Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 18 décembre 2021

 

Zemmour, l’amour de la haine

 

Qu’est-ce qui a permis l’apparition de l’aventurier Zemmour ? D’où vient-il ? Qui l’a lancé ? Quels sont ses soutiens ? Quel est donc ce diagnostic halluciné de la société française et ces propositions apocalyptiques, conduisant à la guerre civile ? A quoi sert-il dans la conjoncture actuelle ? Il semble troubler le jeu d’une facile reconduction du duel Le Pen-Macron au 2ème tour des présidentielles. Le Rassemblement National social dédiabolisé serait-il un trop grand risque et ne faudrait-il pas radicaliser son discours xénophobe en lançant dans ses pattes un franchouillard, sexiste et islamophobe ? En fait, pas besoin d’imaginer un complot : l’agenda de la classe dominante demeure la poursuite accélérée du programme, imaginé en son temps par le grand patron Denis Kessler : détricoter les acquis du Conseil National de la Résistance. Trop de retard a été pris. Jupiter Macron s’est lui-même pris les pieds dans le tapis de la contre-réforme des retraites. Le système est aux abois, entre chien et loup et c’est dans ce « clair-obscur que surgissent les monstres ». Alors, Zemmour, Nosferatu ou Méphistophélès dont Goethe disait qu’il donne l’illusion de tout comprendre et de tout dominer ? Ou, au contraire, une bulle médiatique qui crèvera après avoir inoculé la division et la haine ?   

 

D’où vient ce Zemmour ?

 

Ses parents, petits « israélites indigènes » ont bénéficié du décret Crémieux, leur conférant la nationalité française. Ces berbères dont le nom signifie huile d’olive ont voulu être plus français que ceux de souche : Liou et Moussaka sont devenus Justin et Rachel.  Rien d’extraordinaire à ce stade mais le fils francisé aux origines « berbères », pour reprendre ses propres obsessions, s’en est trouvé « complexé ». Il souffrit de quolibets qui lui étaient adressés, surtout lorsqu’on le comparait aux Zemour (avec un seul M), ces truands qui firent trembler Paris dans les années 70. Lui, le transfuge de classe, humilié alors même qu’il multipliait d’efforts pour s’assimiler ! Après Sciences Po, son échec à l’ENA le laisse tout dépressif. Expert agricole ? Echec. Publicitaire ? Echec. Il finit néanmoins par être embauché à Info matin sur recommandation de … Mitterrand, lui, le décoré de la francisque pétainiste restait nostalgique de sa jeunesse, il eut, certainement, quelque complaisance vis-à-vis de cet apprenti vichyste. Le futur polémiste dut encore subir quelques rebuffades notamment de Philippe Tesson qui l’avait recruté au Quotidien de Paris : « Ce type est pathologique, touchant et ridicule, animé d’une ambition sans limite ». Il n’eut de cesse de se faire reconnaître par la « belle société », consacra toute son énergie à se faire admettre dans le très sélect club de l’Union interalliés et à tisser ses réseaux et ses soutiens. Son ascension, d’abord l’Express, puis le Figaro, le transforma : de souverainiste de la France éternelle il devint l’apprenti historien négationniste, identitaire d’un pays en voie de submersion. Juif assimilé jusqu’à la mort, il fustigea « ceux qui se font enterrer en Israël, ces étrangers qui veulent le rester ». La xénophobie anti-arabe l’avait conduit à l’antisémitisme et ses lectures de Maurras l’avaient convaincu ( !).

 

Bolloré, la piste de lancement

 

Tout a, peut-être, commencé entre fin février et juin 2021. Le tribunal correctionnel condamne l’homme d’affaires pour corruption au Togo. Il plaide coupable et allonge les 12 millions d’euros d’amende. Il est persuadé que Macron et sa Brigitte Trogneux sont derrière cette « affaire ». Il s’apprête à contrôler le groupe Lagardère et il trouve Bernard Arnault de LVMH dans ses pattes. Macron, toujours, qui se serait également opposé à l’absorption de M6. C’en est trop, il prend rendez-vous avec Macron. Il veut en avoir le cœur net et régler ses comptes. Brigitte le reçoit : « Comment peut-on vous aider ? ». Vexé. C’est un affront, on n’aide pas celui qui est reçu  comme un chef d’Etat en Afrique. « En rien » répond-il. « Qui me met des bâtons dans les roues ? ». Macron mielleux : « Mais enfin, arrêtez ! Vous achetez tout ». Ça sonne comme un aveu ! Pour le boulimique Bolloré (surnom : général Tapioca), c’est une déclaration de guerre. Pourtant, le président par effraction n’a pas tort : sans compter la gestion de ports en Afrique et son soutien aux dictateurs affairistes, Bolloré, c’est C News, TF1, C8, I Télé, Europe 1, des éditions comme Plon, Editis, Hachette… sans compter Havas, Vivendi et autres participations actionnariales.

