NDDL. Macron
montre ses muscles !
2 500
gendarmes, armés jusqu’aux dents de flashball, gaz lacrymogènes, barrages
routiers, survols d’hélicoptères… On se croirait en guerre, s’énervent les
riverains. A peine 3 mois après l’abandon officiel du projet d’aéroport, le
gouvernement veut passer en force. 4 jours d’affrontements violents, faisant
d’innombrables blessés, entre le 9 et le 13 avril, ont donné lieu à la
démolition de 29 installations ou constructions (sur 97 recensées), cassant et
saccageant au passage les jardins alentours et autres aménagements des
habitants de la ZAD. La colère des occupants est vive d’autant que certains
avaient entamé des démarches, notamment Michel de la ferme des « 100
noms », là où existent des projets agricoles ; ils avaient interpelé
la préfecture pour se déclarer occupants. La réponse fut la destruction.
Curieuse façon de commencer le dialogue ! « Ce
n’est pas une main tendue c’est un revolver sur la tempe » !
Cette
démonstration de force fait partie de la méthode du gouvernement, à NDDL, dans
les universités en lutte et ailleurs. Stratégie de la tension accompagnée du
dénigrement pour diviser. Pour aller jusqu’où ? Car, à NDDL, ils ne veulent
pas céder ; déjà, ils ont reconstruit, grâce à des milliers de volontaires
arrivés dès le 15 avril. Deux modèles de société s’affrontent en ce lieu
symbolique de résistance. De même, un nouveau militantisme politique est né, désarmant
aussi bien le pouvoir que certaines organisations militantes. Dans le mouvement
global de mécontentement actuel, peut-il être moteur de convergences de
luttes ?
1 – Pourquoi
de tels agissements du gouvernement ?
La
violence inouïe qui a déferlé sur la ZAD n’est pas le fait du hasard et l’on
doit s’attendre à la multiplication de ce type d’opération dans le mouvement
social actuel (1). Ce n’est pas le hasard et ce n’est pas nouveau : la
stratégie de la tension est utilisée par tous les gouvernements mal élus et
menant des politiques mal acceptées car inacceptables. « Un gouvernement loin
du peuple, voulant lui faire avaler ce qu’il ne veut pas, croit avoir intérêt à
user de la force brutale pour s’imposer et pour détourner l’attention, pour
faire diversion. Le gouvernement n’est pas stupide au point de ne pas se douter
que la réinstallation des zadistes évacués se fera. Car les gens exaspérés ne
se laissent pas faire et l’Etat n’a pas les moyens de l’empêcher. On voit mal
trois escadrons de gendarmerie bivouaquer dans les champs plus d’un mois. Et on
voit mal comment quelques milliers de gendarmes empêcheraient d’agir un nombre
de personnes dix fois plus important ».
« En
agissant ainsi, il entend passer deux messages politiques : un, il
cogne ; deux, il se moque de l’état de droit. En effet aucune nécessité
judiciaire n’imposait un pareil déploiement de force à NDDL ». Ce message s’adresse
à tous les opposants des « réformes » annoncées : « Vous
voulez vous opposer ? Sachez que rien ne vous protégera de ma violence aveugle
et disproportionnée et certainement pas la justice (chacun sait que toutes les
blessures ne sont jamais condamnées ni réparées par la Justice). Quant aux
médias dominants, ils ont depuis longtemps brisé toutes les digues de la
déontologie quand ce n’est pas celles de la décence, et ils applaudissent déjà ».
Stratégie
dangereuse qui dresse les groupes les uns contre les autres, les personnes les
unes contre les autres, déchire les solidarités. Ajoutons à cela l’arrogance de
Macron affirmant (le 15 avril lors de l’entretien avec Plenel et Bourdin) :
« Et pour nos concitoyens les plus
modestes, le retraité, la personne qui paie ses impôts, qui paie pour avoir une
maison, qui paie son loyer, et l’agriculteur qui paie ses terres, vous pensez
que je peux maintenant aller lui expliquer : il y a des gens qui ont
un idée formidable, une idée fumeuse, ils paient pas les terres, se conforment
à aucune règle, produisent du lait sans aucune règle… les règles de santé
publique, c’est pas les leurs, ils ont un projet alternatif, c’est formidable,
on paie plus rien, il n’y a plus de règles. Je peux les regarder en face ? ».
