Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 janvier 2023

 

Que peut-on espérer…

 

… de 2023 qui n’apparaît pas sous les meilleurs auspices. Les crises qui s’enchaînent, économique, financière, guerrière, climatique…,  donnent l’impression que le temps historique sort de ses gonds.

 

Malgré la mise en cause de la globalisation financière, la confrontation des blocs de puissance et les protestations qu’elle provoque dans nombre de pays, prévalent des sentiments négatifs : accablement, anesthésie, repli individualiste, résignation, sourde colère impuissante. Quand ce n’est pas la déploration du chœur des lamentations ou la peur qui tétanise face aux nouvelles catastrophes, ce sont les illusions qui reprennent le dessus : la préservation aveugle de l’entre soi individualiste, les croyances dans les « bienfaits » à venir de la compétition concurrentielle de tous contre tous, le mirage d’un monde virtuel disloquant les sujets. Chosification des humains, stigmatisation du différent, seraient des pathologies de l’être égocentrique nous renvoyant au malaise civilisationnel, inaugurant l’obsolescence de l’homme. L’être humain, qui ne peut vivre qu’avec les autres et pour autrui, semble disparaître au profit d’un « progrès » inhumain saccageant également la nature.  

 

Face aux dominants, s’entêtant à préserver, « quoi qu’il en coûte », les inégalités abyssales, les régressions sociales, les injustices fiscales, climatiques…, les dominés semblent toujours s’en remettre à leur bienveillance à venir. Les élites qui détiennent le pouvoir s’activent à demeurer les meilleurs bonimenteurs, à faire accroire, qu’en tout état de cause, il n’y a pas d’alternative possible.

 

Malgré les chapes de plomb qui pèsent sur les consciences, les révoltes, les soulèvements se succèdent et pourraient, en 2023, encore s’intensifier. Il y eut les printemps arabes, les mobilisations monstres au Chili, maintenant au Pérou, les protestations sociales en Grande-Bretagne, en France… Mais à y regarder de près, rien de fondamentalement différent ne semble advenir ; les explosions sociales, sociétales sont, jusqu’à présent, réprimées avec le plus souvent une brutalité sanglante inouïe (Iran, Pérou). Pire, les frustrations sociales et politiques sont détournées en affrontements guerriers ou  instrumentalisées contre des boucs émissaires. Nationalisme et néofascisme deviennent des moyens mis en œuvre par des classes dominantes aux abois.

 

« La conscience vient au jour avec la révolte » (Albert Camus). Elle libère les flots stagnants, les transforme en furieuses vagues. Elle est l’expression négative de l’état de soumission, de dépendance, de domesticité, dans lequel veulent nous enfermer les phraseurs qui paradent dans les institutions et dans le système médiatique. Pour qu’éclose ce raz-de-marée, doit s’opérer l’effraction des systèmes de pouvoir, qui, pour les gouvernants, sont d’intolérables infractions car ils ne peuvent supporter qu’on ose penser que l’on puisse les « dégager ». Afin de réunir les conditions culturelles du changement pour ne pas retomber dans les ornières de la servitude et de l’esprit moutonnier, un grand vent frais de critiques pertinentes, ferait naître la réappropriation de « notre » histoire face au récit imposé. La parole, ainsi libérée, creuserait des perspectives de transformation sociale radicale, pourrait faire naître les transgressions nécessaires, innervant tout le corps collectif, isolant, fragmentant les minorités oppressives et exploiteuses, neutralisant les forces répressives. Il n’y a pas d’autre solution que celle faisant surgir les potentialités de puissance de ceux d’en bas, bref, de l’inattendu, de l’imprévisible.   

 

Nous sommes certainement, en 2023, à la croisée des chemins, face à des phénomènes inquiétants : la voie du néofascisme (comme en Italie), de la guerre meurtrière (Ukraine), du racisme expulseur aux accents néocoloniaux, ou plutôt, la voie consistant au refus de jouer le jeu des dominants, de ne plus s’en remettre à la bienveillance des malfaisants, de rester fasciné par la société du spectacle ou du simulacre. En effet, s’en tenir à des attitudes défensives restreignant les mobilisations conduirait à la construction de l’état de régression sociale déjà à l’oeuvre. Il ne s’agit pas de conserver l’existant déjà bien entamé. Il s’agit de se lever, de se soulever pour dégager tous les vulcains prétendant forger notre servitude, tous ces Jupiters, ces mollahs, ces petits et grands despotes.

 

Dès lors, il faut oser débattre, s’organiser, sortir du cadre imposé, pour éviter que l’élan tourne au vinaigre car il n’y a rien de pire que l’aigreur du renoncement, de la défaite : c’est la voie du retour, de la soumission et de l’embrigadement.

 

Entre chien et loup, 2023, si l’intelligence des peuples prend le dessus, pourrait être celle de l’éclaircie au sein d’un monde englué dans de sombres perspectives.

 

GD, le 23.01.2023  

(éditorial de PES n° 89)

 

Entre montée guerrière et mouvements sociaux

 

Au milieu du brouillard médiatique, des stéréotypes, des fantasmes et des fausses représentations qui l’imprègnent, il est difficile de percevoir la réalité du mouvement historique à l’œuvre. Le défilé des représentations du monde que le système tente de nous imposer ne suffit pas. Il faut se saisir de faits, d’analyses, permettant d’y voir plus clair. En « revisitant » le terrain de la guerre en Ukraine et ses prétendues et réelles répercussions en Europe, l’horizon dégagé est tout autre que celui désigné par les classes dominantes notamment européennes.

 

Ukraine, une guerre brève ou de longue durée

 

Il apparaît désormais que « l’opération spéciale » russe qui se voulait une réponse à l’avancée de l’OTAN et des capitaux occidentaux, s’est soldée par un demi-échec. Poutine a sous-estimé la réaction nationaliste ; les troupes russes ont été incapables de prendre Kiev ; le pouvoir kievien n’a pas cédé. Zelensky a refusé la proposition de s’exiler, suggérée par Biden : « Je n’ai pas besoin d’un taxi mais d’armes ». Autres surprises : au-delà de l’état réel de l’armée russe et de son possible effondrement proclamé, après avoir prétendu que le pouvoir ukrainien gangrené par la corruption n’y résisterait pas, il a fallu constater que les sanctions états-uniennes et européennes étaient, de fait, contre-productives. Non seulement la Russie poutinienne ne s’effondrait pas mais elle semble bien, pour l’heure, bénéficier de la guerre, malgré quelques défections et revers. Derrière ce constat, il y a des réalités longtemps occultées au profit du fantasme rassurant d’une lutte du Bien contre le Mal.

 

Certes, la Russie d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’URSS d’hier. Le PIB russe, additionné à celui de la Biélorussie ne représente que 3.3 % du PIB mondial. Toutefois, les années 90, celles d’Eltsine « l’alcoolique », de l’effondrement et de la cleptocratie des oligarques, ne sont plus de mise. Poutine a restauré une vie « normale », un redressement économique indéniable. Le taux de mortalité infantile des USA est d’ailleurs supérieur à celui de la Russie. De même, le taux de suicide russe s’est effondré. Le régime est largement accepté par les populations, malgré les inégalités. Et, contre toute attente, la démocratie trafiquée à l’Est n’a rien à envier à la démocratie manipulée à l’Ouest.

