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lundi 28 juin 2021

 

L’enfer centrafricain

 

Nous nous attachons à connaître les ex-colonies françaises en Afrique. Aujourd’hui, nous revisitons l’histoire de la République Centrafricaine.

Ce pays porte bien son nom, puisqu’il se trouve dans la partie centrale de ce continent, frontalier avec le Tchad au nord, les deux Soudan à l’Est, les deux Congo au Sud, et le Cameroun à l’Ouest. Couvert de forêts tropicales au Sud et de savane au nord, ce pays possède de nombreuses ressources naturelles : d’abord sa forêt équatoriale, mais aussi de l’or, des diamants, de l’uranium et du pétrole au Nord. Un peu plus grand que la France, ses 4,5 millions d’habitants ont donc tout pour pouvoir vivre correctement, décemment, dans ce pays. Pourtant, la République Centrafricaine est classée 188e sur 189 concernant l’IDH (Indice de développement Humain). Cet indice tient compte du PIB/habitant, de l’espérance de vie, du niveau de scolarisation. Il n’est pas parfait mais situe assez bien la qualité de vie des habitants dans les pays (à noter que les 15 derniers pays classés sont tous sur le continent africain).

 

 La France colonisatrice

 

Cette vie décente, plutôt harmonieuse, les Centrafricains l’ont connue il y a bien longtemps. En effet, depuis la nuit des temps, et jusqu’au 18e siècle, les autochtones vivaient en petites tribus. Les cultures vivrières (sorgho, banane…) et le gibier présent en abondance, leur permettaient de vivre sans trop de problèmes alimentaires. L’immensité de la zone concourait à des relations plutôt pacifiques entre les différentes tribus. Il y avait bien sûr quelques conflits sporadiques, mais durant cette période la population augmenta régulièrement, signe que les conditions de vie étaient plutôt bonnes. La situation a, hélas pour la population, changé au cours du 18e siècle. Les habitants vont subir les premières razzias des peuples musulmans venant du nord (Tchad et Soudan actuels). Beaucoup vont se retrouver esclaves dans les royaumes musulmans. A la fin du 19e siècle, ce sont les premiers colons français qui arrivent. En 1905, sous le nom de OUBANGUI-CHARI, la Centrafrique actuelle devient colonie française, et est partie intégrante de l’Afrique équatoriale française (AEF) en 1910. A partir de cette époque, c’en est définitivement terminé de la vie naturelle et harmonieuse. Les colons français, pour exploiter les ressources naturelles (en particulier le latex extrait de la forêt) et pour construire des infrastructures (chemins de fer) vont imposer le travail forcé aux populations. Cette situation de quasi-esclavage a débouché sur la guerre du KONGO-WARA (1928-1933). Dans un premier temps, KANOU, le leader de l’insurrection, prône la désobéissance civile, la résistance passive, le boycott des marchandises européennes. Face à la réaction violente des colons, le mouvement se transforme en insurrection qui compta jusqu’à 60 000 guerriers.

L’armée française réprima très brutalement cette rébellion. Les leaders furent exécutés, la population regroupée pour être surveillée. Cette répression est considérée comme la plus brutale de l’empire colonial français.

 

Indépendance ?

 

En 1958, l’Oubangui-Chari devient officiellement République Centrafricaine. Barthélémy BOGANDA est le premier président du gouvernement. Cet anti colonial véhément prône une véritable indépendance et l’union du Gabon, du Congo, du Cameroun et de la République Centrafricaine pour être viable économiquement et pouvoir jouer un rôle véritable sur la scène internationale. Il meurt en 1959 dans un accident d’avion au cours de la première campagne électorale que connaît la Centrafrique. Les conditions de sa mort restent mystérieuses (!).

 

David DACKO devient le premier président élu en 1959. La République centrafricaine proclame son indépendance en 1960. DACKO installe rapidement un régime autoritaire : parti unique, suppression de la responsabilité des présidents devant le parlement. Réélu en 1964, il veut mettre en place une politique d’austérité pour assainir les finances et se tourner vers la Chine pour obtenir une aide financière et économique. Il veut, de plus, réduire le budget de l’armée. Cela ne plaît pas du tout aux militaires centrafricains et le 31 décembre 1965 il est renversé par un coup d’Etat militaire qui met au pouvoir Jean Bedel BOKASSA.

