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samedi 10 décembre 2022

 

Energie : pourquoi tant d’EPR ?

 

Serait-ce dû à une grande inquiétude, doublée d’une empathie pour le confort et la sécurité des « Français-es », que le Président Macron prend l’engagement de relancer la filière nucléaire avec la mise en chantier prochaine de six réacteurs afin qu’ils soient opérationnels dans 13 ans ?

Cette décision, sous l’intitulé Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), doit s’articuler avec l’ensemble des sources énergétiques dont la France serait demandeuse, mais c’est bien l’option nucléaire qui détient la palme et dans une moindre mesure, en terme de quantité de watt, la biomasse… A contrario, les parents pauvres de l’énergie électrique (dite renouvelable) conservent leur place en queue de peloton (la biomasse renouvelable est discutable…)

Pour faire passer cette « pilule » à l’électorat, le gouvernement prépare un débat public, qui sera encadré par une commission dite indépendante. Médiatisée fin octobre cette consultation devrait s’étendre sur quatre mois.

Or, si on se réfère aux précédents cet avis ne sera qu’un déguisement démocratique : macronistes, RN, LR, PCF, PS… les pronucléaires, largement majoritaires dans les deux chambres, feront front commun... et la loi sera votée. La victoire des nucléocrates est quasi certaine ; la mise en chantier serait programmée pour 2024.

 

Quand passé et présent se confondent

 

Après les nombreux accidents nucléaires, dont certains furent catastrophiques (Tchernobyl, Fukushima…), la guerre en Ukraine met à mal la sécurité de ses centrales, en particulier la centrale de Zaporijia , occupée par la soldatesque russe ; ses équipements ne sont pas à l’abri des bombes. Par ailleurs, bien que le réacteur EPR de Flamanville relève davantage d’un professionnalisme de bricoleurs (voir encart), les nucléocrates sont mis aux premières loges de la politique énergétique de l’État français, pour le bien du peuple ? Depuis des décennies, plus d’une personne sur deux en France est contre l’énergie nucléaire.

 

Rappelons que 26 des 56 réacteurs sont toujours à l’arrêt pour des problèmes de maintenance. Ces pannes pèsent sur tout le réseau électrique européen alors que la France importe considérablement de courant pour répondre à la demande. En effet, la crise énergétique liée à la perte de l’apport du gaz russe sur fond de conflit avec l’Occident, se juxtapose à la politique énergétique de l’État, elle aussi en crise comme le démontre le problème du parc français.

 

En 1945, le général De Gaulle, s’appuyant sur une politique énergétique dite souveraine, créera le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et en 1955 un premier réacteur nucléaire utilisant l’uranium est inauguré en grande pompe. L’Histoire donnera – en quelque sorte – raison au grand Charles, l’indépendance de l’Algérie en 1962, lui « soufflera » les gisements de gaz et de pétrole en son sol ; l’option nucléaire montait en grade. Mais, cette volonté de souveraineté  s’appuya également sur l’indépendance de sa politique de défense, grâce à la fabrication de la bombe A, autorisant de facto notre Etat à être classé parmi les grandes puissances, adressant de facto un pied-de-nez à l’Oncle Sam et à l’Ours du Kremlin. En effet, l’industrie nucléaire doit alors son expansion à diverses finalités : la médecine, la radio-protection, l’électricité, l’armement (bombes, missiles et munitions diverses…). En ce XXI° siècle, qui a de l’argent peut y trouver son compte.

 

Mais, c’est avec Georges Pompidou (président de la république de 1969 à 1974), que sera lancé le programme de la filière nucléaire civile utilisant l’uranium enrichi. Les premiers réacteurs de ce type seront mis en activité en France en 1977 à Fessenheim (68).

 

La contestation virulente, déterminée, des écologistes en herbe pour la plupart, pendant toutes les années que durera le chantier, avec notamment un sabotage à la bombe perpétré par  Françoise d’Eaubonne, mère de l’écoféminisme, n’y fera rien, l’autocratie gaullienne de Pompon imposera la poursuite du programme établi. Durant la décennie suivante, l’ensemble de la filière atomique civile sera effective avec un parc de 27 sites, comportant 58 réacteurs. S’il y eut une victoire antinucléaire, ce fut à Plogoff en Bretagne où presque toute la population s’était mobilisée contre une centrale : le projet sera finalement retiré !