 

En fait, l’économie russe a montré sa capacité à s’adapter : la production de blé est passée, depuis 2021, de 40 à 90 millions de tonnes et les mauvaises performances militaires sont à relativiser : la production tourne à plein régime, les technologies mises en œuvre, comme les missiles supersoniques, tendent à démontrer que l’on s’achemine vers une guerre de longue durée, et du côté russe, à une tentative de mobilisation visant à concentrer sur le terrain 1 million d’hommes… Que vise désormais Poutine ? Garder, étendre ses gains territoriaux à l’Est (Donbass, Crimée…jusqu’à Odessa…) tout en détruisant les infrastructures énergétiques de l’Ukraine afin d’amener le pouvoir ukrainien et celui des Occidentaux à composer ? En fait, au-delà du nationalisme ukrainien réel, on assiste à une guerre par procuration de l’OTAN (sous l’égide de l’impérialisme US) contre la Russie. La question qui demeure reste de savoir qui va faire partie des perdants.

 

Ce qui nous est vendu, c’est l’unité de l’UE, sa consolidation. C’est plus que contestable. Ainsi (à titre d’exemple), le gouvernement allemand, désuni, sous la pression des Etats-Unis, a dû renoncer en grande partie à son leadership européen. Fondé notamment sur l’énergie russe à bas coût et ses investissements conjoints avec ce régime (oléoduc) ainsi que sur ses exportations vers la Chine, il est désormais la proie de l’aigle US. Fermeture imposée de Nordstream, sabotage de Nordstream 1, sanctions contre-productives, inflation, fournitures d’armes à Kiev. La diabolisation de l’ours russe est à son comble et la surenchère qui l’accompagne. L’inflation latente inscrite dans l’expansion des actifs financiers et immobiliers, explose à la faveur des restrictions énergétiques jusqu’à atteindre 10 à 11 % dans la zone euro. Et rien ne va plus ! Si les USA se frottent les mains en s’assurant qu’ils vont pouvoir exporter leur pétrole et leur gaz de schiste, les pressions sur l’Arabie Saoudite, afin qu’elle augmente sa production pour faire baisser le prix du baril, s’avèrent sans effet. Et les pays européens, en ordre dispersé et concurrentiel, de tenter d’obtenir du gaz, du pétrole algérien ou qatari…

 

En tout état de cause, ce qui transparaît déjà à travers cet affrontement guerrier, c’est le retour en force sur la scène européenne de la suprématie renforcée de l’impérialisme américain, transformant l’UE en protectorat US où les différences de dépendances reflètent les divisions déjà existantes.

 

Une crise difficilement maîtrisable

 

On l’a déjà noté, la crise économique et financière était déjà là avant la guerre en Ukraine. Les remèdes employés pour la juguler risquent d’en accroître les effets négatifs. Certes, pas pour tous ! Les profiteurs de guerre, les occasions de corruption pour certains, font déjà l’objet de récriminations même en Ukraine (classée 114ème sur 122 pays par l’ONG Transparency International) sans que cela ne change quoique ce soit de fondamental. Les politiques mises en œuvre par les banques centrales (FED aux USA et BCE) pour juguler l’inflation risquent d’aggraver le mal. En effet, en passant de taux directeurs négatifs (ou très bas) pour favoriser la circulation du capital à une augmentation du loyer de l’argent ce n’est pas seulement l’inflation qui risque d’être étouffée mais la croissance économique capitaliste déjà à la ramasse. En effet, les « investisseurs » choisissent, non pas l’investissement dans l’économie réelle, mais surtout la spéculation ou les rendements boursiers. Désormais, cette politique des banques centrales ne va pas seulement accroître cette tendance mais surtout tarir la croissance capitaliste déstabilisant le système. Le phénomène, déjà en germe, de la stagflation, en atteste la prévision de 0.3 % de croissance du PIB européen et une inflation de plus de 7% en 2023. Elle affaiblira la consommation des ménages et des rentrées d’impôt et de TVA. Et, face à la flambée des prix de l’énergie et des produits de consommation courante, la faillite d’artisans et de PME se profilera à court terme. Et rien ne dit que ce repli économique ne puisse se transformer en récession, à commencer par la vente sauvage d’actifs financiers, par des faillites de banques, l’effondrement des fonds spéculatifs, y compris des fonds de pension ou de retraite. La situation de la Grande-Bretagne est emblématique à ce sujet.

 

Cette situation chaotique engendre des politiques promouvant, accroissant encore, le désordre existant. A la manœuvre, l’impérialisme états-unien cassant toute tentative de régulation. Désormais, c’est la loi de la jungle sans régulation. A preuve, la neutralisation de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Depuis 3 ans, cette institution est en effet vidée de sa substance, celle consistant à régler les différends, c’est-à-dire les distorsions de concurrence. Tout a commencé sous Obama. Il était déjà clair, dès cette période, que les Etats-Unis étaient, face à la Chine, en train de perdre leur suprématie mondiale. « L’atelier du monde » qui devait être cantonné dans ce rôle depuis son entrée à l’OMC fin 2001, taillait des croupières au géant US. L’Europe, avec l’Allemagne, faisait preuve de velléité d’indépendance, en jouant son propre jeu avec la Russie et la Chine. Avec Trump, suivi par Biden, l’organe d’appel de cette institution d’arbitrage fut congelé, les Etats-Unis refusant de renouveler cette instance de 7 membres. Le changement d’époque était amorcé à coups de sanctions, d’extraterritorialité, d’interventionnisme de la justice américaine. A la soi-disant concorde multilatérale de la fin du 20ème siècle, a succédé l’unilatéralisme US. La guerre en Ukraine, soit l’affrontement entre l’OTAN/US avec la Russie, allait, de fait, pétrifier l’ONU, du moins son Conseil dit de Sécurité.  

 

La grande crise du capitalisme mondial de 2008, conséquence de la globalisation financière « libérée » de toute contrainte, a renvoyé, certes, sans ambiguïté, à la nature même du capitalisme. Mais, fait nouveau, l’accélération des échanges, a fait naître vis-à-vis des USA, des concurrents insupportables pour la suprématie états-unienne. Qui plus est, les inégalités engendrées, le retour de l’inflation, la persistance des politiques d’austérité, et pas seulement dans les pays centraux, sont, de fait, le ferment d’une poussée de révoltes et de protestations.

 

Vers le retour de la lutte des classes et des peuples ?

 

Dans le cadre de cet article, il n’est guère possible d’évoquer les conséquences de la crise du capitalisme dans les différents pays, qui prennent des formes diverses : énergétiques, de cassure des chaînes d’approvisionnement, de course aux armements, de la guerre sur le sol européen, de précarisation du corps social face à la persistance des politiques austéritaires, des conséquences climatiques dramatiques qui s’annoncent. Rien qu’en Europe, les formes de réactions et de résistances nationales sont, en apparence, contradictoires. En Allemagne, par exemple, 3.9 millions de salariés ont obtenu 9.5 % d’augmentation de salaire. Pour les autres secteurs que ceux dépendant de la métallurgie et d’IG Metal, rien de fondamental ne s’est produit sinon une précarisation rampante toujours à l’œuvre. La montée des mouvements sociaux en Grande-Bretagne, avec grèves des secteurs privés et publics, refus de payer les factures d’énergie, est sans commune mesure avec la situation dans l’Italie de la Meloni d’inspiration mussolinienne. De même, en France, la lutte contre la contre-réforme des retraites est ambigüe : entre protestation d’ampleur et résignation. La situation en Belgique est peut-être la plus emblématique de ce qui peut advenir : regain des luttes économiques des classes défavorisées, poursuite des délocalisations d’entreprises suite à la politique des Etats-Unis (subventions massives de leur industrie à coups de millions de dollars, incitation des multinationales européennes à s’installer aux USA, division et affaiblissement de la (dé)union européenne). La montée des mouvements et partis néofascistes, l’extension de la co-belligérance guerrière vis-à-vis de la Russie poutinienne, l’invitation US à embarquer les gouvernements européens à boycotter la Chine, voire à multiplier à son égard, des provocations économiques et militaires, n’incitent guère à l’optimisme.

