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vendredi 30 octobre 2020

 

Un pacte européen pour la migration et l’asile

est-il possible ?

 

Le 23 septembre, Madame Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a proposé sa réforme de la politique migratoire sous forme d’un pacte européen pour la migration et l’asile, une « approche axée sur l’humain et empreinte d’humanité », précisant d’emblée que les pays les plus exposés aux migrations doivent pouvoir compter sur la solidarité de toute l’Europe et que tous doivent intensifier leurs efforts.

Certes, elle est préoccupée par la situation intenable des pays « en première ligne » (Italie, Grèce, Malte notamment), par le chantage d’Erdogan qui en demande toujours plus pour contenir les exilés (Syriens notamment) en Turquie et menace d’ouvrir les frontières vers l’UE. Elle n’est pas sans s’inquiéter de l’extension de la guerre (Syrie, Libye, Yémen, Azerbaïdjan…) grossissant les rangs des exilés. Elle n’ignore pas la situation intenable des exilés qui errent ou meurent en Méditerranée ou dans les camps. Mais elle mesure les divisions profondes en matière de politique migratoire au sein de l’UE : 27 Etats et autant de politiques différentes.

Alors, ce nouveau pacte est-il un choix politique fort pour un accueil large des exilés qui mettent le pied en Europe ou de la poudre aux yeux pour tenter d’en amoindrir les impacts et de colmater les divergences profondes entre les membres d’une Union qui est, avant tout, financière et économique ?

 

1 – L’art du grand écart

 

La politique commune de l’UE en matière de migration et d’asile n’existe pas, même si les Etats membres se sont engagés en signant, notamment, la convention de Genève, c’est l’impasse totale. Contraindre les Etats récalcitrants à l’accueil est une mission impossible dans le contexte actuel. L’on voit mal l’UE sanctionner un pays récalcitrant en lui retirant, par exemple, des fonds européens attribués par ailleurs ! Il s’agit donc de pratiquer le grand écart, sans écarteler encore plus, une UE fragmentée, entre les Etats qui refusent d’accueillir et ceux qui, situés aux portes de l’Europe, sur les routes de l’exil, sont contraints d’instruire les demandes, sans omettre ceux qui affirment être solidaires sans pour autant en faire la preuve, au contraire. Pour ne prendre que l’exemple de la France, tournons notre regard vers les camps de Calais/Grande-Synthe pour mesurer l’hypocrisie du gouvernement, prompt à affirmer sa générosité et, « en même temps », à ordonner aux forces de police de pourchasser ceux qui tentent de réinstaller des campements de misère, au plus près du Royaume Uni.   

 

Le pacte se veut donc rassurant en affirmant en priorité l’objectif de « maîtrise » et « normalisation » de la migration à long terme. Plus question de se laisser déborder par des arrivées non contrôlées, dans l’espace européen et plus question de laisser les pays d’entrée seuls face aux arrivées par la Méditerranée. Une gestion efficace et humaine serait mise en place dans le respect du droit international. Dans cet esprit, le pacte décline les moyens pour contrôler les frontières, rationnaliser et accélérer les procédures d’asile et mener une politique efficace en matière de « retour » (qu’il faut nommer « expulsion »).

 

Tout se passera avant de mettre le pied en Europe avec un filtrage  à l’entrée, à la frontière, pour déterminer si l’exilé relève d’une procédure d’asile ou non. Celui qui sera considéré comme ayant peu de chances d’obtenir une protection statutaire (parce qu’il provient d’un pays sûr ou d’un pays qui présente un faible taux de reconnaissance) n’aura pas le droit d’entrer ; de même celui considéré comme une menace pour la sécurité. Tous ceux-là seront renvoyés directement dans leur pays d’origine. Ce tri arbitraire ne reconnaît plus, dès lors, le droit au refuge dû à chacun et de fait, le pacte supprimerait le droit  automatique d’entrer sur le territoire de l’UE. De nouveaux camps verraient le jour pour filtrer, trier, renvoyer : déjà un est construit sur l’île de Samos en Grèce, un autre est prévu à Lesbos.

 

Cette barrière franchie, qui va prendre en charge la demande d’asile ? Mme Von der Leyen, au risque de se mettre à dos les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie…) ne peut proposer d’annuler les accords Dublin (accords qui leur conviennent car ils contraignent le pays d’entrée à prendre en charge la demande). Mais elle ne peut plus ignorer la colère qui monte dans les Etats « en première ligne ». Comment faire ? Elle invente un nouveau « mécanisme de solidarité » auquel tous les Etats seront tenus : soit l’Etat accepte la relocalisation d’un certain nombre de demandeurs d’asile sur son territoire, soit il parraine leur « retour », en prenant en charge l’expulsion des demandeurs et, dans le cas où celle-ci s’avère impossible, de l’instruction des demandes. Mme Von der Leyen a trouvé l’élégante formule de « solidarité flexible » ! Cette solidarité « à la carte » pourrait aussi se matérialiser par d’autres moyens, fourniture de bateaux, d’avions, de matériels techniques ou encore de garde-frontières… pour mieux contrôler.