Oui, bien sûr, il les a regardés en face « ceux qui paient » quand il
a allégé encore l’impôt sur les grandes fortunes ! Cynisme et mépris
incommensurables !
Simultanément,
il tente la division, sur la ZAD, entre ceux qui « citoyennistes »
veulent remplir les formulaires de déclaration individuelle comme l’exige la
préfète et ceux qui refusent toute déclaration autre que collective. Marcel
Thébaut, paysan et résistant historique, alerte : « Le collectif est la base et l’âme du mouvement.
Si on se déclare individuellement, c’est forcément contre les autres ».
Car il n’y a pas que des paysans, dans la ZAD, il y a des artisans, des
sans-travail, des lieux de vie collective, bref, des gens qui inventent un
autre mode de vie ensemble. Aux yeux de Macron, ils n’ont aucune
« légitimité » à rester là ! Ce sont de « faux »
illégaux face aux « vrais » illégaux occupants que le 1er
ministre invite à déposer un dossier dans le respect des procédures « normales ».
Pourtant, le mouvement de lutte contre l’aéroport et son monde, représenté par
une nouvelle association, était prêt à signer des baux précaires (ou des
conventions d’occupation provisoire) d’un an renouvelable, pour légaliser la situation,
mais le gouvernement veut imposer des conventions individuelles pour trier les
« bons » des « mauvais ». Tous ceux qui ne s’inscrivent pas
dans la légalité devront quitter les terrains.
Cette
stratégie de la tension peut se retourner contre le gouvernement et le faire
perdre, écrit Frédéric Viale, parce qu’il est faible, il est au pouvoir avec
moins de 15% des Français. Il est loin du peuple et engage des « réformes »
à un train d’enfer qui vont toucher les classes moyennes ayant voté pour lui, et
ne vont pas tarder à constater que les « réformes » ne favorisent que
les plus riches. « Il n’est pas d’exemple dans l’histoire qu’une tension
comme celle qui est entretenue actuellement par le gouvernement ne se retourne
contre celui qui en est de fait responsable» affirme F. Viale et nous ajoutons,
avec un mouvement social fort, des blocages, grèves et autres expressions de
rejet, partout.
2 – A La
ZAD, un autre mode de vie
Macron
aura bien du mal à faire taire la colère légitime. Ce 15 avril, malgré
l’important dispositif policier et les tentatives d’intimidation, une foule
joyeuse de plusieurs milliers de personnes revenait. La ZAD s’est
repeuplée ! Ces gens de tous âges et toutes professions ont remonté, à
bout de bras la charpenté de la nouvelle grange du Gourbis. Face aux policiers,
suréquipés, des gens pique-niquent, jouent de la musique, jonglent avec des
grenades usagées (4 000 ont été tirées par les gendarmes), discutent, les
barricades sont surmontées de fleurs, des accordéonistes poussent la chansonnette… De gré
ou de force, nous garderons la ZAD ! chantent les occupants « Jamais nous ne partirons ! »
Le lendemain matin, les forces de l’ordre ont rasé à coup de tronçonneuses la
grange édifiée dans la nuit. La guérilla sera longue. Reste à voir qui sera le
plus endurant du gouvernement ou des zadistes.
Les
dégâts dans les têtes et dans les corps sont irréversibles. En 4 jours, la
confiance qui avait pointé au moment de la décision d’abandon du projet, a été
anéantie. Les résistants sont sur leurs gardes derrière des barricades. Quand
une alerte est lancée, chacun enfile ses lunettes et son masque et se précipite
vers le lieu attaqué. Les équipes « Médic » sont stupéfaites de
constater les blessures graves au niveau des yeux et des pieds, provoqués par
les tirs tendus de flashball, de grenades lacrymogènes et des bombes F4 lancées
au couguar (un lance-grenade). Camille (ils s’appellent tous Camille les
zadistes, ce qui fâche terriblement Môssieu le président de la chambre
d’agriculture !), en rébellion depuis 40 ans, relève que « côté matos, ils ont fait de gros progrès.