 

Ce qui transparait, néanmoins, dans la période, c’est que, face à la réalité de l’impérialisme US et des blocs de puissance qui contestent son hégémonie, c’est une vérité qui, pour l’heure, est encore loin d’être partagée. Il n’y aura pas d’émancipation sociale, politique, anticapitaliste sans affirmation concomitante de souverainetés nationales des peuples. Et en Europe, il s’agit pour chaque peuple de se dégager de l’emprise de l’OTAN, de l’euro, de l’UE, des Etats-Unis. Autant dire que doit s’amorcer une révolution copernicienne, difficile à concevoir alors même que le nationalisme d’extrême droite s’en empare…

 

Gérard Deneux, le 26.01.2023  

 

L’espoir ton ami

 

Quand l’espoir disparaît

          dans ce monde ce brouillard

          c’est la lumière qui s’éteint

Quand l’espoir se tait

           c’est l’homme qui oublie sa part

           et qui se noie dans son vin

Quand l’espoir déplaît

            c’est surtout pour ne rien voir

            c’est parce qu’il est craint

Quand l’espoir se crée

             c’est pour plus de savoir

             c’est la lumière qui est source de combat

Quand l’espoir apparaît

             c’est une route obligatoire

liée à notre destin et à nos devoirs

notre route échappatoire

une puissance compensatoire

notre réserve qui jaillit du noir

 Hassen

 

 

Alphabet revisité

 

La nation ABC

La gloire FAC

Les provinces CD

Le peuple ÈBT

Les lois LUD

La justice HT (ou AI)

La liberté FMR

Les prix LV

La ruine HV

La honte VQ

Mais l’espoir RST

 

Nous avons lu

 

1953. Un 14 juillet sanglant

 

Oubliée, enterrée, puis exhumée par l’auteur dans cet ouvrage, cette manifestation à caractère pacifique a été réprimée par le feu et dans le sang. Le cortège animé par le Parti communiste de l’époque entendait commémorer, à sa façon, le 14 juillet et la Révolution française, tout en s’opposant aux cérémonies officielles. En effet, les flonflons institutionnels magnifiaient l’armée coloniale française en pleine guerre d’Indochine. L’aspiration nationale des Algériens en France, encadrés et mobilisés par le MTLD qui avait succédé à l’Etoile nord-africaine de Messali Hadj, avait mobilisé ses nombreux militants, installés en fin de manifestation : la souricière était en place. La police française, dirigée par un ministre de l’Intérieur, dont le nom est aujourd’hui dans les poubelles de l’histoire (Martinaud-Déplat) et le préfet de police (Baylot), son acolyte, étaient à la manœuvre. Cette tuerie « républicaine », il était nécessaire de la sortir de l’oubli ainsi que les articles de presse de l’époque, les échanges nauséabonds entre Socialos et le très chrétien MRP. Comme l’a suggéré Pierre Vidal-Naquet, il faut pointer du doigt les « assassins de la mémoire », ses médias et ses historiens complaisants, les mêmes qui ont occulté les massacres de Sétif et Guelma en Algérie, le 8 mai 1945, puis la répression sauvage en 1961, dirigée par Maurice Papon sous les ordres de De Gaulle. Cet ouvrage est préfacé par l’historienne Ludivine Bantigny et Jean-Luc Einaudi, l’homme qui a révélé le massacre de 1961. GD.

Maurice Rajsfus, ed. du Détour, dernière parution 2021, 18.90€

 

Immigration. Mayotte, territoire d’exception

 

Que se passe-t-il sur ce caillou de la France dans l’océan indien, pour que le ministre de l’intérieur et de l’Outre-mer se rende à Mayotte pour la 2ème fois en 6 mois ? Des violences entre « bandes rivales » nous dit-on et une immigration qui ne tarit pas et déplaît à la bourgeoisie mahoraise et aux élus de ce 101ème département français. A la veille de présenter son projet de loi sur l’immigration, Darmanin veut rassurer et annoncer la mise en œuvre de mesures pour empêcher l’accostage des kwassa-kwassa sur l’île, transportant principalement des migrants comoriens et des pays de l’Afrique de l’Est au risque de périr en mer. Darmanin s’accommode sans doute de la « blague » indigne et méprisante de Macron, en 2017 : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » ! Pourquoi viennent-ils dans ce département, oublié et pauvre ? Lors de ses visites, Darmanin a-t-il annoncé des mesures sociales et économiques amoindrissant les inégalités de traitement entre l’ile et la métropole ? Prévoit-il de nouvelles « dérogations » et autres entorses au droit d’asile pour durcir encore les expulsions des exilés, renforcer les contrôles des migrants, dans ce petit territoire de 375 km2, d’environ 300 000 habitants, dans lequel le vote RN atteint plus de 59 % aux dernières élections présidentielles ?

 

1 – Mayotte et France : on n’est pas dans la République des égaux

 

Mayotte se classe à la dernière place des départements français dans nombre de domaines. En 2018, elle détient le PIB par habitant le plus faible, avec 9 241€ contre 22 359 à la Réunion et 38 900 en Seine-Saint-Denis. La moitié des Mahorais a un niveau de revenu inférieur à 3 140€/an et 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est de 43 % (2022). Dans l’île, les écarts se creusent entre une minorité (élites mahoraises et expatriés) qui a accès aux emplois publics et à des salaires revalorisés au titre de prime de vie chère (versée dans les départements d’outre-mer) et une majorité paupérisée qui ne peut accéder à la « société de consommation » introduite par la France.

 

Les Mahorais subissent des inégalités instituées, face à la métropole : en 2021, le RSA est de 282€ pour une personne seule contre 565€ en France métropolitaine. Le Smic horaire brut (août 2022) était de 8.35€/ à Mayotte contre 10.85€ en France.

 

Sur le plan sanitaire, la situation est catastrophique : le nombre de médecins est encore plus insuffisant sur l’île qu’en métropole. Le seul hôpital et les dispensaires sont saturés alors que Mayotte affiche des records de naissance. Il en va de même pour les écoles : il manque 800 salles de classes, contraignant les enfants à aller à l’école à mi-temps. Le secondaire est également surchargé et les taux d’échec scolaire ne cessent d’augmenter. En 2018, 73% des Mahorais âgés de 15 ans ou plus sont sortis du système scolaire sans diplôme qualifiant (28 % dans l’Hexagone) alors qu’une personne sur deux a moins de 18 ans

 

En matière de logement, la situation est alarmante au vu des bidonvilles qui ne cessent de croître : sur 63 100 résidences principales, 4 sur 10 sont en tôle et 3 sur 10 sont sans accès à l’eau courante.