 

La France soutient Bokassa

 

Depuis le 18e siècle, le peuple centrafricain, on l’a vu, a vécu des moments difficiles, mais ce 31 janvier est le début d’une période infernale. Le pouvoir est entre les mains d’un seul homme, dont la santé mentale est plus que fragile. Il est vrai que la vie de Jean Bedel BOKASSA commence plutôt mal. Son père, chef de village, travaille pour une compagnie forestière française comme recruteur. Face aux traitements inhumains subis par ses recrues, il se rebelle et libère des prisonniers qui servaient comme esclaves dans les plantations. Il est arrêté, condamné à mort et exécuté publiquement par bastonnade par des agents coloniaux français sur la place de son village. Une semaine plus tard, sa mère se suicide. BOKASSA avait alors 6 ans…

 

A 18 ans, il s’engage dans l’armée française, et participe au débarquement en Provence. Après la guerre il fréquente les écoles militaires en France, puis combat en Indochine et en Algérie sous les ordres de BIGEARD… Il revient alors en Centrafrique et devient chef d’état-major du président DACKO. Après le coup d’Etat, il devient le deuxième président centrafricain. Il suspend la Constitution, dissout l’Assemblée Nationale et fait arrêter les collaborateurs de l’ex président.

 

La répression est féroce. L’ex-chef de la sécurité, par exemple, sera battu à mort en prison, en présence de BOKASSA. Il épargne DACKO pour ne pas se mettre à dos la France et la communauté internationale. Il promet des élections « libres et démocratiques », et également de quitter le pouvoir dès qu’il aura écarté la « menace communiste ». Il met en place des lois assez radicales. Par exemple, les hommes de 18 à 55 ans doivent prouver qu’ils ont du travail, sinon ils risquent une amende voire la prison (encore mieux que la nouvelle loi française sur le chômage !). Il bannit la polygamie, ce qui pourrait prouver un certain avant-gardisme mais, en fait, révèle plutôt son déséquilibre mental : il aura officiellement 17 épouses et 36 enfants légitimes. Il fait exécuter sans procès tous ceux qui s’opposent à lui. Il a tout de même un certain soutien populaire car il met en place une réforme agraire qui favorise les petits paysans. A l’international, il voudrait un soutien ferme de la France mais De Gaulle rechigne à soutenir officiellement celui qu’il nommait le « soudard ». Mais De Gaulle sait que la France a besoin de l’uranium centrafricain pour ses centrales nucléaires et que la Centrafrique a une position géographique stratégique. Bokassa, pour lui forcer la main, le menace de quitter la zone Francs : De Gaulle cédera et le recevra officiellement en 1969. Son coup d’Etat sera ainsi officialisé. Cette reconnaissance va « enflammer » Jean Bedel Bokassa qui va monter d’un cran dans l’autoritarisme et l’irraison, lui faisant perdre tout soutien populaire.

En 1972 il s’autoproclame président à vie. Début 1976 il dissout le gouvernement et le remplace par un conseil de la révolution centrafricaine. Nouvelle preuve de ses problèmes mentaux, David DACKO, le président qu’il a renversé, emprisonné, devient son conseiller personnel. Début 1976, BOKASSA se convertit à l’Islam. Fin 1976, il se reconvertit au catholicisme, instaure la monarchie et s’autoproclame « empereur de Centrafrique par la volonté du peuple centrafricain, uni au sein du parti politique national ». Grand admirateur de Napoléon, BOKASSA organise un sacre le 4 décembre 1977 à l’image de celui de Bonaparte.

 

Le sacre ubuesque

 

5 000 invités sont présents, aucun chef d’état étranger, mais Robert Galley, ministre de la Coopération, assistera à cette tragique mascarade. La France y prendra une part importante. Les ateliers de Pierre Cardin fabriqueront la réplique du costume que Napoléon portait lors de son sacre : épaisse cape doublée d’hermine incrustée de perles et brodée de fil d’or. Bokassa sera d’ailleurs fort mécontent de la prestation des équipes de Pierre Cardin car la veste militaire taillée spécialement pour la circonstance ne permettait pas d’accrocher toutes les médailles… qu’il s’était lui-même attribuées.

