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vendredi 26 février 2021

 

Forçage génétique, l’affaire de tous

 

Le congrès mondial de la nature, organisé par le plus grand organisme international l'Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN), est prévu à Marseille du 2 au 11 septembre 2021. Très influentes au sein des COP biodiversité, ses recommandations sont à l'origine de l'adoption de traités internationaux importants comme la Convention sur la Diversité Biologique ou la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction.

A l'approche du congrès, plusieurs centaines d'associations à travers le monde, dont 78 européennes, dans une lettre ouverte à la commission européenne, et 16 françaises au 1er ministre Jean Castex, demandent un moratoire, voire l'interdiction d'une pratique portée à l'ordre du jour : le forçage génétique. 

 

La folie OGM

 

Éradiquer les moustiques vecteurs du paludisme, les espèces considérées comme nuisibles, guérir ou ne pas contracter certains handicaps, maladies (à l'image de ces 2 jumelles humaines génétiquement modifiées contre le VIH, nées en Chine en 2018) (1) ou encore tailler des espèces sauvages sur mesure... La liste est longue tant le champ d'application de cette   technique est étendu. Classée au rang des armes potentielles de destruction massive par la NASA, son utilisation est très controversée car elle représente un danger incommensurable dans tous les domaines. 

 

Découvert en 2012, le forçage génétique CRISPRcas9 est une nouvelle manière d'utiliser la transgenèse en l'accompagnant d'un contournement des lois de l'hérédité chez les espèces sexuées. Ce ciseau moléculaire est capable de couper une séquence ADN ciblée et d'en insérer une autre avec précision, et ce, pour un coût dérisoire. La séquence ADN présente la particularité de s'autorépliquer dans l'intégralité du génome, ce qui assure sa transmission à toutes les générations suivantes. Introduire un gène à une espèce entière en " forçant " sa transmission aux générations suivantes, le vivant ne le fait pas. Les lois de l'hérédité biologique des espèces sexuées imposent que seulement 50% des gènes proviennent du mâle et 50% de la femelle, ce qui laisse une chance sur deux pour que la descendance directe hérite d'un gène particulier, et plus les générations se succèdent, plus la probabilité est faible, mais toujours possible dans la mesure où il apporterait un avantage à l’espèce. 

 

Si son utilisation en biomédecine suscite autant d'espoir que de danger et pose de sérieuses questions d'ordre éthique (notamment un relent d'eugénisme), le forçage génétique trouvera sa véritable utilisation dans l'agriculture. Des centaines de brevets déposés en attestent, avec, à terme, le risque qu’aucune espèce liée de près ou de loin à l'agriculture ne soit épargnée. On y trouve l'intention de modifier génétiquement des plantes, taxées d'être de mauvaises herbes, pour réduire leurs capacités de résistance au Roundup et autre herbicide ; des sauterelles forcées génétiquement pour empêcher l'essaimage ; le bétail pour augmenter sa masse musculaire ; éradiquer les pucerons vecteurs de la maladie du verdissement aux agrumes ; éradiquer les rats, les souris et les dendroctones de la farine infestant les silos à grains ; modifier les abeilles pour les rendre résistantes au Roundup ou encore leur insérer un gène optogénétique, gène « faussaire » prévu pour duper les sens de l'abeille au contact d'un faisceau lumineux artificiel, lui donnant l'illusion de capter certaines odeurs et l'orienter sur les cultures que nous souhaitons voir polliniser. 

 

Si ces « produits » technologiques ne sont pas encore au point et nécessitent quelques recherches supplémentaires, d'autres en revanche le sont et n'attendent que l'autorisation de mise sur le marché pour être commercialisées. C'est le cas par exemple de la mouche à vinaigre, un « nuisible » qui affecte la productivité des plantations de pêchers, de cerisiers et de pruniers dans les zones d'agriculture industrielle en Asie de l'Est, en Amérique du Nord et en Europe. Le but étant d'éliminer la population actuelle de mouches ou éventuellement la remplacer par un variant génétiquement modifié. 

 

A la manœuvre, et financés par le California Cherry Board (groupe de producteurs de fruits), des scientifiques de l’Université de Californie à San Diego, dirigés par Anna Buchman et Omar Akbari y voient une nouvelle méthode de manipulation des populations de ces ravageurs envahissants. Pour ce faire, est utilisée la technologie MEDEA (arrêt maternel à effet embryonnaire dominant), une autre technique de forçage génétique. Akbari a déposé un brevet américain couvrant l’utilisation de MEDEA, non seulement pour cette mouche, mais également pour d’autres espèces de mouches des fruits : la mouche caribéenne, la mouche de l’olive, la mouche antillaise des fruits ainsi que le moustique de la fièvre jaune et le moustique Anopheles gambiae, un des principaux vecteurs du paludisme en Afrique subsaharienne.  

