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dimanche 29 janvier 2023

 

Cameroun

Colonialisme et néocolonialisme sanglants

 

En 1472, des navigateurs portugais, explorant les côtes africaines, pénètrent dans l’estuaire d’un fleuve situé au  niveau de l’Equateur, sur la côte occidentale de l’Afrique. Ce fleuve regorge de crevettes. Ils le nomment « le rio de Camaroes », le fleuve des crevettes. Ces explorateurs portugais ne s’installeront pas et continueront leur navigation. Des Anglais suivront et transformeront le nom en « Cameroons ». Eux aussi poursuivront leur chemin. Enfin des Allemands arriveront et s’installeront sur les rives du fleuve, conscients de l’énorme potentiel agricole de cette région.

 

La colonisation allemande

 

Les populations locales qui refusaient de travailler dans les plantations de palmiers à huile, de cacaotiers, de bananiers, d’arbres à caoutchouc ou de tabac sont rapidement réduites en esclavage ou déportées dans l’intérieur du pays. Les colons en profitent pour capturer des hommes de l’intérieur pour les faire travailler dans les plantations…

 

En 1884, les Allemands, pour protéger leurs intérêts commerciaux, établissent officiellement un protectorat sur cette région, qu’ils appellent Kameroun. Désolé pour l’amour propre des Camerounais, mais leur nom signifie « les crevettes ».

 

Bismarck, d’abord sceptique sur l’intérêt du projet colonial, se laisse convaincre par les bénéfices énormes que procurent ces plantations. Il encourage donc leur installation. Ce sont les compagnies qui imposent leurs volontés, l’administration et l’armée sont là pour les épauler, les soutenir, les protéger. Afin d’assurer l’essor économique du protectorat, les Allemands se lancent dans des travaux importants : construction de routes, de lignes de chemin de fer, du port de Douala, création de grandes plantations… Ces travaux sont réalisés par les populations locales soumises au travail forcé, aux châtiments corporels. L’armée force les autochtones à travailler dans des conditions proches de l’esclavage, mais contrairement à la Namibie, elle ne se livre pas à une extermination des populations locales. L’état d’esprit des Allemands vis-à-vis des populations locales était, toutefois, extrêmement colonialiste : le gouverneur du Cameroun de 1895 à 1907, écrit en 1911, à propos de ces populations : « il aurait mieux valu les exterminer ou les déporter lors de notre arrivée, mais il était maintenant, hélas, trop tard ».   

 

Cette colonie sera très prospère, d’autant plus qu’en 1886, la France et le Royaume Uni s’engagent, dans un traité, à ne pas concurrencer l’Allemagne dans cette région.

 

Après 14-18, domination coloniale franco-anglaise

 

Mais, en 1914, la première guerre mondiale se déroule également dans les colonies et en 1916, les 3 500 soldats allemands présents sur place sont battus par les contingents anglais et français. A partir de ce moment, les 4/5èmes du territoire sont administrés par la France, le reste par l’Angleterre. En 1919, le traité de Versailles officialise ce partage. En 1921, le Cameroun français reçoit l’autonomie politique et financière… sous l’autorité d’un gouverneur des colonies, nommé par la France, le tout entériné en 1922 par la SDN.

 

Des compagnies commerciales françaises reprennent les activités commerciales des anciennes compagnies allemandes, et continuent à exploiter le potentiel du pays. Les travailleurs indigènes ne verront pas de changement ; pour eux, les conditions de travail seront toujours les mêmes. La France continuera les travaux d’infrastructure débutés par l’Allemagne. On a tous lu, dans les manuels d’histoire de notre enfance, que la ligne de chemin de fer Yaoundé-Douala apporta le bonheur au Cameroun. Du bonheur - et des bénéfices - il y en eut… pour les compagnies françaises et leurs dirigeants. L’activité agricole était très rentable, mais, pour la population et les travailleurs qui eurent la « chance » de participer à la mise en place de ces infrastructures, c’est surtout le malheur qui était au rendez-vous. Un chiffre – qui ne figure pas dans nos livres d’école – l’illustre parfaitement : 62 %. C’est le taux de mortalité des travailleurs (forcés) indigènes sur le chantier de la ligne de chemin de fer Douala-Yaoundé. Ce n’est sans doute pas loin du taux de rentabilité des sociétés françaises au Cameroun à cette époque.