Zemmour, le missile de Bolloré ? Macron à l’Elysée n’en est que le locataire provisoire. Il va sentir le poids du boulet, « Z va ouvrir la porte à la droite au 2ème tour ». Avec la comtesse Pécresse, cette prophétie du grand capitaliste serait-elle auto-réalisatrice ? Le bloc des bourgeois des hautes sphères n’est-il pas divisé ? La peur les tenaille. Comme Luc Ferry affolé, suffoquant que les flics n’aient pas tiré dans le tas des Gilets Jaunes. Et puis, la politique de Macron-Darmanin contre les migrants n’a- t-elle pas fait monter le racisme anti-migrants, repoussé les assauts de ces cgtistes et autres Adama des banlieues ? Zemmour c’est la voie de la meute d’extrême droite fascisante en jachère depuis la dédiabolisation de Le Pen. Celui qui contamine en outre cette droite trop molle. Ça va turbuler : face au souffle pestilentiel, toutes les outrances sont possibles. 

 

Les soutiens du Rastignac xénophobe

 

Chez les patrons, il n’y aurait pas d’hostilité généralisée. D’ailleurs, l’égérie de Zemmour, Sarah Knafo,  jeune énarque de 28 ans, n’hésite pas à les solliciter. Ce poisson-pilote de la bourgeoisie réac navigue dans tous les réseaux de la caste politicienne. Et la pêche pour l’heure est miraculeuse : Henri de Castrie le filloniste, l’énarque Jean-Yves Le Gallou, Henri Guaino le nationaliste sarkozyste, Isabelle Balkany la corrompue, l’inénarrable Finkelkraut, Luc Ferry cet ex-ministre prétendant que ce champion peut reconquérir « les territoires perdus de la République »… et même Jacques Julliard, ce chantre de la 2ème gauche rocardienne trouve qu’il énonce des vérités car il faut reprendre le contrôle de l’immigration.

 

Mais, au-delà de ces nombreuses personnalités, dont le sulfureux multimillionnaire suisse, islamophobe, sexiste et raciste, Marc Bonnant, qui a mis l’hôtel Hilton à Genève à la disposition de son ami, il y a le gros des troupes disparates issues des milieux les plus réacs : des cathos traditionnalistes, des partisans de De Villiers, des militants ex-chevènementistes, de Génération Identitaire, les ultra-conservateurs de Sens Commun, des intégristes de Civitas, des royalistes d’Action Française et des organisations comme le Parti de la France ou Vigilance Hallal ainsi que des dissidents de LR, du RN comme les mégrétistes et la troupe de Maréchal-Le Pen. Tout ce beau monde des catacombes de l’histoire ne serait rien sans la grosse caisse de résonnance médiatique. Pas celle, minuscule, du youtubeur Papacito, mais celle des plateaux TV et des journaux de la presse dominante qui, avec plus ou moins de célérité, s’abreuvent à la nauséabonde idéologie du « grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus. Qu’importe son pédigrée et sa condamnation en 2014 pour « provocation à la haine et à la violence », l’important est de faire de l’audience !