 

Ces quelques chiffres suffisent pour comprendre le surgissement de violences, renforcées par la désignation de boucs émissaires que sont les étrangers, migrants, venus des Comores et des pays d’Afrique de l’Est. En 2017, 1 personne sur 2 est étrangère. Selon une majorité de la bourgeoisie mahoraise, la « belle » vie à Mayotte servirait « d’appel d’air » à ceux qui habitent un des pays les plus pauvres au monde, les Comores. En conséquence, l’Etat français refuse d’aligner les minima sociaux sur ceux versés en métropole, refuse de mener une politique sociale digne de ce nom.

 

Eh oui ! Il est possible, en France, de se déclarer, au plus haut sommet de l’Etat, défenseur de la République et d’enfreindre le principe constitutionnel d’égalité ! Cette réalité n’est pas nouvelle, elle existe depuis la départementalisation de Mayotte. Mais Macron/Darmanin n’ont aucunement l’intention de revenir sur leur politique discriminatoire, d’autant moins celle concernant les étrangers « illégaux ».  

   

2 – A Mayotte, des entorses au droit d’asile

 

L’extrême pauvreté des Comoriens et l’espoir de donner à leurs enfants, nés à Mayotte, la possibilité d’être français à l’âge adulte, en application du droit du sol, sont les motivations principales de celles et ceux qui, soit meurent en mer en tentant la traversée dangereuse, soit s’entassent dans les misérables bidonvilles, sans être autorisés à travailler. Pour l’Etat français, la politique en matière d’immigration, est celle du découragement des « candidats » à l’exil en les maintenant sans papiers et sans droits, pour finir par l’expulsion. Darmanin, lors de « son Nouvel An mahorais », n’a pas dit autre chose que sa volonté de durcir une nouvelle fois le droit du sol dans ce département. En août 2022, le ministre avait déjà affirmé sa détermination à s’attaquer aux flux migratoires en amont de l’arrivée des kwassa-kwassa (petits canots de pêche) sur les rives mahoraises et a annoncé la création d’un GIR (groupe interministériel de recherches), destiné à enquêter sur les filières clandestines ; il a promis des enquêteurs de police judiciaire spécialisés, directement sous l’autorité des magistrats, « ce qui fera gagner du temps plutôt que de faire venir des experts de métropole ou d’envoyer les dossiers à Paris ». Il a rassuré les députés mahorais Kamardine (LR) et Youssoufa (divers centre/droite) de son attachement à restreindre les conditions d’accès à la nationalité. En 2018 déjà, la loi « asile et immigration » avait modifié le droit du sol, faisant en sorte que la nationalité des nouveau-nés à Mayotte ne soit pas automatique à l’âge adulte, mais soit conditionnée à la présence régulière et ininterrompue sur l’île d’au moins un des deux parents pendant 3 mois. Aujourd’hui, Darmanin souhaite allonger ce délai à un an.   

 

Les pratiques scélérates de l’Etat à Mayotte autorisent ses services à multiplier les expulsions : plus de 20 000 par an, soit près de 10 % de la population étrangère présente à Mayotte. Le Centre de Rétention Administrative de Mayotte compte autant de personnes retenues (26 900 en 2019) que ceux de toute la France métropolitaine. L’Etat déroge au droit national des étrangers : pas de droit à l’AME (aide médicale de l’Etat), des expulsions réalisées le jour même où est  notifiée l’OQTF, sans laisser le temps aux recours, des expulsions de mineurs dont on modifie la date de naissance, des expulsions de parents laissant à Mayotte de nombreux mineurs isolés n’ayant d’autre choix que de mendier ou rejoindre des bandes pour survivre : l’Etat français et les politiciens mahorais n’engagent aucune politique d’aide sociale à l’enfance qui est pourtant une obligation légale. Très rarement logés pendant l’instruction de leur dossier, les demandeurs d’asile doivent se débrouiller et survivre avec 1€/jour, l’ADA (allocation pour demandeur d’asile) de 6.80€/jour ne s’applique pas à Mayotte. Déroger à l’égalité constitutionnelle est une pratique à Mayotte, sans que cela ne scandalise au-delà des associations défenseurs des droits de l’Homme qui subissent régulièrement des menaces proférées par des collectifs d’habitants.

 

Les élites et notables locaux soufflent sur les braises de la xénophobie : les politiques publiques seraient « trop généreuses » agissant « comme des aimants attirant l’immigration clandestine ». Cela alimente les mouvements d’extrême droite qui proposent de supprimer totalement le droit du sol à Mayotte, pour éviter les 11 000 naissances supplémentaires chaque année. Un Collectif de défense des intérêts de Mayotte (Codim) mène des opérations de « décasage » : des « clandestins », ou considérés comme tels, sont chassés de leur habitation ou livrés aux forces de police, des enfants sont empêchés de se rendre dans leur classe par des milices.

 

C’est cela que Darmanin est venu encourager, promettant encore « mieux », pour contrer la montée de l’extrême droite… alors que celle-ci est déjà due au sous-développement de Mayotte, aux conditions socio-économiques dégradées, aux services publics dépassés par la demande démographique, tout cela faisant monter en flèche l’insécurité. La faute à qui ? A l’histoire de l’île et à la détermination de la France de ne conserver ce caillou dans son giron que pour des raisons géostratégiques, sans tenir compte des humains qui habitent cette île.   

 

 

Mayotte ne doit pas devenir le laboratoire expérimental de la politique d’immigration en France. Il y a de quoi s’inquiéter. Le 25 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a validé un régime dérogatoire à Mayotte concernant les contrôles d’identité, permettant à la police d’y procéder de manière généralisée et discrétionnaire, sans limite dans le temps. Il lui donne  pleins pouvoirs pour des pratiques illégales comme les contrôles au domicile des personnes, alors que cela porte atteinte au principe d’inviolabilité de domicile, au droit à la vie privée et à la liberté individuelle, à la liberté de circulation, au droit à la protection. Alors ? A la poubelle la Constitution assurant l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ? Les associations de défense des migrants regroupées dans le Collectif MOM  (Migrants d’Outre-Mer) ont alerté sur les modalités de mise en œuvre des contrôles d’identité sur des personnes mineures, déclarées arbitrairement majeures sans respect de la présomption de minorité et placées en centre de rétention, sans représentant légal, en vue de leur expulsion. Toutes ces mesures dérogatoires font de Mayotte un véritable territoire d’exception, contrevenant au principe de non-discrimination. L’accent mis sur la lutte contre l’immigration irrégulière détourne les regards de l’urgence qu’il y a à garantir aux Mahorais des droits équivalents au reste du territoire.

 

Les élus demandent les moyens pour maîtriser totalement les frontières, pour reconduire tous ceux qui sont interpelés à Mayotte afin de protéger la population mahoraise et uniquement celle-là ! Certes, la situation sociale et économique est très dégradée mais la solution relève de la politique globale de l’Etat,  non de la chasse aux migrants, ces Comoriens notamment qui ont une longue histoire commune avec les Mahorais.

 

2 – Mayotte : un conflit territorial au mépris du droit international

 

Mayotte, jusqu’en 1974, est incluse dans l’archipel des Comores, avec trois autres îles : Anjouan, Mohéli et Grande Comore. Elles constituent un seul et même territoire d’outre-mer, en tant que colonies françaises de 1946 à 1974. Les populations des différentes îles ont des liens familiaux anciens et les mariages, échanges culturels et commerciaux sont réguliers et multiples dans l’archipel.