 

Plus récemment, un pas en avant vers la conception d’un forçage génétique a été franchi chez un autre genre de mouche des fruits, la mouche méditerranéenne qui s’est répandue de manière envahissante dans de nombreuses régions du monde. Les essais en laboratoire sur la mouche méditerranéenne prouvent l’adaptation réussie de la perturbation génique basée sur CRISPRCas9, plus rapide, plus efficace et moins onéreux. En théorie, si 10 individus génétiquement modifiés sont introduits dans une population naturelle de 100 000 individus, alors en moyenne 99% des individus sont porteurs de la séquence ADN introduite en seulement 12 à 15 générations. Subsistent encore quelques paramètres à peaufiner pour parachever cette technique et parvenir à un modèle qui, théoriquement, prétendrait à un résultat de 100%. Il a été observé que les espèces sont capables de développer une résistance au forçage génétique, mais les scientifiques travaillent d'arrache-pied pour y remédier.  

 

Outre le fait de décider quelles espèces doivent vivre, voire dans certain cas, pourquoi ou plus précisément pour qui elles doivent vivre, les effets en chaînes que produirait une libération volontaire ou accidentelle de ces OGM nouvelle génération seraient aussi multiples qu'incalculables. Il est impossible de prédire la façon dont la séquence ADN introduite évoluera, il est possible qu'elle intègre un gène non désiré, qui bénéficierait donc de cette technologie et pourrait produire l'effet inverse de celui escompté, voire pire ! Il est également possible que la séquence introduite soit transmise à d'autres espèces non ciblées.  Contrairement aux idées reçues, les hybridations entre espèces ne sont pas cantonnées aux végétaux, si elles y sont plus fréquentes, le règne animal en a toujours usé. Un autre point non moins préoccupant est le bouleversement que causerait l'extinction d'une espèce, la complexité des écosystèmes et la multiplicité des connexions dans l’écosphère sont telles qu’il est impossible d’en mesurer tous les risques. Les scientifiques qui développent ces technologies sont des spécialistes de biologie moléculaire et n'ont pas pour objet d'étudier la dynamique des écosystèmes. De plus, la seule perspective abordée par ses promoteurs est l’augmentation des rendements agricoles et les profits escomptés, bien loin des préoccupations écologiques essentielles qu’elles suscitent.  

 

Lobbying, communication et réseaux d’influence

 

Face aux vives contestations et à la forte opposition de par le monde que rencontrent le génie génétique et toute sa gamme d’OGM dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, ses promoteurs, soucieux d’un rejet des populations à l’encontre de ces nouvelles techniques, ont consciencieusement élaboré une stratégie « d’acceptation ». Tout est question de timing ! La communication doit être restreinte à ses applications susceptibles de bénéficier du soutien public, qu’elles soient médicales, de conservation des espèces ou de lutte contre les maladies vectorielles, de type paludisme, dengue, zika… L’objectif est de façonner la perception que le public se fera de ces technologies ; une fois approuvées, leur utilisation agricole s’imposera comme évidente.

 

C’est dans cette logique que sont mis en avant des acteurs tels que la fondation Bill et Melinda Gates dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Target Malaria, un consortium de recherche sur le forçage génétique  dirigé  par  l'Imperial  College  de  Londres, reçoit  son  financement  de  base  de  92 millions de dollars de la fondation Gates et du projet Open Philanthropy (créé par le cofondateur de Facebook, Dustin Moskovitz). Le projet Target  Malaria  vise à décimer les moustiques porteurs du paludisme par forçage génétique CRIPR CAS9. Un lâcher de moustiques OGM, mais pas par forçage génétique, a déjà été effectué au Burkina. La fondation Gates, bien déterminée à obtenir l’autorisation  de développer cette technologie, a su se construire un réseau d'influence important. Emerging  Ag  Inc.,  une  société clé de lobbying industriel agricole, a reçu 1,6 million de dollars de la Fondation Gates. Son rôle : appliquer une communication active et pratiquer un lobbying intense visant à promouvoir le forçage génétique et influencer les réunions à l’ONU ; elle est aussi à l’origine d'un réseau de sensibilisation sur le forçage génétique et administre la World Farmers Organization, plate-forme bien connue des géants de l’agro-industrie. Malgré le nom et le rôle de son hôte, le site web et les fiches d’information du réseau de sensibilisation omettent totalement de mentionner les utilisations agricoles proposées du forçage génétique, en se concentrant uniquement sur ses utilisations de « santé mondiale » et « conservation ». On promet au public la sauvegarde d’oiseaux rares en diminuant les populations de rongeurs qui se nourrissent de leurs œufs !  

