Immigration.
Mayotte, territoire d’exception
Que
se passe-t-il sur ce caillou de la France dans l’océan indien, pour que le
ministre de l’intérieur et de l’Outre-mer se rende à Mayotte pour la 2ème
fois en 6 mois ? Des violences entre « bandes rivales » nous
dit-on et une immigration qui ne tarit pas et déplaît à la bourgeoisie
mahoraise et aux élus de ce 101ème département français. A la veille
de présenter son projet de loi sur l’immigration, Darmanin veut rassurer et annoncer
la mise en œuvre de mesures pour empêcher l’accostage des kwassa-kwassa sur
l’île, transportant principalement des migrants comoriens et des pays de
l’Afrique de l’Est au risque de périr en mer. Darmanin s’accommode sans doute
de la « blague » indigne et méprisante de Macron, en 2017 : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » ! Pourquoi
viennent-ils dans ce département, oublié et pauvre ? Lors de ses visites,
Darmanin a-t-il annoncé des mesures sociales et économiques amoindrissant les inégalités
de traitement entre l’ile et la métropole ? Prévoit-il de nouvelles
« dérogations » et autres entorses au droit d’asile pour durcir encore
les expulsions des exilés, renforcer les contrôles des migrants, dans ce petit
territoire de 375 km2, d’environ 300 000 habitants, dans lequel le vote RN
atteint plus de 59 % aux dernières élections présidentielles ?
1 – Mayotte et France : on n’est
pas dans la République des égaux
Mayotte
se classe à la dernière place des départements français dans nombre de
domaines. En 2018, elle détient le PIB par habitant le plus faible, avec
9 241€ contre 22 359 à la Réunion et 38 900 en
Seine-Saint-Denis. La moitié des Mahorais a un niveau de revenu inférieur à
3 140€/an et 77 % des habitants
vivent sous le seuil de pauvreté. Le
taux de chômage est de 43 % (2022). Dans l’île, les écarts se
creusent entre une minorité (élites mahoraises et expatriés) qui a accès aux
emplois publics et à des salaires revalorisés au titre de prime de vie chère (versée
dans les départements d’outre-mer) et une majorité paupérisée qui ne peut
accéder à la « société de consommation » introduite par la France.
Les
Mahorais subissent des inégalités
instituées, face à la métropole : en 2021, le RSA est de 282€ pour une personne seule contre 565€ en France
métropolitaine. Le Smic horaire brut
(août 2022) était de 8.35€/ à Mayotte contre 10.85€ en France.
Sur
le plan sanitaire, la situation est catastrophique : le nombre de médecins
est encore plus insuffisant sur l’île qu’en métropole. Le seul hôpital et les
dispensaires sont saturés alors que Mayotte affiche des records de naissance. Il
en va de même pour les écoles : il manque 800 salles de classes, contraignant
les enfants à aller à l’école à mi-temps. Le secondaire est également surchargé
et les taux d’échec scolaire ne cessent d’augmenter. En 2018, 73% des Mahorais
âgés de 15 ans ou plus sont sortis du système scolaire sans diplôme qualifiant
(28 % dans l’Hexagone) alors qu’une
personne sur deux a moins de 18 ans
En
matière de logement, la situation est alarmante au vu des bidonvilles qui ne
cessent de croître : sur 63 100 résidences principales, 4 sur 10 sont en tôle et 3 sur 10 sont sans accès à l’eau courante.
Ces
quelques chiffres suffisent pour comprendre le surgissement de violences,
renforcées par la désignation de boucs émissaires que sont les étrangers,
migrants, venus des Comores et des pays d’Afrique de l’Est. En 2017, 1 personne sur 2 est étrangère. Selon
une majorité de la bourgeoisie mahoraise, la « belle » vie à Mayotte
servirait « d’appel d’air » à ceux qui habitent un des pays les plus
pauvres au monde, les Comores. En conséquence, l’Etat français refuse d’aligner
les minima sociaux sur ceux versés en métropole, refuse de mener une politique
sociale digne de ce nom.
