Arménie et
Haut-Karabakh
L’Arménie
est un petit Etat situé dans la région du Caucase. Sa superficie est de
18 000 km2, plus petite, donc que la Bourgogne-Franche-Comté (45 000
km2). C’est un des pays les plus enclavés au monde, du fait de sa
géographie (pas de façade maritime, un relief très montagneux, des vallées
très encaissées) et du manque d’infrastructures routières et ferroviaires.
Une
particularité géographique assez rare
Une
partie de la population, 125 000 Arméniens vivaient jusqu’à très récemment
dans une enclave située sur le territoire de l’Azerbaïdjan (son voisin à l’Est).
C’est le Haut Karabakh. Par
ailleurs, le relief du Caucase avait fait du Nakhitchevan azeri un couloir naturel reliant Erevan à Bakou et à
Téhéran mais il a été transformé en exclave (un territoire sous la souveraineté
d’une nation dont il est séparé par un pays ou par une mer) coupé de
l’Azerbaïdjan au nord et à l’est par un massif arménien le Zanguezour. C’est un
peu comme si une partie de la population franc-comtoise vivait sur le
territoire suisse, relié par un corridor, et que la région d’Auxerre était
suisse. La grande différence entre ces deux territoires est leur statut. Le
Nakhitchevan est une république autonome de l’Azerbaïdjan alors que le
Haut-Karabakh est une entité territoriale disposant d’une certaine autonomie qui
s’est auto-proclamée république du Haut Karabakh en 1991 (appelée aussi
République d’Artsakh).
Pour
simplifier encore les choses… l’Arménie entretient des relations exécrables
avec la plupart de ses voisins et aucune avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Les frontières sont donc fermées depuis des années. La frontière
avec la Géorgie est également fermée car une minorité arménienne vivant sur le
territoire géorgien a des volontés autonomistes. Sur les 1 000 kms de
frontière que compte le pays, 834 sont fermés. La seule frontière ouverte est celle de l’Iran. Le seul pays avec lequel l’Arménie chrétienne entretient
des relations commerciales et des relations de « voisinage » apaisées
est paradoxalement l’Iran islamiste. En fait, la voie aérienne est quasiment le
seul moyen de se rendre en Arménie.
Pour
ajouter encore aux difficultés de ce pays, il faut dire qu’il a un climat
continental très chaud en été et très froid en hiver, que 90 % de son territoire
est à plus de 1 000 m d’altitude, que l’activité sismique y est très
importante (le 7 décembre 1988, un séisme a fait 30 000 morts) et qu’il
n’a pas de ressources naturelles importantes. Il possède certes des gisements
de cuivre, de plomb, d’or, de mercure et de quelques métaux rares, mais le
relief, le manque d’infrastructures, ses relations exécrables avec ses voisins,
empêchent toute exportation importante.
En
2009, l’Arménie comptait 3.2 millions d’habitants, en 2016, 3 millions et en
2023, toujours 3 millions. Cette démographie stagnante est le fruit de la
pauvreté actuelle du pays et surtout de son histoire.
L’Arménie a
toujours souffert d’être « à la limite de… »
Géographiquement,
elle est en Asie, mais culturellement, elle est plus proche de l’Europe. Elle
est un royaume qui, en 301, adopte le christianisme comme religion officielle.
Cette religion était celle du Royaume d’Arménie, fondé en 190 avant JC, royaume
plus étendu que l’Arménie actuelle. Il devint un enjeu entre Romains et Parthes
(peuple vivant sur le territoire de l’Iran actuel) puis entre Romains et
Sassanides (venant eux aussi d’Iran). Il fut le théâtre de conflits, de guérillas
incessantes, car « à la limite » de l’empire romain et des régions
asiatiques. Cet empire disparaît en 428.
Durant
le 1er siècle après JC, cet empire, dirigé alors par les Parthes,
s’étend de la mer Méditerranée à la mer Caspienne, englobant la Syrie, le
Liban, une partie de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran, de la Géorgie et de
l’Azerbaïdjan actuels.
Puis,
l’Arménie est envahie par les Arabes. Ils établissent « l’émirat
d’Arménie », en 885, c’est la dynastie bagratide qui prend le pouvoir. La
capitale est alors Ani (située dans l’actuelle Turquie). Elle est très peuplée et
n’a rien à envier à Londres ou Paris. On l’appelle la ville aux mille et une
églises. Cette époque est vraiment « l’âge d’or » de l’Arménie.