 

A l’origine peuplées de Bantous agriculteurs et pêcheurs venus d’Afrique ainsi que de commerçants malgaches et austronésiens originaires de l’archipel indonésien, ces îles sont conquises, au 13ème siècle, par des familles provenant de Perse qui s’y implantent, imposant leur culture et réduisant les populations à l’esclavage. Le sultan Tsouri, en bisbille avec un rival, cède Mayotte à un capitaine de vaisseau français en 1841 ; elle devient une colonie française en 1843, sous protectorat, élargi aux trois autres îles en 1886. L’archipel des Comores est une colonie française en 1912. Des désaccords récurrents dans la relation entre les Comoriens et les Mahorais, à partir de 1958, aboutissent à la demande de départementalisation de Mayotte.

 

Appelés à se prononcer par référendum en 1974, les Comoriens choisissent, en majorité,  l’indépendance : Grande Comore, Mohéli et Anjouan ; à Mayotte, le vote pour l’indépendance est minoritaire : elle décide de rester française. C’est le début d’un différend, jamais tranché : l’assemblée des Comores proclame en 1975 l’indépendance des îles de l’archipel, y compris Mayotte. La France craignant de perdre un territoire géostratégique dans l’océan indien, prend acte de l’indépendance des îles, excepté Mayotte, au mépris total du droit international qui impose l’intangibilité des frontières et  contraint à considérer le vote dans son ensemble. La France ignorera les 18 résolutions de l’ONU affirmant la souveraineté comorienne sur Mayotte et appellera les Mahorais à une seconde consultation : ils choisiront la France à plus de 99 % ; il n’était pas compliqué de convaincre environ 16 000 électeurs d’autant que les opposants étaient expulsés. Au fil du temps, les condamnations onusiennes deviendront des invitations et l’Union des Comores n’inscrira même plus la question à l’ONU. Néanmoins, le conflit territorial demeure, le président de l’Union des Comores, Assoumani Azali, l’a  rappelé à l’assemblée générale de l’ONU le 22 septembre dernier.

 

Face aux migrations importantes des Comoriens à Mayotte, le gouvernement Balladur crée en 1995 un visa qui s’impose à tous les Mahorais rendant visite à leurs familles. Ils choisissent, alors, les allers sans retours, devenant des « clandestins » utilisant les kwassa-kwassa au péril de leur vie.  

 

Entre 1975 et 2001, l’instabilité politique s’est installée dans l’Etat comorien. Il est, par ailleurs, confronté à des catastrophes climatiques et sanitaires et se retrouve classé parmi les 47 Etats au développement le plus faible au monde. Cet état de pauvreté croissante aux Comores est l’une des causes de l’émigration accentuée vers Mayotte, considérée comme un eldorado aux yeux des Comoriens (alors que 77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté et que les Inégalités sociales croissent).

 

En 2011, Mayotte devient le 101ème département français.

 

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Tout au long de ce processus, l’intérêt principal de la France réside en la présence française dans l’océan indien. Mayotte se situe sur une route stratégique indispensable au commerce mondial, passant par le canal du Mozambique. Elle abrite un régiment de la légion étrangère et peut accueillir navires et avions de guerre si besoin. Un centre d’écoute lui permet de surveiller l’ensemble de l’océan indien. Par ailleurs, la région recèle de nombreuses ressources halieutiques et énergétiques (gaz notamment). Avec les îles Eparses (inhabitées), situées entre Madagascar et l’Afrique, la France est présente au cœur du canal du Mozambique, la deuxième plus grande zone de transit économique au monde.  Elle n’est donc pas prête à rétrocéder ce territoire, même s’il devient un caillou dans sa chaussure, du fait des tensions sociales qui s’accentuent.

 

Tout cela a de bien nauséabonds relents néocoloniaux au mépris des populations qui vivent dans ces territoires.

 

Odile Mangeot, le 17 janvier 2023     

 

Encart

La France compte 101 départements, 94 sur le continent, 2 en Corse et 5 issus situés en Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, la Réunion et Mayotte).

Elle compte également 6 territoires d’Outre-mer à statuts spécifiques : Polynésie française, Saint Barthélémy, Saint Martin, Saint Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, Nouvelle Calédonie

 

 

 

« Ils peuvent couper toutes les fleurs,

ils n’empêcheront jamais le printemps »

 

Le féminicide gouvernemental de Mahsa a déclenché le soulèvement en Iran, qui dure depuis 4 mois. Le peuple s’est dressé contre toutes les menaces et intimidations. Le mouvement Femme, Vie, Liberté a montré que ce régime est mort dans l’esprit des habitants, que l’intimidation ne suffit plus. Ils résistent avec un courage sans pareil. Des réseaux d’entraide se constituent dans les quartiers, les usines, les universités. De jeunes médecins prennent en charge clandestinement les blessés. Les prisonniers continuent de résister depuis leurs cellules, malgré les verdicts prononcés au cours de procès-mascarades, sans avocats, malgré les tortures physiques et mentales, malgré les viols et harcèlements sexuels. Depuis le début de l’insurrection, plus de 18 000 militant.es et manifestant.es ont été arrêté.es, des milliers de personnes ont été blessées, plus de 500 ont été tuées par balles ou sous la torture et 44 personnes risquent d’être exécutées. Les récits de la répression envoyés depuis les prisons sont terrifiants. Et pourtant, le soulèvement est toujours là. Il a besoin de solidarité. Il se poursuivra avec le soutien internationaliste de tous ceux qui se battent pour la liberté.  Le silence des peuples opprimés à travers le monde, face au soutien direct et indirect qu’apportent les puissances mondiales et régionales de tous bords, accroît le sentiment d’impunité du régime et facilite la répression. Dans le même temps, il faut condamner collectivement toute intervention étrangère, militaire ou économique qui nuirait à l’autonomie de la mobilisation. Roja Paris a organisé une marche Contre la répression et pour la résistance en coordination avec des collectifs de militants iraniens et kurdes, féministes de gauche, d’autres villes européennes.

 https://www.instagram.com/roja.paris/

 

Nous avons lu…

 

Quand la gauche pensait la nation.

Nationalités et socialismes à la Belle Epoque.

 

Les débats qui ont agité la gauche dès l’origine de la social-démocratie d’avant la guerre 14-18 résonnent encore à notre époque. L’auteur revisite l’histoire de l’idée de nation, celle qui a enthousiasmé les peuples après la Révolution française et, plus encore, lors du printemps des peuples (1848) contre les Empires, en particulier, russe et austro-hongrois. En Allemagne, la social-démocratie née après la 1ère Internationale partageait avec Bismarck, malgré les différences, l’idée de regrouper l’ensemble des populations de langue allemande et, par conséquent, de constituer la Mitteleuropa. Dans le contexte d’alors les controverses pouvaient entretenir nombre de confusions : soutenir la nation irlandaise contre l’Angleterre, la Pologne occupée et divisée entre la Russie tsariste, l’Autriche/Hongrie et la Prusse, soutenir les menées coloniales prétendument civilisatrices, défendre, comme Clara Zetkin, le « patriotisme prolétarien » ou le révisionnisme à l’image d’Otto Bauer qui allait conduire toute la social-démocratie, hormis le parti bolchevik, à soutenir l’union sacrée avec leur propre bourgeoisie chauvine pour précipiter les peuples dans la grande boucherie de 14-18. Le débat allait resurgir après la 2ème guerre mondiale sous d’autres formes, celle conjuguant l’internationalisme et les luttes de libération nationale. Reste la question abstraite en apparence : qu’est-ce qu’une nation ? Cette entité, cette formation sociale nationale pétrie de contradictions de classes mais unie par la langue, l’histoire culturelle, les traditions… Interrogation toujours actuelle lorsqu’elle est agressée (Ukraine) ou lorsqu’elle résulte de découpages coloniaux arbitraires issus de la colonisation ou de l’emprise des Empires face à la diversité ethnique et culturelle. GD.