Eh
oui ! Il est possible, en France, de se déclarer, au plus haut sommet de
l’Etat, défenseur de la République et d’enfreindre le principe constitutionnel
d’égalité ! Cette réalité n’est pas nouvelle, elle existe depuis la
départementalisation de Mayotte. Mais Macron/Darmanin n’ont aucunement
l’intention de revenir sur leur politique discriminatoire, d’autant moins celle
concernant les étrangers « illégaux ».
2 – A Mayotte, des entorses au droit
d’asile
L’extrême
pauvreté des Comoriens et l’espoir de donner à leurs enfants, nés à Mayotte, la
possibilité d’être français à l’âge adulte, en application du droit du sol,
sont les motivations principales de celles et ceux qui, soit meurent en mer en
tentant la traversée dangereuse, soit s’entassent dans les misérables
bidonvilles, sans être autorisés à travailler. Pour l’Etat français, la
politique en matière d’immigration, est celle du découragement des
« candidats » à l’exil en les maintenant sans papiers et sans droits,
pour finir par l’expulsion. Darmanin, lors de « son Nouvel An mahorais »,
n’a pas dit autre chose que sa volonté de durcir
une nouvelle fois le droit du sol
dans ce département. En août 2022, le ministre avait déjà affirmé sa
détermination à s’attaquer aux flux migratoires en amont de l’arrivée des
kwassa-kwassa (petits canots de pêche) sur les rives mahoraises et a annoncé la
création d’un GIR (groupe interministériel de recherches), destiné à enquêter
sur les filières clandestines ; il a promis des enquêteurs de police
judiciaire spécialisés, directement sous l’autorité des magistrats, « ce qui fera gagner du temps plutôt que de
faire venir des experts de métropole ou d’envoyer les dossiers à Paris ».
Il a rassuré les députés mahorais Kamardine (LR) et Youssoufa (divers
centre/droite) de son attachement à restreindre les conditions d’accès à la
nationalité. En 2018 déjà, la loi
« asile et immigration » avait modifié
le droit du sol, faisant en sorte que la nationalité des nouveau-nés à
Mayotte ne soit pas automatique à l’âge adulte, mais soit conditionnée à la
présence régulière et ininterrompue sur l’île d’au moins un des deux parents
pendant 3 mois. Aujourd’hui, Darmanin souhaite allonger ce délai à un an.
Les
pratiques scélérates de l’Etat à Mayotte autorisent ses services à multiplier
les expulsions : plus de 20 000 par an, soit près de 10 % de la population
étrangère présente à Mayotte. Le Centre de Rétention Administrative de Mayotte
compte autant de personnes retenues (26 900 en 2019) que ceux de toute la
France métropolitaine. L’Etat déroge au
droit national des étrangers : pas
de droit à l’AME (aide médicale de l’Etat), des expulsions réalisées le
jour même où est notifiée l’OQTF, sans
laisser le temps aux recours, des expulsions de mineurs dont on modifie la date
de naissance, des expulsions de parents laissant à Mayotte de nombreux mineurs
isolés n’ayant d’autre choix que de mendier ou rejoindre des bandes pour
survivre : l’Etat français et les politiciens mahorais n’engagent aucune
politique d’aide sociale à l’enfance qui est pourtant une obligation légale. Très
rarement logés pendant l’instruction de leur dossier, les demandeurs d’asile
doivent se débrouiller et survivre avec 1€/jour, l’ADA (allocation pour demandeur
d’asile) de 6.80€/jour ne s’applique pas à Mayotte. Déroger à l’égalité constitutionnelle est une pratique à Mayotte,
sans que cela ne scandalise au-delà des associations défenseurs des droits de
l’Homme qui subissent régulièrement des menaces proférées par des collectifs d’habitants.
