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vendredi 3 novembre 2023

 

Arménie et Haut-Karabakh

 

L’Arménie est un petit Etat situé dans la région du Caucase. Sa superficie est de 18 000 km2, plus petite, donc que la Bourgogne-Franche-Comté (45 000 km2). C’est un des pays les plus enclavés au monde, du fait de sa géographie (pas de façade maritime, un relief très montagneux, des vallées très encaissées) et du manque d’infrastructures routières et ferroviaires.

 

Une particularité géographique assez rare

 

Une partie de la population, 125 000 Arméniens vivaient jusqu’à très récemment dans une enclave située sur le territoire de l’Azerbaïdjan (son voisin à l’Est). C’est le Haut Karabakh. Par ailleurs, le relief du Caucase avait fait du Nakhitchevan azeri un couloir naturel reliant Erevan à Bakou et à Téhéran mais il a été transformé en exclave (un territoire sous la souveraineté d’une nation dont il est séparé par un pays ou par une mer) coupé de l’Azerbaïdjan au nord et à l’est par un massif arménien le Zanguezour. C’est un peu comme si une partie de la population franc-comtoise vivait sur le territoire suisse, relié par un corridor, et que la région d’Auxerre était suisse. La grande différence entre ces deux territoires est leur statut. Le Nakhitchevan est une république autonome de l’Azerbaïdjan alors que le Haut-Karabakh est une entité territoriale disposant d’une certaine autonomie qui s’est auto-proclamée république du Haut Karabakh en 1991 (appelée aussi République d’Artsakh).

 

Pour simplifier encore les choses… l’Arménie entretient des relations exécrables avec la plupart de ses voisins et aucune avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Les frontières sont donc fermées depuis des années. La frontière avec la Géorgie est également fermée car une minorité arménienne vivant sur le territoire géorgien a des volontés autonomistes. Sur les 1 000 kms de frontière que compte le pays, 834 sont fermés. La seule frontière ouverte est celle de l’Iran. Le seul pays avec lequel l’Arménie chrétienne entretient des relations commerciales et des relations de « voisinage » apaisées est paradoxalement l’Iran islamiste. En fait, la voie aérienne est quasiment le seul moyen de se rendre en Arménie.

 

Pour ajouter encore aux difficultés de ce pays, il faut dire qu’il a un climat continental très chaud en été et très froid en hiver, que 90 % de son territoire est à plus de 1 000 m d’altitude, que l’activité sismique y est très importante (le 7 décembre 1988, un séisme a fait 30 000 morts) et qu’il n’a pas de ressources naturelles importantes. Il possède certes des gisements de cuivre, de plomb, d’or, de mercure et de quelques métaux rares, mais le relief, le manque d’infrastructures, ses relations exécrables avec ses voisins, empêchent toute exportation importante.

 

En 2009, l’Arménie comptait 3.2 millions d’habitants, en 2016, 3 millions et en 2023, toujours 3 millions. Cette démographie stagnante est le fruit de la pauvreté actuelle du pays et surtout de son histoire.

 

L’Arménie a toujours souffert d’être « à la limite de… »

 

Géographiquement, elle est en Asie, mais culturellement, elle est plus proche de l’Europe. Elle est un royaume qui, en 301, adopte le christianisme comme religion officielle. Cette religion était celle du Royaume d’Arménie, fondé en 190 avant JC, royaume plus étendu que l’Arménie actuelle. Il devint un enjeu entre Romains et Parthes (peuple vivant sur le territoire de l’Iran actuel) puis entre Romains et Sassanides (venant eux aussi d’Iran). Il fut le théâtre de conflits, de guérillas incessantes, car « à la limite » de l’empire romain et des régions asiatiques. Cet empire disparaît en 428.

 

Durant le 1er siècle après JC, cet empire, dirigé alors par les Parthes, s’étend de la mer Méditerranée à la mer Caspienne, englobant la Syrie, le Liban, une partie de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan actuels.

 

Puis, l’Arménie est envahie par les Arabes. Ils établissent « l’émirat d’Arménie », en 885, c’est la dynastie bagratide qui prend le pouvoir. La capitale est alors Ani (située dans l’actuelle Turquie). Elle est très peuplée et n’a rien à envier à Londres ou Paris. On l’appelle la ville aux mille et une églises. Cette époque est vraiment « l’âge d’or » de l’Arménie.   