 

En 1984, EDF inaugure Superphénix, à uranium naturel, situé dans l'ex-centrale nucléaire de Creys-Malville (38). Mis à l’arrêt treize ans plus tard, ses équipements serviront de laboratoire… pour la bagatelle de 50 Mds de francs.

 

La politique de Macron n’est en rien progressiste ; il s’évertue à faire perdurer une industrie fossile polluante à l’extrême (radio-activité mortelle pour des millénaires). Il n’aurait donc rien compris du process des conditions environnementales de toute la chaîne de cette industrie, de l’extraction et élaboration criminelle du minerai à son utilisation nucléesque jusqu’à l’entretien dangereux et désordonné de ses déchets, et cela malgré les terribles accidents nucléaires ? Il n’aurait non plus rien compris de l’évolution sociale et civilisationnelle due au climat et cela malgré les menaces environnementales et conflictuelles qui pèsent sur cette industrie ? Borné, le Macron, face aux menaces qui impacteront radio-activement à un moment ou à un autre, pour les siècles à venir ? Il n’en a cure. Son mandat est heureusement moins long. Quant aux nucléocrates, ils seront ou oubliés ou bannis de la communauté des survivants le cas échéant !

 

Le Conseil d’État retoque le gouvernement

 

En 2021, l’électricité d’origine nucléaire a produit 360,7 TWh (térawatt-heure) soit 69% de la production d'électricité en France métropolitaine. Les 31 % restants sont partagés, notamment, entre le gaz, l’hydraulique, le solaire, l’éolien, tout en considérant que 5 113 MW (mégawatt) sont importés.

La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat prévoit de réduire cette part du nucléaire à 50% en 2035. Alors, comment faire ? Aux six EPR2, exploitables selon la promesse pour 2035-2040, s’ajoutent, selon le chef de l’État, huit autres réacteurs pour 2050. Ces réacteurs de dernière génération auront deux missions : alimenter le parc automobile branché sur le secteur et remplacer les vieilles centrales qui dépassent 40 années d’exploitation, alors qu’ initialement elles ne devaient pas aller au-delà de 30 ans.

 

Prouver au monde entier que la France peut construire et installer en si peu de temps six EPR2 (à Graveline (59), Bugey (01) ou au Tricastin (26)), Manuel Macron imagine, tel un enfant gâté, que ce qu’il désire doit être obtenu, même manu-militari. Or, le Conseil d’État a retoqué le projet élyséen (voir encart) et, par ailleurs, EDF - a contrario des déclarations de son PDG, Luc Rémont (ex banquier d’affaires) - ne serait pas en capacité de couler le béton de la première tranche en 2027 (année de fin de mandat du Président). Car, si l’EPR2 paraît bien ficelé sur le papier, reste au bureau d’étude à finaliser techniquement le projet. Or, un retard est déjà pris par la filiale d’EDF, Framatome, pour finaliser la configuration du réacteur. Selon Libé, un rapport du ministère de l’économie, chiffrait à seulement 20 % le travail d’ingénierie réalisé. Par ailleurs, des problèmes cruciaux non réglés par l’électricien peuvent très bien se répéter avec la version 2 de l’EPR, notamment sur la question du refroidissement…

 

Le coût (prévisionnel) des six nouveaux réacteurs s’élèverait à 52 Mds d’euros. La course contre la montre est engagée pour montrer à la planète ce que peut « notre président » !

 

Toujours dans l’esprit de compétitivité mondiale, le locataire de l’Elysée donne l’exemple : plutôt que d’œuvrer pour la paix, la justice sociale et la préservation de la planète, il pérore sur une prétendue indépendance énergétique et une souveraineté économique du pays, alors qu’il court après les gisements d’uranium du Kazakhstan, du Niger, de la Russie… que l’ensemble des matériaux indispensables pour une technologie de pointe ne soient pas produits dans l’Hexagone, que le monde est au bord de la guerre. Il espère, par ailleurs, que le site d’enfouissement des déchets nucléaires projeté à Bure (55) accueillera également des déchets radioactifs importés.