Les
élites et notables locaux soufflent sur les braises de la xénophobie : les politiques publiques seraient « trop généreuses » agissant
« comme des aimants attirant l’immigration
clandestine ». Cela alimente les mouvements d’extrême droite qui
proposent de supprimer totalement le droit du sol à Mayotte, pour éviter les
11 000 naissances supplémentaires chaque année. Un Collectif de défense
des intérêts de Mayotte (Codim) mène des opérations de
« décasage » : des « clandestins », ou considérés comme
tels, sont chassés de leur habitation ou livrés aux forces de police, des
enfants sont empêchés de se rendre dans leur classe par des milices.
C’est
cela que Darmanin est venu encourager, promettant encore « mieux »,
pour contrer la montée de l’extrême droite… alors que celle-ci est déjà due au
sous-développement de Mayotte, aux conditions socio-économiques dégradées, aux
services publics dépassés par la demande démographique, tout cela faisant
monter en flèche l’insécurité. La faute à qui ? A l’histoire de l’île et à
la détermination de la France de ne conserver ce caillou dans son giron que
pour des raisons géostratégiques, sans tenir compte des humains qui habitent
cette île.
Mayotte
ne doit pas devenir le laboratoire expérimental de la politique d’immigration
en France. Il y a de quoi s’inquiéter. Le 25 novembre 2022, le Conseil
constitutionnel a validé un régime
dérogatoire à Mayotte concernant les contrôles d’identité, permettant à la police
d’y procéder de manière généralisée et discrétionnaire, sans limite dans le
temps. Il lui donne pleins pouvoirs pour des pratiques illégales comme les
contrôles au domicile des personnes, alors que cela porte atteinte au principe
d’inviolabilité de domicile, au droit à la vie privée et à la liberté individuelle,
à la liberté de circulation, au droit à la protection. Alors ? A la
poubelle la Constitution assurant l’égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d’origine, de race ou de religion ? Les associations de
défense des migrants regroupées dans le Collectif MOM (Migrants d’Outre-Mer) ont alerté sur les
modalités de mise en œuvre des contrôles d’identité sur des personnes mineures,
déclarées arbitrairement majeures sans respect de la présomption de minorité et
placées en centre de rétention, sans représentant légal, en vue de leur
expulsion. Toutes ces mesures dérogatoires font de Mayotte un véritable territoire
d’exception, contrevenant au principe de non-discrimination. L’accent mis
sur la lutte contre l’immigration irrégulière détourne les regards de l’urgence
qu’il y a à garantir aux Mahorais des droits équivalents au reste du
territoire.
Les
élus demandent les moyens pour maîtriser totalement les frontières, pour
reconduire tous ceux qui sont interpelés à Mayotte afin de protéger la
population mahoraise et uniquement celle-là ! Certes, la situation sociale
et économique est très dégradée mais la solution relève de la politique globale
de l’Etat, non de la chasse aux
migrants, ces Comoriens notamment qui ont une longue histoire commune avec les
Mahorais.
2 – Mayotte : un conflit
territorial au mépris du droit international
Mayotte,
jusqu’en 1974, est incluse dans l’archipel des Comores, avec trois autres îles :
Anjouan, Mohéli et Grande Comore. Elles constituent un seul et même territoire d’outre-mer, en tant que colonies françaises de 1946 à 1974. Les
populations des différentes îles ont des liens familiaux anciens et les mariages,
échanges culturels et commerciaux sont réguliers et multiples dans l’archipel.
A
l’origine peuplées de Bantous agriculteurs et pêcheurs venus d’Afrique ainsi
que de commerçants malgaches et austronésiens originaires de l’archipel
indonésien, ces îles sont conquises, au 13ème siècle, par des
familles provenant de Perse qui s’y implantent, imposant leur culture et
réduisant les populations à l’esclavage. Le sultan Tsouri, en bisbille avec un
rival, cède Mayotte à un capitaine de vaisseau français en 1841 ; elle
devient une colonie française en 1843, sous protectorat, élargi aux trois autres îles en 1886. L’archipel des Comores est une colonie française en 1912. Des
désaccords récurrents dans la relation entre les Comoriens et les Mahorais, à
partir de 1958, aboutissent à la demande de départementalisation de Mayotte.
