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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 janvier 2023

 

Entre montée guerrière et mouvements sociaux

 

Au milieu du brouillard médiatique, des stéréotypes, des fantasmes et des fausses représentations qui l’imprègnent, il est difficile de percevoir la réalité du mouvement historique à l’œuvre. Le défilé des représentations du monde que le système tente de nous imposer ne suffit pas. Il faut se saisir de faits, d’analyses, permettant d’y voir plus clair. En « revisitant » le terrain de la guerre en Ukraine et ses prétendues et réelles répercussions en Europe, l’horizon dégagé est tout autre que celui désigné par les classes dominantes notamment européennes.

 

Ukraine, une guerre brève ou de longue durée

 

Il apparaît désormais que « l’opération spéciale » russe qui se voulait une réponse à l’avancée de l’OTAN et des capitaux occidentaux, s’est soldée par un demi-échec. Poutine a sous-estimé la réaction nationaliste ; les troupes russes ont été incapables de prendre Kiev ; le pouvoir kievien n’a pas cédé. Zelensky a refusé la proposition de s’exiler, suggérée par Biden : « Je n’ai pas besoin d’un taxi mais d’armes ». Autres surprises : au-delà de l’état réel de l’armée russe et de son possible effondrement proclamé, après avoir prétendu que le pouvoir ukrainien gangrené par la corruption n’y résisterait pas, il a fallu constater que les sanctions états-uniennes et européennes étaient, de fait, contre-productives. Non seulement la Russie poutinienne ne s’effondrait pas mais elle semble bien, pour l’heure, bénéficier de la guerre, malgré quelques défections et revers. Derrière ce constat, il y a des réalités longtemps occultées au profit du fantasme rassurant d’une lutte du Bien contre le Mal.

 

Certes, la Russie d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’URSS d’hier. Le PIB russe, additionné à celui de la Biélorussie ne représente que 3.3 % du PIB mondial. Toutefois, les années 90, celles d’Eltsine « l’alcoolique », de l’effondrement et de la cleptocratie des oligarques, ne sont plus de mise. Poutine a restauré une vie « normale », un redressement économique indéniable. Le taux de mortalité infantile des USA est d’ailleurs supérieur à celui de la Russie. De même, le taux de suicide russe s’est effondré. Le régime est largement accepté par les populations, malgré les inégalités. Et, contre toute attente, la démocratie trafiquée à l’Est n’a rien à envier à la démocratie manipulée à l’Ouest.

 

En fait, l’économie russe a montré sa capacité à s’adapter : la production de blé est passée, depuis 2021, de 40 à 90 millions de tonnes et les mauvaises performances militaires sont à relativiser : la production tourne à plein régime, les technologies mises en œuvre, comme les missiles supersoniques, tendent à démontrer que l’on s’achemine vers une guerre de longue durée, et du côté russe, à une tentative de mobilisation visant à concentrer sur le terrain 1 million d’hommes… Que vise désormais Poutine ? Garder, étendre ses gains territoriaux à l’Est (Donbass, Crimée…jusqu’à Odessa…) tout en détruisant les infrastructures énergétiques de l’Ukraine afin d’amener le pouvoir ukrainien et celui des Occidentaux à composer ? En fait, au-delà du nationalisme ukrainien réel, on assiste à une guerre par procuration de l’OTAN (sous l’égide de l’impérialisme US) contre la Russie. La question qui demeure reste de savoir qui va faire partie des perdants.

 

Ce qui nous est vendu, c’est l’unité de l’UE, sa consolidation. C’est plus que contestable. Ainsi (à titre d’exemple), le gouvernement allemand, désuni, sous la pression des Etats-Unis, a dû renoncer en grande partie à son leadership européen. Fondé notamment sur l’énergie russe à bas coût et ses investissements conjoints avec ce régime (oléoduc) ainsi que sur ses exportations vers la Chine, il est désormais la proie de l’aigle US. Fermeture imposée de Nordstream, sabotage de Nordstream 1, sanctions contre-productives, inflation, fournitures d’armes à Kiev. La diabolisation de l’ours russe est à son comble et la surenchère qui l’accompagne. L’inflation latente inscrite dans l’expansion des actifs financiers et immobiliers, explose à la faveur des restrictions énergétiques jusqu’à atteindre 10 à 11 % dans la zone euro. Et rien ne va plus ! Si les USA se frottent les mains en s’assurant qu’ils vont pouvoir exporter leur pétrole et leur gaz de schiste, les pressions sur l’Arabie Saoudite, afin qu’elle augmente sa production pour faire baisser le prix du baril, s’avèrent sans effet. Et les pays européens, en ordre dispersé et concurrentiel, de tenter d’obtenir du gaz, du pétrole algérien ou qatari…

 

En tout état de cause, ce qui transparaît déjà à travers cet affrontement guerrier, c’est le retour en force sur la scène européenne de la suprématie renforcée de l’impérialisme américain, transformant l’UE en protectorat US où les différences de dépendances reflètent les divisions déjà existantes.

