Que peut-on
espérer…
…
de 2023 qui n’apparaît pas sous les meilleurs auspices. Les crises qui
s’enchaînent, économique, financière, guerrière, climatique…, donnent
l’impression que le temps historique sort de ses gonds.
Malgré
la mise en cause de la globalisation financière, la confrontation des blocs de
puissance et les protestations qu’elle provoque dans nombre de pays, prévalent
des sentiments négatifs :
accablement, anesthésie, repli individualiste, résignation, sourde colère
impuissante. Quand ce n’est pas la déploration du chœur des lamentations ou la
peur qui tétanise face aux nouvelles catastrophes, ce sont les illusions qui
reprennent le dessus : la préservation aveugle de l’entre soi
individualiste, les croyances dans les « bienfaits » à venir de la
compétition concurrentielle de tous contre tous, le mirage d’un monde virtuel
disloquant les sujets. Chosification des humains, stigmatisation du différent,
seraient des pathologies de l’être égocentrique nous renvoyant au malaise civilisationnel,
inaugurant l’obsolescence de l’homme. L’être humain, qui ne peut vivre qu’avec
les autres et pour autrui, semble disparaître au profit d’un
« progrès » inhumain saccageant également la nature.
Face
aux dominants, s’entêtant à préserver, « quoi qu’il en coûte », les
inégalités abyssales, les régressions sociales, les injustices fiscales,
climatiques…, les dominés semblent toujours s’en remettre à leur bienveillance à
venir. Les élites qui détiennent le pouvoir s’activent à demeurer les meilleurs bonimenteurs, à faire accroire, qu’en tout état de cause, il n’y a
pas d’alternative possible.
Malgré
les chapes de plomb qui pèsent sur les consciences, les révoltes, les soulèvements
se succèdent et pourraient, en 2023,
encore s’intensifier. Il y eut les printemps arabes, les mobilisations monstres
au Chili, maintenant au Pérou, les protestations sociales en Grande-Bretagne,
en France… Mais à y regarder de près, rien de fondamentalement différent ne
semble advenir ; les explosions sociales, sociétales sont, jusqu’à
présent, réprimées avec le plus souvent une brutalité sanglante inouïe (Iran,
Pérou). Pire, les frustrations sociales et politiques sont détournées en
affrontements guerriers ou
instrumentalisées contre des boucs émissaires. Nationalisme et
néofascisme deviennent des moyens mis en œuvre par des classes dominantes aux
abois.
« La conscience vient au jour avec
la révolte » (Albert Camus).
Elle libère les flots stagnants, les transforme en furieuses vagues. Elle est
l’expression négative de l’état de soumission, de dépendance, de domesticité,
dans lequel veulent nous enfermer les phraseurs qui paradent dans les
institutions et dans le système médiatique. Pour qu’éclose ce raz-de-marée,
doit s’opérer l’effraction des
systèmes de pouvoir, qui, pour les gouvernants, sont d’intolérables infractions car ils ne peuvent
supporter qu’on ose penser que l’on puisse les « dégager ». Afin de
réunir les conditions culturelles du changement pour ne pas retomber dans les
ornières de la servitude et de l’esprit moutonnier, un grand vent frais de critiques pertinentes, ferait naître la
réappropriation de « notre » histoire face au récit imposé. La
parole, ainsi libérée, creuserait des perspectives de transformation sociale
radicale, pourrait faire naître les transgressions nécessaires, innervant tout
le corps collectif, isolant, fragmentant les minorités oppressives et
exploiteuses, neutralisant les forces répressives. Il n’y a pas d’autre
solution que celle faisant surgir les potentialités de puissance de ceux d’en
bas, bref, de l’inattendu, de l’imprévisible.
Nous
sommes certainement, en 2023, à la
croisée des chemins, face à des phénomènes inquiétants : la voie du
néofascisme (comme en Italie), de la guerre meurtrière (Ukraine), du racisme
expulseur aux accents néocoloniaux, ou plutôt, la voie consistant au refus de jouer le jeu des dominants, de
ne plus s’en remettre à la bienveillance des malfaisants, de rester fasciné par
la société du spectacle ou du simulacre. En effet, s’en tenir à des attitudes
défensives restreignant les mobilisations conduirait à la construction de
l’état de régression sociale déjà à l’oeuvre. Il ne s’agit pas de conserver
l’existant déjà bien entamé. Il s’agit de se lever, de se soulever pour dégager tous les vulcains prétendant
forger notre servitude, tous ces Jupiters, ces mollahs, ces petits et grands
despotes.
Dès
lors, il faut oser débattre, s’organiser, sortir du cadre imposé, pour éviter
que l’élan tourne au vinaigre car il n’y a rien de pire que l’aigreur du
renoncement, de la défaite : c’est la voie du retour, de la soumission et
de l’embrigadement.
Entre
chien et loup, 2023, si
l’intelligence des peuples prend le dessus, pourrait être celle de l’éclaircie au sein d’un monde englué dans de sombres
perspectives.
GD,
le 23.01.2023
(éditorial
de PES n° 89)