 

En 2017, Open Philanthropy a attribué au programme de développement économique de l'Union africaine (UA) 2 350 000 dollars, pour « soutenir l'évaluation, la préparation et le déploiement potentiel des technologies de forçage génétique dans certaines régions africaines ». En juillet 2018, l'UA a publié son rapport soutenant le développement de la technologie du forçage génétique  ainsi  qu’une  « législation  habilitante » pour son déploiement dans ses États membres. 

 

Dans un rapport paru en 2019, ETC Groupe (2) révèle de graves partis pris et conflits d'intérêts chez les membres du groupe d'experts réuni par la très influente UICN, organisatrice du congrès international à Marseille. Plusieurs membres du groupe seraient employés par ou associés à Revive and Restore (un groupe de conservation de biologie synthétique) ou encore à deux projets de forçage génétique s'élevant à plusieurs millions de dollars. Le projet Target Malaria et le projet GBIRd (contrôle biologique génétique des rongeurs invasifs) un  consortium  de  cinq organisations partenaires dont deux agences gouvernementales aux États-Unis et en Australie, a pour mission de prévenir la disparition d’espèces insulaires en éliminant les espèces envahissantes. Les conclusions d’une étude menée par l'UICN suggère d’utiliser le forçage génétique à des fins de conservation des espèces menacées.  

Jim Thomas, co-directeur d’ETC, s’alarme : « avec 40% des espèces d'insectes en déclin, il est incompréhensible que l'un des plus grands et des plus anciens organismes de conservation au monde ouvre la porte au soutien actif apporté à une technologie d'extinction aussi délibérée ». 

 

En Europe, l’autorité mandatée par la commission européenne, afin de préparer un cadre réglementaire, est l’autorité européenne de sécurité des aliments EFSA (cf encart). Elle doit évaluer les risques liés à cette technologie et déterminer si les protocoles existants pour OGM première génération pourraient être appliqués à ce nouveau type d’OGM. Dans le cadre de ces travaux, l’Agence a mené au printemps dernier une consultation publique, à laquelle POLLINIS a participé. 

 

Dans son avis scientifique publié le 12 novembre 2020, l’EFSA a finalement conclu que les lignes directrices existantes étaient insuffisantes pour l’évaluation des risques environnementaux et la surveillance environnementale post-commercialisation de ces nouveaux organismes mais s’est bien gardée de se prononcer plus explicitement  sur les limites scientifiques de l’évaluation actuelle de ces risques spécifiques. Les effets réels qu’ils pourraient engendrer demeurent largement inconnus et ne sont pas traités dans l’avis scientifique. L’Agence, tout en reconnaissant les incertitudes et l’imprévisibilité des effets indésirables, propose d’utiliser des outils de modélisation mathématique pour tenter de combler les lacunes de l’évaluation.

 

Pour POLLINIS, il y existe trop de risques inconnus, des conséquences imprévisibles incontrôlables et irréversibles, ces effets négatifs possibles affecteront les espèces, les populations, les écosystèmes et les services écosystémiques. Comme suggéré par l’association, l’EFSA a par ailleurs supprimé dans son avis final sa référence à la possibilité d’utiliser cette nouvelle technologie pour la conservation de la biodiversité ou l’amélioration des systèmes de production agricole. POLLINIS considère qu’en l’absence de connaissance suffisante de cadre juridique adéquat et de débat transdisciplinaire et citoyen sur les risques posés, le gouvernement français doit prendre position sur ce dossier en interdisant la dissémination dans la nature de tout organisme issu de cette technique, y compris les essais en plein champ.

 

                     Une « science » néolibérale

 

Ces technologies sont une boîte de Pandore, l’ouvrir, c’est franchir le point de non-retour.