Ils ont des trucs qui font mal sans tuer. Un de leur gaz, de couleur jaune,
rend vraiment malade. On reste mal parfois pendant plusieurs jours ».
« Pourquoi vouloir à tout prix empêcher ces
gens de vivre sur les terres qu’ils ont défendues ? » se demande
un paysan « Ces gens interrogent nos
modes de vie et notre société de consommation. Ils sont sans doute une partie
de la solution pour sauver la planète du désastre ».
Parce
que ce qui se joue là-bas, est la mise en œuvre d’un autre modèle de vie, d’installation
collective autogérée. « On n’est pas
idiot » déclare un autre Camille « on est prêt à réfléchir à différents cadres permettant aux uns et aux
autres de rester. Mais on veut des garanties que sera trouvée une forme qui
n’exclut personne et qui n’étouffe pas notre volonté de porter des projets
collectifs et solidaires ». La préfète campe sur les positions de son
ministre : la convention d’occupation collective des terres n’est pas une
forme qui cadre avec le droit, il faut une convention personnalisée. La date
butoir pour décliner identités et projets agricoles ou para-agricoles est fixée
au 23 avril. Faute de quoi… tout ce qui doit être évacué sera évacué, a menacé
Macron.
Craindrait-il
que se répande, à partir de la ZAD, une nouvelle forme de militantisme
politique, rapprochant associations de défense, syndicalistes et mouvements
autonomes et anarchistes ? Selon Sylvaine Bulle (2), la lutte contre le
projet d’aéroport, entre 2009 et 2017, a été nourrie par des personnes venant
de l’écologie, de l’alternativisme, membres de l’ACIPA (association historique
des opposants à l’ancien projet d’aéroport), riverains légalistes, agriculteurs
productivistes et d’autres issus de l’anarchisme libertaire. Ces derniers posent
plus globalement la question des rapports de domination dans la société, d’un projet
d’autonomie politique auto-organisé, sans recours aux institutions légales et
politiques. Ils l’expérimentent dans les micro-actions imaginant qu’elles
pourraient s’étendre jusqu’à changer le système politique marchand et
capitaliste.
Dans
le contexte du néolibéralisme et des problèmes sociaux qu’il génère, au regard
de la perte de confiance dans les institutions politiques, les ZAD permettent
au mécontentement de ressurgir et de se transformer en mouvement actif. La
solidarité entre ces différentes composantes de résistance peut-elle durer ou
s’effriter face à la fermeté de l’Etat ?
Ce
21 avril matin, les médias dominants informent que les occupants « illégaux »
(40) ont accepté de déposer des dossiers. Une manière d’annoncer que Macron
rentre ses muscles, sans perdre la face ? Ce qui est certain, c’est que la
résistance extraordinaire des zadistes, qui a abouti à des victoires
successives, est très populaire, soutenue par nombre de personnes qui refusent
le modèle de société pour les riches que met en oeuvre Macron, l’imposant à
coup de matraques policières et d’ordonnances anti-démocratiques. La colère est
là, partout, transformons-là, là où nous sommes, en mouvement global pour
« dégager » Macron et ce qu’il représente, pour construire une réelle
alternative.
Odile
Mangeot, le 21 avril 2018
(1)
Ce paragraphe a
largement repris un texte de Frédéric Viale (ATTAC) « ZAD, universités,
contestations sociales : la stratégie de la tension
(2)
Sociologue, dans
Politis du 12 avril 2018 « la ZAD, « une action directe »
Pour
des infos heure par heure https://zad.nadir.org/
Sources :
Bastamag, ATTAC, Reporterre, Politis