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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 18 décembre 2021

 

Horreur en « Arabie heureuse »

 

L’Arabie heureuse est le nom donné à une région du sud de la péninsule arabique par les Romains quand ils l’ont découverte. Son nom arabe était « al yiumna » qui signifie « prospérité ». En effet, la partie ouest était montagneuse et relativement bien arrosée, les habitants maîtrisant parfaitement les techniques d’irrigation. On y a retrouvé les ruines d’un barrage (2 000 avant JC) de 600 m de long et de 15 m de haut, associé à des canaux ; ces ouvrages permettaient de pratiquer une agriculture qui répondait, sans problèmes, aux besoins des populations. On vivait plutôt bien dans cette région, à cette époque. Elle correspond au Royaume de Saba, un parmi les nombreux qui occupèrent la région. Cette zone a bien changé : aujourd’hui, c’est le Yémen. En plus de ce passé prospère, ce pays d’une superficie égale à la France et peuplé de 28 millions d’habitants, possède une autre caractéristique surprenante : il est très jeune, puisqu’il existe seulement depuis le 22 mai 1990.

 

Depuis l’Antiquité, il fut composé de multiples royaumes autonomes, relativement à l’abri des convoitises des grandes puissances, ceci, jusqu’au développement du commerce mondial. Sa position géographique faisait alors d’Aden, le grand port du sud, une escale idéale sur la route des Indes. Le détroit de Bab al Mandeb permettait, lui, de contrôler l’accès à la mer Rouge, peu important dans un premier temps, mais qui devint vital à la construction du canal de Suez, en 1869. L’Empire ottoman contrôlait alors, partiellement et sporadiquement, la partie nord du pays et les Anglais, eux, la partie sud, en particulier le port d’Aden, dès 1880.

 

Union et désunion du Yémen

 

En 1962, dans le nord du pays, un coup d’Etat renversa le principal royaume. Cette partie devint la République Arabe du Yémen, dirigée par Al Abdallah Saleh. La capitale était Sanaa et le régime était pro-occidental. Le territoire de cet Etat, appelé communément le Yémen du nord, correspond à « l’Arabie heureuse » favorable à l’agriculture.

 

En 1967, dans la partie sud, zone désertique et beaucoup plus pauvre, une révolte contre les Britanniques donna naissance à la République Démocratique Populaire du Yémen (Yémen du Sud). Ce régime à parti unique, soutenu par l’URSS, fut immédiatement combattu par les monarchies du Golfe et les Occidentaux qui, par de multiples interventions militaires, tenteront de le déstabiliser. Malgré ces agressions répétées, le pays mit en place des réformes très progressistes dans cette région : éducation universelle, santé gratuite, égalité Hommes/Femmes inscrites dans la Constitution, code de la famille progressiste… Mais, économiquement, pour ce pays constamment en état de guerre, ce fut un échec et c’est, exsangue, qu’il entama les négociations d’union avec le Yémen du nord.

 

Arriva ce qui devait arriver : en 1990, naquit de cette union la République du Yémen. Ses voisins terrestres sont l’Arabie Saoudite au Nord, Oman à l’est et il a des  frontières maritimes avec la Somalie, Djibouti et l’Erythrée, par l’intermédiaire du golfe d’Aden et de la mer rouge. Le nouveau président fut celui du Yémen du nord, Saleh, idem pour la capitale, Sanaa. Cela créa immédiatement une rancœur des populations du sud, qui se sentirent, à juste titre, quelque peu flouées. Malgré cela, les débuts de l’union se passèrent plutôt bien. Une nouvelle Constitution fut adoptée : système politique multipartiste, élections libres. Par contre, la première grande décision de politique internationale qui fut de soutenir l’Irak dans la guerre du Golfe, en 1991, lui attira les foudres des USA et de l’Arabie Saoudite : la monnaie fut attaquée, dévaluée, et l’Arabie Saoudite expulsa 1 million de travailleurs yéménites de son territoire.

