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samedi 18 décembre 2021

 

Cybermonnaies mais effets réels

 

Les crypto-monnaies sont des monnaies numériques émises sans nécessité de banque centrale. Il en existe plus de 5 000 pour une valeur de 2 031 milliards d’euros. Perçues dans le monde riche comme un produit purement spéculatif, les crypto-monnaies s’installent tranquillement dans les pays en développement dont le système financier est défaillant. La plus célèbre d’entre elles, le bitcoin, a désormais le statut de monnaie officielle au Salvador. Virtuelle, cette monnaie ? Elle repose sur le travail de quantités extravagantes d’ordinateurs bien réels, affreusement énergivores.

 

Un nouvel eldorado

 

Une crypto-monnaie est une monnaie virtuelle qui opère indépendamment des banques et des gouvernements. Elle se base sur les principes de la cryptographie pour valider les transactions et la génération de la monnaie elle-même.  Elle peut être échangée et négociée, comme n’importe quelle devise physique (ou monnaie fiduciaire). Il existe un grand nombre de crypto-monnaies disponibles, chacune ayant ses propres caractéristiques et applications. Une crypto-monnaie repose sur une blockchain, un registre distribué (ou grand livre de comptes), consultable par tous, qui répertorie l’ensemble des actions du réseau depuis l’origine. Les informations à ajouter sont appelées transactions, et sont groupées dans des blocs. Une transaction peut, par exemple, être un transfert de crypto-monnaie d’une personne à une autre. Les acteurs du réseau, appelés nœuds, possèdent, stockent et vérifient leurs propres versions de la chaîne, depuis le tout premier bloc. Une blockchain est considérée comme valide lorsqu’il est possible de la vérifier totalement en partant du premier bloc. La participation à la création monétaire suit un schéma logarithmique qui a pour objectif de reproduire la découverte de l’or. Au début, il y a peu de personnes, et en trouver est simple, puis l’or devient plus difficile et plus coûteux à trouver, augmentant sa valeur.

 

La plus célèbre d’entre elles

 

Le bitcoin (de l’anglais bit : unité d’information binaire et coin « pièce de monnaie ») est une crypto-monnaie créée en 2009. L’idée fut présentée, pour la première fois, en novembre 2008 par une personne ou un groupe de personnes, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Les bitcoins sont créés et gérés par un logiciel conformément à un protocole qui rétribue les agents (appelés « mineurs ») qui ont traité des transactions. Ces agents mettent à contribution la puissance de leurs ordinateurs afin de vérifier, de sécuriser et d’inscrire les transactions dans un registre virtuel, appelé la blockchain (en français chaîne de blocs, qui vient du nom de l’entité de base de bitcoin). On estime à un million à travers le monde le nombre de ces ordinateurs. Pour motiver les mineurs, et ainsi assurer la sécurité du réseau, le programme prévoit une récompense. Toutes les dix minutes, 6,25 bitcoins sont créés et peuvent être empochés par l’un des mineurs ; le premier qui trouve la solution d’un problème mathématique empoche les nouveaux jetons. Un petit pactole, puisqu’en suivant le cours actuel du bitcoin, 6,25 jetons représentent 321 800 euros. Ce problème mathématique, qu’on appelle « la preuve de travail », repose sur une dépense énergétique considérable.

En tant que monnaie, les bitcoins peuvent être échangés contre d’autres monnaies, biens ou services. Le taux d’échanges de la crypto-monnaie est fixé sur des places de marché spécialisées et fluctue selon la loi de l’offre et de la demande. Il est possible d’acheter des bitcoins en ligne sur des plateformes spécialisées, des bornes physiques ou en échange de n’importe quel bien ou service avec une personne en possédant déjà.

 

L’unité de compte de Bitcoin est le bitcoin. Le système fonctionne sans autorité centrale, ni administrateur unique. Il est géré de manière décentralisée grâce au consensus de l’ensemble des nœuds de réseau. Bitcoin est la plus importante monnaie cryptographique décentralisée, avec une capitalisation de 545 milliards de dollars. Malgré une croissance de 500% du nombre de marchands acceptant le bitcoin en 2014, la crypto-monnaie n’est pas très implantée dans le commerce de détail mais continue de s’implanter dans les échanges commerciaux.

 

Gouffre écologique

 

Pour la technologie blockchain chaque échange financier doit être validé ; cela passe par le calcul d’une preuve cryptographique, exigeant une grande puissance de calcul décentralisée. Miner de la crypto-monnaie consomme énormément d’électricité. Selon les calculs de l’université de Cambridge, le réseau consommerait plus de 130 térawattheures (TWh) par an, l’équivalent de la consommation de la Suède. Et une étude de la revue Nature conclue que les activités de « minage » consommeront 296 TWh et émettront 130 millions de tonnes de carbone annuellement en Chine, dès 2024. De quoi empêcher le pays d’atteindre ses objectifs climatiques, d’autant qu’il dépend fortement du charbon pour produire son électricité.  La dépense énergétique est fortement liée à son cours et sa valeur a été multipliée par cinq en un an, ce qui attire de nouveaux mineurs avec des ordinateurs toujours plus puissants.