 

Une crise difficilement maîtrisable

 

On l’a déjà noté, la crise économique et financière était déjà là avant la guerre en Ukraine. Les remèdes employés pour la juguler risquent d’en accroître les effets négatifs. Certes, pas pour tous ! Les profiteurs de guerre, les occasions de corruption pour certains, font déjà l’objet de récriminations même en Ukraine (classée 114ème sur 122 pays par l’ONG Transparency International) sans que cela ne change quoique ce soit de fondamental. Les politiques mises en œuvre par les banques centrales (FED aux USA et BCE) pour juguler l’inflation risquent d’aggraver le mal. En effet, en passant de taux directeurs négatifs (ou très bas) pour favoriser la circulation du capital à une augmentation du loyer de l’argent ce n’est pas seulement l’inflation qui risque d’être étouffée mais la croissance économique capitaliste déjà à la ramasse. En effet, les « investisseurs » choisissent, non pas l’investissement dans l’économie réelle, mais surtout la spéculation ou les rendements boursiers. Désormais, cette politique des banques centrales ne va pas seulement accroître cette tendance mais surtout tarir la croissance capitaliste déstabilisant le système. Le phénomène, déjà en germe, de la stagflation, en atteste la prévision de 0.3 % de croissance du PIB européen et une inflation de plus de 7% en 2023. Elle affaiblira la consommation des ménages et des rentrées d’impôt et de TVA. Et, face à la flambée des prix de l’énergie et des produits de consommation courante, la faillite d’artisans et de PME se profilera à court terme. Et rien ne dit que ce repli économique ne puisse se transformer en récession, à commencer par la vente sauvage d’actifs financiers, par des faillites de banques, l’effondrement des fonds spéculatifs, y compris des fonds de pension ou de retraite. La situation de la Grande-Bretagne est emblématique à ce sujet.

 

Cette situation chaotique engendre des politiques promouvant, accroissant encore, le désordre existant. A la manœuvre, l’impérialisme états-unien cassant toute tentative de régulation. Désormais, c’est la loi de la jungle sans régulation. A preuve, la neutralisation de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Depuis 3 ans, cette institution est en effet vidée de sa substance, celle consistant à régler les différends, c’est-à-dire les distorsions de concurrence. Tout a commencé sous Obama. Il était déjà clair, dès cette période, que les Etats-Unis étaient, face à la Chine, en train de perdre leur suprématie mondiale. « L’atelier du monde » qui devait être cantonné dans ce rôle depuis son entrée à l’OMC fin 2001, taillait des croupières au géant US. L’Europe, avec l’Allemagne, faisait preuve de velléité d’indépendance, en jouant son propre jeu avec la Russie et la Chine. Avec Trump, suivi par Biden, l’organe d’appel de cette institution d’arbitrage fut congelé, les Etats-Unis refusant de renouveler cette instance de 7 membres. Le changement d’époque était amorcé à coups de sanctions, d’extraterritorialité, d’interventionnisme de la justice américaine. A la soi-disant concorde multilatérale de la fin du 20ème siècle, a succédé l’unilatéralisme US. La guerre en Ukraine, soit l’affrontement entre l’OTAN/US avec la Russie, allait, de fait, pétrifier l’ONU, du moins son Conseil dit de Sécurité.  

 

La grande crise du capitalisme mondial de 2008, conséquence de la globalisation financière « libérée » de toute contrainte, a renvoyé, certes, sans ambiguïté, à la nature même du capitalisme. Mais, fait nouveau, l’accélération des échanges, a fait naître vis-à-vis des USA, des concurrents insupportables pour la suprématie états-unienne. Qui plus est, les inégalités engendrées, le retour de l’inflation, la persistance des politiques d’austérité, et pas seulement dans les pays centraux, sont, de fait, le ferment d’une poussée de révoltes et de protestations.

 

Vers le retour de la lutte des classes et des peuples ?

 

Dans le cadre de cet article, il n’est guère possible d’évoquer les conséquences de la crise du capitalisme dans les différents pays, qui prennent des formes diverses : énergétiques, de cassure des chaînes d’approvisionnement, de course aux armements, de la guerre sur le sol européen, de précarisation du corps social face à la persistance des politiques austéritaires, des conséquences climatiques dramatiques qui s’annoncent. Rien qu’en Europe, les formes de réactions et de résistances nationales sont, en apparence, contradictoires. En Allemagne, par exemple, 3.9 millions de salariés ont obtenu 9.5 % d’augmentation de salaire. Pour les autres secteurs que ceux dépendant de la métallurgie et d’IG Metal, rien de fondamental ne s’est produit sinon une précarisation rampante toujours à l’œuvre. La montée des mouvements sociaux en Grande-Bretagne, avec grèves des secteurs privés et publics, refus de payer les factures d’énergie, est sans commune mesure avec la situation dans l’Italie de la Meloni d’inspiration mussolinienne. De même, en France, la lutte contre la contre-réforme des retraites est ambigüe : entre protestation d’ampleur et résignation. La situation en Belgique est peut-être la plus emblématique de ce qui peut advenir : regain des luttes économiques des classes défavorisées, poursuite des délocalisations d’entreprises suite à la politique des Etats-Unis (subventions massives de leur industrie à coups de millions de dollars, incitation des multinationales européennes à s’installer aux USA, division et affaiblissement de la (dé)union européenne). La montée des mouvements et partis néofascistes, l’extension de la co-belligérance guerrière vis-à-vis de la Russie poutinienne, l’invitation US à embarquer les gouvernements européens à boycotter la Chine, voire à multiplier à son égard, des provocations économiques et militaires, n’incitent guère à l’optimisme.

 

Ce qui transparait, néanmoins, dans la période, c’est que, face à la réalité de l’impérialisme US et des blocs de puissance qui contestent son hégémonie, c’est une vérité qui, pour l’heure, est encore loin d’être partagée. Il n’y aura pas d’émancipation sociale, politique, anticapitaliste sans affirmation concomitante de souverainetés nationales des peuples. Et en Europe, il s’agit pour chaque peuple de se dégager de l’emprise de l’OTAN, de l’euro, de l’UE, des Etats-Unis. Autant dire que doit s’amorcer une révolution copernicienne, difficile à concevoir alors même que le nationalisme d’extrême droite s’en empare…

 

Gérard Deneux, le 26.01.2023