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dimanche 6 décembre 2020

 

Les Nouvelles Routes de la Soie

 

L’article de Jean-Louis, ci-après, pose indirectement la question de l’analyse de l’expansionnisme commercial de la Chine et de la nature actuelle de son régime. Dans l’idéologie dominante, on identifie les différentes périodes de l’histoire de la Chine, comme si elles évoluaient forcément sur un même modèle. En fait, l’histoire de la Chine est marquée par des luttes intenses entre différentes conceptions et une volonté de se démarquer de l’Union soviétique. Il serait intéressant de rappeler à la fois la distance prise par Mao Tsé-toung dès l’origine de la création du parti communiste chinois, en prétendant qu’il était impossible de passer par une étape capitaliste, comme le défendait Staline en soutenant le Kuomintang (période de Sun Yat-sen),  du fait même de la nature de la bourgeoisie chinoise compradore, liée aux intérêts étrangers. Il a été ainsi amené à construire la théorie de la guerre populaire qui fut reprise ensuite par les Vietnamiens… ; en 1949, c’est le modèle russe qui s’imposa provoquant une mise en minorité de Mao Tsé-toung  puis son retour avec les périodes successives des Cent fleurs, des Communes populaires puis de la Révolution culturelle qui aboutiront à des échecs et à un retour d’un modèle de capitalisme d’Etat mixte, avec ouverture aux investissements étrangers.  Le tournant fut opéré par Den Xiao Ping et la répression qui s’ensuivit, place Tienanmen.

Par ailleurs, la montée en puissance de la Chine actuelle pose la question des rapports de forces mondiaux, après les échecs successifs de l’impérialisme états-unien d’imposer une libéralisation sauvage dans l’ex-URSS, ce qui a produit une reprise en main nationaliste avec Poutine. De même, l’affaiblissement des Etats-Unis, suite aux guerres au Moyen-Orient, ainsi que la prédominance mondiale du néolibéralisme, sont des facteurs d’accroissement des tensions.  

Ce qui est nouveau dans la période, c’est la volonté des dirigeants chinois d’accroître la vitesse de la circulation de leurs capitaux et de leurs marchandises en installant des infrastructures dans nombre parties du monde. L’une des conséquences est l’accroissement de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine qui peut déraper à tout moment. GD.

 

 

 

Ce projet connu aussi sous le nom de « Belt and Road Initiative » (une ceinture, une route) est le plus grand projet d’investissement de l’histoire avec, pour commencer un investissement de 1 000 milliards de dollars sur 10 ans. Il a été lancé en 2013 par Xi Jinping, le Président (à vie depuis 2018) de la République Populaire de Chine. L’objectif gravé dans la Constitution chinoise est de construire

 

« Une Communauté de Destin pour l’Humanité »

 

Sous cette appellation humaniste, il s’agit en fait d’un gigantesque business : constructions de voies ferrées, routes, ports, aéroports, centrales électriques… visant plus d’une centaine de pays sur tous les continents. A titre d’exemple, la construction du métro à Belgrade en Serbie, à Bogota en Colombie, une ligne de chemin de fer Djibouti- Addis-Abeba et pour donner une idée de l’importance des travaux :

 

Un corridor économique sino-pakistanais

Son but est de relier l’Est de la Chine au Port pakistanais de Gwadar : Il se compose d’un agrandissement du port pour accueillir les pétroliers et autres navires de grands gabarits, un hôpital sino-pakistanais, un nouvel aéroport, une usine de dessalement de l’eau de mer, une voie de 2500 kms comprenant une autoroute à 6 voies, une voie de chemin de fer, un pipeline, un oléoduc, la fibre optique et plusieurs centrales électriques à charbon. Le but économique est de permettre dans un sens la circulation rapide des produits chinois vers les pays du Golfe et dans l’autre sens la circulation du gaz et du pétrole venant de ces mêmes pays, nécessaire à la croissance chinoise. Autre exemple qui nous concerne plus directement :

 

La liaison ferroviaire et routière entre la Chine et l’Europe

 

Actuellement les produits chinois, de plus en plus souvent fabriqués à l’intérieur du pays, doivent déjà rejoindre par le train les grands ports de la côte Est puis, par bateau, traverser la mer de Chine, le détroit de Malacca, la mer Rouge, le canal de Suez, la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar pour rejoindre les grands ports du Nord de l’Europe (Le Havre, Rotterdam, Hambourg). Ce voyage dure presque 2 mois.

Certains produits rejoignent actuellement l’Europe par le rail en passant par le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Russie... Chaque trajet durant plus de 15 jours nécessite trois transbordements car l’écartement des rails change selon les pays traversés et coûte beaucoup plus cher que les trajets en bateau ; donc, est prévue :

 

La construction d’une voie rapide,

 

voie ferroviaire doublée d’une autoroute, les deux, à grande vitesse, sur 11 000 kms. La partie kirghize est déjà construite « à la chinoise » ; le Kirghizistan étant en grande partie un désert extrêmement venté, les Chinois ont donc construit le long de cette voie de nombreux parcs éoliens, par exemple celui de Dabancheng : 84 kms de long, 30 de large. Ils sont couverts d’éoliennes, au début, elles ont été achetées à une entreprise allemande que la Chine a finalement réussi à racheter. Elle est maintenant

 

le numéro 1 mondial pour la construction d’éoliennes.

