Le vent se lève aussi à l’Est
(éditorial de PES n° 88)
Alors même qu’un tourbillon soulève
toujours le peuple iranien contre la mollahcratie, un vent frais de liberté atteint la masse chinoise, tout en se
transformant en vent mauvais pour l’autocratie du PCC, le Parti du Capitalisme Chinois.
Tout
est parti
le 22 novembre de Zhengzhou, ville
où la plus grande usine chinoise, comprenant 200 000 ouvriers et employés,
fabrique 70 % des iphone pour le
monde entier. A Fox.com, confinés,
alors que la promesse d’une prime n’était pas honorée, des milliers d’ouvriers
révoltés ont manifesté. Matraqués le 1er jour par la police, les
jours suivants, armés de barres de fer, ils ont fait fuir, après deux jours
d’affrontements violents, les sbires du régime.
Puis, un 2ème évènement fut l’étincelle qui embrasa toutes les
grandes villes chinoises. Le symbole est remarquable : à Urumqi, la
capitale du Xinjiang, cette région en majorité musulmane, stigmatisée et
« rééduquée » massivement dans des camps, à Urumqi donc, un immeuble
a pris feu. Les pompiers n’ont pu facilement y accéder du fait des mesures
drastiques de confinement imposées. 10 morts. Des images brisant la censure et
un immense soulèvement de solidarité
avec les Ouïgours.
L’encadrement du PCC (parti comptant 96
millions de membres), la censure (200 000 personnes y seraient affectées
rien que pour le contrôle d’internet), la propagande diffusant la peur du virus
mortel, tous ces dispositifs n’ont
pas suffi à empêcher le raz-de-marée et le retour du refoulé.
Raz-de-marée de critiques à
en juger par les slogans qui, de Pékin à Shanghai, de Nankin à Canton, du Xinjiang
au Tibet, traversant les universités, furent scandés : Liberté d’expression et de la presse !,
avec, en mains, une feuille blanche symbole de dénonciation de la censure, Nous n’oublions pas Tienanmen !, Xi Jing
Ping démission ! Non à la présidence à vie ! Nous n’avons pas besoin
d’empereur ! Et, plus inattendus, pour la presse occidentale, ces
protestations en foules compactes, ces défilés brandissant des drapeaux rouges,
citant Mao : Une étincelle peut
mettre le feu à toute la plaine ! Laissez le peuple s’exprimer, le ciel ne
s’effondrera pas ! et entonnant l’Internationale ou le chant révolutionnaire chinois dont les
premières paroles sont emblématiques : Debout !
Les gens qui ne veulent plus être des esclaves ! Comble de paradoxe, la
censure supprima cet hymne circulant sur les réseaux sociaux.
Retour
du refoulé.
Ces Chinois que les médias occidentaux décrivaient en sujets obéissants et
apathiques semblent se souvenir, malgré l’occultation historique de la révolution
culturelle si controversée où Mao avait dit qu’il fallait chercher la
bourgeoisie en formation dans le Parti lui-même et avait martelé : On a raison de se révolter contre les
oppresseurs ! Et,
s’interrogeant publiquement sur le modèle stalinien à l’œuvre également en
Chine, déclarait : Je ne vois aucune
différence d’organisation entre les usines capitalistes et les usines chinoises
(!). Il semble que les Chinois se
souviennent à la fois de l’appel Que
cent fleurs s’épanouissent ! et à la fois des dazibaos, ces journaux
muraux qui se répandaient dans toute la Chine, malgré les exactions qui ont
marqué la période maoïste. Même après l’échec de la Révolution culturelle, la
mise au pas de la Commune de Shanghai
s’inspirant de la Commune de Paris (1),
cette liberté d’expression était toujours vivace. Le couperet est tombé lors de
la répression sanglante de Tienanmen (1980), commanditée par Deng Xiaoping,
mise en œuvre par Li Peng, surnommé en Chine « le boucher ». La restauration
du capitalisme déjà bien entamée fut conduite par le machiavélique Jiang Zemin
dès 1989. Celui que l’on surnomma le « crapaud » organisa l’entrée de
la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce, fit modifier les statuts du PCC
afin de permettre aux entrepreneurs et patrons privés d’y adhérer… La boucle
semblait bouclée. Pas tout à fait : dans l’histoire du PCC, la tradition de
la bataille d’idées et des courants persistait malgré la répression contre les
maoïstes (la bande des quatre, d’abord…). Xi Jing Ping allait mettre fin
(momentanément ?) à la contestation possible de son pouvoir absolu après
une purge de grande ampleur précédant le dernier Congrès, celui de son
intronisation à vie.
Certes le pouvoir a déjà lâché du
lest : une prime de 11 000 yuans, représentant 2 mois de salaire, a
été octroyée aux ouvriers de Fox.com,
le confinement est assoupli ; dans la propagande, le virus omicron est
déclaré moins pathogène, la vaccination va s’amplifier par l’éducation des
personnes âgées réticentes. Mais la carotte de l’apaisement est assortie du
bâton de menaces potentielles : les protestations sont qualifiées « d’illégales et de criminelles ».
Autrement dit, « l’entrée dans une
nouvelle phase » semble augurer des lendemains difficiles pour maître Xi,
le promoteur de la pensée de Confucius, pourfendue pendant la révolution
culturelle comme philosophie justifiant le féodalisme des empereurs de Chine
qui avaient besoin des mandarins lettrés pour maintenir leur pouvoir.
Le peuple chinois, à qui [comme Guizot
sous la Monarchie de juillet (1830)] on promettait l’enrichissement à condition
de ne pas s’en prendre au régime, en a ras-le-bol : corruption, inégalités
criantes et désormais, avec la baisse de la croissance, le zéro covid d’enfermement,
la crise de l’immobilier, un chômage de masse pour les jeunes (20 %). Cette
révolte marque l’impossibilité
(malgré le recours à la censure, à l’idéologie patriotique et aux nouvelles
technologies) du contrôle des esprits.
A l’apparente apathie succèdent les inévitables soulèvements. A bien y
regarder, face à la situation dramatique que connaissent nombre de pays, du
fait de la conjonction des crises économique et écologique, il va falloir être
attentif à la tectonique des plaques. Les éléments déclencheurs semblent
disséminés partout sur la planète, tout comme les retours de flammes
répressives, voire guerrières.
GD le 6.12.2022
(1) lire avec la
distance critique nécessaire, le livre La
Commune de Shanghai et la commune de Paris de Jiang Hongsheng, préface d’Alain
Badiou, la Fabrique, 2014, 15€