Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 1 octobre 2020

 

Triste Sire !

Où est passé Jean-Charles le Bourbon ?

 

C’est la question de nombre d’Espagnols. Plus connu sous le nom de Juan Carlos, l’ex-roi a quitté le pays. Le climat ne lui convenait pas ? Il voulait voir du pays ? Il semble que ce soit plutôt pour profiter tranquillement (loin de la justice espagnole) de la fortune accumulée par ses ancêtres et par lui-même. Dans la famille c’est une habitude. En 1931, son grand-père Alphonse XIII quittait le pays, avec sa fortune, pour la Suisse. Idem pour sa fille Cristina, en 2013, fuyant la justice espagnole qui l’accusait, ainsi que son mari, de détournements de fonds. Juan Carlos a semble-t-il préféré le climat de l’Arabie Saoudite.

 

Mais qui est Juan Carlos de Bourbon ?

 

En 1968, il est nommé par Francisco Franco comme son successeur. Le 21 novembre 1975, au lendemain de la mort du dictateur, il devient chef de l’Etat espagnol. Son début de parcours est plutôt positif : lui qui devait développer le franquisme, engage le pays vers la démocratie. Cet acte ne fut pas d’un courage incommensurable puisqu’à part quelques militaires et quelques dignitaires du franquisme, en 1975, le Peuple espagnol, les milieux économiques, industriels souhaitaient en finir avec la dictature et rejoindre les démocraties européennes. Un peu plus tard, il interviendra pour mettre fin à la tentative de coup d’état militaire du Parlement espagnol.

Puis il profitera de la vie bien agréable de roi, de la fortune familiale et des 300 000 euros alloués par le gouvernement espagnol. En fait, il mènera grande vie aux frais du Peuple espagnol entouré de ses nombreuses maîtresses. Tous les gens un peu informés le savaient, le Peuple s’en doutait, mais après tout c’était sa vie privée, il avait engagé le pays sur la voie de la démocratie, il était sympathique, alors on lui pardonnait facilement.

 

Les choses vont se gâter pour lui en 2006. Une photo paraît dans la presse : Juan Carlos y pose près d’un éléphant abattu par lui-même aux côtés d’une princesse danoise, sa favorite de l’époque. Cela choqua beaucoup les Espagnols. Puis, en 2012, en pleine crise économique de l’Espagne, Juan Carlos est opéré de la hanche ; on apprend que c’est à la suite d’une chute lors d’un nouveau safari en Afrique, organisé cette fois en toute discrétion. Sans cet accident, personne n’aurait rien su. Coup de grâce en 2019 : les Espagnols apprennent que Juan Carlos a reçu, en 2008, 100 millions de dollars du Roi d’Arabie, somme qui sera dissimulée au fisc espagnol via une Fondation au Panama. Juan Carlos en sera l’unique bénéficiaire ! La justice espagnole ouvrira une enquête pour « blanchiment d’argent aggravé ». A cette époque l’Espagne était en négociation avec l’Arabie Saoudite pour la construction d’un TGV…. L’Espagne obtiendra le contrat « au nez et à la barbe » de la France.

 

Les finances de Juan Carlos étaient tellement transparentes et claires (!) que son fils, l’actuel roi Felipe VI renoncera officiellement à l’héritage de son père. L’ouverture d’une enquête judiciaire incitera Juan Carlos à aller goûter la douceur du climat d’Arabie.

 

Sa vie dissolue, avec l’argent du contribuable espagnol, connue des milieux un peu informés, ne semblait pas choquer les responsables politiques. De la part de la Droite et de l’Extrême-Droite, on peut le comprendre, mais de la part du Parti Socialiste espagnol (PSOE), se contentant de critiques très soft, c’est déjà plus surprenant. Encore plus surprenante l’absence de condamnations fermes et sans ambiguïté de la part de Podemos, parti se revendiquant d’une gauche de rupture. Quant aux classes populaires espagnoles, si les médias les informent immédiatement d’un bobo au petit orteil d’un joueur du football du Real Madrid, ils n’ont pas de temps à consacrer à ce que font le Roi et la famille royale avec l’argent du contribuable ! Et les grands médias français n’ont pas de leçons à donner dans ce domaine à leurs confrères espagnols : à les écouter, le 19 septembre, l’évènement le plus important au monde était la course de vélo de quelques millionnaires, dans les Vosges Saônoises, pour empocher les 500 000 euros de prime promis au vainqueur du Tour de France. Ces mêmes médias garderont sous le coude une affaire de dopage découverte au milieu de l’épreuve, pour n’en parler qu’une fois celle-ci terminée, afin de ne pas salir l’histoire de cette épreuve « machiste et polluante ».

 

Mais revenons à ce cher, très cher  Jean-Charles !

 

Le comportement du roi passe en revanche très très mal en Catalogne. Et pas seulement dans les milieux indépendantistes, dont un certain nombre de dirigeants sont toujours en prison,  pour de nombreuses années encore, pour avoir, pour certains, dirigé des associations de développement de la culture catalane ou, pour d’autres, pour avoir organisé un référendum.

 

La mansuétude dont a bénéficié Juan Carlos tout au long de son règne choque et révolte d’autant plus nombre de Catalans qui voyaient dans l’accession à l’Indépendance, l’instauration d’une République et donc  le rejet de la royauté. Cette aversion pour la royauté est dans les gênes du Peuple catalan puisqu’à l’époque de leur indépendance (998-1714), alors qu’ils formaient une Nation dotée d’un Etat propre, celle-ci n’a jamais connu ni instauré la royauté. La Catalogne était alors composée de 10 comtés. La différence entre le Roi et le Comte n’est pas seulement une notion d’ordre hiérarchique puisque le Roi se considère comme nommé par Dieu et que le Comte l’est par les hommes. A la fin de cette période, quand les Catalans devront reconnaitre l’autorité du Roi de Castille, le chanoine Pau Claris, dirigeant de la Generalitat, proclama « la République Catalane » le 17 janvier 1641. Elle fut très éphémère et dut se soumettre, quelques jours plus tard, à la monarchie castillane. Au XIII siècle, les Comtés catalans étaient administrés par les Corts, embryons de Parlement composés de représentants du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie. Ce système de Corts fonctionnait également à des échelles plus petites (villages, vallées…). Certes c’était loin d’être parfait mais, comparé à ce qui existait au XIII siècle dans les autres pays, c’était une avancée démocratique. Les Corts créèrent la Generalitat de Catalogne, important organe administratif et politique qui, bien que dominé par les oligarchies, défendra le Droit et les Institutions face à la monarchie castillane. Cette culture démocratique propre à la Catalogne est source d’un rejet quasi viscéral du Roi et de la royauté chez les Indépendantistes catalans. Les agissements de Juan Carlos ont fini par créer une aversion pour celle-ci, même dans les milieux autonomistes, parmi les unionistes catalans et parmi le peuple espagnol, l’image de la royauté s’est fortement dégradée.

Pour cela, on pourrait presque remercier l’ex-roi en espérant que l’aversion pour sa personne se transforme, parmi les classes populaires et catalanes, en une aversion pour la monarchie. Rêvons, rêvons …   (pendant  ces rêves, doit-on porter le masque ?)

Jean-Louis Lamboley