 

Cette ouverture de la Chine vers l’Europe par cette voie terrestre n’est pas encore rentable financièrement mais elle pourrait le devenir rapidement si, par exemple, les tensions militaires en mer de Chine perturbaient le trafic maritime. Une telle éventualité est possible si Pékin concrétisait par exemple ses menaces militaires à l’encontre de Taïwan.

 

Tous ces grands travaux permettront à la Chine d’utiliser au mieux les trois surplus fondamentaux du pays :

-        surplus de devises dues aux excédents commerciaux qui serviront à financer les projets

-        surplus de productions chinoises (ciments, aciers qui seront consommés dans ces travaux)

-        surplus de main d’œuvre qui sera utilisée pour la réalisation de ces travaux

 

Les milliards investis dans ces Nouvelles Routes de la Soie profitent, en grande partie, aux entreprises d’Etat chinoises. Loin de suivre les règles du commerce international, les appels d’offres sont souvent biaisés, voire inexistants.

Ces cadeaux faits aux pays souvent « en voie de développement » peuvent, dans un premier temps, paraître attractifs, les gens de Bogota peuvent prendre le métro. Mais c’est avant tout le moyen pour la Chine de se placer dans ces pays et d’y importer le modèle sociétal et idéologique chinois avec tout ce que cela implique, et là certains risquent de déchanter.

 

En Chine, pas de syndicats libres, seulement des syndicats d’entreprises à la botte du Parti Communiste. Pas de droit de grève (retiré de la Constitution en 1982). Ceux qui osent braver le pouvoir chinois le paient très cher : arrêtés, emprisonnés, licenciés, massacrés comme à Tienanmen, et récemment à Hong Kong. 

 

La loi prévoit 50 heures de travail par semaine mais quasiment tous les ouvriers travaillent selon la formule du 996, c’est-à-dire de 9 h du matin à 9 h du soir, 6 jours par semaine. Les ouvriers sont fortement incités à accepter ces heures supplémentaires (cf paragraphe suivant)

Jack Ma ex-patron d’Ali Baba, l’Amazone chinois, considérait que c’est « une bénédiction pour ces salariés de travailler 72 h par semaine ». 

 

En Chine, les gens sont notés par le Comité de quartier, selon leur « civisme » et leurs comportements. Les « bons » citoyens peuvent voyager à l’intérieur de la Chine, les « très bons » ont le droit de voyager à l’international (13% de la population), les « mauvais » citoyens ont le droit de ... rester chez eux ! Ce sont ces mêmes Comités de quartier qui, à Wuhan ont contrôlé pendant 72 jours la population qui n’avait pas le droit de mettre un pied en dehors de leur appartement.

 

En Chine, plus de 600 millions de caméras à reconnaissance faciale sont installées (même le masque n’empêche pas l’identification de la personne). Les nouveaux appartements sont équipés de nouvelles serrures électroniques qui transmettent directement à la police les heures de départ et d’arrivée des occupants...

 

En Chine, il était interdit à partir de 1980 d’avoir plus d’un enfant. Un demi-million de fonctionnaires étaient chargés de surveiller l’application de cette loi. Si la naissance d’un second enfant était constatée, les parents payaient une forte amende... En 2013, les couples dont l’un des conjoints est lui-même un enfant unique sont autorisés à avoir 2 enfants. En 2015, l’autorisation est étendue à tous les couples mariés.

 

En Chine mieux vaut ne pas faire d’humour avec les hauts responsables politiques. Ren Zhiqiang, un magnat de l’immobilier qui avait vertement critiqué le manque de liberté de la Presse, et la manière dont Xi Jinping avait  géré la crise Covid 19 en déclarant « c’est un clown » a été exclu du Parti Communiste pour sérieuse violation de la discipline et de la loi, et « accessoirement » condamné le 22 septembre à 18 ans de prison.

 

En Chine, les minorités sont « normalisées » manu militari. Les Tibétains en ont fait l’expérience. Actuellement, ce sont les Ouïgours qui « profitent » de ce traitement de choc. La nouvelle voie ferrée, qui rejoindra l’Europe traverse le territoire de cette minorité turcophone et musulmane (12 millions de personnes), prévue pour leur apporter « le bonheur », cette voie ferrée a surtout servi à acheminer les troupes chinoises pour les mettre au pas. Actuellement environ 1 million d’Ouïgours sont parqués dans des Centres de Détention  et environ 2 millions sont en Centre de Rééducation appelés officiellement « Centre de formation professionnelle ». Sous couvert de la lutte anti-terrorisme, cette mise au pas a commencé en 2016. 

 

Certains bénéficiaires des cadeaux des Nouvelles Routes de la Soie commencent d’ailleurs à regretter de les avoir acceptés, par exemple le Sri Lanka, où la Chine a construit le port en eau profonde de Hambantota. Elle a financé 85% des 360 millions d’investissement, mais le Sri Lanka, ne pouvant pas rembourser les 15% restants, s’est vu obligé de lui céder le port pour 99 ans.

 

Derrière toutes ces infrastructures « offertes aux pays en voie de développement », se dissimule l’idéologie chinoise du modèle de Xi Jinping qui veut redonner à la Chine la place de leader mondial qu’elle a eue pendant des siècles : l’efficacité économique avant tout, au mépris du respect des Droits de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant.

 

Jean-Louis Lamboley