 

Chargé de plusieurs dizaines de fûts d’uranium enrichi et de dix conteneurs d’uranium naturel en provenance de Russie, le cargo Mikhail Dudin a déchargé sa cargaison ce 29 novembre à Dunkerque (59). L’uranium déchargé aurait ensuite pris la route (par train et par camions) vers Pierrelatte où sont fabriqués les combustibles nucléaires alimentant les centrales françaises, et/ou de Lingen en Allemagne, précise Greenpeace. La précédente cargaison date du 13 septembre dernier. Car la France est dépendante de la Russie, non seulement pour s’approvisionner en uranium enrichi mais aussi pour « recycler l’uranium issu des combustibles utilisés dans les 56 réacteurs du parc » précise l’ONG, et seule l’installation de Rosatom en Sibérie est capable de le faire.

 

Dans le monde

 

Le parc nucléaire mondial compte 444 réacteurs nucléaires répartis entre 32 pays selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Presque 70% de ces tranches sont des réacteurs à eau pressurisée, comme ceux installés en France. En 2020, ce parc mondial a généré 2 553 TWh, soit 10,2 % de l’électricité au cours de l’année 2021. Les plus importants pays consommateurs de cette énergie sont les États-Unis, avec 93 réacteurs, la France 56, la Chine 54, Russie 37.

Les Etats-Unis en possèdent le plus grand nombre, mais leur part de production d’origine était de 19,7% en 2020. La France reste le pays dont la part d’électricité nucléaire est la plus importante avec ses 69 %.

L’AIEA estime que l’ensemble de la production mondiale d’électricité devrait doubler d’ici 2050. La part du nucléaire pourrait alors compter pour 12% de ce mix électrique mondial en 2050. Créée en juillet 1957 à l’initiative du président états-unien Eisenhower, l’AIEA a pour mission de promouvoir « l’atome au service de la paix ». 173 pays sont aujourd’hui membres de l’organisation, rattachée aux Nations-Unies. Ses axes de travail, basés sur le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP) concernent la sûreté et la sécurité du parc nucléaire, les garanties et la vérification des activités et installations nucléaires, la promotion de l’utilisation pacifique des sciences et des technologies nucléaires.

 

Le renouvelable toujours possible

 

Biogaz, éolien sur terre et sur mer, énergies marines, géothermie, hydroélectricité, photovoltaïque, valorisation des déchets… la diversité d’énergies renouvelables est en capacité de manière décentralisée de subvenir aux besoins territoriaux en courant électrique du pays, avec toutefois deux conditions : réduire la consommation dont le gaspillage représente un taux d’environ 40 %  dans son utilisation et abandonner le projet de la voiture et du chauffage tout électrique. En revanche, la biomasse et le biocarburant sont à exclure de la certification renouvelable, la première utilise du bois et donc nécessite une monoculture qui, en éliminant la biodiversité des forêts, participe à sa destruction. La seconde subtilise une production agricole, censée nourrir les populations, pour remplir les réservoirs des bagnoles, des camions. C’est l’absurdité même ! Mais le capitalisme n’est-il pas au summum de l’absurdité !?

Afin d’édifier la centrale de Flamanville, le génie civil aura utilisé 400 000 m³ de béton et 50 000 T d’armatures – soit 7 fois le poids de la Tour Eiffel.

Rien que le montant (prévisionnel) de 52 Mds d’euros pour la construction de 6 nouveaux EPR, permettrait la construction et l’installation de « mille et un »  projets renouvelables, et cela dans le même temps.

 

Pour ce faire, la lutte antinucléaire devrait, partout, être à la hauteur du rejet breton au projet de Plogoff. A ce moment là, et uniquement là, Macron et son monde reculeront !