 

En 1994, les anciens dirigeants du Yémen du sud, exclus du gouvernement, firent sécession et proclamèrent la République démocratique du Yémen, soutenus par l’Arabie Saoudite qui ne voulait pas d’un  Yémen unifié et fort dans la péninsule. En juillet, l’armée yéménite reprit le contrôle du sud, mais le bilan fut lourd : près de 10 000 morts et l’exil de nombreux dirigeants de l’ex-Yémen du Sud. La réunification est à nouveau en place mais l’histoire de la République du Yémen commence bien mal, d’autant plus que les premières élections présidentielles (1999) mettent sérieusement en doute le régime multipartiste puisque Saleh est élu avec 96.3 % des voix (en 1990, il avait été nommé). Sa première mesure fait passer le mandat de 4 à 6 ans. En fait, il restera au pouvoir jusqu’en 2011.

 

« Révolutions » yéménites

 

Au début des années 2000, la situation semble stable, le gouvernement fort et pas très démocratique du « riche » nord domine le sud. Et pourtant, c’est du Yémen du nord que vont venir les ennuis pour celui-ci. En 1962, lors de la révolte contre la monarchie, le gouvernorat de Saada, région pauvre et enclavée à la frontière avec l’Arabie Saoudite, avait soutenu la monarchie et, après sa chute, le gouvernement yéménite du nord lui accorda une certaine autonomie. En fait, elle fut laissée totalement à l’abandon et la misère s’y développa. Un mouvement de contestation y vit le jour.

 

Une branche de ce mouvement se tourna vers la lutte armée : les Houthis. Ils se réclament du zaïdisme, une branche du chiisme ; leur devise est on ne peut plus claire : « Dieu est le plus grand. Mort à l’Amérique. Mort à Israël. Maudits soient les Juifs. Victoire à l’Islam ». Les Houthis ne sont pas des enfants de chœur mais, comme les talibans en Afghanistan, ils sont soutenus par une grande partie de la population car ils se sont substitués à l’Etat qui l’avait totalement abandonnée.

 

En 2004, de grandes manifestations font peur au gouvernement yéménite, déjà aux prises avec des foyers d’insurrection d’islamistes affiliés à Al Quaida. Il décide de frapper fort. Il intervient militairement avec le soutien de l’Arabie Saoudite ; des centaines de civils y perdent la vie ainsi que le chef houthi. Il sera enterré dans une prison de peur que sa tombe ne devienne un lieu de recueillement. Les populations civiles souffrent de l’utilisation de bombardements au phosphore blanc par l’armée yéménite et se rapprochent encore plus des Houthis. L’Arabie Saoudite envoie des hommes sur le terrain et, surtout, assure le blocus maritime de la côte nord du Yémen pour que les Houthis ne soient pas ravitaillés par l’Iran.

 

En 2011, quand le Yémen connaîtra, lui aussi, son « printemps arabe », cette région du nord est toujours incontrôlée par le gouvernement central. Le printemps yéménite sera très suivi, surtout par les jeunes et les femmes, et toujours de manière pacifique, malgré une répression forte (52 morts le 18 mars 2011). Les participants réclament plus de démocratie, la fin de la corruption et de meilleures conditions de vie. Sous la pression, Saleh quitte le pouvoir en 2012 ; il est remplacé par son 1er ministre, ce qui n’augure pas de grands changements. 2 000 morts, 22 000 blessés, 1 000 personnes arrêtées, c’est le bilan de cette « révolution yéménite ».

 

Tempête décisive et Redonner l’espoir : un fiasco

 

Les Houthis profiteront de cette période trouble pour avancer vers le sud et, en janvier 2015, ils prennent la capitale Sanaa, puis Aden. Ils contrôlent ainsi toute la partie riche du Yémen.

 

Pour l’Arabie Saoudite, il est insupportable de voir des chiites contrôler le Yémen. A partir de mars 2015, à la tête d’une coalition de pays sunnites (Emirats Arabes Unis, Qatar, Maroc, Koweït…), elle lance l’opération Tempête décisive, avec le soutien des USA. L’objectif est, par une opération militaire très intense, de chasser les Houthis vers le nord et de réinstaller le gouvernement yéménite. Les moyens militaires sont très importants : 150 000 hommes, 200 avions de combat, des navires… Du 26 mars au 21 avril 2015, la coalition mène en moyenne 120 raids/jour, pendant que la marine bloque les ports. Le 21 avril, la coalition annonce la fin de l’opération qui est un échec. Certes, les Houthis ont reculé dans le sud mais ils contrôlent toujours le nord, en particulier Sanaa. Le bilan humain est très difficile à connaître, mais les morts civils se comptent par centaines, victimes des combats, mais aussi du blocus imposé par l’Arabie Saoudite.

