Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 6 décembre 2020

 

Un enfant qui se tient sage…

 

La supériorité de l’adulte sur l’enfant est rarement remise en cause. De l’avis général, les mômes seraient naturellement inférieurs. De toutes les formes de domination, celle que les adultes exercent sur les minots est sans doute la plus répandue, la plus visible et, paradoxalement, la moins questionnée. Pourquoi des voix dissonantes militent pour  l’abrogation du statut de mineur ? Comment les « valeurs » capitalistes – concurrence, compétition- et ses méthodes punitives s’appliquent à eux ? N’y-a-t-il pas d’alternatives ? Quid des « tenues républicaines »

 

C’est pour ton bien…

 

Dans l’immense majorité des familles, tous milieux sociaux confondus, il est communément admis de contraindre les enfants et de décider à leur place : après tout, c’est pour leur bien… Car un gamin, on est quasiment tous d’accord là-dessus, ça ne se rend pas compte, c’est fragile, ça ne sait pas faire. Autant de justifications qu’Yves Bonnardel, auteur du livre La Domination adulte : l’oppression des mineurs refuse en bloc. Pour lui, cette domination est à envisager au même titre que les autres : systémique et politique.

 

« Quel type de régime se caractériserait par l’imposition des horaires pour manger, dormir, travailler, par le contrôle de ses fréquentations et de son emploi du temps, par l’impossibilité de saisir la justice, par l’obligation de demander l’autorisation pour tout et n’importe quoi ? Un régime dictatorial ? Un régime esclavagiste ? Un régime totalitaire ? Certes, mais c’est aussi le régime de l’enfance ». Voici comment la sociologue Charlotte Debest résume le propos de M. Bonnardel.

 

Ce livre aborde l’abrogation du statut de mineur, thème réfléchi depuis longtemps. John Holt, éducateur et écrivain, avançait déjà il y a plusieurs décennies que, sous prétexte de protéger l’enfant, le statut de mineur le prive en fait de la plupart des droits fondamentaux qui nous permettent de nous soustraire à l’arbitraire et à la violence des autres. Et c’est parfois de leur famille qu’ils devraient pouvoir se protéger : 1 enfant meurt tous les 4 jours sous les coups de ses parents (1). En 2018, 85% des parents disaient user de violence sur leurs enfants. Jusqu’en 2019 et la loi contre les violences éducatives ordinaires, les enfants étaient d’ailleurs la seule catégorie de la population envers laquelle il était légalement permis de faire preuve de violence. La pédocriminalité a mis longtemps à être reconnue comme un problème de société majeur. Sur les 300 000 victimes de viols estimées chaque année, 60% sont des enfants (et seul 0,3% des violeurs sont condamnés).

 

Sous l’Ancien Régime, l’enfant était la propriété du père. Aujourd’hui on se garde bien de parler de propriété, on parle d’autorité sur l’enfant dans son « intérêt supérieur ». Mais dans les faits, les parents gardent le pouvoir sur lui et continuent de le considérer comme « à eux ». Il y a d’ailleurs une idée fondamentalement ancrée selon laquelle les parents peuvent faire ce qu’ils veulent de leurs enfants : les éduquer comme ils l’entendent, leur faire croire à la religion qu’ils choisissent ou modeler leur corps sans leur consentement.

 

La société, l’Etat et les institutions continuent de s’approprier l’enfant. Notamment à travers l’école, où le jeune œuvre surtout à la reproduction sociale : il s’agit pour l’enfant d’apprendre la discipline, le dressage du corps et la résignation. L’idée est tout de même de former de futurs salariés, de futurs citoyens et de futurs consommateurs. L’enfant est vu comme un moyen pour la perpétuation de la société et non pas comme étant en lui-même le but ultime.

 

Un feu qu’on allume

 

L’éducation consiste à allumer un feu plutôt qu’à remplir un vase, sans projection sociale, voici quelques exemples inspirants.

 

Cinq écoles de Hambourg, qui réunissaient environ 600 élèves ont, à la fin de la première guerre mondiale, prôné l’ « auto-éducation ». Elles refusaient quelque endoctrinement que ce soit des enfants, même pacifiste ou anarchiste. On parlait alors de vivre ensemble et non plus d’éduquer.

 

Dans le village démocratique de Pourgues (2), le mot d’ordre est liberté, les décisions sont prises au consensus et tout le monde – enfants compris- vote.

 

Les écoles Sudbury ont été fondées par Daniel Greenberg en 1969 dans le Massachusetts. Il en existe une quarantaine dans le monde. La pédagogie est un cadre dans lequel les enfants sont auteurs et responsables de leur vie quotidienne, au sein d’un collectif d’âges mélangés de 6 à 19 ans. Sa pédagogie repose sur deux principes :

-        les apprentissages autonomes : les jeunes sont libres de déterminer leurs propres objectifs, avec la même légitimité dans toutes les entreprises et tous les domaines. Ils se consacrent à ce qui les intéresse sans contrainte de programme ni de temps. Les membres du personnel sont garants de cette approche et les traitent en tant que personnes indépendantes.

-        la gestion démocratique : la vision de l’éducation démocratique est celle donnée par l’EUDEC (European Democratic Education Community) « Les jeunes devraient pouvoir choisir  ce qu’ils font, quand, où, comment et avec qui, du moment que leurs décisions ne transgressent pas la liberté des autres de faire de même ». Les statuts de ces écoles attribuent un pouvoir égal à chaque membre, quel que soit son âge, pour participer aux décisions collectives.

