Cameroun
Colonialisme
et néocolonialisme sanglants
En
1472, des navigateurs portugais, explorant les côtes africaines, pénètrent dans
l’estuaire d’un fleuve situé au niveau
de l’Equateur, sur la côte occidentale de l’Afrique. Ce fleuve regorge de
crevettes. Ils le nomment « le rio de Camaroes », le fleuve des
crevettes. Ces explorateurs portugais ne s’installeront pas et continueront
leur navigation. Des Anglais suivront et transformeront le nom en
« Cameroons ». Eux aussi poursuivront leur chemin. Enfin des
Allemands arriveront et s’installeront sur les rives du fleuve, conscients de
l’énorme potentiel agricole de cette région.
La
colonisation allemande
Les
populations locales qui refusaient de travailler dans les plantations de
palmiers à huile, de cacaotiers, de bananiers, d’arbres à caoutchouc ou de tabac
sont rapidement réduites en esclavage
ou déportées dans l’intérieur du pays. Les colons en profitent pour capturer
des hommes de l’intérieur pour les faire travailler dans les plantations…
En
1884, les Allemands, pour protéger leurs intérêts commerciaux, établissent
officiellement un protectorat sur cette région, qu’ils appellent Kameroun.
Désolé pour l’amour propre des Camerounais, mais leur nom signifie « les
crevettes ».
Bismarck,
d’abord sceptique sur l’intérêt du projet colonial, se laisse convaincre par
les bénéfices énormes que procurent ces plantations. Il encourage donc leur
installation. Ce sont les compagnies qui imposent leurs volontés, l’administration
et l’armée sont là pour les épauler, les soutenir, les protéger. Afin d’assurer
l’essor économique du protectorat, les Allemands se lancent dans des travaux
importants : construction de routes, de lignes de chemin de fer, du port
de Douala, création de grandes plantations… Ces travaux sont réalisés par les
populations locales soumises au travail
forcé, aux châtiments corporels. L’armée force les autochtones à travailler
dans des conditions proches de l’esclavage, mais contrairement à la Namibie,
elle ne se livre pas à une extermination des populations locales. L’état
d’esprit des Allemands vis-à-vis des populations locales était, toutefois,
extrêmement colonialiste : le gouverneur du Cameroun de 1895 à 1907, écrit
en 1911, à propos de ces populations : « il aurait mieux valu les exterminer ou les déporter lors de notre
arrivée, mais il était maintenant, hélas, trop tard ».
Cette
colonie sera très prospère, d’autant plus qu’en 1886, la France et le Royaume
Uni s’engagent, dans un traité, à ne pas concurrencer l’Allemagne dans cette
région.
Après 14-18,
domination coloniale franco-anglaise
Mais,
en 1914, la première guerre mondiale se déroule également dans les colonies et
en 1916, les 3 500 soldats allemands présents sur place sont battus par
les contingents anglais et français. A partir de ce moment, les 4/5èmes du
territoire sont administrés par la France, le reste par l’Angleterre. En 1919,
le traité de Versailles officialise ce partage. En 1921, le Cameroun français
reçoit l’autonomie politique et financière… sous l’autorité d’un gouverneur des
colonies, nommé par la France, le tout entériné en 1922 par la SDN.
Des
compagnies commerciales françaises reprennent les activités commerciales des
anciennes compagnies allemandes, et continuent à exploiter le potentiel du
pays. Les travailleurs indigènes ne verront pas de changement ; pour eux, les conditions de travail seront
toujours les mêmes. La France continuera les travaux d’infrastructure débutés
par l’Allemagne. On a tous lu, dans les manuels d’histoire de notre enfance,
que la ligne de chemin de fer Yaoundé-Douala apporta le bonheur au Cameroun. Du
bonheur - et des bénéfices - il y en eut… pour les compagnies françaises et
leurs dirigeants. L’activité agricole était très rentable, mais, pour la population
et les travailleurs qui eurent la « chance » de participer à la mise
en place de ces infrastructures, c’est surtout le malheur qui était au
rendez-vous. Un chiffre – qui ne figure pas dans nos livres d’école –
l’illustre parfaitement : 62 %.
C’est le taux de mortalité des
travailleurs (forcés) indigènes sur le chantier
de la ligne de chemin de fer Douala-Yaoundé. Ce n’est sans doute pas loin
du taux de rentabilité des sociétés françaises au Cameroun à cette époque.