 

Le 21 avril 2015, l’opération Restaurer l’espoir remplace Tempête décisive. On y retrouve la même coalition, mais maintenant, soutenue par la vente d’armes et la formation, entre autres, par le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne et la France.

 

Depuis cette date, cette opération s’est transformée en bourbier militaire où personne ne prend l’avantage, et surtout, en une catastrophe humanitaire pour les civils qui, en plus de la guerre, subissent, depuis 6 ans, le blocus imposé par la coalition avec l’aide de ses soutiens, dont la France. Profitant du chaos, Daesh et Al Quaïda tentent de prendre poids dans la zone à travers des attentats et autres exactions.     

 

C’est une situation dramatique pour la population : plus de 4 millions de Yéménites ont été déplacés à l’intérieur du pays vers des zones plus sûres, mais, aujourd’hui, tout le pays est en situation de guerre. 28 000 Yéménites ont fui leur pays. 20 millions de personnes (70 % de la population) dépendent de l’aide humanitaire. Celle-ci étant très irrégulière, s’installent alors des situations de famine. 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Six années de guerre ont gravement endommagé routes, hôpitaux, écoles… Le Yémen a vu revenir sur son territoire des maladies que l’on pensait éradiquées, comme le choléra (500 000 cas, 3 000 décès) et, tout comme ailleurs, le coronavirus s’est répandu. Il n’y a quasiment plus d’Etat au Yémen et les fonctionnaires ne sont plus payés. Le Yémen connaît la pire crise humanitaire actuelle.

 

La France, complice

 

Cette situation est souvent présentée comme la conséquence d’une guerre civile. Certes, il y a bien un conflit entre les Houthis chiites et l’armée yéménite (sunnite) mais c’est surtout une guerre de l’Arabie Saoudite qui ne veut pas voir les Houthis diriger le pays, devenant ainsi un allié de l’Iran à sa porte.

 

L’Arabie Saoudite a, ainsi, fait appel à tous ses amis pour se dissimuler derrière une coalition, mais c’est bien elle qui mène le bal. Ce sont des bombes américaines, britanniques, françaises qui tuent les civils yéménites. Barak Obama, prix Nobel de la paix, a vendu pour plus de 115 milliards d’armes à Ryad durant ses deux mandats. Il a utilisé des drones pour bombarder les populations civiles, bien plus que ces prédécesseurs. La France n’est pas en reste : elle a livré pour 1.4 milliard € de matériels de guerre à l’Arabie Saoudite et 300 millions aux Emirats Arabes Unis. Ces chiffres ne tiennent pas compte des ventes de ces derniers jours (cf encart). Rappelons que l’ONU, par la résolution 2216 de 2015, a instauré un embargo sur les ventes d’armes aux Houthis, mais pas sur celles de la coalition.

 

Dans ce concours d’hypocrisie, la Suisse est parmi les meilleurs. Elle a repris ses ventes d’armes à l’Arabie Saoudite en 2016, déclarant « qu’il n’y a pas de raison de supposer que ce matériel soit utilisé dans les hostilités au Yémen » !

 

Jean-Louis Lamboley, le 12.12.2021

 

Encart

 

Spécificité française

 

C’est le gouvernement, et lui seul, qui décide des ventes d’armes, le Parlement n‘a rien à dire.

 

Amnesty International affirme que toutes les parties prenantes au conflit (coalition, Houthis, Daesh, Al Quaïda) sont dans l’illégalité : attaques aveugles, bombardements illégaux (hôpitaux, écoles, marchés), détentions arbitraires, disparitions forcées, actes de torture, violences sexuelles, entraves à l’aide humanitaire, ces agissements sont des  crimes de guerre.

 

La France, par son soutien à l’une des parties en conflit, est donc complice de  ces crimes de guerre et du drame humanitaire qui se jouent au Yémen. La récente visite de Macron aux Emirats Arabes Unis et en Arabie Saoudite, notamment, avec les contrats d’armement signés, montre que c’est loin d’être terminé. Les emplois « sauvés » en France dans l’industrie de l’armement sont très chèrement payés par le peuple yéménite.