Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 1 octobre 2020

 

Moria

Dernier scandale de la politique migratoire de l’UE

 

Ce 9 septembre, l’incendie qui a ravagé le camp de Moria remet sur le devant de la scène ce que les Etats de l’UE veulent nous faire oublier. Qu’en est-il de l’exercice de la solidarité envers les exilés du monde cherchant un refuge ?

 

Rappel : cette caserne militaire (d’une capacité de 2 500 personnes), sur l’île grecque de Lesbos, transformée en camp de tri et de transit, parquait plus de 14 000 personnes. En 2015, les 85 000 habitants de Lesbos voient arriver plus de 450 000 réfugiés. Le camp déborde vite sur les oliveraies avoisinantes. Les pêcheurs, les familles solidaires aident au mieux mais, au fil du temps, la situation se crispe. Les habitants se sentent en danger et empêchent les migrants d’accoster, manifestent… Cette mégastructure devient un no man’s land où règnent peur, violences, prostitution, viols : le quotidien des personnes devient un enfer. Des jeunes se suicident, d’autres sont brûlés dans des tentes, d’autres sont poignardés (entre janvier et août, 5 personnes recensées dans plus de 15 attaques).

 

Le 9 septembre, c’est une nouvelle catastrophe humanitaire pour celles et ceux qui ont perdu leurs maigres biens, désorientés, sans vivres, sans eau… plus rien ! La première réponse de Mitsotakis, 1er ministre, est l’envoi de renforts policiers et de canons à eau pour empêcher que les réfugiés aillent « contaminer » les habitants de Lesbos. A ceux qui revendiquent leur transfert sur le continent, il répond avec les lacrymos. Apparaissent, très vite, des commandos fascistes qui s’en prennent également aux solidaires, en toute impunité.

 

Quelles solutions de l’UE ? Rien ou presque. 400 enfants non accompagnés sont transférés sur un ferry en attendant de trouver des pays d’accueil. Tous les autres sont à nouveau parqués dans un camp improvisé au bout de l’île. Le ministre grec de l’immigration rassure : il ne s’agit pas de « construire de nouvelles installations, plus sûres, plus adéquates offrant des conditions d’hébergement plus humain » mais de fermer tous ces lieux d’enfermement. D’ailleurs, pour éviter les arrivées, le gouvernement a déjà lancé la construction du barrage anti-migrants (500 000€), une frontière flottante, de près de 4 kms, au large de Lesbos dans la mer Egée.

 

A quelques encablures : Mykonos, l’île des célébrités et des millionnaires. Là, sur la plage, ni pelles ni seaux, encore moins d’épaves de canots pneumatiques ou de gilets de sauvetage déchirés. Non, plutôt des sacs Gucci à 10 000€ ou des œuvres de street-art à 250 000€. Les restos y proposent une assiette-bar à 200€ avant la fête nocturne : une orgie de richesses où 50 000 à 100 000€, par personne, peuvent être dépensés en une nuit. Deux mondes !

 

Qu’en est-il de la solidarité ?

 

En matière de déni de solidarité, la politique européenne répressive est « exemplaire » ! Depuis fin 2014, elle stoppe les opérations de sauvetage en mer Méditerranée ; elle a délégué à la Libye et à la Turquie, moyennant de juteuses compensations financières, la sous-traitance du devenir de ces hommes, femmes et enfants en exil. Mot d’ordre : les empêcher de venir en Europe… par tous les moyens, et notamment  grâce aux gardes côtes libyens.

 

Face à ce sinistre horizon, des ONG se sont mobilisées et ont affrété des navires humanitaires qui ont déjà sauvé des milliers de naufragés, mais des dizaines de milliers sont engloutis dans la mer Méditerranée, que l’on peut qualifier de cimetière marin européen : officiellement, on parle de 20 000 disparus depuis 2015, le chiffre est probablement supérieur. Ces navires ont subi, tour à tour, contrôles, expertises ; leurs équipages ont été criminalisés, bloqués dans des ports attendant les expertises administratives interminables.

 

Malgré tout, la traversée de tous les dangers des exilés se poursuit. Depuis janvier 2020, de plus en plus d’embarcations de fortune, surchargées de personnes, tentent le passage au péril de leur vie par ce long couloir de la mort. Entre janvier et juillet 2020, plus de 25 000 migrants ont quitté les côtes libyennes et tunisiennes alors qu’ils étaient environ 9 400 en 2019 pour la même période.  

 

La réponse de l’UE est le harcèlement à l’encontre des navires humanitaires qui s’engagent à sauver des vies en Méditerranée (cf encart). La politique menée délibérément méprise la loi, et notamment la loi maritime (« le sauvetage est obligatoire. Sur indications des autorités coordinatrices des secours, les personnes doivent être débarqués au plus tôt dans un port sûr ») et se rend coupable, au vu de tous, de non-assistance à personne en danger. Tous les équipages des navires de sauvetage subissent le même scénario de blocages, contrôles, attente d’autorisation de débarquer les passagers dans un port sûr, c’est-à-dire (selon l’Organisation Maritime Internationale) «un endroit où la vie des survivants n’est plus menacée et où on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux » «... un endroit à partir duquel peut s’organiser le transport des survivants vers leur prochaine destination ».