L’Arménie se
« rétrécit »
En
1015, l’Empire byzantin (empire romain d’orient) annexe la partie occidentale
de la région alors que la partie orientale est occupée par les Turcs. Nombre
d’Arméniens quittent alors la région pour la Hongrie, la Pologne, l’Ukraine
actuels. Ils vont même établir en 1137 le royaume de Cilicie (situé au sud de
la Turquie actuelle).
Au
gré des prises de pouvoir par les différents peuples qui entourent la
« grande Arménie » de cette époque, les populations sont
« mixées », mélangées et vivent côte à côte en plutôt bonne entente. Au
fur et à mesure du « rétrécissement » de cette grande Arménie, des
Arméniens chrétiens vont se retrouver « perdus » au milieu de Turcs
ou de Perses venus s’installer dans les territoires conquis. Petit à petit, les
Arméniens sont répartis en 3 « empires » : les Arméniens d’Iran,
les Arméniens de Russie, les Arméniens ottomans. Dans cet empire, les
populations minoritaires, de religions différentes de « l’Etat
central » étaient acceptées et légalement protégées. Ces communautés
religieuses étaient regroupées administrativement sous forme de millets,
eux-mêmes contrôlés par le pouvoir central mais bénéficiaient d’une certaine
autonomie liée à leur loyauté envers l’empire ottoman.
Au
début du 19ème siècle, les Arméniens sont disséminés en petites
communautés dans différents pays (Turquie, Iran, Russie, Azerbaïdjan). Ces
communautés sont « le reliquat » de la grande Arménie du passé. Ils
sont de culture et de religions différentes. Sur le territoire de la Turquie
actuelle, malgré l’organisation des Arméniens en millets, les relations entre
les deux communautés deviennent très vite conflictuelles.
Entre
1894 et 1896, les premiers massacres turcs des Arméniens font près de
200 000 morts. En 1915, le
gouvernement turc décide d’en « finir » avec la minorité arménienne
vivant encore sur son territoire. Il organise des déportations et des massacres
au cours desquels entre 1,2 et 1,5 million d’Arméniens trouvent la mort,
perpétrant ainsi le premier génocide du
20ème siècle. Cette partie du territoire turc où vivaient depuis
« la nuit des temps » des Arméniens a été systématiquement,
méthodiquement vidée de cette population. Ce génocide n’a jamais été reconnu en
tant que tel par la Turquie dont les lois condamnent toujours ceux qui
mentionnent un génocide arménien.
En
1917, l’effondrement de l’empire russe laisse un vide politique dans cette
région composée d’une mosaïque de groupes ethnico-religieux qui, souvent,
peinent à s’entendre.
Les
Arméniens proclament la République d’Arménie
Ils
fondent, en 1921, de grands espoirs sur la conférence de la Paix de Paris. Mais
les puissances centrales, vainqueurs de la 1ère guerre mondiale,
refusent de reconnaître l’autonomie de l’Arménie, tout comme la même
revendication des Kurdes. Touchés par l’esprit révolutionnaire des Bolcheviks,
ils s’insèrent dans les républiques soviétiques pour devenir, le 29 novembre
1920, la République soviétique d’Arménie, qui ne couvre qu’une petite partie du
territoire « historique » de celle-ci.
Une
importante communauté arménienne (confettis de la grande Arménie) vit au
Haut-Karabakh, sur le territoire de l’Azerbaïdjan frontalier. Cette région,
peuplée à 94 % d’Arméniens, à une dizaine de kms de l’Arménie, semblait « naturellement »
devoir faire partie de la République socialiste soviétique d’Arménie, mais le
régime stalinien en décida autrement et la rattacha à l’Azerbaïdjan, tout en
lui donnant une certaine autonomie. Il créa le corridor de Latchine permettant
à la population d’accéder à l’Arménie. Durant la période soviétique, la
situation reste gelée même si régulièrement, les Arméniens du Haut Karabakh
demandent leur rattachement à l’Arménie.
Après la
disparition de l’URSS
Les tensions dues à l’illogisme de ce
découpage administratif « remontent à la surface ». Le 12 juin 1988,
le Haut Karabakh se déclare en sécession et le 15 juin l’Azerbaïdjan réaffirme
l’attachement de la région à son territoire. L’Azerbaïdjan proclame son
indépendance de l’URSS le 30 août 1991, l’Arménie fait de même le 21 septembre.