Appelés
à se prononcer par référendum en 1974, les
Comoriens choisissent, en majorité, l’indépendance : Grande Comore,
Mohéli et Anjouan ; à Mayotte, le vote pour l’indépendance est
minoritaire : elle décide de rester française. C’est le début d’un
différend, jamais tranché : l’assemblée des Comores proclame en 1975
l’indépendance des îles de l’archipel, y compris Mayotte. La France craignant
de perdre un territoire géostratégique dans l’océan indien, prend acte de l’indépendance
des îles, excepté Mayotte, au mépris
total du droit international qui impose l’intangibilité des frontières et contraint à considérer le vote dans son
ensemble. La France ignorera les 18
résolutions de l’ONU affirmant la souveraineté comorienne sur Mayotte et
appellera les Mahorais à une seconde consultation : ils choisiront la
France à plus de 99 % ; il n’était pas compliqué de convaincre environ
16 000 électeurs d’autant que les opposants
étaient expulsés. Au fil du temps,
les condamnations onusiennes deviendront des invitations et l’Union des Comores
n’inscrira même plus la question à l’ONU. Néanmoins, le conflit territorial
demeure, le président de l’Union des Comores, Assoumani Azali, l’a rappelé à l’assemblée générale de l’ONU le 22
septembre dernier.
Face
aux migrations importantes des Comoriens à Mayotte, le gouvernement Balladur
crée en 1995 un visa qui s’impose à
tous les Mahorais rendant visite à leurs familles. Ils choisissent, alors, les
allers sans retours, devenant des « clandestins » utilisant les
kwassa-kwassa au péril de leur vie.
Entre
1975 et 2001, l’instabilité politique s’est installée dans l’Etat comorien. Il
est, par ailleurs, confronté à des catastrophes climatiques et sanitaires et se
retrouve classé parmi les 47 Etats au développement le plus faible au monde. Cet
état de pauvreté croissante aux Comores est l’une des causes de l’émigration
accentuée vers Mayotte, considérée comme un eldorado aux yeux des Comoriens (alors
que 77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté et que les Inégalités
sociales croissent).
En 2011, Mayotte devient le 101ème département français.
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Tout
au long de ce processus, l’intérêt principal de la France réside en la présence
française dans l’océan indien. Mayotte se situe sur une route stratégique
indispensable au commerce mondial, passant par le canal du Mozambique. Elle abrite
un régiment de la légion étrangère
et peut accueillir navires et avions de guerre si besoin. Un centre d’écoute lui permet de
surveiller l’ensemble de l’océan indien. Par ailleurs, la région recèle de
nombreuses ressources halieutiques et énergétiques (gaz notamment). Avec les
îles Eparses (inhabitées), situées entre Madagascar et l’Afrique, la France est
présente au cœur du canal du Mozambique, la deuxième plus grande zone de
transit économique au monde. Elle n’est
donc pas prête à rétrocéder ce territoire, même s’il devient un caillou dans sa
chaussure, du fait des tensions sociales qui s’accentuent.
Tout
cela a de bien nauséabonds relents néocoloniaux au mépris des populations qui
vivent dans ces territoires.
Odile
Mangeot, le 17 janvier 2023
Encart
La
France compte 101 départements, 94 sur le continent, 2 en Corse et 5 issus
situés en Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, la Réunion et Mayotte).
Elle
compte également 6 territoires d’Outre-mer à statuts spécifiques :
Polynésie française, Saint Barthélémy, Saint Martin, Saint Pierre et Miquelon,
Wallis et Futuna, Nouvelle Calédonie