 

En solution au caractère aussi imprévisible qu’irréversible que subira l’évolution de la modification génétique et l’individu modifié, les chercheurs ont pensé à tout, des séquences garde-fous sont proposées. La solution est simple, trop simple ! Il suffirait, dans le cas où la séquence ADN insérée évolue négativement et produit des effets indésirables, d’en insérer une nouvelle qui annulerait la première. Cependant tous les garde-fous proposés laissent des traces de la séquence chez les individus et il n’est pas irrationnel, après l’échec de la première, d’avoir des doutes sur la fiabilité du bon fonctionnement de la deuxième. De plus, si un ADN étranger est déjà inséré dans la séquence introduite et confère un avantage aux porteurs, alors c’est trop tard, le garde-fou ne pourra pas contrer le processus car il ne sera pas aussi avantageux aux porteurs que la séquence que l’on aimerait supprimer. Une autre solution a un autre problème : la pollution génétique des OGM première génération. Un brevet de forçage génétique a été déposé en vue d’éliminer la pollution génétique induite par la pollinisation de plantes OGM, première génération aux plantes non OGM, et l’hybridation qu’elle provoque. Bref, toujours la même croyance, que le problème peut être réglé par le problème lui-même. Penser que la technologie va résoudre tous les problèmes qu’elle a elle-même créés (réchauffement climatique, appauvrissement des terres agricoles, extinction en masse des espèces...) sans changer notre rapport au monde relève d’une véritable technolâtrie.  

 

Sans compter que les sciences de la génétique n’en sont qu’à leur balbutiement, sa complexité est bien plus importante que ce que nous pensions. La découverte de l’épigénétique en est un indicateur, il a complètement changé la perception que l’on se faisait du fonctionnement d’un organisme et démontre qu’il ne suffit pas d’en isoler une composante (le gène) et la modifier pour contrôler l’intégralité de l’organisme.

 

Le problème est que cette boîte de Pandore, Cupidité, même avertie des maux qu’elle contient - ces monstres - pourrait bien être tentée de l’ouvrir uniquement pour libérer l’espérance, l’espérance d’un nouveau souffle du capitalisme, des nouveaux marchés qu’elle lui promet, d’une marchandise inépuisable : la vie elle-même.

          

Le forçage génétique a une spécificité comme technique, qui le rend directement congruent avec l’extractivisme : il est peu cher, discret, intraçable, extraordinairement efficient à court terme et particulièrement imprédictible à long terme. Si intrinsèquement cette technique remplit bien des critères prescrits par le néolibéralisme, c’est encore bien plus dans l’usage qui lui est destiné que l’on en détecte la logique. Ce qui se dessine c’est l’ingénierie, le contrôle du monde sauvage à la mode néolibérale. Tout d’abord, il s’agit de réifier un nombre incalculable d’espèces en agents économiques, puis manager le tout, le rationaliser, organiser les espèces sauvages de telle sorte qu’il ne leur sera plus permis de vivre pour elles-mêmes ; elles devront désormais vivre pour servir le genre humain (c’est-à-dire la plupart du temps au profit d’un groupe d’humains particulier) et alimenter les marchés financiers, ou disparaître si elles sont jugées nuisibles (à noter qu’un nuisible en soi n’existe pas, aucune espèce n’existe dans le but de nuire). La question est : nuisible pour qui ? Ce qui est certain c’est que cette technique renforcera considérablement la toute-puissance des entreprises en leur confiant rien de moins que la responsabilité de l’évolution des espèces.  

 

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Le 21ème siècle et son lot high-tech nous obligent à nous questionner sur l’orientation de la recherche scientifique et à nous interroger sur qui produit des connaissances, dans quel but, et qui en profite ? Aujourd’hui elle métamorphose le modèle agricole en élargissant son champ d’action qui ne se contente plus désormais d’intervenir sur les semences ou l’élevage mais est basée sur la gestion des nuisibles, en premier lieu, et l’exploitation des espèces sauvages, en second. Un colonialisme in vitro des individus, une domestication massive des espèces sauvages sans même avoir à entretenir de relation avec elles. Sans oublier l’aspect transfrontalier que cela suppose : un lâcher dans une région isolée du monde aurait inévitablement des conséquences dans le monde entier, il est impossible de garantir que la diffusion d’organismes forcés génétiquement ne contamine pas d’autres espèces non ciblées et ne se propage pas dans d’autres pays contre leur volonté. Il est inacceptable que de telles décisions se prennent dans les instances gouvernementales, sans l’approbation éclairée et massive des populations du monde entier, de surcroît dans un contexte de corruption généralisée. 

 

MR

 

 

L’EFSA, elle aussi, sujette à polémique en 2012

Sa présidente du conseil d’administration de l’époque, Diana Banati, « oubliait » de mentionner son siège au conseil de direction de la branche européenne d’une organisation états-unienne pro OGM, financée en grande partie par Coca-Cola, Nestlé, CropLife International et regroupant des industriels du secteur de l’agro-industrie tels que BASF, DuPont, Monsanto ou encore Syngenta. Elle fut contrainte à la démission pour conflits d’intérêts.

 

Sources :  https://www.etcgroup.org/fr/content/forcer-lagriculture et autres sites spécialisés