 

L’Arménie se « rétrécit »

 

En 1015, l’Empire byzantin (empire romain d’orient) annexe la partie occidentale de la région alors que la partie orientale est occupée par les Turcs. Nombre d’Arméniens quittent alors la région pour la Hongrie, la Pologne, l’Ukraine actuels. Ils vont même établir en 1137 le royaume de Cilicie (situé au sud de la Turquie actuelle).

 

Au gré des prises de pouvoir par les différents peuples qui entourent la « grande Arménie » de cette époque, les populations sont « mixées », mélangées et vivent côte à côte en plutôt bonne entente. Au fur et à mesure du « rétrécissement » de cette grande Arménie, des Arméniens chrétiens vont se retrouver « perdus » au milieu de Turcs ou de Perses venus s’installer dans les territoires conquis. Petit à petit, les Arméniens sont répartis en 3 « empires » : les Arméniens d’Iran, les Arméniens de Russie, les Arméniens ottomans. Dans cet empire, les populations minoritaires, de religions différentes de « l’Etat central » étaient acceptées et légalement protégées. Ces communautés religieuses étaient regroupées administrativement sous forme de millets, eux-mêmes contrôlés par le pouvoir central mais bénéficiaient d’une certaine autonomie liée à leur loyauté envers l’empire ottoman.

 

Au début du 19ème siècle, les Arméniens sont disséminés en petites communautés dans différents pays (Turquie, Iran, Russie, Azerbaïdjan). Ces communautés sont « le reliquat » de la grande Arménie du passé. Ils sont de culture et de religions différentes. Sur le territoire de la Turquie actuelle, malgré l’organisation des Arméniens en millets, les relations entre les deux communautés deviennent très vite conflictuelles.

 

Entre 1894 et 1896, les premiers massacres turcs des Arméniens font près de 200 000 morts. En 1915, le gouvernement turc décide d’en « finir » avec la minorité arménienne vivant encore sur son territoire. Il organise des déportations et des massacres au cours desquels entre 1,2 et 1,5 million d’Arméniens trouvent la mort, perpétrant ainsi le premier génocide du 20ème siècle. Cette partie du territoire turc où vivaient depuis « la nuit des temps » des Arméniens a été systématiquement, méthodiquement vidée de cette population. Ce génocide n’a jamais été reconnu en tant que tel par la Turquie dont les lois condamnent toujours ceux qui mentionnent un génocide arménien.

 

En 1917, l’effondrement de l’empire russe laisse un vide politique dans cette région composée d’une mosaïque de groupes ethnico-religieux qui, souvent, peinent à s’entendre.

 

Les Arméniens proclament la République d’Arménie

 

Ils fondent, en 1921, de grands espoirs sur la conférence de la Paix de Paris. Mais les puissances centrales, vainqueurs de la 1ère guerre mondiale, refusent de reconnaître l’autonomie de l’Arménie, tout comme la même revendication des Kurdes. Touchés par l’esprit révolutionnaire des Bolcheviks, ils s’insèrent dans les républiques soviétiques pour devenir, le 29 novembre 1920, la République soviétique d’Arménie, qui ne couvre qu’une petite partie du territoire « historique » de celle-ci.

 

Une importante communauté arménienne (confettis de la grande Arménie) vit au Haut-Karabakh, sur le territoire de l’Azerbaïdjan frontalier. Cette région, peuplée à 94 % d’Arméniens, à une dizaine de kms de l’Arménie, semblait « naturellement » devoir faire partie de la République socialiste soviétique d’Arménie, mais le régime stalinien en décida autrement et la rattacha à l’Azerbaïdjan, tout en lui donnant une certaine autonomie. Il créa le corridor de Latchine permettant à la population d’accéder à l’Arménie. Durant la période soviétique, la situation reste gelée même si régulièrement, les Arméniens du Haut Karabakh demandent leur rattachement à l’Arménie.

