Immigration.
Darmanin veut
« sa » loi
Au
moment où les médias nous abreuvaient de commentaires nauséabonds à la fois sur
le meurtre odieux de Lola et sur les 234 migrants de l’Ocean Viking tournant en
rond en Méditerranée avant d’être autorisé à accoster à Toulon, Darmanin
faisait la promotion de « sa » loi Immigration préparant les esprits
au débat du Parlement en 2023. Ce sera la 22ème
loi sur l’immigration et l’asile depuis 1990. Celle-ci permettrait de
réduire l’immigration, d’expulser tous ceux qui sont « illégalement »
en France… En tout cas, tous les ingrédients sont là pour alimenter les
polémiques sur l’inefficacité des mesures d’éloignement du territoire français,
sur les migrants, majoritairement suspectés de devenir des meurtriers, sur
l’impossibilité pour la France d’accueillir, voire même de secourir, ceux qui
tentent de trouver une terre d’asile, poussés par la misère, la guerre ou les
dérèglements du climat. Les chiffres, sans distinction, sont balancés dans les
médias, pour prouver à l’extrême droite que ce gouvernement sera « gentil
avec les gentils et méchant avec les méchants ». Darmanin a d’ores et déjà
relancé la chasse aux migrants « illégaux », tous ceux qui n’ont pas
quitté le pays alors même qu’ils en avaient l’obligation. Comment s’y
retrouver, au-delà des polémiques et des effets de tribune ?
Amalgames et
mensonges
Manipuler
les chiffres ou n’utiliser que ceux qui servent la cause à défendre, est un
procédé assez classique, pas très honnête, dont Darmanin use sans vergogne. Il
affirme que « 7 % d’étrangers en
France représentent 19% des actes de délinquance ». Y inclut-il les
délinquants fiscaux ? Quand il déclare que la France va bientôt atteindre
la limite d’accueil des étrangers, soit 10 % de la population, de qui
parle-t-il ? Des étrangers européens libres de circulation, de tous les
immigrés, à savoir toute personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ?
De tous ceux qui fuient guerre, misère, sécheresse et cherchent refuge ?
Comment mettre en œuvre une telle mesure ? Qui fixe les limites ? Au
regard de quels critères ? Les phénomènes de migrations sont inéluctables
dans la dynamique mondiale des échanges et des communications entre les pays et
les gouvernements successifs n’ont jamais réussi à ralentir les mouvements de
population.
En
France, depuis 2000, la part d’immigrés dans la population a augmenté de 36 % (représentant
10.3 % de la population). C’est peu face aux + 181 % de l’Europe du Sud, aux +
121 % des pays nordiques aux + 100 % du Royaume Uni et de l’Irlande, ou aux +
75 % de l’Allemagne et de l’Autriche (1). On est loin d’être les « champions » de l’accueil !
Si
l’on examine cette évolution en fonction des titres de séjour délivrés,
Darmanin peut affirmer qu’ils ont augmenté de 37 % entre 2005 et 2021. Mais il
doit préciser que les titres de séjour comptabilisent 54 % de migration
estudiantine, 27 % de migration de travail et seulement 24 % de migration de refuge. Ce type de basse manœuvre lui permet
de stigmatiser ceux qu’il nomme les « illégaux », ceux qui n’ont
obtenu ni statut, ni titre de séjour par le travail ou encore pour regroupement
familial. Là encore, laisser hurler le RN contre l’appel d’air que serait le
regroupement familial sans préciser qu’il ne représente que 12 000
personnes par an (soit 4 % des titres délivrés) relève de la manipulation de
l’opinion.
La
France, qui revendique d’être « le pays des droits de l’homme » est loin
d’être la meilleure au palmarès de
l’asile. En additionnant les demandes d’asile et les relocalisations et en
faisant l’hypothèse que tous les déboutés sont restés, en 7 ans (2014/2020), la France aura accueilli 36 900
Syriens, 14 100 Irakiens et 49 300 Afghans, soit respectivement 3 %, 4% et 8 % des demandes en Europe
pour ces trois pays, contre 53%, 48 % et
36 % pour l’Allemagne. Et si la
France a enregistré 18 % des demandes d’asile déposées en Europe par des exilés
d’autres pays notamment d’Afrique, d’Asie ou
d’Europe Centrale, les ¾ de ces
demandes ont été rejetées. Le
tsunami annoncé par Le Pen n’a pas eu lieu !
