Ukraine/Russie. Et après ?
Il
ne s’agit pas, ici, de retracer la guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais
plutôt de développer un certain nombre de points de vue, de réflexions, pour
tenter de cerner les raisons qui ont conduit à ce conflit. Il y a en effet un
certain nombre d’aspects qui ont été négligés, sur lesquels il est intéressant
d’insister, d’une part le poids de l’histoire et d’autre part le processus qui
a conduit à la guerre et n’a fait que l’amplifier.
Il
semble nécessaire de souligner que les pays de l’Est, dans leur configuration
actuelle, y compris en Ukraine, résultent en grande partie du pacte germano-soviétique, conclu entre
Hitler et Staline en 1939. La Pologne qui avait été rayée de la carte, partagée entre l’Autriche-Hongrie, la Prusse
et la Russie, a retrouvé un semblant d’indépendance après la première guerre
mondiale. Pour l’Allemagne nazie, il s’agissait d’accroître son « espace
vital ». Ainsi, la Pologne fut partagée entre l’Allemagne et l’URSS,
Staline en profitant pour occuper les pays baltes et envahissant la Finlande.
C’est dire que ces pays rattachés à l’Union soviétique ne résultaient
aucunement d’une révolution. Quant à la partie ouest, occupée par les nazis,
elle était marquée par un antisémitisme virulent et les pogroms. Lorsque la
guerre éclata, en 1941, entre l’Ukraine et l’URSS, les pogroms et les actes
antisémites se prolongèrent dans la partie ouest de l’Ukraine actuelle. La
région de Linz, encore appelée Lemberg (1), fut l’objet d’une guerre civile
ravageuse contre les Juifs et les communistes, dans laquelle s’illustra
Bandera, de sinistre mémoire.
Lorsque
l’Armée rouge fit reculer les armées nazies et, en application des accords de
Yalta, occupa les régions anciennement polonaises catholiques et une partie de
la Bessarabie ainsi que des régions faisant partie de la grande Roumanie, de la
Hongrie et de la Slovaquie, il va sans dire que ces peuples n’avaient aucune
unité nationale, parlaient des langues différentes et les religions se
concurrençaient. La partie slave était concentrée, en Ukraine, dans la région Est
la plus industrielle.
2 – Avant et
après la désintégration de l’URSS
Les
pays qui furent rattachés à l’Union soviétique et qui, selon le mot de Brejnev,
ne disposaient que d’une souveraineté
limitée, connurent des révoltes
successives : en Pologne, en 1956, contestations ouvrières
réprimées ; la même année en Hongrie, conseils
ouvriers réprimés sous Khrouchtchev. Il en fut de même en Tchécoslovaquie en
1968 pour le printemps de Prague. Ces « socialismes » de caserne
connurent effectivement un développement des forces productives
(industrialisation, éducation…). Quant aux rapports sociaux de production et dans
la société elle-même, il n’y eut guère de changements (hiérarchie,
concurrence, poids de la religion, absence de liberté…).
Lors
de la désintégration de l’Union soviétique en 1991, promesse fut formulée à
Gorbatchev puis à Poutine, la dissolution de l’OTAN suivrait la dissolution du
pacte de Varsovie. Or, cette promesse
ne fut pas tenue, bien au contraire.
Ivre
de sa supériorité, l’hyperpuissance américaine pensait pouvoir contrôler
l’ensemble du monde. Or, cette période fut brève. Elle fut marquée par
l’apparition de grandes catastrophes dans les pays de l’Est, l’accaparement des
biens publics par les oligarques, le chômage, la misère et la corruption ainsi
que le passage progressif des pays dits de l’Est dans le giron de l’économie
libérale jusqu’à intégrer l’OTAN et l’Union Européenne.