Claude Arthus Bertrand, joaillier français, confectionnera la couronne en or pur qui comportait 7 000 carats de diamants. Elle était estimée à 5 millions de dollars. Le salaire annuel moyen à l’époque était d’environ 100/150 dollars. A la fin de la cérémonie, Bokassa devait rallier le palais des sports de Bangui pour le banquet dans un carrosse tiré par 8 purs sangs venus spécialement d’un haras normand. Mais ce carrosse était tellement gros et tellement décoré d’éléments en bronze et en or qu’il était extrêmement lourd. Ce 4 décembre, il faisait très chaud à Bangui et les chevaux n’ont pas pu tirer le carrosse jusqu’au palais des sports. 2 sont  morts d’épuisement et de chaleur en pleine rue et Bokassa finit le trajet en voiture. Le repas fut fastueux : 10 000 couverts, 100 tonnes de nourriture. Le repas se termina par une gigantesque pièce montée arrivée par avion le matin même de… Paris. Le coût estimé de ce sacre représenta environ le quart du budget annuel du pays. Il a été entièrement filmé par le service cinématographique de l’armée française.

 

On comprend bien que les dirigeants français, le président en premier lieu, rechignait à se montrer publiquement aux cotés de BOKASSA. Par contre, à l’abri des caméras et des journalistes, Giscard d’Estaing n’avait pas de scrupules à le côtoyer, soit pour aller chasser en Centrafrique, soit pour recevoir de menus cadeaux de la part du dirigeant centrafricain. Les cadeaux « de toute petite taille » comme le souligna le Canard Enchaîné d’octobre 1979 en révélant l’affaire des diamants. D’après le journal, Bokassa avait offert à Giscard d’Estaing une plaquette de diamants d’une valeur d’environ 1 million de francs. Giscard, du haut de sa magnificence, déclara d’abord « il faut laisser les choses basses mourir dans leur propre poison », puis « je ne vous cache pas qu’il est assez désobligeant de répondre à des questions de cette nature ». Et enfin « les diamants ont été vendus et l’argent a été versé à la Croix Rouge centrafricaine » reconnaissant ainsi implicitement qu’il avait reçu ces cadeaux. A noter que la Croix Rouge Centrafricaine déclara en mars 1980, qu’elle n’avait jamais rien reçu.  Pendant toute cette période, le peuple centrafricain survivait, vivotait, et supportait de moins en moins les frasques de son empereur. En 1979 des lycéens manifestent à Bangui contre l’obligation de devoir porter, et surtout payer un uniforme. En 1979, Bokassa se rapprocha de la Lybie de KADHAFI, et demanda à la France de lui fournir la bombe atomique afin d’assurer la sécurité de la Centrafrique. Bokassa devenait aux yeux de la France trop ingérable, et elle lança en novembre 1979 l’opération CABAN qui renversa le pouvoir de BOKASSA. La République fut rétablie et c’est David DACKO qui en redevint le président. La France assura un soutien total à ce dernier dans le cadre de l’opération BARACUDA. BOKASSA fut renversé alors qu’il était en voyage à Tripoli, s’exila en Côte d’Ivoire puis durant 3 années, fut assigné à résidence au château d’Hardricourt dans la région parisienne (les prisonniers centrafricains avaient moins de chance) ! Il décida de rentrer en Centrafrique en 1988, fut immédiatement arrêté et jugé pour 14 accusations dont : meurtres, trahisons, agressions, coups, détournements de fonds, utilisations illégales de propriétés, et même… cannibalisme. Il sera condamné à mort puis gracié, puis finalement amnistié. Il meurt en 1996.

 

La France s’accroche

 

En 1979, après la chute de Bokassa, une page funeste pour le peuple centrafricain se tourne. Cela paraît difficilement concevable mais la suite ne sera guère plus heureuse pour lui. DACKO, mis au pouvoir par la France, est renversé en 1981 par le général COLINGBA, qui met immédiatement en place un régime militaire qui durera jusqu’en 1993. A cette date, sous la pression internationale et française, après le discours de la Baule de François Mitterrand, la France lie son aide économique à une évolution démocratique des pays, les élections sont organisées en Centrafrique. Ange Felix PATASSE est élu, mais sera renversé en 1999 par François BOZIZE, soutenu par la France et par l’armée tchadienne. Une partie de cette armée restera d’ailleurs en Centrafrique, ce qui entraîne une réaction très violente dans le pays.