Jean-Numa Ducange, Fayard, 2021, 23€

 

Chlordécone et méga-bassines

 

Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir (Jean de la Fontaine).

 

Blanc est l’Etat français dans l’affaire du chlordécone aux Antilles. Suite à la plainte déposée en 2006 par les associations et victimes, pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui, administration de substance nuisible et tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises, un non-lieu a été prononcé le 2 janvier. Dans ce procès pénal pour « scandale sanitaire », les parties civiles dénoncent une instruction bâclée : plus de 40 000 hectares de terres agricoles, mais aussi les cours d’eau et même le milieu marin,  sont contaminés par cet insecticide à forte toxicité, abondamment épandu dans les plantations bananières de la Guadeloupe et de la Martinique entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon. Classé cancérogène probable par l’OMS dès 1979, le chlordécone n’a été interdit en France qu’en 1990 et, trois ans plus tard, aux Antilles  du fait de dérogations ministérielles accordées aux producteurs bananiers ( !).

 

 

Noirs sont les militants contre les « méga-bassines » des Deux-Sèvres et de Charente Maritime : 4 militants condamnés par le tribunal de Niort, le 6 janvier, à des peines de 2 à 6 mois de prison avec sursis et interdiction de paraître à Sainte-Soline, Mauzé ou dans les Deux-Sèvres. Noirs, sont les deux manifestants poursuivis pour des dégradations commises à Cram-Chaban (Charente Maritime), en 2021, il leur est reproché d’avoir cisaillé la bâche servant à retenir l’eau d’une réserve remplie illégalement depuis des années ! Le tribunal de la Rochelle, le 5 janvier, a requis des peines de 5 à 6 mois de prison avec sursis et à 500 000 € de dommages et intérêts. Jugement mis en délibéré au 2 mars prochain.

 

Pour rendre justice, il faut s’appuyer sur des faits

 

Encore faut-il vouloir les regarder ! En matière d’empoisonnement au chlordécone, les faits sont là : cette molécule tue et empoisonne ; elle a contaminé plus de 90% de la population guadeloupéenne et martiniquaise qui présente un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Elle pollue les sols, les eaux pour des centaines d’années. Cela n’a pas suffi aux juges : ils reconnaissent un « scandale sanitaire », « une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie des habitants » mais prononcent un non-lieu évoquant la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés ». Les magistrates ont établi « des comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane, amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques qui ont autorisé l’usage de cette substance à une époque où la productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et écologiques ». Responsables mais pas coupables, ça ne vous rappelle rien ?  L’affaire du sang contaminé !  

 

Quand il s’est agi, par contre, de débusquer les « coupables » de dégradations sur les méga-bassines, les pouvoirs publics ont mis en place un dispositif policier hors-norme avec un groupe dédié de gendarmes aux méthodes policières s’apparentant à celles du renseignement ou de la lutte contre la criminalité organisée : filatures,  géolocalisation en temps réel, analyse des relevés d’imposition, de la CAF ou de l’assurance maladie, étude des factures téléphoniques, identification de l’entourage des suspects, fichage, etc… Une débauche de moyens disproportionnés pour retrouver celles et ceux qui auraient saboté des bassines au cours de manifestations en 2021. Que les 5 bassines charentaises concernées aient été jugées illégales par le Tribunal administratif en 2018, puis en appel en 2022 (14 ans de procédure !), n’a pas semblé émouvoir les juges.

 

Le cœur de la lutte du Collectif Bassines non merci est la défense de l’eau - Bien Commun – contre l’industrialisation de l’agriculture, l’accaparement des ressources naturelles pour des intérêts privés. Dès l’annonce, dans les années 2000, de la volonté de construire des « retenues de substitution », présentées comme la solution pour « concilier la préservation des milieux naturels et l’irrigation intensive », les militants ont senti l’entourloupe et ont créé, en 2017, le Collectif Bassines non merci, entré dans la  bataille contre le projet de 19 bassines (à l’époque) dans le sud Deux-Sèvres. Opposé au modèle agro-industriel, porté notamment par la FNSEA et les défenseurs de l’agrobusiness, il dénonce les dangers de ce modèle pour l’environnement, la nature et l’homme, qui détruit la biodiversité, commercialise les surfaces agricoles utiles pour capter l’eau au profit d’une minorité, 6 à 8 % des exploitations agricoles.

 

Les militants condamnés et tous ceux qui risquent de l’être ne reculeront pas. « Notre détermination à œuvrer pour la protection et le partage de l’eau reste entière ». La Confédération paysanne et Soulèvements de la terre soutiennent le Collectif et dénoncent l’instrumentalisation de la justice pour criminaliser, décrédibiliser et intimider la mobilisation qui ne cesse de grandir et de s’élargir. Prochaine manifestation le 25 mars.

 

Quant aux associations antillaises, elles vont poursuivre leurs mobilisations, leurs actions en justice (Cassation et justice européenne) jusqu’à obtenir condamnation des coupables et réparation. « Notre riposte doit être à la hauteur du crime commis » avertit le Collectif écologiste Lyannaj pou dépolye Matinik.

 

OM, le 22.01.23

 

 

Contre la loi anti-squat

 

La loi Kasbarian-Bergé (députés LRM), adoptée en décembre 2022 par l’Assemblée nationale, arrive au Sénat le 31 janvier. Depuis la loi de sécurité intérieure (2003), l’Etat ne cesse de prendre des mesures pour protéger la propriété et pour réprimer toujours plus les occupations de bâtiments vides et locataires qui ne paient pas leur loyer. En 2020, la loi ASAP a permis des simplifications administratives, notamment pour expulser des squatteurs sans procédure judiciaire, sur simple avis du préfet. Petit aperçu du contenu de la proposition de loi : 3 ans de prison pour le squat d’un bâtiment à usage d’habitation, élargissement de l’expulsion sans procédure judiciaire aux bâtiments sans meubles, expulsion des locataires accélérée, résiliation automatique du bail après un commandement de payer demeuré infructueux. Privé de la protection du bail, le locataire encourt les mêmes peines de prison et d’amende que le squatteur. Le juge n’a plus la possibilité de suspendre la résiliation du bail quand le locataire respecte les modalités de paiement de sa dette. Les délais que le juge peut accorder avant expulsion, compris entre 3 mois et 3 ans, seront réduits à un mois minimum et un an maximum. Tous les squats seront concernés, y compris les ZAD, occupations de facs ou d’usines.  Intersquat Ile de France s’élève contre les conséquences pour les mal-logés et défend le lieu de vie que sont les squats. Ils ont du sens pour celles et ceux qui y habitent, y passent, les font vivre. « C’est d’abord un impératif pour mettre un toit au-dessus de nos têtes quand nous n’avons pas les moyens économiques ou les bons papiers pour nous loger dans des villes de plus en plus gentrifiées, sécurisées et gangrenées par la spéculation. C’est un moyen de créer de la solidarité entre nous. C’est un espace qui nous permet de créer ce qu’on ne trouve pas dans cette société qui stigmatise, exclue, enferme ou expulse tous ceux qui ne rentrent pas dans ses cadres trop étriqués ». « Ce texte signifie la prison ou la rue » affirme Jean-Baptiste Eyraud DAL). « Le problème est que le délit de squat est poursuivi, pas celui des expulsions illicites ».