 

Outre l’énergie nécessaire au minage, la construction des ordinateurs consacrés exclusivement au minage de bitcoin représente, elle aussi, une pollution considérable. Pour Pierre Boulet, professeur d’informatique à l’Université de Lille, « le matériel fabriqué pour le minage, c’est de la pollution brute ». L’extraction des matériaux et métaux précieux comme le cobalt ou le lithium dans les mines du Congo, leur assemblage, leur transport et leur recyclage sont des processus extrêmement coûteux en termes d’énergie et d’empreinte carbone.

 

Monnaie officielle

 

C’est une première mondiale : le Salvador, petit pays d’Amérique centrale, a adopté officiellement le Bitcoin comme monnaie légale – au risque d’être accusé de jouer au monopoly avec l’argent public. Le Salvador est le laboratoire parfait pour une telle expérience.  Le pays compte 6,5 millions d’habitants dont 70% ne possèdent pas de compte bancaire. Leur principale source de revenus provient de l’argent envoyé par les membres de leurs familles ayant émigré aux Etats-Unis. A en croire Nayib Bukeke, le président salvadorien, l’arrivée du bitcoin va créer des emplois et favoriser l’inclusion financière de milliers de personnes qui vivent en marge de l’économie formelle. Il a tweeté : « La capitalisation du bitcoin s’élève à 680 milliards de dollars. Si 1% de cette somme est investie au Salvador, cela augmentera notre PIB de 25% ».

 

Lors du lancement de l’application sur smart-phone, le 7 septembre, Bukeke a « donné » à chaque Salvadorien 30 dollars en bitcoins, et 200 distributeurs automatiques de billets ont été installés pour les changer en dollars, la première monnaie officielle. Le 24 septembre, le cours du bitcoin avait baissé et les Salvadoriens n’avaient plus que 26 dollars. En revanche, s’ils avaient acheté 1 000 dollars en bitcoin en juin, ils auraient eu 1 280 dollars. Les utilisateurs sont aussi divisés que les experts par cette crypto-monnaie qui monte et descend à vitesse grand V et n’est pas reconnue par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.

 

Dans le monde en développement, il semblerait que les crypto-monnaies soient en train de prendre racine à bas bruit. Elles s’y sont vite fait une place dans le quotidien, notamment dans les pays abonnés à l’instabilité financière ou qui n’offrent qu’un accès très limité aux services financiers traditionnels tels que les comptes bancaires. D’après Chainalysis, c’est le Vietnam qui affiche le plus fort taux d’adoption des crypto-monnaies dans le monde : c’est l’un des 19 marchés émergents de son top 20, les Etats-Unis étant la seule économie développée à figurer dans le classement en 2021, à la huitième place.

 

Le coût et la complexité des services financiers traditionnels poussent beaucoup de gens vers les crypto-monnaies, quitte à jongler avec plusieurs. Ryan Taylor, PDG d’une plateforme de monnaie numérique au Venezuela constate que le Dash sert aux menus achats, le bitcoin pour les achats plus importants (en raison de frais plus élevés), et le litecoin pour des usages tels que le règlement d’un abonnement à la télévision par satellite, par exemple. La crypto-monnaie est aussi un substitut aux envois d’argent traditionnels qui peuvent atteindre des coûts prohibitifs. Reste que, selon certains observateurs, il peut être extrêmement dangereux d’utiliser des crypto-monnaies, notamment pour les envois d’argent à l’étranger.

 

Mise en garde

 

« Si les consommateurs placent leur argent dans ce type de produits, il faut qu’ils soient prêts à tout perdre », a prévenu la Financial Conduct Authority (le gendarme de la finance) au Royaume-Uni. Le comité de Bâle, qui réunit les autorités de régulation bancaire a déclaré en juin que « la croissance des crypto-actifs et des services connexes peut susciter des inquiétudes sur la stabilité financière et augmenter les risques auxquels sont confrontées les banques » dont la fraude, le piratage et le financement du terrorisme.

 

La protection des consommateurs, notamment contre les arnaques de toute nature, est un gros enjeu. Les plus vulnérables, dans les pays les plus pauvres, en font souvent les frais. « Il y a beaucoup de battage autour et je pense que les gens les plus désespérés sont ceux qui seront les plus tentés de se lancer » redoute Kim Grauer. Sans compter que beaucoup de régulateurs nationaux se trouvent démunis face à des sociétés d’actifs numériques qui ne déclarent aucune domiciliation.

 

Au Salvador, le gouvernement  a préféré adopter la crypto-monnaie plutôt que de lui couper les ailes. Sachant que c’est un pays à part entière, qu’il ne fait pas l’objet de sanction, qu’il est membre du FMI  et est inséré dans le système financier  international, il y aura forcément des enseignements à tirer dans la manière d’installer une monnaie numérique négociable sur le plan international comme mode de paiement.

 

Cette nouvelle bulle financière spéculative, initiée par des libertariens, opposés à toute règlementation étatique, lorsqu’elle crèvera, risque de provoquer une crise d’ampleur. Elle aura permis entre temps aux plus riches de s’enrichir encore plus et, après coup, de provoquer un séisme où les plus désargentés n’auront que leurs larmes pour pleurer. Est-ce que les dominants finiront par interdire le change de ces monnaies virtuelles avec du dollar ou autre, alors que l’on désespère de les voir supprimer les paradis fiscaux ?

 

Stéphanie Roussillon

 

Sources :

reporterre.net/Le-bitcoin-monnaie-virtuelle-mais-gouffre-environnemental-reel

Courrier International n°1614

Série Arte sur YouTube « La création du bitcoin »