L’accession au pouvoir de BOZIZE est violemment contestée par les habitants du nord du pays qui se sentent exclus et ostracisés par le gouvernement central. Ils s’organisent alors en groupes rebelles qui, de 2004 à 2007, plongent le pays dans une guerre civile. Après 2007, le conflit cessera mais restera en sommeil et reprendra en 2012. En 2013, les rebelles de la SELEKA, essentiellement musulmans, prennent Bangui et BOZIZE s’enfuit. L’ONU considère à cette époque, que la situation est pré-génocidaire en Centrafrique. La France intervient à nouveau militairement dans le cadre de l’opération SANGARIS, la SELEKA recule, quitte Bangui, et des élections sont à nouveau organisées. C’est Faustin Ange TOUADERA le président qui sera élu.

On l’a vu, les milices musulmanes (SELEKA) quittent Bangui mais continuent à contrôler une grande partie du pays. En opposition à ces milices musulmanes se créent d’autres milices catholiques : les anti-BALAKA. En fait, à cette époque, le gouvernement central contrôle plus ou moins la région de Bangui et tout le reste du territoire centrafricain est contrôlé soit par des milices musulmanes de la SELEKA, soit par des milices anti-BALAKA catholiques. Dans les zones contrôlées par les milices, c’est la loi du plus fort qui s’applique. L’Etat est totalement absent. Chaque milice établit ses lois et ses pratiques, et bien sûr vit sur le dos des populations civiles. La situation est déjà dramatique pour ces dernières quand la milice qui les contrôle est de la même religion qu’elle, mais elle est encore nettement pire lorsqu’une population musulmane est soumise à une milice catholique, ou le contraire. Dans ces cas, ces populations sont quasiment soumises à l’esclavage. Les milices les laissent vivre uniquement pour quelles travaillent afin de les nourrir, mais elles se donnent évidemment le droit de vie ou de mort sur les habitants. La situation n’a guère évolué depuis ce moment, Faustin Ange TOUADERA a été élu en 2021 mais il est à la tête d’un Etat fantôme. Il tient uniquement grâce au soutien des militaires rwandais et surtout grâce à la présence de mercenaires russes. La Russie s’implique de plus en plus dans les affaires centrafricaines et tend à y remplacer la France. La situation est très instable. Ces militaires russes, rwandais et centrafricains ont eu toutes les peines du monde à repousser une attaque rebelle sur Bangui début 2021.

 

En clair, il n’y a plus de Centrafrique. Les milices contrôlent 80 % du territoire, le gouvernement officiel a toutes les peines du monde à contrôler les 20% restants. Il n’est pas difficile d’imaginer ce que vivent les populations civiles, où qu’elles se trouvent sur le territoire centrafricain. Elles sont uniquement en situation de survie. L’ONU a mis en place des Casques bleus dans le cadre de l’opération MINUSKA mais ceux-ci n’ont aucune influence directe ; ils se contentent d’observer et de constater les exactions que subit la population.

 

La France a une grande part de responsabilité dans cette situation, après avoir été le colonisateur, le soutien de BOKASSA, celui de BOZIZE, elle a de moins en moins d’influence dans ce pays, supplantée essentiellement par la Russie. Il n’est pas certain que les populations y gagnent au change. Depuis son indépendance, la population centrafricaine n’a connu que des dirigeants plus brutaux les uns que les autres et a toujours été en état de survie. La situation actuelle est peut-être l’un des pires moments pour elle. Elle est tellement désespérée que les chrétiens finissent par penser que les musulmans sont cause de leurs problèmes et vice versa, alors qu’ils vivent la même situation. L’avenir du peuple centrafricain est très sombre. Certains Centrafricains espèrent que leur pays expérimentera la même évolution que le Rwanda qui après avoir connu un génocide apprécie maintenant une période plus paisible, mais l’arrivée en force des Russes dans la région risque de ne pas faciliter les choses.

 

Jean-Louis Lamboley, le 24 juin 2021

 

Pour en savoir plus :

Centrafrique : un destin volé. Histoire d’une domination française, Yanis Thomas, Agone  2016

L’association Survie dénonce le néocolonialisme français en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique de la France en Afrique. Elle publie des brochures et des livres.   survie.org/