 

Diagnostic apocalyptique et négationnisme

 

L’apôtre de Barrès pourrait reprendre à son compte les mots de Goebbels : plus le mensonge est gros, plus ça passe. Attention aux effluves de la diarrhée verbale : citations pour petits blancs franchouillards : « les jeunes de banlieue y font régner l’ordre islamique ; ils détestent la France, disent qu’ils ne sont pas Gaulois : qu’on les renvoie ». « On leur a donné les HLM, ils les ont dégradés ; ils ont chassé les français ». « Ils bénéficient d’un assistanat incroyable qui plombe nos entreprises ». « Ce sont des inactifs qui n’ont rien à faire chez nous ». Quant aux « étrangers en surnombre ce sont des délinquants qui mènent le djihad contre les infidèles ». « On ne peut laisser entrer les barbares », ce sont des « conquérants », nous « subissons une invasion migratoire ». « Il faut sauver notre civilisation », s’opposer « à la conquête de nos territoires » face au projet « d’islamisation du monde » « Dans la guerre des civilisations, il faut passer à l’offensive ». La violence des propos appelle à la ratonnade et au lynchage.

 

Afin de trouver une assise prétendument historique de la défense de la France chrétienne éternelle, le propagandiste de la haine présenté par les médias complices comme un homme cultivé, brillant, nous assène sa logomachie révisionniste. Pétain aurait sauvé les juifs français, la France n’a pas profité de l’Afrique, c’est l’Afrique qui lui a coûté. Pas question de repentance sur l’esclavagisme ou le colonialisme. La France éternelle de 1 000 ans d’existence, c’est celle de « notre père Napoléon, notre grand-père Louis XIV et de notre arrière-grand-mère Jeanne d’Arc ». Loufoque !

 

Des propositions de guerre civile

 

La falsification de l’histoire n’a que faire des droits de l’Homme, du préambule de la Constitution de 1946 introduite dans celle de 1958, comme d’ailleurs de toutes les lois antiracistes qu’il veut supprimer. Non seulement, il prétend remplacer le droit du sol en instaurant le droit du sang, mais lui, le « métèque » pense-t-il vraiment qu’il a du sang bleu ? Cette fantasmagorie s’accompagne de propositions propres à mettre le pays en chasse contre les noirs, les arabes, les « gris ». Il se propose donc d’organiser des charters pour tous ceux qui ne possèdent pas de titres de séjour. Il veut en faire de même pour les délinquants, les binationaux qui imposent « leur loi, leur dieu, leurs mœurs » ; il traquera les clandestins et supprimera l’aide au développement pour les pays qui refuseraient l’expulsion de leurs ressortissants (comme l’a proposé aussi Montebourg !). Aux frontières, il fera construire des murs quoi qu’il en coûte et instituera une police militarisée sur ces lignes Maginot. Puis « on arrêtera de soigner ces étrangers, finie l’aide médicale de l’Etat ».  Qu’ils crèvent mais « ailleurs que chez nous ». Faudra-t-il des camps de concentration ? On ne sait…

 

Cet aventurier s’y voit : « la France veut un roi élu pour retrouver le patriotisme et le sens de l’autorité de l’Etat ». Avec lui, cette France rance ne sera plus le « protectorat des USA », ni assujettie à l’Allemagne et à « l’Europe immigrationniste » ( !). Bref, il entend nous faire ingurgiter de l’huile d’olive à en vomir, ce petit Nosferatu à tête de fouine dont la lie de la société s’imagine qu’il est un Gaulois de pure souche.

 

A quoi sert-il ?

 

Le bloc bourgeois, affolé, est divisé face à la montée des périls. L’ordre dominant doit être restauré avec la plus grande violence si nécessaire, pour le bien être des 10 à 20 % qui prospèrent sur le néolibéralisme, les gagnants prêts à tout pour s’enrichir et éviter toute imposition et taxes malencontreuses. Sarko, l’énervé du karcher, s’est fait virer. On a pu éviter Strauss Kahn, le « brillant économiste » trop libidineux ; Hollande l’ectoplasme et Valls le laïcard ont bien prôné la déchéance de nationalité, le séparatisme, ça n’a pas suffi à mater la montée de la colère. Pour les dominants, leur candidat était Fillon clamant que les caisses de l’Etat étaient vides mais qui ne pouvait s’empêcher, à l’aide de Pénélope et de sa progéniture d’y piocher allègrement sans sourciller. Puis, contre toute attente, par effraction, ce fut le fourbe, arrogant, Macron qui buta sur la mobilisation des Gilets Jaunes et fut dans l’incapacité de faire aboutir sa contre-réforme des retraites.

