Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 janvier 2023

 

Immigration. Mayotte, territoire d’exception

 

Que se passe-t-il sur ce caillou de la France dans l’océan indien, pour que le ministre de l’intérieur et de l’Outre-mer se rende à Mayotte pour la 2ème fois en 6 mois ? Des violences entre « bandes rivales » nous dit-on et une immigration qui ne tarit pas et déplaît à la bourgeoisie mahoraise et aux élus de ce 101ème département français. A la veille de présenter son projet de loi sur l’immigration, Darmanin veut rassurer et annoncer la mise en œuvre de mesures pour empêcher l’accostage des kwassa-kwassa sur l’île, transportant principalement des migrants comoriens et des pays de l’Afrique de l’Est au risque de périr en mer. Darmanin s’accommode sans doute de la « blague » indigne et méprisante de Macron, en 2017 : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » ! Pourquoi viennent-ils dans ce département, oublié et pauvre ? Lors de ses visites, Darmanin a-t-il annoncé des mesures sociales et économiques amoindrissant les inégalités de traitement entre l’ile et la métropole ? Prévoit-il de nouvelles « dérogations » et autres entorses au droit d’asile pour durcir encore les expulsions des exilés, renforcer les contrôles des migrants, dans ce petit territoire de 375 km2, d’environ 300 000 habitants, dans lequel le vote RN atteint plus de 59 % aux dernières élections présidentielles ?

 

1 – Mayotte et France : on n’est pas dans la République des égaux

 

Mayotte se classe à la dernière place des départements français dans nombre de domaines. En 2018, elle détient le PIB par habitant le plus faible, avec 9 241€ contre 22 359 à la Réunion et 38 900 en Seine-Saint-Denis. La moitié des Mahorais a un niveau de revenu inférieur à 3 140€/an et 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est de 43 % (2022). Dans l’île, les écarts se creusent entre une minorité (élites mahoraises et expatriés) qui a accès aux emplois publics et à des salaires revalorisés au titre de prime de vie chère (versée dans les départements d’outre-mer) et une majorité paupérisée qui ne peut accéder à la « société de consommation » introduite par la France.

 

Les Mahorais subissent des inégalités instituées, face à la métropole : en 2021, le RSA est de 282€ pour une personne seule contre 565€ en France métropolitaine. Le Smic horaire brut (août 2022) était de 8.35€/ à Mayotte contre 10.85€ en France.

 

Sur le plan sanitaire, la situation est catastrophique : le nombre de médecins est encore plus insuffisant sur l’île qu’en métropole. Le seul hôpital et les dispensaires sont saturés alors que Mayotte affiche des records de naissance. Il en va de même pour les écoles : il manque 800 salles de classes, contraignant les enfants à aller à l’école à mi-temps. Le secondaire est également surchargé et les taux d’échec scolaire ne cessent d’augmenter. En 2018, 73% des Mahorais âgés de 15 ans ou plus sont sortis du système scolaire sans diplôme qualifiant (28 % dans l’Hexagone) alors qu’une personne sur deux a moins de 18 ans

 

En matière de logement, la situation est alarmante au vu des bidonvilles qui ne cessent de croître : sur 63 100 résidences principales, 4 sur 10 sont en tôle et 3 sur 10 sont sans accès à l’eau courante.

 

Ces quelques chiffres suffisent pour comprendre le surgissement de violences, renforcées par la désignation de boucs émissaires que sont les étrangers, migrants, venus des Comores et des pays d’Afrique de l’Est. En 2017, 1 personne sur 2 est étrangère. Selon une majorité de la bourgeoisie mahoraise, la « belle » vie à Mayotte servirait « d’appel d’air » à ceux qui habitent un des pays les plus pauvres au monde, les Comores. En conséquence, l’Etat français refuse d’aligner les minima sociaux sur ceux versés en métropole, refuse de mener une politique sociale digne de ce nom.

 

Eh oui ! Il est possible, en France, de se déclarer, au plus haut sommet de l’Etat, défenseur de la République et d’enfreindre le principe constitutionnel d’égalité ! Cette réalité n’est pas nouvelle, elle existe depuis la départementalisation de Mayotte. Mais Macron/Darmanin n’ont aucunement l’intention de revenir sur leur politique discriminatoire, d’autant moins celle concernant les étrangers « illégaux ».  