Bref,
pour Darmanin, la France accueille trop. Il sera donc répressif face aux « illégaux »,
« délinquants » à ses yeux, ceux qui n’ont pas quitté le territoire
alors qu’ils en ont reçu l’obligation (OQTF – obligation de quitter le
territoire français). Il promet d’être généreux en créant un nouveau titre de
séjour pour les « métiers en tension ».
Affichage et
réalité
Les
demandeurs d’asile et les déboutés du droit d’asile n’ont pas l’autorisation de
travailler. Quand, à l’issue de leur procédure, ils n’obtiennent pas de statut,
ils se retrouvent sans ressources, sans logement, sans minima sociaux, sans
droit au travail. Le travail au noir
est leur seule solution et les patrons en profitent largement dans les métiers
du bâtiment, des travaux publics, de l’hôtellerie restauration, des services
mais aussi les plateformes comme Uber… Les patrons recrutent sous de faux noms,
les autorités institutionnelles ferment les yeux. A force d’exploitation, un
certain nombre de sans-papiers ont constitué des collectifs de défense,
soutenus par des syndicats (CGT et SUD Solidaires, CNT notamment) et ça commence par faire désordre. Darmanin
peut difficilement fermer les yeux sur les patrons
délinquants. Impossible, toutefois, de les fâcher. Il propose, en conséquence,
dans la loi à venir, un titre de séjour
« pour métiers en tension ». Ne nous y trompons pas, il ne s’agit
pas de la régularisation des sans-papier (qui ferait crier au loup les
xénophobes et racistes de tous poils) mais de régulariser les recrutements en
autorisant les patrons à embaucher une main d’œuvre soumise à un système
conditionnant le renouvellement de leur titre de séjour. De fait, ces
travailleurs immigrés en acceptant les travaux pénibles, sous-payés participent
malgré eux au fractionnement de la société et permettent au capitalisme de
pratiquer un dumping social, au risque, s’ils revendiquent trop, d’être jetés.
Parallèlement,
le ministre de l’intérieur veut donner la preuve à la droite et à l’extrême
droite mais aussi aux élus Renaissance,
qu’il tient les rênes avec rigueur et fermeté. Il va expulser plus, renvoyer
les « illégaux ». Les préfets vont devoir réaliser un suivi de toutes
les personnes sous OQTF et « veiller
à leur rendre la vie impossible
par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales
ni de logement social »(2). Faire monter l’angoisse chez les exilés au
moyen de la panoplie que sont : OQTF, assignation à résidence et
emprisonnement en CRA (centre de rétention administrative). Ces méthodes se
répètent à l’infini : les gendarmes emmènent, à l’aube, de préférence un
week end, les familles désignées (enfants en bas âge compris) pour les placer
en CRA où ils ont 48 h pour déposer un recours s’ils ont la chance de pouvoir
être entendus par le juge des libertés ou d’avoir eu temps de déposer un
recours à la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’homme). C’est Sarkozy
(ministre de l’intérieur) qui créa, en 2006, l’OQTF pour éloigner de manière
contrainte un étranger à la suite d’une décision de refus de titre de séjour et
de rejet d’une demande d’asile. Elle est devenue automatique, à tel point que
cela engendre une inflation d’OQTF passant de 60 000 en 2011 à
122 000 en 2021. La France est l’un
des premiers pays producteurs de mesures d’éloignement mais elle en exécute
très peu (14 %). Pour prouver son efficacité à tous ceux qui dénoncent la
non-exécution des mesures, il exigera des préfectures un suivi rigoureux du
fichier des personnes recherchées et proposera la réduction des catégories de
recours, l’accélération des procédures d’examen des demandes d’asile…. Il a
d’ores et déjà ouvert la chasse aux « illégaux ». Le porte-parole du
gouvernement Véran vient à son secours et affirme (sans le prouver) que « l’immense majorité des personnes
placées en CRA ont commis des délits » !!! Même les enfants de 4
ans ? Au mépris de leur dignité, ces personnes sont emprisonnées pour être
embarquées dans un avion, dans des conditions traumatisantes et inhumaines. Que
la CEDH ait dénoncé à plusieurs reprises de telles pratiques contraires à la
convention européenne des droits de l’homme, ils s’en contrefoutent ! Les
préfets sont si zélés qu’il n’y a pas assez de places en CRA, Darmanin prévoit
d’en construire d’autres ! Il est vrai qu’entre les exilés qui gagnent leurs
recours, les sans-papiers qui se multiplient suite aux rejets des ¾ des
demandes d’asile, les OQTF tombent comme
à Gravelotte, dès le rejet du recours en CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile).