 

Militairement, la France aura maille à partir avec une ethnie du nord du Cameroun : les Kirdis. Contrairement aux autres ethnies (en particulier les Peuls), les Kirdis ne sont pas musulmans, très peu organisés et hiérarchisés. Il était plus difficile, pour le colonisateur, d’utiliser avec eux la méthode classique : corrompre les responsables. Il utilisa donc la manière forte : massacres et pillages. La tâche fut d’autant plus aisée que les Kirdis n’étaient pas soutenus par les autres ethnies, voire même combattus.

 

Essor du nationalisme indépendantiste

 

En 1940, le territoire camerounais est dans une situation plutôt surprenante. L’administration se rallie officiellement à la France libre mais des Allemands vivent toujours sur place. Certains ont conservé de petites exploitations et les Indigènes n’ont pas gardé un pire souvenir de la colonisation allemande que de la française. Les autorités françaises ont donc très peur qu’une partie de la population bascule du côté allemand et pour tenter de l’éviter, ils vont encore une fois utiliser la manière forte. Le système alors instauré par la France s’apparente à une dictature militaire : Leclerc, nommé commissaire général du Cameroun, instaure l’état de siège sur tout le territoire et abolit presque toute liberté publique. L’objectif est de neutraliser tout sentiment potentiellement indépendantiste ou de sympathie pour l’ancien colonisateur allemand. Les indigènes connus ou soupçonnés de germanophilie sont exécutés en place publique.

 

Après la guerre, deux évènements accélèrent le développement d’un sentiment nationaliste et anticolonial. En septembre 1945, à Douala, des colons ouvrent le feu sur une manifestation de grévistes. Un avion sera même utilisé pour tirer sur les émeutiers faisant plusieurs dizaines de morts.

 

Au même moment, le Rassemblement Démocratique Africain est créé à Bamako. Des Camerounais y participent, dont un certain Ruben Um Nyobe.

 

En 1948, l’Union des Populations du Cameroun voit le jour. Des Français anticolonialistes participent à sa création. Ils s’effaceront très vite pour laissent le leadership à des Camerounais. La première carte d’adhérent UPC sera celle de Gaston Donnat, instituteur communiste, en poste à Douala. Dans les premières années, l’UPC choisit la voie pacifique et formatrice. En 1955, elle compte 460 comités de villages ou de quartiers et 80 000 adhérents. Elle se tourne vers l’ONU pour réclamer l’indépendance du Cameroun après une période de transition de 10 ans. Mais l’Etat français n’est pas du tout prêt à lâcher le Cameroun. La France a perdu le Maroc et la Tunisie pour garder l’Algérie ; elle est en train de perdre l‘Indochine et il est impensable de perdre les possessions africaines : pas question d’accorder de véritables indépendances.

 

En 1954, les principaux dirigeants de l’UPC sont regroupés à Douala pour faciliter leur surveillance et mener contre eux un harcèlement judiciaire. en 1955, l’Etat français décide de passer à la vitesse supérieure et fait arrêter des militants indépendantistes. Des émeutes éclatent alors et la répression fait des dizaines de morts. L’UPC est accusée d’avoir organisé ces heurts et est dissoute en conseil des ministres. Des militants sont arrêtés, d’autres prennent le maquis.

 

Le Cameroun est alors un Etat sous tutelle. Un premier ministre, favorable aux intérêts français est nommé et Pierre Messmer devient le Haut-Commissaire du Cameroun. L’UPC organise la résistance mais l’armement de la guérilla est très sommaire, quelques pistolets ou fusils volés, mais surtout des machettes, des arcs… Dans les zones où la rébellion est active, les populations sont déportées vers des camps le long des grands axes de circulation, contrôlés par l’armée française. Les régions vidées de leur population deviennent alors des « zones interdites ». Les cultures sont détruites, le bétail abattu, les points d’eau empoisonnés et toute personne s’y trouvant est considérée comme rebelle et donc susceptible d’être abattue. C’est dans le cadre de cette opération que l’armée française utilisa le napalm (à l’heure où les manifestants dénonçaient les horreurs perpétrées par l’armée américaine au Viet Nam, ils ne savaient pas que la France pratiquait de la même manière au Cameroun !).