   

2 – A Mayotte, des entorses au droit d’asile

 

L’extrême pauvreté des Comoriens et l’espoir de donner à leurs enfants, nés à Mayotte, la possibilité d’être français à l’âge adulte, en application du droit du sol, sont les motivations principales de celles et ceux qui, soit meurent en mer en tentant la traversée dangereuse, soit s’entassent dans les misérables bidonvilles, sans être autorisés à travailler. Pour l’Etat français, la politique en matière d’immigration, est celle du découragement des « candidats » à l’exil en les maintenant sans papiers et sans droits, pour finir par l’expulsion. Darmanin, lors de « son Nouvel An mahorais », n’a pas dit autre chose que sa volonté de durcir une nouvelle fois le droit du sol dans ce département. En août 2022, le ministre avait déjà affirmé sa détermination à s’attaquer aux flux migratoires en amont de l’arrivée des kwassa-kwassa (petits canots de pêche) sur les rives mahoraises et a annoncé la création d’un GIR (groupe interministériel de recherches), destiné à enquêter sur les filières clandestines ; il a promis des enquêteurs de police judiciaire spécialisés, directement sous l’autorité des magistrats, « ce qui fera gagner du temps plutôt que de faire venir des experts de métropole ou d’envoyer les dossiers à Paris ». Il a rassuré les députés mahorais Kamardine (LR) et Youssoufa (divers centre/droite) de son attachement à restreindre les conditions d’accès à la nationalité. En 2018 déjà, la loi « asile et immigration » avait modifié le droit du sol, faisant en sorte que la nationalité des nouveau-nés à Mayotte ne soit pas automatique à l’âge adulte, mais soit conditionnée à la présence régulière et ininterrompue sur l’île d’au moins un des deux parents pendant 3 mois. Aujourd’hui, Darmanin souhaite allonger ce délai à un an.   

 

Les pratiques scélérates de l’Etat à Mayotte autorisent ses services à multiplier les expulsions : plus de 20 000 par an, soit près de 10 % de la population étrangère présente à Mayotte. Le Centre de Rétention Administrative de Mayotte compte autant de personnes retenues (26 900 en 2019) que ceux de toute la France métropolitaine. L’Etat déroge au droit national des étrangers : pas de droit à l’AME (aide médicale de l’Etat), des expulsions réalisées le jour même où est  notifiée l’OQTF, sans laisser le temps aux recours, des expulsions de mineurs dont on modifie la date de naissance, des expulsions de parents laissant à Mayotte de nombreux mineurs isolés n’ayant d’autre choix que de mendier ou rejoindre des bandes pour survivre : l’Etat français et les politiciens mahorais n’engagent aucune politique d’aide sociale à l’enfance qui est pourtant une obligation légale. Très rarement logés pendant l’instruction de leur dossier, les demandeurs d’asile doivent se débrouiller et survivre avec 1€/jour, l’ADA (allocation pour demandeur d’asile) de 6.80€/jour ne s’applique pas à Mayotte. Déroger à l’égalité constitutionnelle est une pratique à Mayotte, sans que cela ne scandalise au-delà des associations défenseurs des droits de l’Homme qui subissent régulièrement des menaces proférées par des collectifs d’habitants.

 

Les élites et notables locaux soufflent sur les braises de la xénophobie : les politiques publiques seraient « trop généreuses » agissant « comme des aimants attirant l’immigration clandestine ». Cela alimente les mouvements d’extrême droite qui proposent de supprimer totalement le droit du sol à Mayotte, pour éviter les 11 000 naissances supplémentaires chaque année. Un Collectif de défense des intérêts de Mayotte (Codim) mène des opérations de « décasage » : des « clandestins », ou considérés comme tels, sont chassés de leur habitation ou livrés aux forces de police, des enfants sont empêchés de se rendre dans leur classe par des milices.

 

C’est cela que Darmanin est venu encourager, promettant encore « mieux », pour contrer la montée de l’extrême droite… alors que celle-ci est déjà due au sous-développement de Mayotte, aux conditions socio-économiques dégradées, aux services publics dépassés par la demande démographique, tout cela faisant monter en flèche l’insécurité. La faute à qui ? A l’histoire de l’île et à la détermination de la France de ne conserver ce caillou dans son giron que pour des raisons géostratégiques, sans tenir compte des humains qui habitent cette île.   

 

 

Mayotte ne doit pas devenir le laboratoire expérimental de la politique d’immigration en France. Il y a de quoi s’inquiéter. Le 25 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a validé un régime dérogatoire à Mayotte concernant les contrôles d’identité, permettant à la police d’y procéder de manière généralisée et discrétionnaire, sans limite dans le temps. Il lui donne  pleins pouvoirs pour des pratiques illégales comme les contrôles au domicile des personnes, alors que cela porte atteinte au principe d’inviolabilité de domicile, au droit à la vie privée et à la liberté individuelle, à la liberté de circulation, au droit à la protection. Alors ? A la poubelle la Constitution assurant l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ? Les associations de défense des migrants regroupées dans le Collectif MOM  (Migrants d’Outre-Mer) ont alerté sur les modalités de mise en œuvre des contrôles d’identité sur des personnes mineures, déclarées arbitrairement majeures sans respect de la présomption de minorité et placées en centre de rétention, sans représentant légal, en vue de leur expulsion. Toutes ces mesures dérogatoires font de Mayotte un véritable territoire d’exception, contrevenant au principe de non-discrimination. L’accent mis sur la lutte contre l’immigration irrégulière détourne les regards de l’urgence qu’il y a à garantir aux Mahorais des droits équivalents au reste du territoire.