Militairement,
la France aura maille à partir avec une ethnie du nord du Cameroun : les Kirdis. Contrairement aux autres
ethnies (en particulier les Peuls), les Kirdis ne sont pas musulmans, très peu
organisés et hiérarchisés. Il était plus difficile, pour le colonisateur,
d’utiliser avec eux la méthode classique : corrompre les responsables. Il
utilisa donc la manière forte : massacres et pillages. La tâche fut
d’autant plus aisée que les Kirdis n’étaient pas soutenus par les autres
ethnies, voire même combattus.
Essor du
nationalisme indépendantiste
En
1940, le territoire camerounais est dans une situation plutôt surprenante.
L’administration se rallie officiellement à la France libre mais des Allemands
vivent toujours sur place. Certains ont conservé de petites exploitations et
les Indigènes n’ont pas gardé un pire souvenir de la colonisation allemande que
de la française. Les autorités françaises ont donc très peur qu’une partie de
la population bascule du côté allemand et pour tenter de l’éviter, ils vont
encore une fois utiliser la manière forte. Le système alors instauré par la
France s’apparente à une dictature
militaire : Leclerc, nommé commissaire général du Cameroun,
instaure l’état de siège sur tout le territoire et abolit presque toute liberté
publique. L’objectif est de neutraliser tout sentiment potentiellement indépendantiste
ou de sympathie pour l’ancien colonisateur allemand. Les indigènes connus ou
soupçonnés de germanophilie sont exécutés en place publique.
Après
la guerre, deux évènements accélèrent le développement d’un sentiment
nationaliste et anticolonial. En septembre 1945, à Douala, des colons ouvrent
le feu sur une manifestation de grévistes. Un avion sera même utilisé pour
tirer sur les émeutiers faisant plusieurs dizaines de morts.
Au
même moment, le Rassemblement
Démocratique Africain est créé à Bamako. Des Camerounais y participent,
dont un certain Ruben Um Nyobe.
En
1948, l’Union des Populations du
Cameroun voit le jour. Des Français anticolonialistes participent à sa
création. Ils s’effaceront très vite pour laissent le leadership à des Camerounais.
La première carte d’adhérent UPC sera celle de Gaston Donnat, instituteur
communiste, en poste à Douala. Dans les premières années, l’UPC choisit la voie
pacifique et formatrice. En 1955, elle compte 460 comités de villages ou de
quartiers et 80 000 adhérents. Elle se tourne vers l’ONU pour réclamer
l’indépendance du Cameroun après une période de transition de 10 ans. Mais
l’Etat français n’est pas du tout prêt à lâcher le Cameroun. La France a perdu
le Maroc et la Tunisie pour garder l’Algérie ; elle est en train de perdre
l‘Indochine et il est impensable de perdre les possessions africaines : pas
question d’accorder de véritables indépendances.
En
1954, les principaux dirigeants de l’UPC sont regroupés à Douala pour faciliter
leur surveillance et mener contre eux un harcèlement judiciaire. en 1955,
l’Etat français décide de passer à la vitesse supérieure et fait arrêter des
militants indépendantistes. Des émeutes éclatent alors et la répression fait
des dizaines de morts. L’UPC est accusée d’avoir organisé ces heurts et est
dissoute en conseil des ministres. Des militants sont arrêtés, d’autres
prennent le maquis.
Le
Cameroun est alors un Etat sous tutelle. Un premier ministre, favorable aux
intérêts français est nommé et Pierre
Messmer devient le Haut-Commissaire du Cameroun. L’UPC organise la
résistance mais l’armement de la guérilla est très sommaire, quelques pistolets
ou fusils volés, mais surtout des machettes, des arcs… Dans les zones où la
rébellion est active, les populations sont déportées
vers des camps le long des grands axes de circulation, contrôlés par
l’armée française. Les régions vidées de
leur population deviennent alors des « zones interdites ». Les
cultures sont détruites, le bétail abattu, les points d’eau empoisonnés et
toute personne s’y trouvant est considérée comme rebelle et donc susceptible d’être
abattue. C’est dans le cadre de cette opération que l’armée française utilisa le napalm (à l’heure où les
manifestants dénonçaient les horreurs perpétrées par l’armée américaine au Viet
Nam, ils ne savaient pas que la France pratiquait de la même manière au
Cameroun !).