Le Haut Karabakh a, lui, proclamé sa propre indépendance le 2 septembre,
confirmée par un référendum le 10 décembre. Les autorités de Bakou y envoient
des troupes pour y rétablir leur contrôle. Les habitants du Haut Karabakh se
défendent avec l’appui de l’Arménie. Ces affrontements font des milliers de
victimes de part et d’autre. C’est la 1ère guerre qui se conclue par
l’occupation arménienne d’une partie du territoire de l’Azerbaïdjan (entre le
Haut-Karabakh et l’Arménie). Malgré le cessez-le-feu conclu en mai 1994, la
question du Haut Karabakh reste en suspens. L’Azerbaïdjan a certes perdu
cette première guerre mais ses prétentions sur le Haut Karabakh subsistent et il n’aura de cesse d’envisager
la future attaque contre l’enclave arménienne.
Politiquement,
l’Arménie est « encadrée » par deux voisins pas très sympathiques,
plutôt menaçants et beaucoup plus puissants et riches : la Turquie et
l’Azerbaïdjan. Elle continue à avoir des relations privilégiées avec la Russie
pour s’assurer un minimum de protection. Ce sont, par exemple, les Russes qui
assurent la protection du couloir de Latchine.
Depuis
1994 et la victoire des Arméniens du Haut Karabakh, la situation était plutôt
stabilisée même si l’Azerbaïdjan manifeste la volonté de récupérer les
territoires entre l’Arménie et le Haut-Karabakh et de rattacher le territoire du
Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan par un corridor dit de Zanguezour. Il
déclare une nouvelle guerre en 2020.
Les Azéris soutenus par la Turquie
et équipés d’armes israéliennes, récupèrent
le territoire occupé par les Arméniens (entre l’Arménie et le
Haut-Karabakh) et chassent la moitié de la population. Un cessez-le-feu est
signé en novembre 2020, entérinant l’avancée azérie et un contingent russe de
2 000 hommes est déployé pour le faire respecter. Le Haut-Karabakh est encore autonome.
L’assaut
final
Après
cette victoire, ne restait plus à l’Azerbaïdjan qu’à récupérer le Haut
Karabakh. A partir de décembre 2022, un blocus est instauré pour affaiblir la
population arménienne du Haut Karabakh et l’assaut
final est donné. C’est la 3ème
guerre en septembre 2023 : les derniers Arméniens quittent l’enclave et
le 15 octobre, le drapeau azéri est hissé à Stepanakert, l’ancienne capitale du
Haut Karabakh.
Ce
jour-là, l’Arménie a perdu totalement et certainement définitivement l’enclave
du Haut Karabakh. Les 90 % d’Arméniens qui y habitaient ont été contraints à un exode massif, sans
grande réaction de l’Europe ou de la France… La ministre Colonna est allée à
Erevan promettre des armes à l’Arménie mais à la fin de la guerre, c’est un peu
inutile...
Silence et
manque de réactions internationales et, surtout, européennes. Pourquoi ?
Ne
serait-ce pas, parce que l’Arménie a peu de ressources naturelles et que
l’Azerbaïdjan, lui, regorge de pétrole et de gaz (que la France lui
achète) ? Madame Von der Leyen, en signant des contrats de vente de gaz et
de pétrole avec le président azéri Ilham Aliyev participe à brader le choix des peuples à disposer
d’eux-mêmes contre du pétrole et du gaz azéri qui… comble de cynisme, provient
de Russie, pour une part. Dans ces discussions avec Aliyev, elle n’a
apparemment pas eu le temps de parler du Haut Karabakh !
On
l’a compris, l’Arménie, petit pays sans ressources naturelles sans grand
intérêt pour les pays industrialisés dits « avancés », a été lâchée
par tous, même par la Russie. Ils ont tous préféré s’assurer de bonnes relations
avec l’Azerbaïdjan pour profiter de son gaz et de son pétrole, plutôt que de
défendre les intérêts de la population expulsée de force. Pas très surprenant.
Les évènements au Moyen-Orient, et surtout l’attitude des pays
« avancés » face à la politique israélienne en Palestine, nous montrent
que les droits de certains humains ne valent pas cher dans certaines
circonstances. « Nos démocraties » ont préféré soutenir Aliyev plutôt
que les Arméniens. Ce n’est finalement que la suite logique de la politique
occidentale. Aliyev a été reçu en France par Hollande en 2017, aux USA par Obama
en 2016, par Barroso, alors président de la commission européenne, pour mettre
en place le projet de corridor gazier sud qui relie Bakou à l’Italie qui,
depuis 2020, achemine le gaz azéri vers l’Europe.