Par ailleurs, les pays d’accueil ne sont pas toujours enclins à délivrer les
laissez-passer consulaires pour accueillir leurs ressortissants ou mettent un
temps infini à le faire et… il faut remplir les avions ! Cela fait
beaucoup d’aléas et de risques d’échec pour le vibrionnant, présomptueux
ministre qui a omis de chiffrer le coût de toutes ces opérations d’expulsion
ratées !
La
rapidité est la clé de la réussite, dit-il, « Il ne faut pas laisser le temps de créer des droits qui viendraient
contredire des décisions prises légitimement par les préfectures » et
pour plus d’efficacité, il veut que le même ministère (l’Intérieur) ait la
maîtrise de toute la procédure. Déjà d’autres ministères ont été poussés dehors.
L’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) l’organisme
qui accorde ou non le statut, relevait des affaires étrangères, aujourd’hui de
l’Intérieur ; les médecins accrédités par le ministère de la santé pour
diagnostiquer un malade placé en CRA par ex., sont nommés désormais par l’Intérieur
via l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). Les CRA dépendent
de la police des frontières, donc du ministère de l’Intérieur. Les autorisations
de travail traitées par la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la
concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (ministère du
travail) sont soumises à la décision du préfet. Reste encore sous tutelle de la
Justice, la CNDA (Cour Nationale du droit d’asile) qui examine les recours. Darmanin
la verrait bien tomber dans son escarcelle. Aller plus vite, pour lui, ça
signifie limiter les recours, accélérer la procédure en éliminant des
« contraintes » comme la collégialité en passant de 3 magistrats à un
juge unique à la CNDA, élargir les audiences par visioconférence. Il a même
pensé à automatiser l’OQTF dès le rejet OFPRA, pour expulser avant le recours
auprès de la CNDA. Droits de l’homme et Macron/Darmanin à n’en pas douter, c’est
incompatible !
Que
faire ?
Mobiliser les solidarités
Heureusement,
il existe des conventions relatives aux droits de l’homme, même si elles n’ont
que peu de pouvoir sur les Etats signataires. Il existe des droits à la défense
et au recours contre des décisions iniques et inhumaines qui s’imposent aux
institutions étatiques et il faut les sauvegarder. Ces moyens sont des grains
de sable dans le système autoritaire que représente Darmanin. Mais ils seraient
vains s’ils n’étaient relayés par les associations de défense des exilés qui
déploient une immense solidarité et dénoncent inlassablement les méthodes
policières. Ainsi, celles et ceux qui aidaient à la reconstruction d’abris
après la destruction systématique, quotidienne des campements dans la région de
Calais et à Paris. Tous et toutes participent à faire vivre la fraternité et
sont un rempart contre la barbarie « républicaine » exercée par le
gouvernement de Macron.
Dénoncer l’innommable
Ocean Viking. La procédure idéale imaginée par le ministère « s’est
échouée dans un chaos feutré le 17 novembre ». Après 3 semaines
d’errance en Méditerranée, la France a accepté « à titre exceptionnel »
de laisser débarquer le 11 novembre à Toulon, sur la presqu’île de Giens, les
234 rescapés du navire humanitaire, tout en précisant que ces « migrants ne pourront pas sortir du centre
administratif de Toulon » où ils seront placés et qu’ils « ne sont donc pas légalement sur le
territoire national ». A cette fin, une zone d’attente a été créée en
urgence où les personnes ont été enfermées. Le gouvernement avait prévu que la France
ne garde sur son sol qu’environ un tiers des passagers dont 40 seraient
reconduites dans leurs pays, les autres devant être autoritairement relocalisés
dans 9 pays de l’UE. Le plan des autorités préfectorales consistait à maintenir
les 177 adultes pendant 20 jours maxi (évitant une entrée officielle sur le
territoire français). C’était sans compter sur la loi obligeant, au bout de 4
jours, à demander une prolongation de maintien en zone d’attente auprès d’un
juge des libertés. Les juges entamèrent un intenable marathon pour examiner les
177 dossiers au cas par cas. Le tribunal, submergé par le flot des 177 dossiers
vécut une journée de chaos, dans des conditions incroyables : interprètes
anglais pour les Pakistanais, une femme de ménage du commissariat de Toulon
réquisitionnée comme interprète de langue arabe, entretiens confidentiels tenus
dans les couloirs…. La décision de libérer
les migrants a été prise pour plus d’une centaine de dossiers. Résultat piteux dont Darmanin ne
s’est pas vanté, fiasco dénoncé par
LR. Dès lors, le gouvernement doit composer avec 26 des 44 mineurs isolés
partis volontairement des lieux où le conseil départemental du Var les avait
placés, des décisions judiciaires contraires à ses intentions initiales permettant
de placer en centres d’accueil la plupart des adultes et de potentiels refus de
relocalisations en Europe. Les expulsions depuis la zone d’attente se comptent
sur les doigts d’une main. Il fanfaronne moins, Darmanin !