 

Jano Celle, le 01.12. 22

 

 

Cocorico

Bien que la mise en marche de l’EPR à Flamanville était initialement prévue pour 2012, EDF annonce un report de cette mise en service à 2016, avec un coût passant de 3,3 à 6 Mds/€. En décembre 2012, EDF annonce que le coût du projet s'élèverait maintenant à 8,5 Mds. En novembre 2014, l’électricien annonce un nouveau report de la mise en service à 2017. Le 15 avril 2015, l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire) relève des « anomalies de fabrication » sur le fond et le couvercle de la cuve de l'EPR. Aussi, en septembre de la même année, EDF annonce un nouveau report opérationnel au 4° trimestre 2018. Dès lors, son coût atteint 10,5 Mds/€. En mai 2016, des pièces défaillantes dans la centrale sont sorties de l'usine du Creusot, grâce à des dossiers falsifiés ! En juin 2017, l'ASN demande à EDF de changer le couvercle de la cuve, puis autorise le 11 octobre suivant la mise en service du réacteur. En juillet 2018, faisant suite à des « écarts de qualité » découverts sur des soudures, un nouveau retard d'un an est annoncé.

Le chargement du combustible est désormais prévu au dernier trimestre 2019, le raccordement au réseau au 1er trimestre 2020. Mais en avril 2019, l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) et des experts de l’ASN émettent un avis défavorable sur la justification présentée par EDF du maintien en l’état moyennant une surveillance renforcée, de huit soudures sur les 33 incriminées.

En juin 2019, l’ASN ordonne la réparation des huit soudures situées au milieu de la double enceinte de béton qui protège le bâtiment réacteur, donc très difficiles à atteindre ; selon l'ASN, la rupture de ces soudures « ne peut plus être considérée comme hautement improbable », dixit EDF. De facto, le démarrage de l’EPR est renvoyé à la fin 2022 au plus tôt. L'ASN a écarté l'idée d'une réglementation française qui serait tatillonne : le niveau d'exigence est « comparable » à celui « retenu et atteint » pour les EPR de Taishan (Chine) et Olkiluoto (Finlande). « Nous ne sommes donc pas face à une exigence française qui serait d'un niveau supérieur au niveau d'exigence fixé pour ces soudures sur les EPR construits à l'étranger ». Mais en juillet 2019, EDF annonce que sa mise en service ne peut être envisagée avant fin 2022. Or, nous y sommes, et aucune annonce ne confirme aujourd’hui ce démarrage. Mais en fait, à la centrale chinoise et depuis peu, des anomalies causant problèmes ont été dévoilées… Cocorico, vive la Transe !

 

Le Conseil d’État retoque le projet EPR2

Contrairement aux projets d’installation de production d’énergies renouvelables, les EPR2 ne répondent pas à la qualification de « raison impérative d’intérêt public majeur » car le gouvernement n’a pas apporté de justifications suffisantes, d’une part, quant à la puissance prévisionnelle des installations futures, d’autre part, quant à la contribution attendue pour la réalisation des objectifs de la PPE , à savoir : sécurité d’approvisionnement, préservation du pouvoir d’achat des consommateurs, compétitivité des prix de l’énergie.

Le Conseil d’État rappelle qu’un projet d’EPR2 « ne pourra pas être qualifié d’intérêt général avant la fin du débat public » et que les impacts environnementaux notables devront faire l’objet d’une enquête publique.

Enfin, cet institut est sceptique quant aux motivations de ce projet de loi d’accélération des procédures administratives. Il rappelle que « le manque d’expérience récente de construction de réacteurs nucléaires relativise les appréciations qui peuvent être portées sur ces délais » et estime que « le gain de temps attendu (au niveau des procédures administratives) ne peut être évalué avec certitude ».

« La légèreté de l’étude d’impact (…) montre combien le gouvernement est convaincu de pouvoir passer en force sa relance du nucléaire sans avoir besoin de se justifier. Pour le Conseil d’État, le développement rapide des projets EPR2 est une chimère et le projet de loi d’accélération du nucléaire bafoue la consultation démocratique ». Comme quoi, la course contre la montre n’est jamais la solution !