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dimanche 29 janvier 2023

 

Corruption tentaculaire

 

Les scandales autour de la coupe du monde de football de 2022 au Qatar sont innombrables. Attribution douteuse, aberration environnementale, maltraitances humaines, se cumulent avec le dernier scandale de corruption au sein des plus hautes autorités européennes. Malheureusement, la corruption  touche toutes les sphères politiques mais ce dernier épisode ravive les tensions.

 

Qatargate et Marocgate

 

En Décembre 2022, une vaste enquête du Parquet belge permet l’arrestation de six personnes et seize perquisitions. Le père d’Eva KaÏli, la vice-présidente du Parlement européen, est arrêté en possession d’un sac rempli d’argent ; le domicile de sa fille est ensuite perquisitionné, puis elle est interpellée à son domicile. Elle ne peut pas bénéficier de son immunité parlementaire, car l’infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit » en raison des « sacs de billets » retrouvés à son domicile.

 

Eva Kaïli, lors d’une prise de parole au Parlement européen le 22 novembre, avait salué les réformes du Qatar : « Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail ». Le 10 décembre, elle est destituée de son titre de vice-présidente du Parlement européen. A la suite des interrogatoires, trois personnes sont écrouées. Eva Kaïli, eurodéputée social-démocrate grecque, Francesco Giorgio, son compagnon et assistant parlementaire, Antonio Panzeri, ex-eurodéputé italien.

 

Antonio Panzeri apparaît comme la personne au centre du scandale ; la police belge a découvert 600 000 euros en espèces à son domicile. Pour Libération, celui-ci présentait un profil idéal : « ancien leader syndical formé dans les rangs du Parti communiste italien, eurodéputé de gauche pour trois mandats consécutifs et militant des droits de l’homme : le Qatar pouvait difficilement trouver un candidat avec une meilleure couverture pour tenter d’infiltrer, ou tout du moins d’influencer, les institutions européennes ».

 

Mi-décembre, l’implication du Qatar et du Maroc dans le scandale est confirmée. Le Qatar dénonce des mesures qui auraient des « impacts négatifs sur la coopération », les exportations qataris de gaz en direction de l’UE, et menace de lourdes conséquences sur la « sécurité énergétique mondiale ».

Antonio Panzeri aurait  reconnu partiellement son implication dans cette affaire, mais dénonce l’eurodéputé belge Marc Tarabella « comme bénéficiaire de cadeaux venant du Qatar ». Ce dernier nie d’abord toute influence puis son avocat avance que son client a « reconnu avoir été l’un des dirigeants d’une organisation criminelle (…) en lien avec le Qatar et le Maroc. » Un accord permet à cet ancien élu socialiste, dirigeant de l’ONG Fight Impunity, d’être condamné à une peine de prison limitée.

Les suspects ont été inculpés pour « appartenance à une organisation criminelle », « blanchiment d’argent » et « corruption ». Ils sont soupçonnés d’avoir perçu de grosses sommes d’argent liquide -1,5 million d’euros ont été découvert jusqu’ici - pour influencer, en faveur de puissances étrangères, les déclarations et prises de décisions politiques, notamment à propos des droits des travailleurs au Qatar, au sein de la seule institution élue de l’UE.

 

L’ère du soupçon

 

Est-ce l’incarcération d’Eva Kaïli, Fransceco Giorgi et Antonio Panzeri qui a redonné de la mémoire à de nombreux parlementaires européens ? Ils sont nombreux à notifier à l’administration des informations qu’ils avaient « oublié » de fournir à temps. Certains ont signalé un voyage effectué à l’invitation d’un Etat étranger, d’autres ont déclaré des cadeaux reçus. Même la présidente de l’institution, Roberta Metsola, a procédé à cette mise à jour. Leur précipitation à se mettre en règle illustre les lacunes d’une institution autorégulée (!) où les élus décident des règles qu’ils doivent appliquer, vérifient si elles le sont effectivement et conviennent d’éventuelles sanctions. Sans l’enquête belge, « le train-train aurait continué », assure un fonctionnaire européen.

« La confiance dans le Parlement européen qu’on a mis vingt ans à construire a été détruite en quelques jours », confiait au Monde Roberta Metsola. Les Européens ont découvert, stupéfaits, des pratiques qu’ils pensaient d’un autre temps. « Je pense que d’autres affaires vont sortir car il n’y a pas de raison que la Russie, la Chine ou d’autres puissances n’aient pas recours aux mêmes pratiques que le Qatar ou le Maroc. Il y a, au Parlement européen, un problème structurel » juge Raphaël Glucksmann, d’autant que Bruxelles héberge aujourd’hui 25 000 lobbyistes et 8 000 diplomates.

Avec le scandale sur lequel la justice belge enquête, aidée par Panzeri qui a accepté le statut de repenti, « les langues se délient », constate Raphaël Gluksmann. Dominique Riquet, ex-maire de Valenciennes, redoute, lui, « l’ère du soupçon, car le soupçon, c’est un élément totalitaire, pas démocratique ».