 

La politique européenne, c’est aussi, depuis fin 2018, l’élargissement du territoire d’intervention des gardes côtes libyens, qui ratissent à 200 kms des côtes. Ils font faire le sale boulot aux Asma Boys, chargés de ramener les migrants en Libye puis de les soumettre aux lois de l’enfer des prisons officielles ou clandestines (pratiquant eux-mêmes viols, tortures dans les camps) et de les exploiter comme des esclaves. Tout ça, l’UE le sait et le tolère ! Amnesty International et d’autres ONG parlent de « violations extrêmes des droits humains » et ont dénoncé le trafic des êtres humains.

 

Pourquoi ces dénis de solidarité, ces pratiques criminelles de refoulement des exilés ne sont-elles pas jugées ? Deux ONG (Oxfam et We Move Europ) ont déposé plainte ce 24 septembre, contre la Grèce pour abandon, au large, de 1 072 demandeurs d’asile, le HCR parle de milliers de personnes.  La Grèce a nié. L’enquête est en cours.

 

Les autorités étatiques, par cette attitude, contribuent à renforcer les réseaux des passeurs qui continuent de s’enrichir sur la misère humaine. Elles sont co-responsables de la mort de milliers d’exilés qui partent sur des rafiots de fortune en mer Méditerranée, mais aussi dans la Manche, ou encore qui se mettent en danger sur les routes ou croupissent dans des camps déshumanisés (certains sont des camps de concentration) ou des CRA (centres de rétention administrative) en France, en Belgique, en Italie, en Afrique... 

 

La solidarité doit s’imposer et ne peut être qualifiée de délit

 

 

Elles et ils sont nombreux, les solidaires, leurs actions vont des actions fortes de sauvetage aux actions quotidiennes de soutien d’associations locales.

 

A l’image de Carola Rackete, capitaine du navire humanitaire Sea-Watch 3. En juin 2019, elle défie Salvini et force le blocus italien pour entrer à Lampedusa, après 3 semaines en mer avec plus de 50 migrants à bord. Elle en fait débarquer 40 et est arrêtée pour « aide à l’immigration clandestine ». La justice italienne a invalidé sa peine de prison.

Pia Klemp, capitaine allemande du Iuventa et, récemment, du Louise Michel a débarqué des naufragés en détresse, elle est poursuivie par la justice italienne ainsi que 9 autres marins, risquant 20 ans de prison pour aide et complicité à l’immigration illégale. Un comble !

 Pierre Alain Mannoni, chercheur à Nice, 5 procès depuis 4 ans, pour avoir porté secours à 3 jeunes femmes érythréennes blessées (cf « Ils, elles luttent ». Ou encore Cédric Herrou, qui ouvre sa porte aux migrants dans la vallée de la Roya. Son procès a permis la reconnaissance du « principe de fraternité ».

 Yannis Youlountas, réalisateur, militant activiste franco-grec, soutient les initiatives autogestionnaires grecques en faveur des plus touchés par la crise sociale en Grèce. Il organise, entre autres actions, des convois de produits de base et a lancé un appel à dons pour les exilés du camp de Moria (1)

 

La solidarité est un combat de tous les jours contre la politique migratoire, en France.  Elle se manifeste contre les associations locales engagées auprès des migrants, par des tracasseries administratives, voire financières. A Calais, un arrêté préfectoral du 11 septembre interdit aux associations non mandatées par l’Etat de distribuer des repas au centre-ville. Cela a valu 2 PV à l’Auberge des Migrants, 7 à l’association Salam. Leurs recours en justice contre ce « délit de solidarité » ont été rejetés. 1 500 migrants sont entassés dans une dizaine de campements, et pour celui situé près de l’autoroute, sous haute surveillance de CRS et d’une caméra panoramique. En Haute-Saône, une association (CADM 70) (2) est « interdite d’accès » aux CADA, suite à leurs dépôts de doléances émanant des demandeurs d’asile, livrés à eux-mêmes et en détresse. Mais… dans le pays des Droits de l’Homme, il n’est pas permis d’accompagner un exilé pour l’aider à exprimer ses demandes. Chasse gardée ! Rien ne doit sortir de ces lieux clos, aux ordres de l’Etat puisque financés par lui. Priorité : obéir au préfet !

 

Ces violences institutionnelles répétées, ces procédures administratives qui n’en finissent pas pour les demandeurs d’asile ne comprenant pas pourquoi cela est si difficile d’être protégé au pays des Droits de l’Homme, provoquent des crispations, des tensions. La spirale de l’intolérance et du racisme n’est pas loin.