 

Kessler, apôtre de la mondialisation, avait pourtant fixé le cap : détruire tous les acquis du Conseil National de la Résistance, la Sécurité Sociale et les trop dispendieux services publics. Tout devait être marchandisé. Bref, les représentants de la classe dirigeante ne sont pas à la hauteur des aspirations des dominants. Tous ces milliardaires trépignent et sont prêts depuis des lustres à jouer avec le feu incendiaire de l’extrême droite. Le RN dédiabolisé ne suffit plus, Macron et ses macroniens n’ont pas de colonne vertébrale, faute d’implantation locale, pour tenir le pays. Il ne reste que la droite droitisée. La tigresse Pécresse peut-elle relever le défi et se métamorphoser en Thatcher ? Electoralement, c’est jouable : « ceux qui ne sont rien », ce sont 10 % des non-inscrits, les 30 à 40 % écoeurés par la gauche de droite qui s’abstiennent. Il y a l’extrême droite désormais divisée en deux camps survoltés. La diversion est en place pour le 2ème tour gagnant. Tel semble être le calcul des dominants. Que restera-t-il de ce paysage politique dévasté et infecté par le brouet nauséabond de Zemmour, inoculé dans les veines du corps social ? En germe, déjà organisées, les milices de la peste brune s’activent !

 

Un sursaut des classes populaires est-il possible ? Difficile à dire, on ne voit guère poindre la volonté de s’organiser par en bas, sur des fondements de rupture avec le capitalisme. Que pourrait-il rester des propositions antilibérales et écologistes des Insoumis, des candidatures de témoignage des anticapitalistes divisés en chapelles concurrentes… S’unir pour ne plus subir c’est la seule voie escarpée qu’il faut gravir… Il n’y a pas de sauveur suprême.

 

Gérard Deneux le 8.12.2021 

 

Sources :

le Monde, notamment l’enquête de Raphaelle Bacquet et Ariane Chemin

Interview de Zemmour sur youtube Thinkerview

Interview d’Etienne Girard, auteur de « Le radicalisé, enquête sur E. Zemmour » (Seuil), sur youtube le media

 

Encart

Bolloré. Le mentor de Zemmour

 

Il s’agit, ci-après, de donner quelques indications sur le personnage faisant partie des gens bien nés et sûrs d’eux. Cet héritier d’une famille de capitalistes bretons recevait les gens de pouvoir. Il sait d’expérience qu’il s’agit d’entretenir une connivence avec les représentants de la caste dirigeante, y compris ceux qui aspirent à intégrer ses rangs. C’est ainsi que le jeune Bolloré s’entraînait au tennis avec Pompidou, qui, adolescent, était copain avec Sarkozy, que Mitterrand trouvait table familiale ouverte… Mais, « noblesse » oblige, il y a lieu de distinguer la classe dominante de ceux qui la serve. La devise de cette lignée ne laisse planer aucune équivoque : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes » qui doivent être à leur service… quels qu’ils soient…

L’ascension de Bolloré dans les affaires fut fulgurante, au fil de ses choix politiques fluctuants : d’abord proche de Léotard, Madelin, De Villiers, bien à droite toute, ça ne l’empêcha pas en 1990 de donner son obole à Strauss Kahn, de prêter son yacht à Sarko suite à sa victoire électorale qui pieusement, lui remit la légion d’honneur en 2009. En 2017, il soutint Fillon mais se tint éloigné du « techno » Macron.

Cet homme, catho réac, est plutôt du style mâle blanc dominant. Il est exaspéré par le néo-féminisme, LGBT, les théories du genre et l’idéologie néocoloniale. Il entretient désormais des liens serrés avec Zemmour. Ils déjeunent ensemble chaque semaine et se téléphonent tous les jours. Mais, c’est lui, le hiérarque, qui tient la laisse.

Il a certainement beaucoup à se faire pardonner. A Lourdes, chaque année, il fait son pèlerinage et ne manque pas de revenir chez lui avec sa bouteille d’eau bénite. Il ne se déplace jamais sans son confesseur, l’abbé Grimaud, néo-maurrassien assumé.

Ainsi vont ceux qui prétendent que l’Histoire, c’est eux qui la façonnent.

 

GD, le 8.12.2021

 

Pour en savoir plus, lire dans le Monde Diplomatique, décembre 2021 « Fin de partie pour Bolloré en Afrique »