 

Après la disparition de l’URSS

 

 Les tensions dues à l’illogisme de ce découpage administratif « remontent à la surface ». Le 12 juin 1988, le Haut Karabakh se déclare en sécession et le 15 juin l’Azerbaïdjan réaffirme l’attachement de la région à son territoire. L’Azerbaïdjan proclame son indépendance de l’URSS le 30 août 1991, l’Arménie fait de même le 21 septembre. Le Haut Karabakh a, lui, proclamé sa propre indépendance le 2 septembre, confirmée par un référendum le 10 décembre. Les autorités de Bakou y envoient des troupes pour y rétablir leur contrôle. Les habitants du Haut Karabakh se défendent avec l’appui de l’Arménie. Ces affrontements font des milliers de victimes de part et d’autre. C’est la 1ère guerre qui se conclue par l’occupation arménienne d’une partie du territoire de l’Azerbaïdjan (entre le Haut-Karabakh et l’Arménie). Malgré le cessez-le-feu conclu en mai 1994, la question du Haut Karabakh reste en suspens. L’Azerbaïdjan a certes perdu cette première guerre mais ses prétentions sur le Haut Karabakh  subsistent et il n’aura de cesse d’envisager la future attaque contre l’enclave arménienne.

 

Politiquement, l’Arménie est « encadrée » par deux voisins pas très sympathiques, plutôt menaçants et beaucoup plus puissants et riches : la Turquie et l’Azerbaïdjan. Elle continue à avoir des relations privilégiées avec la Russie pour s’assurer un minimum de protection. Ce sont, par exemple, les Russes qui assurent la protection du couloir de Latchine.

 

Depuis 1994 et la victoire des Arméniens du Haut Karabakh, la situation était plutôt stabilisée même si l’Azerbaïdjan manifeste la volonté de récupérer les territoires entre l’Arménie et le Haut-Karabakh et de rattacher le territoire du Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan par un corridor dit de Zanguezour. Il déclare une nouvelle guerre en 2020. Les Azéris soutenus par la Turquie et équipés d’armes israéliennes, récupèrent le territoire occupé par les Arméniens (entre l’Arménie et le Haut-Karabakh) et chassent la moitié de la population. Un cessez-le-feu est signé en novembre 2020, entérinant l’avancée azérie et un contingent russe de 2 000 hommes est déployé pour le faire respecter. Le Haut-Karabakh est encore autonome.

 

L’assaut final

 

Après cette victoire, ne restait plus à l’Azerbaïdjan qu’à récupérer le Haut Karabakh. A partir de décembre 2022, un blocus est instauré pour affaiblir la population arménienne du Haut Karabakh et l’assaut final est donné. C’est la 3ème guerre en septembre 2023 : les derniers Arméniens quittent l’enclave et le 15 octobre, le drapeau azéri est hissé à Stepanakert, l’ancienne capitale du Haut Karabakh.    

 

Ce jour-là, l’Arménie a perdu totalement et certainement définitivement l’enclave du Haut Karabakh. Les 90 % d’Arméniens qui y habitaient ont été contraints à un exode massif, sans grande réaction de l’Europe ou de la France… La ministre Colonna est allée à Erevan promettre des armes à l’Arménie mais à la fin de la guerre, c’est un peu inutile...

 

Silence et manque de réactions internationales et, surtout, européennes. Pourquoi ?

Ne serait-ce pas, parce que l’Arménie a peu de ressources naturelles et que l’Azerbaïdjan, lui, regorge de pétrole et de gaz (que la France lui achète) ? Madame Von der Leyen, en signant des contrats de vente de gaz et de pétrole avec le président azéri Ilham Aliyev participe à  brader le choix des peuples à disposer d’eux-mêmes contre du pétrole et du gaz azéri qui… comble de cynisme, provient de Russie, pour une part. Dans ces discussions avec Aliyev, elle n’a apparemment pas eu le temps de parler du Haut Karabakh !

 

On l’a compris, l’Arménie, petit pays sans ressources naturelles sans grand intérêt pour les pays industrialisés dits « avancés », a été lâchée par tous, même par la Russie. Ils ont tous préféré s’assurer de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan pour profiter de son gaz et de son pétrole, plutôt que de défendre les intérêts de la population expulsée de force. Pas très surprenant. Les évènements au Moyen-Orient, et surtout l’attitude des pays « avancés » face à la politique israélienne en Palestine, nous montrent que les droits de certains humains ne valent pas cher dans certaines circonstances. « Nos démocraties » ont préféré soutenir Aliyev plutôt que les Arméniens. Ce n’est finalement que la suite logique de la politique occidentale. Aliyev a été reçu en France par Hollande en 2017, aux USA par Obama en 2016, par Barroso, alors président de la commission européenne, pour mettre en place le projet de corridor gazier sud qui relie Bakou à l’Italie qui, depuis 2020, achemine le gaz azéri vers l’Europe.