 

Les élus demandent les moyens pour maîtriser totalement les frontières, pour reconduire tous ceux qui sont interpelés à Mayotte afin de protéger la population mahoraise et uniquement celle-là ! Certes, la situation sociale et économique est très dégradée mais la solution relève de la politique globale de l’Etat,  non de la chasse aux migrants, ces Comoriens notamment qui ont une longue histoire commune avec les Mahorais.

 

2 – Mayotte : un conflit territorial au mépris du droit international

 

Mayotte, jusqu’en 1974, est incluse dans l’archipel des Comores, avec trois autres îles : Anjouan, Mohéli et Grande Comore. Elles constituent un seul et même territoire d’outre-mer, en tant que colonies françaises de 1946 à 1974. Les populations des différentes îles ont des liens familiaux anciens et les mariages, échanges culturels et commerciaux sont réguliers et multiples dans l’archipel.

 

A l’origine peuplées de Bantous agriculteurs et pêcheurs venus d’Afrique ainsi que de commerçants malgaches et austronésiens originaires de l’archipel indonésien, ces îles sont conquises, au 13ème siècle, par des familles provenant de Perse qui s’y implantent, imposant leur culture et réduisant les populations à l’esclavage. Le sultan Tsouri, en bisbille avec un rival, cède Mayotte à un capitaine de vaisseau français en 1841 ; elle devient une colonie française en 1843, sous protectorat, élargi aux trois autres îles en 1886. L’archipel des Comores est une colonie française en 1912. Des désaccords récurrents dans la relation entre les Comoriens et les Mahorais, à partir de 1958, aboutissent à la demande de départementalisation de Mayotte.

 

Appelés à se prononcer par référendum en 1974, les Comoriens choisissent, en majorité,  l’indépendance : Grande Comore, Mohéli et Anjouan ; à Mayotte, le vote pour l’indépendance est minoritaire : elle décide de rester française. C’est le début d’un différend, jamais tranché : l’assemblée des Comores proclame en 1975 l’indépendance des îles de l’archipel, y compris Mayotte. La France craignant de perdre un territoire géostratégique dans l’océan indien, prend acte de l’indépendance des îles, excepté Mayotte, au mépris total du droit international qui impose l’intangibilité des frontières et  contraint à considérer le vote dans son ensemble. La France ignorera les 18 résolutions de l’ONU affirmant la souveraineté comorienne sur Mayotte et appellera les Mahorais à une seconde consultation : ils choisiront la France à plus de 99 % ; il n’était pas compliqué de convaincre environ 16 000 électeurs d’autant que les opposants étaient expulsés. Au fil du temps, les condamnations onusiennes deviendront des invitations et l’Union des Comores n’inscrira même plus la question à l’ONU. Néanmoins, le conflit territorial demeure, le président de l’Union des Comores, Assoumani Azali, l’a  rappelé à l’assemblée générale de l’ONU le 22 septembre dernier.

 

Face aux migrations importantes des Comoriens à Mayotte, le gouvernement Balladur crée en 1995 un visa qui s’impose à tous les Mahorais rendant visite à leurs familles. Ils choisissent, alors, les allers sans retours, devenant des « clandestins » utilisant les kwassa-kwassa au péril de leur vie.  

 

Entre 1975 et 2001, l’instabilité politique s’est installée dans l’Etat comorien. Il est, par ailleurs, confronté à des catastrophes climatiques et sanitaires et se retrouve classé parmi les 47 Etats au développement le plus faible au monde. Cet état de pauvreté croissante aux Comores est l’une des causes de l’émigration accentuée vers Mayotte, considérée comme un eldorado aux yeux des Comoriens (alors que 77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté et que les Inégalités sociales croissent).

 

En 2011, Mayotte devient le 101ème département français.

 

>>><<< 

 

Tout au long de ce processus, l’intérêt principal de la France réside en la présence française dans l’océan indien. Mayotte se situe sur une route stratégique indispensable au commerce mondial, passant par le canal du Mozambique. Elle abrite un régiment de la légion étrangère et peut accueillir navires et avions de guerre si besoin. Un centre d’écoute lui permet de surveiller l’ensemble de l’océan indien. Par ailleurs, la région recèle de nombreuses ressources halieutiques et énergétiques (gaz notamment). Avec les îles Eparses (inhabitées), situées entre Madagascar et l’Afrique, la France est présente au cœur du canal du Mozambique, la deuxième plus grande zone de transit économique au monde.  Elle n’est donc pas prête à rétrocéder ce territoire, même s’il devient un caillou dans sa chaussure, du fait des tensions sociales qui s’accentuent.

 

Tout cela a de bien nauséabonds relents néocoloniaux au mépris des populations qui vivent dans ces territoires.

 

Odile Mangeot, le 17 janvier 2023     

 

Encart

La France compte 101 départements, 94 sur le continent, 2 en Corse et 5 issus situés en Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, la Réunion et Mayotte).

Elle compte également 6 territoires d’Outre-mer à statuts spécifiques : Polynésie française, Saint Barthélémy, Saint Martin, Saint Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, Nouvelle Calédonie