Chlordécone
et méga-bassines
Selon
que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc
ou noir (Jean de la Fontaine).
Blanc est l’Etat
français dans l’affaire du chlordécone
aux Antilles. Suite à la plainte déposée en 2006 par les associations et
victimes, pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui,
administration de substance nuisible et tromperie sur les risques inhérents à
l’utilisation des marchandises, un non-lieu
a été prononcé le 2 janvier. Dans ce procès pénal pour « scandale
sanitaire », les parties civiles dénoncent une instruction bâclée :
plus de 40 000 hectares de terres
agricoles, mais aussi les cours d’eau et même le milieu marin, sont contaminés par cet insecticide à forte
toxicité, abondamment épandu dans les plantations bananières de la Guadeloupe
et de la Martinique entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon. Classé cancérogène probable par l’OMS
dès 1979, le chlordécone n’a été interdit en France qu’en 1990 et, trois ans plus tard, aux Antilles du fait de dérogations ministérielles
accordées aux producteurs bananiers ( !).
Noirs sont les
militants contre les « méga-bassines » des Deux-Sèvres et de
Charente Maritime : 4 militants condamnés par le tribunal de Niort, le 6
janvier, à des peines de 2 à 6 mois de prison avec sursis et interdiction de
paraître à Sainte-Soline, Mauzé ou dans les Deux-Sèvres. Noirs, sont les deux
manifestants poursuivis pour des dégradations commises à Cram-Chaban (Charente
Maritime), en 2021, il leur est reproché d’avoir cisaillé la bâche servant à
retenir l’eau d’une réserve remplie
illégalement depuis des années ! Le tribunal de la Rochelle, le 5
janvier, a requis des peines de 5 à 6 mois de prison avec sursis et à
500 000 € de dommages et intérêts. Jugement mis en délibéré au 2 mars
prochain.
Pour rendre
justice, il faut s’appuyer sur des faits
Encore
faut-il vouloir les regarder ! En matière d’empoisonnement au chlordécone,
les faits sont là : cette molécule tue et empoisonne ; elle a contaminé plus de 90% de la population
guadeloupéenne et martiniquaise qui présente un taux d’incidence du cancer de
la prostate parmi les plus élevés au monde. Elle pollue les sols, les eaux pour
des centaines d’années. Cela n’a pas suffi aux juges : ils reconnaissent
un « scandale sanitaire »,
« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines,
économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie
des habitants » mais
prononcent un non-lieu évoquant la difficulté
de « rapporter la preuve pénale des
faits dénoncés ». Les magistrates ont établi « des comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane,
amplifiés par l’imprudence, la
négligence, l’ignorance des pouvoirs
publics, des administratifs et des
politiques qui ont autorisé l’usage de cette substance à une époque où la
productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et
écologiques ». Responsables mais pas coupables, ça ne vous rappelle
rien ? L’affaire du sang
contaminé !
Quand
il s’est agi, par contre, de débusquer les « coupables » de
dégradations sur les méga-bassines, les pouvoirs publics ont mis en place un dispositif policier hors-norme avec un
groupe dédié de gendarmes aux méthodes policières s’apparentant à celles du
renseignement ou de la lutte contre la criminalité organisée :
filatures, géolocalisation en temps
réel, analyse des relevés d’imposition, de la CAF ou de l’assurance maladie,
étude des factures téléphoniques, identification de l’entourage des suspects,
fichage, etc… Une débauche de moyens
disproportionnés pour retrouver celles et ceux qui auraient saboté des bassines
au cours de manifestations en 2021. Que les 5 bassines charentaises concernées
aient été jugées illégales par le Tribunal administratif en 2018, puis en appel
en 2022 (14 ans de procédure !), n’a pas semblé émouvoir les juges.
Le
cœur de la lutte du Collectif Bassines non merci est la défense de
l’eau - Bien Commun – contre l’industrialisation de l’agriculture, l’accaparement
des ressources naturelles pour des intérêts privés. Dès l’annonce, dans les
années 2000, de la volonté de construire des « retenues de substitution », présentées comme la solution pour « concilier la préservation des milieux
naturels et l’irrigation intensive », les militants ont senti
l’entourloupe et ont créé, en 2017, le Collectif Bassines non merci, entré dans la
bataille contre le projet de 19 bassines (à l’époque) dans le sud
Deux-Sèvres. Opposé au modèle agro-industriel, porté notamment par la FNSEA et
les défenseurs de l’agrobusiness, il dénonce les dangers de ce modèle pour
l’environnement, la nature et l’homme, qui détruit la biodiversité, commercialise
les surfaces agricoles utiles pour capter l’eau au profit d’une minorité, 6 à 8
% des exploitations agricoles.
Les
militants condamnés et tous ceux qui risquent de l’être ne reculeront pas. « Notre
détermination à œuvrer pour la protection et le partage de l’eau reste entière ».
La Confédération paysanne et Soulèvements de la terre soutiennent le
Collectif et dénoncent l’instrumentalisation de la justice pour criminaliser,
décrédibiliser et intimider la mobilisation qui ne cesse de grandir et de
s’élargir. Prochaine manifestation le 25 mars.
Quant
aux associations antillaises, elles vont poursuivre leurs mobilisations, leurs
actions en justice (Cassation et justice européenne) jusqu’à obtenir
condamnation des coupables et réparation. « Notre riposte doit être à la
hauteur du crime commis » avertit le Collectif écologiste Lyannaj
pou dépolye Matinik.
OM,
le 22.01.23