 

Pour boucler ce processus, il convient d’instituer un pilote commun, le pacte use de la formule militaire de « task force intégrée », à savoir une force d’intervention entre les Etats membres et les agences de l’UE, comme Frontex, Eurodac, Europol… tout en renforçant leurs systèmes informatiques de contrôles.   

 

Trier, ne pas laisser entrer, renvoyer, pour réduire le nombre de demandeurs d’asile en UE, c’est le socle de la politique européenne d’asile à venir. Encore faut-il en prouver l’efficacité !

 

2 – Contrôle renforcé au nom de l’efficacité

 

Pour être crédible, dit le pacte, il faut veiller à un « retour » effectif de ceux qui n’auraient pas à prétendre à la demande de protection d’un Etat européen. Actuellement seul 1/3 des personnes ayant reçu obligation de quitter le territoire l’exécute et le contrôle est impossible à exercer du fait notamment de systèmes variant d’un Etat à l’autre. En conséquence, un système organisé, centralisé, est proposé. Des moyens supplémentaires seraient attribués à l’agence européenne Frontex grâce à un nouveau corps permanent de garde-frontières et garde-côtes européens, dotés de pouvoirs exécutifs (10 000 agents). Ces pouvoirs exorbitants de Frontex seraient facilités par une base de données communes, développée par Eurodac (système d’information contenant les empreintes digitales servant notamment à la mise en œuvre des accords de Dublin), ce qui permettrait le « traçage » des mouvements non autorisés. Big-brother disposerait d’une plateforme informatique intégrée de gestion des frontières permettant de connecter tous le systèmes européens relatifs aux frontières, aux migrations, à la sécurité et à la justice ; ils pourraient « parler » entre eux, système d’information de Schengen inclus. Ce croisement des fichiers informatiques, interdit en France et réglementé par la CNIL, serait-il autorisé en Europe ? Ne doit-on pas parler de règlement liberticide interdisant d’aller et venir ? Chaque exilé déposant son empreinte digitale en mettant le pied en Europe sera repérable dans tous les fichiers. Il ne pourra échapper à l’arbitraire de son classement en « vrai » ou « faux » demandeur d’asile. Effrayante cette conception du contrôle de la population migrante et demain… d’autres populations « indésirables » ?

 

Le contrôle ne fait pas une politique de migration et d’asile. Mme von der Leyen le sait. Mais elle doit persuader les 27 Etats d’accepter des quotas de demandeurs d’asile. Elle envoie des signaux tous azimuts pour convaincre. La réalité frappe à la porte de l’Europe tous les jours et elle ne peut l’ignorer ni fermer les yeux sur les scandales répétés de bateaux de sauvetage en Méditerranée, à la recherche désespérée d’un port de débarquement des exilés à leur bord. La question essentielle reste donc celle de l’accueil. Elle botte en touche et propose un dispositif pour les sauvetages en mer, sous forme d’une « conférence annuelle » au cours de laquelle seraient fixés des quotas d’admission des pays  volontaires… assez peu nombreux, certes, reconnaît-elle, mais il y aurait des mesures incitatives….

 

L’élégance des formules a ses limites. L’on peut trier, refuser l’accueil, expulser, contrôler, les migrations se poursuivront et seront toujours plus dangereuses et risquées tant que les capacités de réponse en nombre d’accueils seront largement insuffisantes en Europe. La « vieille » Europe est-elle prête à s’interroger sur sa démographie, sur le vieillissement de la population ? Non, cette Europe de la finance et de la concurrence, et les Etats qui la constituent, s’obstinent à ignorer la racine du mal et poursuivent ventes d’armes et guerres, politiques d’appauvrissement des populations, néocolonialisme, dérèglement climatique…

 

Ils préfèrent renvoyer la question hors de l’UE en tentant de nouer des coopérations renforcées avec les pays hors de l’UE pour faciliter les renvois en favorisant la réadmission dans les pays d’origine ou de transit. Cette pratique n’est pas nouvelle : l’UE et ses Etats membres ont mis en place une étroite coopération avec les pays tiers afin d’externaliser les frontières européennes. L’accord de réadmission est un traité international par lequel chaque partie s’engage à réadmettre sur son territoire ses propres citoyens ainsi que, dans certains cas, les ressortissants d’autres pays ayant transité par son territoire. En facilitant la réadmission des étrangers, ces conventions neutralisent leur droit au recours effectif et accroissent le risque de refoulement, en cascade, des demandeurs d’asile, car les pays de réadmission concluent eux-mêmes des accords avec d’autres pays. D’autres types d’accords non conventionnels se multiplient, le plus récent étant l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, la Turquie s’engageant à retenir sur son territoire les demandeurs d’asile syriens notamment, et obtenant en échange une compensation financière (6 milliards€). De la même manière, le Conseil européen a félicité l’Italie des accords qu’elle a signés avec le Soudan (2016) ou la Libye (2017). Les pays tiers participent ainsi à la fermeture arbitraire des frontières européennes (cf encart).  