De
mois en mois, les troupes françaises, constituées en grande partie de soldats
recrutés dans les colonies d’Afrique noire et de miliciens camerounais, vont
facilement prendre l’ascendant sur les « rebelles », coupés des
populations locales. Ruben Um Nyobe est
abattu en septembre 1958. Le
très « intègre » Messmer peut alors annoncer dans la presse française
que les quelques éléments terroristes qui s’opposaient à « l’œuvre
civilisatrice » de la France au Cameroun avaient été neutralisés et que le
peuple camerounais allait enfin pouvoir, en toute sécurité, profiter des
bienfaits de la colonisation !!! Mais c’était sans connaître les Camerounais.
En
mai 1959, la rébellion se réorganise, de nouveaux « rebelles » créent
l’Armée de Libération nationale du Kamerun. L’ALNK s’en prend dans un premier
temps aux intérêts économiques des colons : « vous vivez dans un
château doré construit sur un volcan ». Les grèves se multiplient,
l’assassinat de Um Nyobe et l’écrasement de la rébellion par la
contre-insurrection génocidaire ont étouffé les aspirations du peuple
camerounais. Malgré l’imposition du régime néocolonial, l’esprit de libération
nationale persiste.
Fin
1959, la plus grande partie de l’ouest du Cameroun est entrée en dissidence
générale contre le gouvernement. Dans les villes, les autorités effectuent des « opérations de refoulement des populations indésirables ». Elles
concernent surtout les personnes d’origine Bassa et Bamiléké, deux ethnies
suspectées de connivence avec les « rebelles ». Ces populations sont
renvoyées dans leurs régions rurales d’origine.
En
1960, la France accorde
l’indépendance au Cameroun, mais pas
l’indépendance souhaitée par l’UPC, l’indépendance à la française, une
indépendance largement théorique puisque chaque ministre camerounais est
assisté d’un conseiller français qui dispose de la réalité du pouvoir ; le
pays conserve le franc CFA et des « accords de coopération » lient le
Cameroun à la France. Toutes les ressources stratégiques sont exploitées par
l’ancienne puissance coloniale et des troupes sont maintenues dans le pays.
Après
ce simulacre d’indépendance, l’UPC
déclenche une insurrection pour renverser le nouveau régime, ce qui va
entraîner une forte répression. Des camps
de détention sont à nouveau mis en place. Des milliers de Camerounais,
jugés subversifs, disparaissent dans ces camps, temporairement ou
définitivement. Les conditions de détention sont proches de l’esclavage. Toutes
les opérations militaires menées par l’armée camerounaise sont dirigées par des
officiers français. Les méthodes militaires sont les mêmes qu’en Indochine ou
en Algérie, transmises aux Camerounais dans le cadre de l’école militaire
interarmées du Cameroun (EMIAC), dirigée par des officiers français. Face à un
tel déploiement, la partie est perdue d’avance pour les tenants d’une rébellion
armée.
L’UPC
va alors tenter de jouer le jeu électoral, présentant, en avril 1964, des
candidats aux élections législatives. Dans les zones tenues par le gouvernement,
la pression contre les candidats UPC sera telle que beaucoup ne pourront même
pas participer aux élections. Dans les zones favorables aux indépendantistes,
les résultats seront annulés au nom de « l’union nationale » et les
mécontents incarcérés dans les tristement célèbres camps de torture de Mantum, Tcholliré ou Mokolo.
En
septembre 1966, pour éviter « les désagréments de la démocratie », le
président Ahidjo fusionne tous les
partis camerounais (à l’exception de l’UPC) en un parti unique, l’UNC, Union
Nationale Camerounaise. Tous les leaders de l’UPC sont soit en prison, soit en
exil. Ces derniers seront pourchassés, et beaucoup, assassinés, comme Félix Moumié, empoisonné par les services secrets français à Genève. Le dernier
d’entre eux, revenu au Cameroun pour organiser la lutte armée, Ernest Ouandié sera arrêté et fusillé en 1971.
Révisionnisme
historique et entreprise meurtrière de la France (dite des Droits de l’Homme)
Cette
guerre d’indépendance menée par la France au Cameroun a fait sans doute des
centaines de milliers de victimes. L’armée française a commis des assassinats
ciblés d’opposants. Elle a organisé et fait exécuter, par les soldats
camerounais, des bombardements de civils en utilisant le napalm, des tortures
et des actes de barbarie généralisée. Elle a déplacé, parqué des populations
selon ses besoins. Tout cela dans la plus totale discrétion. Officiellement, il
n’y a pas eu de guerre d’indépendance. La
presse de l’époque était certes accaparée par les « évènements » d’Algérie,
mais elle a surtout obéi à la volonté des autorités de dissimuler les exactions des unités militaires françaises. La
presse française a étouffé, ce qui fut un véritable « génocide », organisé, planifié par des militaires français sur
ordre d’hommes politiques au pouvoir (cf encart Messmer) et fonctionnaires eux
aussi français. Le nombre de victimes est très difficile à connaître
précisément. Les chiffres tournent entre
800 000 et un million de morts, essentiellement parmi l’ethnie bamiléké.