Au
cours de ces rencontres, ces dirigeants « intègres » n’ont
certainement pas eu le temps, à leur grand regret ( !), de parler à ce
« cher » Aliyev
-
de l’affaire
Safrou, cet officier azéri condamné à la perpétuité en Hongrie pour le meurtre
d’un officier arménien pendant un stage de l’OTAN, transféré en Azerbaïdjan
pour y purger sa peine, qu’Aliyev a
gracié… et nommé à un grade supérieur
-
de la diplomatie
du caviar, consistant à acheter le soutien occidental en échange de cadeaux, on
peut appeler ça aussi pots de vin…,
-
de la nomination
quelque peu étonnante de la femme d’Aliyev au poste de vice-présidente du pays,
-
pas non plus de
son implication avec ses enfants dans les scandales révélés dans les Panama et
Pandora Papers
-
et encore moins
de la réalité des droits de l’Homme dans son pays (voir encadré)
Peut-être
ne l’ont-ils pas fait, faute de temps, ou peut-être avaient-ils la
« bouche pleine »… de caviar.
Cette
attitude, cette absence de réaction, face aux exactions azerbaïdjanaises au
Haut Karabakh sont, par contre, insupportables pour le peuple arménien. N’oublions
pas qu’au sud, le Nakhitchevan est coupé de l’Azerbaïdjan par l’Arménie. Il ne
serait donc pas étonnant que des incidents éclatent dans cette région. Une
nouvelle guerre n’est pas à exclure pour assurer la continuité territoriale de
l’Azerbaïdjan qui pourrait contraindre les Arméniens à quitter le sud de leur
pays. Pour l’heure, des négociations ont lieu pour créer un couloir longeant
l’Iran et reliant, par la même occasion, les deux parties de l’Azerbaïdjan.
La
situation de découpage territorial, de rivalités ethniques et religieuses
entretenues par les forces dominantes sont, toujours, sources de guerres qui
peuvent resurgir à tout moment.
Jean-Louis
Lamboley, le 24.10.2023
Après le génocide, les dispersions de la
diaspora
A
cette époque, la situation démographique de l’Arménie est quelque peu
chaotique. En effet, des Arméniens vivant en Azerbaïdjan le quittent. Mais,
surtout, la pauvreté, l’instabilité, l’absence de perspectives stables,
incitent près d’un million d’Arméniens à quitter leur pays pour tenter leur
chance ailleurs. Ils rejoignent la Russie où ils sont actuellement plus de 2
millions, l’Iran (600 000), les USA (500 000), la France (500 000),
etc. On arrive donc au paradoxe suivant : 3 millions d’Arméniens vivent en
Arménie et 9 millions hors du pays. Parmi ces 9 millions, nombreux ont la
double nationalité. Par exemple, sur 500 000 se reconnaissant Arméniens,
400 000 sont nés sur le territoire français.
Extraits du rapport d’Amnesty
International de 2022
Des
nouvelles atteintes au droit international humanitaire ont été signalées, cette
année, et aucun progrès notoire n’a été enregistré en matière d’enquêtes sur
les crimes de guerre qui auraient été commis pendant le conflit de 2020 au Haut
Karabakh. La liberté d’expression, de réunion et d’association, a été extrêmement
limitée. Les autorités se sont livrées à des arrestations arbitraires de
militants et militantes de la société civile dont certains et certaines ont
fait l’objet de poursuites fondées sur motivations politiques. Elles ont en
outre réprimé violemment des manifestations pacifiques et entravé les activités
d’organisations et d’organes de presse indépendants. Les femmes et les filles
étaient toujours victimes de discriminations. D’après un rapport du CICR, on
serait toujours sans nouvelles de plus de 300 Arménien-ne-s porté-e-s disparu-e-s
en territoire azerbaïdjanais. Le président de la République a promulgué le 8
février 2020 une loi sur les médias aux termes de laquelle les propriétaires
d’organes de presse s’adressant à un public azerbaïdjanais devaient résider de manière
permanente dans le pays, ce qui les rendait vulnérables à la censure et aux
persécutions…
Sans
commentaires.