 

Au cours de ces rencontres, ces dirigeants « intègres » n’ont certainement pas eu le temps, à leur grand regret ( !), de parler à ce « cher » Aliyev

-        de l’affaire Safrou, cet officier azéri condamné à la perpétuité en Hongrie pour le meurtre d’un officier arménien pendant un stage de l’OTAN, transféré en Azerbaïdjan pour y purger sa peine,  qu’Aliyev a gracié… et nommé à un grade supérieur

-        de la diplomatie du caviar, consistant à acheter le soutien occidental en échange de cadeaux, on peut appeler ça aussi pots de vin…,

-        de la nomination quelque peu étonnante de la femme d’Aliyev au poste de vice-présidente du pays,

-        pas non plus de son implication avec ses enfants dans les scandales révélés dans les Panama et Pandora Papers

-        et encore moins de la réalité des droits de l’Homme dans son pays (voir encadré)

 

Peut-être ne l’ont-ils pas fait, faute de temps, ou peut-être avaient-ils la « bouche pleine »… de caviar.

 

Cette attitude, cette absence de réaction, face aux exactions azerbaïdjanaises au Haut Karabakh sont, par contre, insupportables pour le peuple arménien. N’oublions pas qu’au sud, le Nakhitchevan est coupé de l’Azerbaïdjan par l’Arménie. Il ne serait donc pas étonnant que des incidents éclatent dans cette région. Une nouvelle guerre n’est pas à exclure pour assurer la continuité territoriale de l’Azerbaïdjan qui pourrait contraindre les Arméniens à quitter le sud de leur pays. Pour l’heure, des négociations ont lieu pour créer un couloir longeant l’Iran et reliant, par la même occasion, les deux parties de l’Azerbaïdjan.

 

La situation de découpage territorial, de rivalités ethniques et religieuses entretenues par les forces dominantes sont, toujours, sources de guerres qui peuvent resurgir à tout moment.

 

Jean-Louis Lamboley, le 24.10.2023

 

 

 

Après le génocide, les dispersions de la diaspora

A cette époque, la situation démographique de l’Arménie est quelque peu chaotique. En effet, des Arméniens vivant en Azerbaïdjan le quittent. Mais, surtout, la pauvreté, l’instabilité, l’absence de perspectives stables, incitent près d’un million d’Arméniens à quitter leur pays pour tenter leur chance ailleurs. Ils rejoignent la Russie où ils sont actuellement plus de 2 millions, l’Iran (600 000), les USA (500 000), la France (500 000), etc. On arrive donc au paradoxe suivant : 3 millions d’Arméniens vivent en Arménie et 9 millions hors du pays. Parmi ces 9 millions, nombreux ont la double nationalité. Par exemple, sur 500 000 se reconnaissant Arméniens, 400 000 sont nés sur le territoire français.

 

 

Extraits du rapport d’Amnesty International de 2022

Des nouvelles atteintes au droit international humanitaire ont été signalées, cette année, et aucun progrès notoire n’a été enregistré en matière d’enquêtes sur les crimes de guerre qui auraient été commis pendant le conflit de 2020 au Haut Karabakh. La liberté d’expression, de réunion et d’association, a été extrêmement limitée. Les autorités se sont livrées à des arrestations arbitraires de militants et militantes de la société civile dont certains et certaines ont fait l’objet de poursuites fondées sur motivations politiques. Elles ont en outre réprimé violemment des manifestations pacifiques et entravé les activités d’organisations et d’organes de presse indépendants. Les femmes et les filles étaient toujours victimes de discriminations. D’après un rapport du CICR, on serait toujours sans nouvelles de plus de 300 Arménien-ne-s porté-e-s disparu-e-s en territoire azerbaïdjanais. Le président de la République a promulgué le 8 février 2020 une loi sur les médias aux termes de laquelle les propriétaires d’organes de presse s’adressant à un public azerbaïdjanais devaient résider de manière permanente dans le pays, ce qui les rendait vulnérables à la censure et aux persécutions…

Sans commentaires.