                                               Dans le camp Macron


Bien qu’en aout 2016, en quittant Bercy pour briguer l’Elysée, Emmanuel Macron formulait l’ambition de porter « un projet qui serve uniquement l’intérêt général » et promettait des « dirigeants responsables, exemplaires, et qui rendent des comptes » ; cette image trébuche sur des affaires dans lesquelles semblent se confondre responsabilités publiques et intérêts privés. Plusieurs épisodes judiciaires – Cayeux, Kolher, Dupont-Moretti, etc  - ont lesté son camp.

 

La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a saisi la justice de la désormais ex-ministre déléguée aux collectivités territoriales, Caroline Cayeux, suspectant de possibles « évaluations mensongères de son patrimoine » et une « fraude fiscale ».  Selon l’institution, Caroline Cayeux aurait minoré de près de 4 millions d’euros la valeur de son appartement parisien et de sa maison en Bretagne – ce qu’elle conteste. En 2021, la HATVP l’avait déjà alertée d’une « forte sous-évaluation » d’une propriété de l’ex-maire de Beauvais et « des risques qu’elle encourait en cas de réitération ». Et d’ajouter : « Elle a par ailleurs cédé elle-même des biens à la même adresse pour un prix au mètre carré très nettement supérieur à celui déclaré. De fait, elle ne pouvait pas ignorer la juste valeur. » Elle est la treizième ministre à avoir démissionné depuis 2017 pour des problèmes déontologiques ou judiciaires, selon un décompte de l’Agence France-Presse.

 Ce cas nourrit l’effet de répétition, après les révélations fin novembre, sur l’audition du secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kolher, mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire de ses liens familiaux avec l’armateur MSC. Le bras droit de M. Macron est soupçonné d’avoir, entre 2009 et 2016, participé à huit délibérations concernant le groupe italo-suisse, puis d’avoir « persisté (…) à émettre des avis ou à donner des orientations stratégiques » impliquant MSC. Avant de devenir directeur financier de la branche croisière de MSC, sans que la HATVP ou la Commission de déontologie ne connaissent la « nature exacte » de ses liens, selon les magistrats. Début octobre, M. Macron avait jugé « tout à fait légitime » son maintien à l’Elysée.

 

Fait totalement inédit pour un ministre en exercice, Eric Dupont-Moretti, a été renvoyé devant la Cour de Justice de la République (CJR). Il s’est vu signifier début Octobre, par les magistrats de la commission d’instruction, son renvoi devant cette juridiction pénale pour être jugé pour « prises illégales d’intérêts ». Ce délit est passible de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de  500 000 euros. Cette décision de renvoi clôt une instruction ouverte en janvier 2021 devant cette juridiction pénale, la seule habilitée à juger les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leur mandat. Eric Dupont-Moretti est accusé d’avoir profité de sa fonction, une fois à la tête du ministère de la justice, pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat, ce qu’il conteste. Compte-tenu du pourvoi en cassation, le procès ne devrait pas se tenir avant la fin de 2023.

 La multiplication de ces mises en cause a contraint le gouvernement à un véritable tête-à-queue. Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, s’est retrouvé contraint de déclarer : « On a trop tendance à confondre mise en examen et condamnation », « Est-ce qu’on doit écarter quelqu’un qui est en responsabilité parce qu’il y a mise en examen ? (…) Nous considérons que non ».

Le déni de l’impact de mise en examen de responsables politiques de premier rang est ainsi devenu une spécificité française, au regard de toutes les pratiques suivies en la matière par les grands pays européens.

 

Transparence Internationale

 

L’ombre de la corruption plane donc bien au-delà des institutions européenne et elle grandit. L’Agence française Anticorruption et le service statistique ministériel de la sécurité intérieure ont publié une étude portant sur les atteintes à la probité. En 2021, 800 infractions d’atteinte à la probité ont été enregistrées par la police et la gendarmerie. Entre 2016 et 2021, elles ont augmenté de 28%. Ces atteintes regroupent les infractions de corruption, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics, de favoritisme et de concussion.

 

Transparency International UE publie 10 demandes clés (1) suite au scandale au Parlement européen :  poursuite judiciaire rigoureuse, réforme des règles, mise en conformité pour la protection des lanceurs d’alerte, dissolution du Comité consultatif, registre de transparence, etc. Il est urgent de mettre en place un contrôle indépendant de l’éthique pour mettre fin à l’autorégulation. Il serait erroné de limiter la réponse à ces scandales à de simples mesures d’éthique et de transparence. Ceux-ci appellent à s’interroger sur l’architecture de la politique publique de lutte contre la corruption et les manquements à la probité, de la prévention à la répression.

 Stéphanie Roussillon, le 26.01.2023

  (1) https://transparency-france.org