 

Nous devons réaffirmer la solidarité avec tous les exilés comme une priorité et « Marcher vers l’Elysée » : à l’initiative de plus de 180 collectifs de Sans Papiers, associations, syndicats, la « Marche nationale des Sans-papiers » (3) est partie de différentes villes de France (Rennes, Marseille, Strasbourg, Lille, Rouen…) le 19 septembre 2020 et arrivera à Paris sur les Champs Elysées le 17 octobre 2020. Ce même jour, des manifestations sont prévues en Italie, Angleterre, Espagne, Grèce… Ils appellent tousTEs à manifester le 17 octobre « Au nom de la liberté et de la solidarité, en hommage à toutes les victimes du colonialisme, du racisme et des violences de la police, en hommage à toutes les victimes des politiques anti-migratoires et des contrôles au faciès. Au nom de d’égalité, pour imposer enfin la régularisation de touTEs les Sans-Papiers, la fermeture des centres de rétention et le logement pour touTEs ».  

 

Il est vain d’espérer dans « le nouveau Pacte sur la migration et l’asile » lancé par la Commission Européenne le 23 septembre. Les bonnes intentions (solidarité obligatoire et responsabilité) proclamées par Mme Von der Leyen, à peine prononcées, sont déjà lettre morte puisque la politique migratoire européenne doit être approuvée à l’unanimité des pays membres. La Pologne, la Hongrie, l’Autriche, la Slovénie, la République thèque restent toujours hostiles à l’accueil des réfugiés. La France, si « vertueuse » a accueilli environ 4 600 demandeurs d’asile alors qu’elle se fixait un objectif de 19 000. Le Pacte évoque d’assigner à résidence dans certains pays les demandeurs d’asile sur la base de liens familiaux, d’éducation, d’histoire, de travail et en fonction de la démographie et de l’économie du pays-hôte qui recevrait en échange une dotation européenne de 10 000€ par adulte (!) avec l’objectif à terme de refouler directement dans leurs pays 70% de personnes exilées. Un eurocrate affirme : « cette réforme pose un principe clair… Personne ne sera obligé d’accueillir un étranger dont il ne veut pas ».

 

Restons vigilants sur ce qui se trame et ne soyons pas dupes de la soi-disant  compassion de Madame Von der Leyen qui peut peu.

 

Lucette L et Odile M

 

(1) pour découvrir l’appel et participer http://blogyy.net/2020/09/21/urgent-info-grece-lesbos-exarcheia-crete/

(2) pour soutenir le Comité d’Aide et de Défense des migrants de Haute-Saône (CADM 70) https://www.facebook.com/cadm70/

(3)  https://marche-des-sans-papiers.org

 

Encart

Quelques exemples de navires humanitaires solidaires

L’Ocean Viking (de SOS Méditerranée), a été récemment bloqué en mer, en attente d’autorisation avec plus de 251 naufragés à bord : l’Espagne, l’Italie, Malte refusent l’accès à leurs ports. Il avait déjà subi une immobilisation pour « raisons techniques » dans un port italien. Contrôlé 3 fois en un an, la dernière inspection a duré 11h !

Le Louise Michel, ancienne vedette des douanes françaises, avec la particularité d’être plus rapide que les gardes libyens, affrété en août 2020 par Banksy (un street-artiste britannique) est à quai,  à disposition des autorités italiennes. Le  28 août. L’équipage tweetait : « Le Louise Michel a assisté 130 personnes… et personne n’apporte d’aide ! Nous atteignons un état d’urgence. Nous avons besoin d’assistance immédiate […] L’Union européenne doit agir, tout de suite » !

L’Open Arms (de l’ONG Pro activa catalane) a réalisé 3 opérations de sauvetage depuis ce 8 septembre. Bloqué en mer en août (19 jours) avec 278 personnes recueillies, traumatisées, dont le pronostic vital est engagé pour certains. Malte a refusé le débarquement. L’Italie ne répond même pas aux demandes de vivres. L’attente est si insupportable que le 17 septembre, 70 passagers exilés, complètement désespérés, se sont jetés à l’eau. Le débarquement a pu finalement se faire au large de la Sicile. Le bateau est sous séquestre.

L’Alan Kurdi (du nom du petit syrien de 3 ans retrouvé mort sur une plage de Turquie) de l’ONG allemande Sea Eye, a sauvé en mer samedi 19 septembre 2020, 133 migrants, puis a essuyé l’inaction de l’Italie, de l’Allemagne et de la France ; celle-ci renvoie la balle à l’Italie. Faisant route vers Marseille, qui s’est dite prête à accueillir « sans condition » sauf que… le bateau n’a pas eu l’autorisation de la France et a dû débarquer en…. Sardaigne ! 

Deux avions humanitaires s’ajoutent à cette flotte humanitaire dont le Sea Bird qui a réalisé sa 1° mission le 6 août 2020.