 

De mois en mois, les troupes françaises, constituées en grande partie de soldats recrutés dans les colonies d’Afrique noire et de miliciens camerounais, vont facilement prendre l’ascendant sur les « rebelles », coupés des populations locales. Ruben Um Nyobe est abattu en septembre 1958. Le très « intègre » Messmer peut alors annoncer dans la presse française que les quelques éléments terroristes qui s’opposaient à « l’œuvre civilisatrice » de la France au Cameroun avaient été neutralisés et que le peuple camerounais allait enfin pouvoir, en toute sécurité, profiter des bienfaits de la colonisation !!!  Mais c’était sans connaître les Camerounais.

 

En mai 1959, la rébellion se réorganise, de nouveaux « rebelles » créent l’Armée de Libération nationale du Kamerun. L’ALNK s’en prend dans un premier temps aux intérêts économiques des colons : « vous vivez dans un château doré construit sur un volcan ». Les grèves se multiplient, l’assassinat de Um Nyobe et l’écrasement de la rébellion par la contre-insurrection génocidaire ont étouffé les aspirations du peuple camerounais. Malgré l’imposition du régime néocolonial, l’esprit de libération nationale persiste.

 

Fin 1959, la plus grande partie de l’ouest du Cameroun est entrée en dissidence générale contre le gouvernement. Dans les villes, les autorités effectuent des « opérations de refoulement des populations indésirables ». Elles concernent surtout les personnes d’origine Bassa et Bamiléké, deux ethnies suspectées de connivence avec les « rebelles ». Ces populations sont renvoyées dans leurs régions rurales d’origine.

 

En 1960, la France accorde l’indépendance au Cameroun, mais pas l’indépendance souhaitée par l’UPC, l’indépendance à la française, une indépendance largement théorique puisque chaque ministre camerounais est assisté d’un conseiller français qui dispose de la réalité du pouvoir ; le pays conserve le franc CFA et des « accords de coopération » lient le Cameroun à la France. Toutes les ressources stratégiques sont exploitées par l’ancienne puissance coloniale et des troupes sont maintenues dans le pays.

 

Après ce simulacre d’indépendance, l’UPC déclenche une insurrection pour renverser le nouveau régime, ce qui va entraîner une forte répression. Des camps de détention sont à nouveau mis en place. Des milliers de Camerounais, jugés subversifs, disparaissent dans ces camps, temporairement ou définitivement. Les conditions de détention sont proches de l’esclavage. Toutes les opérations militaires menées par l’armée camerounaise sont dirigées par des officiers français. Les méthodes militaires sont les mêmes qu’en Indochine ou en Algérie, transmises aux Camerounais dans le cadre de l’école militaire interarmées du Cameroun (EMIAC), dirigée par des officiers français. Face à un tel déploiement, la partie est perdue d’avance pour les tenants d’une rébellion armée.

 

L’UPC va alors tenter de jouer le jeu électoral, présentant, en avril 1964, des candidats aux élections législatives. Dans les zones tenues par le gouvernement, la pression contre les candidats UPC sera telle que beaucoup ne pourront même pas participer aux élections. Dans les zones favorables aux indépendantistes, les résultats seront annulés au nom de « l’union nationale » et les mécontents incarcérés dans les tristement célèbres camps de torture de Mantum, Tcholliré ou Mokolo.

 

En septembre 1966, pour éviter « les désagréments de la démocratie », le président Ahidjo  fusionne tous les partis camerounais (à l’exception de l’UPC) en un parti unique, l’UNC, Union Nationale Camerounaise. Tous les leaders de l’UPC sont soit en prison, soit en exil. Ces derniers seront pourchassés, et beaucoup, assassinés, comme Félix Moumié, empoisonné par les services secrets français à Genève. Le dernier d’entre eux, revenu au Cameroun pour organiser la lutte armée, Ernest Ouandié sera arrêté et fusillé en 1971.