paris-luttes.infos    

 

Finies, les dérogations pour épandre les « tueurs d’abeilles »

 

Les 27 Etats-membres de l’UE n’ont pas le droit de déroger à l’interdiction européenne concernant les semences aux néonicotinoïdes, a jugé le 19 janvier, la Cour de justice européenne, y compris en cas de circonstances exceptionnelles. Les néonicotinoïdes sont interdits depuis fin 2018 dans l’UE en raison de leur dangerosité pour la biodiversité et la santé humaine. Onze mauvais élèves, dont la France, persistent malgré tout à accorder des « autorisations d’urgence » aux acteurs de la filière des betteraves sucrières. Le gouvernement français prévoyait de leur accorder à nouveau une dérogation pour 2023. Il devra y renoncer puisque c’est désormais illégal. Enorme pas en avant pour la préservation de la biodiversité, victoire pour les associations et ONG, comme Action Network Europe (PAN Europe), Nature et Progrès, LPO (Ligue de protection des oiseaux), Agir pour l’environnement… Certaines d’entre elles refusent désormais de participer au Conseil de surveillance, qui, en France permettait d’introduire, par la petite porte, ces dérogations. Du fait du manque absolu de transparence du processus de réautorisation, il convient que ces défenseurs des abeilles, veillent à l’application de cette décision.

sur reporterre.net

 

 

 

DSK, un « homme d’affaires »

 

DSK naît en 1949, à Neuilly-sur-Seine, au sein d’une famille juive aisée. Sa mère est journaliste, son père, conseiller fiscal et membre du Grand Orient de France. En 1951, la famille part s’installer à Agadir au Maroc et, après le tremblement de terre qui touche la ville en 1960, il rejoint Monaco. DSK fait des études d’économie, enseigne à la faculté de Nancy puis à Paris X. Mais rapidement (1982) il rejoint les services du Commissariat au plan comme chef du financement.

 

Carriériste politique

 

Il s’est dit proche du parti communiste puis rejoint le PS en 1976 et se lie d’amitié avec Lionel Jospin. C’est ainsi qu’il intègre la haute administration française. Sa carrière politique commence en 1986, de façon un peu chaotique. Les militants PS de Haute-Savoie rejettent sa candidature en vue des élections législatives de 1986 mais celle-ci est imposée par la direction nationale. Elu, il devient président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. François Mitterrand le nomme ministre délégué à l’industrie et au commerce extérieur. Battu aux élections de 1993 qui voient la victoire de la droite, il crée un cabinet d’avocat DSK Consultants. En 1994, il brigue la fonction de 1er secrétaire du PS mais est battu par Henri Emmanuelli. Il est élu maire de Sarcelles en 1995. En 1997, la gauche remporte les élections législatives et revient aux affaires. DSK, élu dans le Val d’Oise, devient le ministre de l’économie et des finances de Lionel Jospin.

 

A cette  époque, il est à son apogée « médiatique ». Il est un des people les plus en vue, d’autant plus qu’en 1991, il a épousé Anne Sinclair, certainement la journaliste la plus connue à cette époque. C’est un des couples qui apparaît le plus souvent dans les magazines populaires et, par là-même, un des couples préférés des Français. Pourtant, le peuple, ils ne le fréquentent guère et sont très loin de ses préoccupations financières. Le couple est immensément riche (Anne Sinclair est la fille d’un riche marchand d’art dont le patrimoine pèse à l’époque plusieurs centaines de millions €) et vit entre un somptueux Riad à Marrakech, un hôtel particulier à Paris, etc…

 

En tant que ministre des finances, il participe à la mise en place des 35 Heures et surtout, il poursuit les privatisations des grandes entreprises : France Telecom, GAN, Thomson, Crédit lyonnais, Aérospatiale, Autoroute du Sud…

 

Une longue succession d’affaires crapuleuses

 

En 1999, il démissionne de son poste ministériel pour pouvoir se défendre dans quelques affaires où il est (déjà !) mis en cause. Son parcours dans ce monde commence par l’affaire de la MNEF. Avocat à son service, il est soupçonné d’avoir perçu 600 000 F, ne correspondant à aucune prestation. Il reconnaît une facture antidatée mais par pure négligence (!). Il est mis en examen pour « faux et usage de faux » en 1999 puis relaxé, faute de preuves, en 2001.

 

Puis, il est mis en cause dans l’affaire Mery. En tant que ministre des finances, il est accusé d’avoir octroyé une remise fiscale à Karl Lagerfeld, en échange de la remise d’une cassette contenant les aveux de Mery, financier occulte du RPR. DSK reconnaît avoir détenu cette cassette sans savoir ce qu’elle contenait, et l’avoir égarée. La section financière du Parquet de Paris requiert la saisine de la Cour de Justice de la République (CJR) pour corruption passive et concussion. En 2001, le procureur général près la Cour de Cassation ne saisit pas la CJR, par manque d’indices (!).

 

En 2001, DSK est mis en examen par Eva Joly, dans l’affaire ELF, pour « abus de biens sociaux ». Il est soupçonné d’y avoir fait travailler « fictivement » sa secrétaire, pour une rémunération de 200 000 F,  alors qu’elle était à son service. Nouveau non-lieu pour faute de preuves.

 

Sauvé par ses amis Jospin puis Sarkozy

 

En 2001, il fait son retour en politique, élu député du Val d’Oise, suite à démission de Raymonde Le Texier. En clair, le PS a demandé à celle-ci, simple assistante sociale, de laisser la place à sa majesté DSK ! En 2002, il est porte-parole du candidat Jospin et déclare : « il faut s’occuper des couches moyennes de notre pays, les couches les plus défavorisées ne votent plus et leurs irruptions se manifestent parfois dans la violence ». Réélu en 2002, toujours dans le Val d’Oise, il intègre la direction du PS en 2014. En 2006, il est candidat à la primaire du PS, soutenu par Rocard, Moscovici…mais battu par Ségolène Royal.

 

En 2007, soutenu par Sarkozy, il est nommé directeur général du FMI. Un poste dans le cadre duquel il va, selon la formule consacrée, « mettre sa personne au service du FMI et de la gouvernance mondiale ». Pour cette tâche, il sera tout de même un peu rémunéré… 500 000 dollars nets d’impôt par an. Ses premières mesures mettent bien en valeur son ADN socialiste : plan de départ de 600 cadres et salariés du FMI, opposition à la taxe Tobin, mise en œuvre de politiques de rigueur concernant la Grèce, l’Espagne et l’Irlande.

 

La relation « inappropriée » de trop

 

Très rapidement, il est mis en cause, au sein du FMI, soupçonné d’avoir fait preuve de favoritisme au profit de Piroska Nagy, responsable du département Afrique. Dans le cadre de l’enquête, celle-ci déclare : « M. Strauss-Kahn a abusé de sa fonction pour parvenir jusqu’à moi. Il m’a convoquée plusieurs fois pour en venir à me faire des propositions inappropriées… Je ne savais que faire : si j’acceptais, j’étais perdante, si je refusais, j’étais perdante… Je pense que DSK est un leader brillant… C’est également un homme agressif. Je crains que cet homme ait un problème pouvant le rendre peu apte à diriger une institution où des femmes travaillent sous ses ordres ». Il présente ses excuses au personnel du FMI, reconnaissant une erreur de jugement en ayant eu cette liaison. Jean Quatremer (journaliste) déclare en 2007 : « le problème de DSK est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias mais dont personne ne parle ».