 

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Ce pacte dit de « solidarité » compte plusieurs dispositions allant à l’encontre du droit d’asile et notamment du principe de non-refoulement ; en fermant ses frontières extérieures, l’UE refuse d’exercer le droit d’asile sur son sol, ce qui contrevient directement à la convention de Genève. Le principe de « solidarité flexible » autorise les pays à décider eux-mêmes s’ils accueillent ou non. Les quelques ouvertures (si tenté qu’elles en soient) comme le regroupement familial facilité, ou l’arrêt des poursuites judiciaires pour la participation à un sauvetage en mer (qui ne fait qu’appliquer le règlement maritime !), restent à préciser…

 

Dans sa dernière partie, le pacte énonce des politiques plus globales et des intentions de partenariats internationaux, concernant la coopération au développement, la sécurité, les visas, les voies légales d’accès à l’Europe (travail, formation…). Mais la 1ère étape consiste à dégager, avant fin 2020, un consensus sur le nouveau régime de « solidarité » et les nouvelles dispositions comme le filtrage et les procédures à la frontière, ce qui ne semble pas gagné ! En effet, ce projet laisse assez circonspects les Etats membres. Certes, il est indispensable de tenter de sortir de l’impasse de l’UE en matière d’accueil et d’asile. Mais compte tenu du contexte général où se répandent plus facilement les odeurs nauséabondes de nationalisme, racisme et xénophobie que l’air frais de l’internationalisme, on ne peut que s’inquiéter du résultat. En France, cette annonce de pacte a permis au RN de Le Pen de se remettre en selle pour la campagne présidentielle à venir. Elle appelle à signer une pétition européenne contre « le flux migratoire gigantesque qui va déferler sur l’Europe » !

 

Triste avenir si nous laissons faire ! Sans un régime d’asile commun, avec des critères de protection harmonisés, un tel pacte est voué à l’échec. Il est temps encore, de le dénoncer, puisque les négociations avec les Etats membres vont s’ouvrir. 

 

Odile Mangeot, le 24.10.2020

sources : www.eur-lex.europa.eu/  - www.touteleurope.eu/ - www.euractiv.fr/

www.gaucheanticapitaliste.org/ - www.gisti.org/  

 

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L’UE achète des drones pour repérer les bateaux transportant des migrants

Dans le cadre des services de surveillance aérienne maritime, Bruxelles a commandé auprès d’Airbus des drones. Airbus travaillera avec la société publique Israel Aeorspace Industries (IAI). Un autre contrat a été signé avec Elbit Systems, une société d’armement israélienne privée. 50 millions d’euros par contrat. Les drones israéliens sont le résultat d’une technologie de surveillance qu’Israël a développée et testée lors d’une série d’attaques sur Gaza (selon Human Rights Watch).

https://www.euractiv.fr

 

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L’Europe pactise avec les milices

Depuis janvier 2020, 20 000 migrants sont arrivés en Italie, dont plus de 11 000 en provenance de Libye et près de 9 000 de Tunisie ; environ 3 000 boat people ont accosté à Malte. Dans le même temps, plus de 8 000 personnes ont été livrées aux garde-côtes libyens par le mécanisme de « refoulement par procuration » qui consiste, pour l’Italie, à fournir les moyens techniques d’intervenir sans avoir à le faire elle-même… Après un accord passé en février 2017 avec la Libye, l’Italie renforce l’externalisation de sa politique migratoire avec la Tunisie ; Malte affrète en avril 2020, trois chalutiers pour renvoyer des migrants vers la Libye, avec laquelle elle signe, le 28 mai, un accord qui prévoit la création de deux « centres de coordination » et une aide aux opérations de refoulement – illégales - opérées par les garde-côtes libyens. L’UE et son agence Frontex, avec ses garde-frontières et garde-côtes, soutient l’Italie et Malte, participent à définir la stratégie libyenne de gestion et de sécurité des frontières. Pour empêcher les migrants de quitter la Libye et repousser les frontières de l’UE au-delà du continent. Peu importe que les camps libyens soient des centres de torture et la Méditerranée un cimetière…

www.gisti.orf/