 

Les écoles en nature, ou Forest School, sont des structures scolaire où on fait classe dans la nature, un ou plusieurs jours par semaine, qu’il s’agisse d’une forêt, d’un jardin, d’une montagne… Ces écoles reposent sur la pédagogie de l’Outdoor Education, c’est-à-dire une éduction hors les murs. « La nature est un espace d’explorations et d’expériences sans limite », explique Sarah Wauquier, auteure du livre Les Enfants des bois, « un espace de jeu et d’apprentissage pour les enfants, mais surtout un outil pédagogique pour le développement de leur lien à la vie ».

 

Depuis vingt ans, le Clept (Collège lycée élitaire pour tous) accueille à Grenoble une centaine de jeunes qui avaient quitté le système scolaire. Cet établissement public alternatif fonctionne sans surveillant, sans sonnerie, sans carnet de correspondance ni conseil de discipline mais avec du respect mutuel et de véritables relations humaines. Et les résultats sont là : seuls quelques-uns « décrochent » et le taux d’obtention au bac est de 80 à 100%.

 

L’enfermement des enfants

 

Quand un enfant ne « rentre pas dans le rang », le système punitif et la répression carcérale s’appliquent  plutôt que l’innovation éducative. Au 1er Juillet, 670 mineurs étaient écroués, la plupart dans des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), les autres dans les quartiers dédiés des prisons pour adultes. Il faut ajouter aussi les jeunes étrangers qui attendent avec leurs parents leur expulsion en centre de rétention administrative, ainsi que les centaines d’adolescents dans les centres éducatifs fermés (CEF). 80% des enfants incarcérés sont en détention provisoire, majoritairement pour des faits relevant du tribunal correctionnel (vol simple, dégradations, etc.) et venant surtout de milieux pauvres. Les CEF sont des lieux de privation de liberté, avec une fermeture physique et juridique (une fugue étant considérée comme une évasion). La Commission nationale consultative des Droits de l’Homme a estimé qu’ils sont souvent des « antichambres de la prison ».

 

 L’enfermement finit toujours par créer chez ces jeunes un sentiment de révolte, de colère, loin de l’idée qu’il produirait une sorte de choc et de remise en question. Car ces lieux fermés finissent par générer leurs propres règles, les jeunes sont victimes d’atteintes à leurs droits – violences physiques, privations, humiliations. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu de nombreux avis faisant ces mêmes constats.

 

Et il existe d’autres méthodes pour se faire obéir comme le raconte le journaliste Julien Brygo dans son enquête sur « la pilule de l’obéissance » (3), la Ritaline. C’est un médicament cousin des amphétamines, censé « contenir » les troubles de l’hyperactivité que des milliers de parents s’arrachent. Utilisée à tout-va aux Etats-Unis, la Ritaline commence à trouver un marché en France : 62 000 enfants en ont consommé en 2016. C’est que cette « pilule miracle » est aussi prescrite pour délivrer « les enfants d’une liste impressionnante d’imperfections, de la fâcheuse tendance à se cabrer devant une tâche fastidieuse au rejet pur et simple de l’autorité, en passant par l’inattention ou la déconcentration ».

 

Tenue républicaine…

 

Les injonctions sur les mineurs comportent aussi l’habillement, surtout quand il s’agit d’adolescent.E.s. Ainsi, fin septembre, des adolescentes revendiquaient le droit de s’habiller comme elles le souhaitent en classe. Le ministre de l’Education nationale a expliqué qu’il faut venir « à l’école habillé d’une façon républicaine ».  Quid de « la façon républicaine » de s’habiller mais surtout si la tenue des filles est un problème, c’est que le problème de la sexualisation de leurs corps en est un. Ainsi dès que leurs seins apparaissent, les filles se voient immédiatement renvoyées à un corps sexuel. La puberté, c’est l’entrée dans son corps sexué mais aussi la découverte de la condition de disponibilité sexuelle qui est celle des femmes dans une société patriarcale. Les filles subissent la violence des regards et des réflexions qui les réduisent à une sexualité dont elles sont loin. Les mobilisations de ce 14 septembre ont manifesté pour mettre un terme à la réduction des femmes à leur corps. Les filles n’acceptent plus de se laisser dicter ce qu’elles doivent faire, le contrôle social sur leur corps et les mécanismes profondément enracinés du système patriarcal.

 

Ce qui pose aussi problème dans cette affaire c’est de supposer qu’en montrant un peu de leur ventre ou de leur épaules, les filles vont perturber les garçons qui ne vont pas pouvoir se concentrer en cours, face à cette chair « offerte ». Cela perpétue le stéréotype que le désir des garçons est irrépressible, qu’il s’agit d’un désir animal qu’ils sont incapables de maîtriser. Cela perpétue également la culture du viol et cette idée que les filles sont toujours responsables de ce qui leur arrive et notamment des agressions qu’elles subissent. Au lieu de construire une société où il y a désexualisation du corps des filles, on a tendance à les obliger à se conformer aux normes « républicaines ».

 

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Et si, au lieu de chercher sans cesse à brider la fougue de la jeunesse – notamment via le cadre ultra compétitif de la scolarité- on cherchait un peu à la comprendre ? Si on admettait qu’elle a des choses à nous apprendre ? Les sociétés étant vieillissantes, les enfants y représentent une part de moins en moins importante de la population. Ce n’est pas une raison pour ne pas questionner le sort réservé à cette minorité dominée.

 

Stéphanie Roussillon

 

(1)   Documentaire Infrarouge « Bouche cousue » sur les violences intrafamiliales https://mobile.france.tv

(2)   Vidéo sur Youtube : En Liberté ! (Le village démocratique de Pourgues)

(3)   Le Monde Diplomatique - décembre 2019