Expulsions en cours
Le texte ci-dessous est un cri du cœur d’une
militante engagée dans la défense des exilés, face à l’usage inacceptable de
l’expulsion, la seule que connaisse Macron et son ministre de l’intérieur
Mardi 10 avril 2018, un jour comme les autres… 9 expulsions
d’exilés de la guerre et de la misère sont programmées, notifiées, exécutées,
en Haute-Saône.
Quatre
personnes placées en HUDA (hébergement d’urgence des demandeurs d’asile) doivent
se rendre au commissariat ce matin pour y recevoir deux notifications :
une assignation à résidence et une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
Suite à la
réception de ces deux mêmes notifications la semaine dernière, une famille albanophone
avec 3 enfants, installée en France depuis 5 ans, décide - au pied du mur - de
se rendre ce matin au siège de l’OFII (office français de l’immigration et de
l’intégration) pour « accepter » un « retour » forcé vers le
Kosovo qu’ils ont dû fuir. Accepter l’inacceptable de l’expulsion redoutée,
d’un départ en toute invisibilité, sans résistance, « c’est la seule solution » pour éviter le décuplement de la
violence par le déploiement de l’appareillage policier.
« C’est la seule solution » pour ne
pas revivre le cauchemar de familles déchirées dont ils ont été plusieurs fois
témoins. Pour ne pas revivre une image qui les hante depuis deux mois quand des
gendarmes sont venus « cueillir » des enfants à l’école de leur
village, ont séparé un enfant allaité de sa mère tout en voyant là « une occasion de le sevrer », ont
menotté, frappé, le père « devant
ses enfants » et l’ont embarqué avec 3 de ses 5 enfants en CRA (centre
de rétention administrative) avant de rejoindre l’Arménie.
Froidement,
inlassablement, chaque jour, la machine administrative et policière de la
Préfecture avance, déchire des familles, broie des vies, détruit des rêves, bafoue
la convention des droits de l’homme, le droit d’asile et le devoir
d’hospitalité inconditionnelle. Chaque jour, elle continue à expulser en toute
invisibilité, en toute impunité, sourde aux arguments et contestations, aux
mises en garde d’un retour sous une nouvelle forme de l’histoire des
« rafles » et des « camps ». Notification, assignation à
résidence, OQTF, CRA, charter… L’annonce de l’un déclenche le coup suivant, exécute
un pas de plus vers… le mur.
Une même
méthode qui se répète et « se durcit » à coup de circulaires
ministérielles destinées à éviter les « fuites », à « réguler »
et rejeter efficacement des « flux » humains, des directives et des
règlements européens qui renforcent et déploient le « complexe
industrialo-carcéral »[1] en traitant
les réfugiés comme des délinquants, en élargissant le rôle de l’agence Frontex (de
contrôle et de « garde » des frontières), en ouvrant le fichier
européen d’empreintes des migrants (Eurodac) à la prise d’image faciale, aux
enfants dès 5 ans, et en discutant de la possibilité d’user de la « contrainte »…
Mardi 10 avril, un jour comme les autres… Les
défenseurs de la Zone A Défendre de Notre Dame des Landes font le bilan de la nouvelle
tentative d’expulsion qui a eu lieu la veille. « Dès 3h du matin,
l’opération s’est déployée dans toute sa brutalité : interminables files
de fourgons bleu marine, chars blindés, lacrymos, premiers blessés et premières
arrestations »[2], auxquels s’ajoutent
des lancers de grenades. La machine médiatique est aussi bien huilée, contrôlée :
« les gendarmes ont annoncé que (…)
la prise d’images de presse était prohibée et que les médias devraient se
contenter de celles fournies par la gendarmerie »… « Les tritons crêté-e-s contre le béton armé »
donc.
Face aux
actions de destruction orchestrées par les mêmes ministre et Etat dits de
droit, un même mot d’ordre se répète de chaque côté : « S’ils nous expulsent, on reviendra ! »
Mardi 10 avril, un jour comme les autres ?… Depuis quelques jours, la plume me
démange. Comme un mal qui couve, nourri par la sidération, la tristesse, la
colère, mais aussi l’obstination et l’espoir d’un espoir, ressentis face aux annonces
quotidiennes de destructions et d’expulsions… Dans les facs, les gares, les
services publics, le travail, mais aussi à Mayotte, à Gaza, et ailleurs… Face à
cette machine qui avance inlassablement, dans l’indifférence des contestations
et des revendications d’un autre monde, c’est un autre mouvement qui s’emballe
obstinément comme un désir d’insurrection poétique onirique puisant sa
force « du pus de la blessure »[3].
Rosa
Bravo ! François, contrôleur SNCF n’en
peut plus de voir des mômes érythréens, soudanais, somaliens, qui ont échappé à
la mort et à l’esclavage en Libye, sauvé leur peau en Méditerranée, et se font
alpaguer par des CRS dans la gare de Menton pour renvoi en Italie. Il agit. « Arrivée
du Ter sur le quai direction Italie : je me mets en mode combat ! Si
le conducteur est sympa, il freine le plus loin possible, histoire de faire
courir les CRS qui, avec de la chance, n’ont pas le temps d’embarquer les
jeunes ». L’autre jour, il refuse l’embarquement de deux gamines
érythréennes en pleurs, le règlement l’y autorise, le mineur présentant des
signes de « vulnérabilité ». Le CRS fulmine et bloque la porte.
François donne le top départ et fait démarrer le train sans les mineurs. La sanction
n’est pas passée loin. Il utilise alors la « tactique photoreporter»
: je filme les flics embarquant les mineurs ; à bord, je les interviewe au
tél. portable. Côté Italie, ils seront relâchés si les Italiens ferment les yeux
et hop, ils reprennent un Ter pour la France. Je garde les vidéos, ça pourra
servir un jour. On nous cherche des noises à nous, agents du service public,
alors que c’est l’Etat français qui est dans l’illégalité ». Siné Mensuel déc. 2017, extraits.
Beurk ! Le 21 avril, Génération Identitaire (Extrême Droite) bloquait
le col de l’Echelle (Hautes-Alpes) aux migrants, avec 2 hélicoptères, des
drones et un avion biplace ! Cette même organisation avait affrété (sa
campagne Defend Europ, 07/2017) le
navire C-Star en Méditerranée pour dissuader les ONG de secourir les migrants
en mer !
[1] Angela Davis,
Une lutte sans trêve, Ed. La
fabrique, 2016
[2] Communiqué,
les expulsions ont commencé, la ZAD appelle à se mobiliser,
http://zad.nadir.org
[3] Sarah Haidar,
La morsure du coquelicot, Ed.
Métagraphes, 2018.