est engagé dans la voie d’un bilan carbone
négatif, depuis l’entrée en fonction du quatrième roi du Bhoutan. Ce roi avait
interdit toute déforestation à des fins commerciales. En outre, la
Constitution, établie en 2008, exige que les forêts couvrent au moins 60% du
territoire. Par ailleurs, l’électricité du pays est issue de l’énergie
hydraulique, qui n’émet pas de gaz à effet de serre, et des actions sont en
cours pour favoriser l’agriculture biologique. Ces mesures de lutte contre le
dérèglement climatique vont au demeurant de pair avec la création d’emplois
pour l’entretien des forêts. De plus, la préservation de la nature est un
facteur essentiel pour attirer des touristes.
Offensive
judiciaire
Brianna
K (surnommée Ku), 15 ans, et 13 autres jeunes lancent une action en justice
contre l’Etat d’Hawaii, au motif que les pouvoirs publics n’ont pas protégé
leur droit constitutionnel à un environnement sain et non pollué. La plainte,
déposée en juin et appuyée par deux associations américaines, Our Children’s Trust et Earthjustice, reproche au ministère des
Transports hawaïen de privilégier les véhicules à moteur thermique aux
transports en commun. Leur objectif est de contraindre le ministère à atteindre
la neutralité carbone d’ici à 2045.
Ne
serait-ce que depuis 2020, près de 500 procédures judiciaires liées au
changement climatique ont été lancées dans le monde, selon un rapport de
l’Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et
l’environnement. La majorité de ces actions présente le dérèglement climatique
comme un problème à venir c’est-à-dire qu’ils contestent les stratégies et
objectifs gouvernementaux en matière de CO2 ou accusent le secteur des énergies
fossiles et les industries polluantes de désinformer ou de réduire trop
lentement leurs émissions.
Ku
et son groupe, comme beaucoup d’autres ces derniers temps, s’y prennent
autrement : ils dénoncent les répercussions des émissions de CO2 à Hawaii
sur leur droit à la culture et à des moyens de subsistance à l’avenir, mais ils
intentent également un procès au titre des dommages qui ont déjà eu lieu. En 2008, les habitants de Kivalina, un
village autochtone en Alaska, ont attaqué en justice ExxonMobil et d’autres
entreprises pour les préjudices subis. La plainte a été classée sans suite car
la juge du district a écrit qu’il s’agissait d’une question politique et non
juridique. Le dernier recours, soumettre l’affaire à la Cour suprême des
Etats-Unis, a également échoué.
Mais
entre 2008 et 2022, les juges de certaines juridictions ont progressivement
admis que les victimes des pires effets du dérèglement climatique avaient le
droit de présenter leurs arguments à la justice. Et les scientifiques ont
amélioré leur capacité à établir un lien direct entre des phénomènes concrets
et le réchauffement de la planète. Ainsi le dérèglement climatique a accentué
d’au moins 30% le risque des feux incontrôlés, catastrophiques, en Australie en
2019 et 2020. Il a exacerbé les pluies torrentielles en Afrique du Sud. Il a
aussi amplifié une longue canicule en Inde et au Pakistan qui a tué des
dizaines de personnes et anéanti les récoltes.
C’est
dans ce contexte que Ku et d’autres vont de l’avant. La plainte contre le
ministère des Transports hawaïen n’a été déposée qu’en juin 2022, mais pendant
ce temps, à 7 500 kilomètres au sud-ouest de l’archipel américain, les
habitants des îles du détroit de Torres étaient engagés dans une bataille
comparable. Le niveau de la mer autour de cet archipel augmente de six
millimètre par an, c’est le double de la moyenne mondiale. Les insulaires se mobilisent
depuis des années. En septembre, le Comité des droits humains des Nations Unies
leur a donné raison et déclaré qu’ils devraient être indemnisés.
Décroissance
verte
Le
thème de la croissance verte est repris un peu partout en vue de surmonter les crises
« Mais ça ne suffit pas »
estime Kohei Saito, maître de conférences en économie politique et auteur de Le Capital à l’époque de l’Anthropocène.
Le Covid a mis en évidence que les principes du marché ne permettent pas de
surmonter les crises et l’Etat doit intervenir. « Ce dérèglement (climatique) nous imposera, à long terme, un changement
radical de mode de vie. Il faudra considérer de concert la dégradation de
l’environnement et les inégalités économiques ». Il propose d’aller
vers une croissance faite de mesures vertes qui amélioreraient la situation
économique, créeraient de l’emploi et des produits plus respectueux de
l’environnement. Il faut changer nos façons de travailler et de consommer. Mais
c’est impossible en laissant faire le marché. Cela ne peut se réaliser que si
la société l’impose. « Ce que je
propose, c’est un pacte vert sans croissance. Les innovations technologiques se
poursuivraient mais la production n’augmenterait pas. Chacun verrait son temps
de travail réduit. »
Dans
une société qui ne se base pas sur la croissance, il devient indispensable que
la petite enfance, l’éducation et le soin, tous les domaines essentiels à la
vie, ne dépendent plus du marché. L’école, l’hôpital, l’habitat constituent un commun, une richesse universelle. Et la
notion de commun peut progressivement
s’élargir jusqu’à pouvoir garantir à chacun de ne pas avoir à s’épuiser au
travail pour subvenir à ses besoins de base, que la société « considère avec sérieux les choses
essentielles ».
Stéphanie
Roussillon
Source :
Hors-série de Courrier international « Climat le temps de l’action »