Claire
Rodier (3) dénonce « l’accueil »
réservé par la France à celles et ceux qu’elle désigne comme
« migrants » des femmes, des enfants et des hommes qui, après avoir
fui la guerre, la misère, l’oppression et pour beaucoup subi les sévices et la
violence du parcours migratoire ». Elle rappelle qu’il y a moins d’un
an quand plusieurs millions d’Ukrainiens fuyaient l’invasion russe, la France a
su mettre en place en quelques jours un dispositif à la hauteur de cette
situation imprévu, allant jusqu’à créer un statut provisoire de protection
immédiate donnant droit au travail, à un logement et à un accompagnement social.
On n’a pas manqué de se féliciter de l’élan formidable de solidarité et
d’humanité, qui semblent aujourd’hui oubliées. « Parce qu’ils sont d’emblée qualifiés de « migrants »,
les passagers de l’Ocean Viking, sans qu’on ne connaisse rien de leurs
situations individuelles, sont traités comme des suspects, qu’on enferme, qu’on
trie et qu’on s’apprête, pour ceux qui ne seront pas expulsés, à
« relocaliser » ailleurs, au gré d’accords entre gouvernements, sans
considération de leurs aspirations et de leurs besoins… Cette hospitalité à
deux vitesses est la marque du racisme
sous-jacent qui imprègne la
politique migratoire de la France, comme celle de l‘UE ».
Il
a été prouvé que des solutions étaient possibles pour les Ukrainiens. Pourquoi
pas pour tous les autres exilés ? Ce sera l’une des revendications le 18
décembre, lors de la journée internationale des migrants-e-s. Une centaine
d’associations, de syndicats ont signé l’appel de la Marche des Solidarités et
des Collectifs de Sans-papiers et Migrant(e)s : Contre Darmanin et son monde : Solidarité, Liberté, Egalité,
Papiers !
Odile
Mangeot, le 25.11.2022
(1)
François Héran, le Monde (10.11.22)
(2)
entretien du Monde (03.11.22) avec Darmanin et
Dussopt
(3)
membre du Gisti –
groupe d’information et de soutien des immigrés - et du réseau Migreurop. liberation.fr 15.11.22
Nous sommes du même pays
Nous
sommes tous des étrangers.
Nous
sommes du même pays.
Quel
est celui qui a choisi
Le
coin de terre où il est né ?
Et
qu’il soit blond ou basané,
Cheveux
blonds ou cheveux frisés,
Qu’il
vienne me jeter la pierre
Celui
qui les a désignés,
Ces
deux êtres brûlants de fièvre
Que
le hasard a rassemblés.
Ces
deux corps qui se sont unis
Pour
un instant ou pour la vie,
Pour
le plaisir ou par amour
Et
qui lui ont donné le jour.
Au
diable toutes les frontières,
Au
diable tous les barbelés.
Nous
sommes tous des étrangers,
Citoyens
de la terre entière.
Qu’au-delà
de ces murs de pierres,
De
colère montent nos cris,
Ou
bien que montent nos prières,
Quel
que soit le Dieu que l’on prie,
Nous
sommes tous des étrangers.
Nous
sommes du même pays.
Au
diable toutes les frontières
Et
ceux qui nous les font dresser
Au
nom de notre liberté
Pour
mieux nous enfermer derrière.
Roland
Massebeuf,
OS
Peugeot-Sochaux, 1987
Poésie en bleu, ed. St-Germain des prés
(transmis
par Bébert)