En
Ukraine, pays particulièrement corrompu, où se disputaient oligarques
pro-russes et oligarques pro-occidentaux, ces derniers finirent par l’emporter,
suite au « soulèvement » de Maïdan, ce que les Russes considèrent, du
point de vue juridique, comme un coup d’Etat. Le nationalisme ukrainien, incité par
les groupes néo-nazis, alla
jusqu’à interdire l’usage admis de la langue russe, particulièrement usitée par
les Slaves de l’est. En effet, jusqu’à cette décision complètement ubuesque, la
langue ukrainienne et la langue russe étaient enseignées de la même manière sur
l’ensemble du territoire ukrainien. Cet oukase ukrainien provoqua la révolte
des régions de Donetsk et des environs et une guerre larvée dans laquelle
s’immisça de plus en plus l’armée russe. Des accords dits de Minsk furent conclus, pour tenter de mettre fin, en
apparence, à ce conflit. Il s’agissait en fait comme l’avoua plus tard Mme
Merkel de gagner du temps pour armer
et organiser l’armée ukrainienne.
3 – Deux
aveuglements, deux échecs
La
Russie poutinienne ne parvenant pas à obtenir satisfaction sur la nécessité
pour elle-même de garder l’Ukraine dans son orbite, décida de déloger le gouvernement pro-occidental
qui s’était installé à Kiev. L’armée russe concentrée en Biélorussie pensait
faire fuir très rapidement le gouvernement ukrainien afin d’y placer un pouvoir
à sa botte. Ce fut un échec lamentable qui contraignit l’armée russe à se concentrer
sur l’Est de l’Ukraine et à y occuper véritablement une partie de ce
territoire.
Le
deuxième aveuglement et le deuxième
échec concernent les USA et l’UE qui misèrent
sur l’effondrement du régime poutinien.
Ce fut loin d’être le cas. En effet, l’armée russe adopta une logique
défensive, installant plusieurs rangées de tranchées, les fameuses « dents
du tigre » pour bloquer l’avancée des chars ennemis et pilonnant toutes
les tentatives d’avancées de l’armée ukrainienne dotée pourtant de technologies
les plus sophistiquées.
On
assiste ainsi à une guerre d’usure,
jusqu’au dernier ukrainien pour les Occidentaux (?), et jusqu’à
l’effondrement/épuisement du gouvernement Zelensky. Certes, nous n’en sommes
pas là mais les gouvernements occidentaux avouent qu’ils n’arrivent plus à
produire suffisamment de munitions, d’obus, de tanks pour satisfaire la
contre-offensive ukrainienne que personne ne voit venir. Pour l’heure on
assiste en fait à des coups d’épingles
sur la peau du rhinocéros russe.
La
stratégie américaine en est toute chamboulée. Elle pensait que cette guerre
serait courte pour se concentrer sur son ennemi principal, à savoir la Chine.
Elle misait également sur le raffermissement de sa puissance en Europe en
coupant les approvisionnements de pétrole et de gaz russes. Elle n’a fait
qu’affaiblir l’Allemagne, fragmenter encore plus l’Europe, y compris en
divisant son plus fidèle allié, la Pologne antirusse.
Qu’en
conclure ?
Les
pouvoirs des différents empires et de leurs supplétifs instrumentalisent
religions, ethnies, concurrences entre eux qui sont autant de sources de
conflits. La croissance des forces productives n’entraîne nullement entraide et
coopération dans les rapports à l’intérieur des pays et entre les nations.
La
poursuite de la colonisation des Palestiniens, si elle est différente, connaît
également des similitudes de manière exacerbée, entre colons et les
Palestiniens.
De
même, la situation de l’Arménie démontre que les conflits qui ne sont pas
réglés dans le sens de la concorde entre nations, ont tendance à faire surgir
de nouveaux monstres. On peut se demander d’ailleurs si le découpage colonial
et son caractère arbitraire ne seront pas sources de conflits futurs entre pays
composés de différentes ethnies.
Gérard
Deneux, le 31.10.2023
(1)
lire Le retour à Lemberg de Philippe Sands
(ed. Albin Michel)