La torture était organisée, connue de tous. Jeannette Kamtchueng
témoigne : « le soir, les
convois militaires reviennent remplis de têtes qui sont déversées au carrefour…
à son retour, mon papa n’était qu’un témoin renvoyé par Dieu pour témoigner de
ce qu’est l’horreur coloniale,
l’hitlérisme version tropicale. Il parlait tout seul, son corps était présent
mais son esprit, sa personnalité étaient restés dans les camps de la mort… après la guerre, la région était presque vide. Ma
belle-mère a perdu ses 8 frères… le peuple bamiléké reste encore aujourd’hui
très traumatisé. Quand la France reconnaîtra-t-elle sa
culpabilité ? ».
Que
dire de François Fillon, alors 1er ministre, déclarant à Yaoundé en
2009, que ces évènements étaient pure invention et que Pierre Messmer « a eu une vie faite de droiture, de devoir,
d’honneur… ». Il poussera même le cynisme jusqu’à déclarer aux
obsèques de celui-ci : « La
question de la condition humaine est plus actuelle que jamais. Cette question
est naturellement politique car qu’est-ce que la politique si ce n’est la
volonté d’orienter les forces de l’histoire pour ne pas les voir déposséder
l’homme et les peuples de leur libre arbitre et de leur destin » !!!
Certains analystes professionnels se demandent pourquoi tant de personnes ne
croient plus en la parole des hommes politiques. Ceux-ci se sont répandus en
louanges en saluant la mémoire de Messmer : Sarkozy, Chirac, Debré, mais
plus étonnement et sans aucune retenue, Delanoë ( PS) déclarant que Messmer fut
« un acteur majeur de la décolonisation »
et, mention spéciale à Chevènement affirmant : « Nombreux sont les Français qui salueront le parcours sans tache et
l’unité incomparable de la vie de ce grand citoyen ».
Jean-Louis
Lamboley, le 8.01.2023
pour
en savoir plus, lire Kamerun. Une guerre
cachée aux origines de la Françafrique. 1948-1971 de Thomas Deltombe,
Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, ed. la Découverte
encart
Pierre Messmer
Dans
cette guerre du Cameroun, l’hypocrisie et le cynisme de l’Etat français sont
symbolisés par cet homme. Présenté comme un sage, un homme responsable,
réfléchi… cet homme a décidé froidement depuis son bureau, la mort de milliers
de Camerounais. Pourtant, après cet « évènement », il devient
ministre d’Etat dans le gouvernement de Chaban-Delmas, il sera le 1er
ministre de trois gouvernements. Il sera député de la Moselle durant 14 ans,
député européen, élu à l’Académie des sciences morales et politiques, élu à l’Académie
française, Chevalier de l’institut de France… Et durant toutes ces années, pas
u mot de la part de la presse sur ce passé peu glorieux, et surtout pas une
parole de repentance de sa part. Espérons qu’l n’y a pas d’élèves d’origine
camerounaise dans le collège qui porte son nom à Sarrebourg ! Mais faut-il
exonérer les présidents et premiers ministres dont il était le serviteur zélé…
encart
2 présidents en 60 ans
Depuis
l’indépendance, le Cameroun a élu deux présidents : de 1960 à 1980,
Ahmedou Ahidjo et Paul Biya (grand ami de la France !), depuis 1982, après
avoir été 1er ministre de 1975 à 1982
Encart
Le
2 mars 1960, sous la direction de l’armée française, les troupes camerounaises
rasent le bourg de Yogandima, massacrant près de 8 000 civils sans armes.
Ce n’est hélas pas un cas isolé. Entre février et mars 1960, 156 villages sont
incendiés et rasés. Un bilan précis des destructions est tenu par les cadres
militaires français : 116 écoles, 3 hôpitaux, 46 dispensaires, 40 ponts...
L’armée ne fait pas de quartiers, les cadavres sont exposés dans les villages,
de même que les têtes des « rebelles » qui sont été décapités.