Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 1 avril 2019


Les espoirs du peuple d’Algérie
 (éditorial de PES n° 52)

Tous les commentateurs et partisans de l’ordre et de la stabilité prétendaient que le peuple algérien n’avait pas la capacité de se mobiliser après la « décennie noire » (1991-2000) le laissant traumatisé : disparitions, massacres de la population civile organisées à la fois par les groupes terroristes se réclamant de l’islam et par l’armée et ses services de sécurité, infiltrant pour les manipuler, les groupes armés.

Et pourtant, n’en pouvant plus de ce système dictatorial et opaque qui leur est imposé, les Algériens ont saisi opportunément la décision loufoque du grabataire Bouteflika de se représenter à l’élection présidentielle. Du jamais vu depuis l’indépendance de 1962. Depuis le 22 février, chaque vendredi, jour de week-end, ils descendent dans les rues par centaines de milliers, toutes classes d’âge confondues et de plus en plus nombreux. Pour l’heure, face à ce raz-de-marée, les forces répressives et leurs commanditaires, tétanisés, furent contraints d’adapter une attitude conciliante tout en préservant les lieux de pouvoir. Après s’être tu, l’aphasique et impotent Boutef fit savoir que, suite à sa réélection (son mandat se termine le 22 avril), il convoquerait une conférence nationale puis se retirerait pour qu’en réalité rien ne change. Pas dupes, les Algériens ont intensifié leurs mobilisations : c’est la caste au pouvoir dans ses différentes composantes qui est visée. « Qu’ils dégagent tous », « on ne lâche rien », « la désobéissance de chacun est un devoir national ».

Les 4 pôles du pouvoir semblent se diviser, ces « voleurs du peuple » qui, jusqu’ici, ont tout fait pour sauvegarder leurs intérêts. Rivaux mais d’accord pour préserver la « stabilité », la cohabitation de l’état-major de l’armée, les services dits de sécurité, la présidence et ses conseillers et, dernier venus, tous les affairistes proches du frère du président Saïd Bouteflika. Tous ces clans à la fortune bien étoffée cherchent à gagner du temps.   

Puis, après avoir traité les manifestants « d’égarés », « manipulés », le général Ahmed Gaïd Salah leur a décerné un brevet de « civisme inégalé ». Ce fidèle de Boutef, l’abandonnant, entend sortir de la crise afin que « le système se succède à lui-même ». Son injonction à la Cour constitutionnelle, acquise au régime, de déclarer « l’état d’empêchement » du mort-vivant ne peut faire illusion. Mustapha Bouchachi, président de la Ligue des Droits de l’Homme l’assure : « Les Algériens n’accepteront pas cette solution », la transition pilotée par l’armée. Il s’agit d’éviter un vide institutionnel qui pourrait fracturer l’Etat. En préconisant un intérim sous la houlette du président du Conseil de la nation (Sénat), puis de réunir les deux chambres afin qu’elles ratifient à la majorité des 2/3 la décision de la Cour Constitutionnelle et, ensuite, 3 mois après d’organiser des élections présidentielles pour désigner un nouveau chef des clans, cette « maffia au pouvoir », condamnée par les manifestants, espère se perpétuer.

Mais, c’est bien tout le système de prédation, fondé sur le partage et l’accaparement de la rente pétrolière et sur le capitalisme de connivence oligarchique, qui provoque la colère du peuple.

Sans pouvoir disposer, pour le moment, de forces politiques enracinées en son sein et porteuses d’un projet de transformation sociale, le peuple peut-il s’opposer à la solution dramatique d’un coup d’Etat à l’égyptienne ? Peut-il repousser les récupérations islamistes qui font polémique et les tentatives du RCD, ce parti allié du pouvoir, de se présenter comme seul recours ? Sûr que le peuple apprend très vite dans l’action. Il sait que ce régime a pillé (il n’y aurait plus d’argent dans les caisses) les ressources du pays ; il connaît l’ampleur des inégalités, la réalité de la pauvreté ; il sait que la crise économique qui se profile et la crise politique dans laquelle est enfermé le pouvoir, lui suggèrent d’intensifier son action. Tout est possible.

Solidaires, quoiqu’il advienne, nous devons soutenir le peuple algérien. Ses aspirations confisquées peu après l’indépendance, cette histoire de la mainmise de l’armée, et des péripéties dramatiques qui ont suivi, nous incite à mieux saisir ses tourments pour faire preuve d’un internationalisme éclairé. Nous y reviendrons dans notre prochain numéro.

GD, le 29.03.2019