 

Malgré toutes ces affaires, et grâce à la bienveillance de la presse grand public, souvent aux mains d’amis ou de redevables, DSK est désigné en 2009 la personnalité préférée des Français (ex-aequo avec Jacques Chirac). Sa candidature à l’élection présidentielle de 2012 devient de plus en plus probable. Il est le candidat des puissants, des décideurs et leurs médias fabriquent le candidat DSK. Rapidement, il est en tête dans les sondages. Il est présenté comme un homme travailleur, compétent, au service de l’intérêt public ( !). De plus, marié à une des journalistes, elle aussi préférée des Français ( !), il apparaît comme un président idéal (pour le peuple français) ! Les grands médias ont tout de même un peu de mal à dissimuler, à ces Français, qu’il ne vit pas tout à fait comme eux et n’a pas les mêmes préoccupations. Même si le couple possède une maison à Washington, deux appartements luxueux à Paris, un Riad à Marrakech, une collection d’œuvres d’art, les médias réussissent tout de même à mettre dans la tête d’une majorité de Français que DSK est le candidat (de gauche) idéal pour être leur président… Bravo messieurs, les éditorialistes et patrons de presse !

 

Cet édifice factice, minutieusement, méthodiquement, malhonnêtement construit va s’écrouler le 14 mai 2011

 

Patatras !

 

DSK est arrêté le 14 mai à l’aéroport de New York. Le juge du tribunal de la ville retient 7 chefs d’accusation contre lui : agression sexuelle, tentative de viol, séquestration. Il est inculpé le 19 mai et encourt une peine allant jusqu’à 74 ans de prison. Les faits se sont déroulés dans une chambre de l’hôtel Sofitel de New York, la plaignante est une femme de chambre, Nafissatou Diallo. Il quitte rapidement la prison pour être placé en résidence surveillée dans un hôtel particulier après versement d’une caution. Le 23 août, les poursuites au pénal sont abandonnées, faute de preuves tangibles. Par contre, une procédure civile est engagée par N. Diallo pour « attaque violente et sadique, comportement humiliant et dégradant, atteinte à sa dignité de femme ». DSK plaide non coupable mais accepte un accord à l’amiable : 1.5 million de dollars contre l’abandon de la plainte de N. Diallo… 1.5 million de dollars alors qu’il se prétendait innocent ? Cela peut laisser quelque peu perplexe d’autant  qu’il reconnaîtra plus tard « une relation inappropriée ». Cette affaire lui fait perdre tout espoir d’être un jour président de la République et il doit quitter la direction du FMI. Cette démission lui donne droit à une allocation à vie de 60 % de son salaire, soit environ 300 000 dollars par an. Une clause stipule que cette somme lui sera versée même s’il était condamné, voire incarcéré, pour des malversations commises dans le cadre de son travail de directeur du FMI…  « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » écrivait Jean de la Fontaine en 1678.

 

D’autres affaires vont suivre. En 2011, Tristane Banon, jeune romancière, porte plainte pour tentative de viol. Le Parquet requalifie la plainte après les déclarations de DSK d’agression sexuelle. Le délai de prescription étant dépassé, l’affaire est classée sans suite. En 2012, dans l’affaire du Carlton de Lille, DSK est renvoyé en correctionnelle pour « proxénétisme aggravé en bande organisée ». Il sera… faute de preuves… relaxé. Malgré les efforts de ses amis propriétaires de médias - il a eu droit à une interview au 20H de TF1 après l’affaire du Sofitel pour s’expliquer alors que N. Diallo, elle, n’était pas invitée…, sans doute à cause d’un regrettable oubli - la carrière politico-médiatique de DSK est terminée.

 

Aucun scrupule. Retour aux « affaires.

 

Alors, avec la même « intégrité », la même « morale », il se replonge dans le monde de la finance. En 2012, il crée la société de conseil Parnasse SARL et donne des conférences dans les milieux d’affaires. En 2013, il crée avec Thierry Leyre une banque d’affaires la Leyne Strauss Kahn (LSK). Celle-ci développe une activité de conseil aux gouvernements, lance un fonds d’investissement qui cherche à lever 1.4 milliards € auprès d’investisseurs du Moyen-Orient et des pays d’Europe de l’Est. En octobre 2014, Leyne est retrouvé mort au pied de son immeuble à Tel Aviv. La police conclut à un suicide. La LSK est déclarée en cessation de paiement et laisse un passif de 100 millions € auprès de 156 créanciers. En 2015, le Parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour recel et blanchiment d’argent et abus de confiance. DSK est soupçonné d’avoir couvert une pyramide de Ponzi (1). DSK confesse : « je dois reconnaître que j’ai fait peu de vérifications, j’ai eu une confiance sans doute exagérée en T. Leyne », « J’avais très peu connaissance des activités de la société, ma compétence c’est la macro-économie », « ce que j’avais en tête, c’est le modèle de certaines entreprises de taille mondiale qui ont un président non exécutif qui n’entre à aucun moment dans les détails de la gestion de l’entreprise, « je reconnais avoir fait preuve de légèreté et d’inconséquence »… Ben, voyons !

 

Bardé de toutes ces affaires judiciaires qui, d’appel en appel, n’aboutissent jamais à un jugement définitif, DSK continue l’aventure seul et se spécialise dans les conseils auprès des Etats africains comme le gouvernement Chahed en Tunisie, la République du Congo, le Togo, le Mali… Il entre au Conseil de surveillance de la Banque Russe de Développement en 2013, au Conseil de surveillance de la banque Crédit Dniepr du milliardaire ukrainien Vyctor Pinchouk. Cette attirance pour les « démocraties exemplaires » est très lucrative. Il aurait gagné à Parnasse international (où il est le seul actionnaire et employé) 21 millions € entre 2013 et 2018, sans payer un impôt car Parnasse est implantée dans la zone franche de Casablanca.

 

La justice française s’intéresse aux activités récentes de DSK au Maroc. Une procédure a été confiée à la police fiscale de Bercy. Elle porte sur des soupçons de « blanchiment de fraude fiscale aggravée » car, après avoir bénéficié de 5 ans d’exonération fiscale au Maroc, DSK a créé une nouvelle société basée aux Emirats Arabes Unis, immatriculée dans le plus petit des Emirati (Ras Al Khaimah) réputé pour son secret fiscal particulièrement épais et pour sa fiscalité inexistante. Les enquêteurs se demandent si les prestations de conseil de DSK n’auraient pas dû être déclarées en France et s’interrogent sur la réalité de sa résidence fiscale marocaine et dans les Emirats. Citées dans les Pandora Papers, les activités de DSK sentent l’évasion fiscale et la fraude à plein nez mais de là à le prouver…

 

Bon courage aux enquêteurs qui trouveront sur leur route nombre d’amis et d’obligés haut placés de DSK. Jean de la Fontaine ne pouvait imaginer que son adage vieux de 400 ans trouverait encore une telle actualité dans ce monde où les puissants osent tout, même en matière de « morale ». Heureusement, il y a toujours des gens qui se révoltent, s’insurgent, protestent… Ceux-là ne sont guère enseignés à l’école !  

 

Jean-Louis Lamboley

 

 

(1)   montage financier frauduleux consistant à rémunérer les premiers « clients » par les fonds procurés par les mises des nouveaux arrivants jusqu’à ce que le système s’effondre faut de nouveaux investisseurs