 

Révisionnisme historique et entreprise meurtrière de la France (dite des Droits de l’Homme)

 

Cette guerre d’indépendance menée par la France au Cameroun a fait sans doute des centaines de milliers de victimes. L’armée française a commis des assassinats ciblés d’opposants. Elle a organisé et fait exécuter, par les soldats camerounais, des bombardements de civils en utilisant le napalm, des tortures et des actes de barbarie généralisée. Elle a déplacé, parqué des populations selon ses besoins. Tout cela dans la plus totale discrétion. Officiellement, il n’y a pas eu de guerre d’indépendance. La presse de l’époque était certes accaparée par les « évènements » d’Algérie, mais elle a surtout obéi à la volonté des autorités de dissimuler les exactions des unités militaires françaises. La presse française a étouffé, ce qui fut un véritable « génocide », organisé, planifié par des militaires français sur ordre d’hommes politiques au pouvoir (cf encart Messmer) et fonctionnaires eux aussi français. Le nombre de victimes est très difficile à connaître précisément. Les chiffres tournent entre 800 000 et un million de morts, essentiellement parmi l’ethnie bamiléké. La torture était organisée, connue de tous. Jeannette Kamtchueng témoigne : « le soir, les convois militaires reviennent remplis de têtes qui sont déversées au carrefour… à son retour, mon papa n’était qu’un témoin renvoyé par Dieu pour témoigner de ce qu’est l’horreur coloniale, l’hitlérisme version tropicale. Il parlait tout seul, son corps était présent mais son esprit, sa personnalité étaient restés dans les camps de la mort… après la guerre, la région était presque vide. Ma belle-mère a perdu ses 8 frères… le peuple bamiléké reste encore aujourd’hui très traumatisé. Quand la France reconnaîtra-t-elle sa culpabilité ? ».   

 

Que dire de François Fillon, alors 1er ministre, déclarant à Yaoundé en 2009, que ces évènements étaient pure invention et que Pierre Messmer « a eu une vie faite de droiture, de devoir, d’honneur… ». Il poussera même le cynisme jusqu’à déclarer aux obsèques de celui-ci : « La question de la condition humaine est plus actuelle que jamais. Cette question est naturellement politique car qu’est-ce que la politique si ce n’est la volonté d’orienter les forces de l’histoire pour ne pas les voir déposséder l’homme et les peuples de leur libre arbitre et de leur destin » !!! Certains analystes professionnels se demandent pourquoi tant de personnes ne croient plus en la parole des hommes politiques. Ceux-ci se sont répandus en louanges en saluant la mémoire de Messmer : Sarkozy, Chirac, Debré, mais plus étonnement et sans aucune retenue, Delanoë ( PS) déclarant que Messmer fut « un acteur majeur de la décolonisation » et, mention spéciale à Chevènement affirmant : « Nombreux sont les Français qui salueront le parcours sans tache et l’unité incomparable de la vie de ce grand citoyen ».

 

Jean-Louis Lamboley, le 8.01.2023

 

pour en savoir plus, lire Kamerun. Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. 1948-1971 de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, ed. la Découverte

 

encart

Pierre Messmer

Dans cette guerre du Cameroun, l’hypocrisie et le cynisme de l’Etat français sont symbolisés par cet homme. Présenté comme un sage, un homme responsable, réfléchi… cet homme a décidé froidement depuis son bureau, la mort de milliers de Camerounais. Pourtant, après cet « évènement », il devient ministre d’Etat dans le gouvernement de Chaban-Delmas, il sera le 1er ministre de trois gouvernements. Il sera député de la Moselle durant 14 ans, député européen, élu à l’Académie des sciences morales et politiques, élu à l’Académie française, Chevalier de l’institut de France… Et durant toutes ces années, pas u mot de la part de la presse sur ce passé peu glorieux, et surtout pas une parole de repentance de sa part. Espérons qu’l n’y a pas d’élèves d’origine camerounaise dans le collège qui porte son nom à Sarrebourg ! Mais faut-il exonérer les présidents et premiers ministres dont il était le serviteur zélé…

 

encart

2 présidents en 60 ans

Depuis l’indépendance, le Cameroun a élu deux présidents : de 1960 à 1980, Ahmedou Ahidjo et Paul Biya (grand ami de la France !), depuis 1982, après avoir été 1er ministre de 1975 à 1982

 

Encart

Le 2 mars 1960, sous la direction de l’armée française, les troupes camerounaises rasent le bourg de Yogandima, massacrant près de 8 000 civils sans armes. Ce n’est hélas pas un cas isolé. Entre février et mars 1960, 156 villages sont incendiés et rasés. Un bilan précis des destructions est tenu par les cadres militaires français : 116 écoles, 3 hôpitaux, 46 dispensaires, 40 ponts... L’armée ne fait pas de quartiers, les cadavres sont exposés dans les villages, de même que les têtes des « rebelles » qui sont été décapités.