Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 mars 2020


Les   Amis   de   l’Emancipation   Sociale

Appel
aux Amis de l’Emancipation sociale, aux abonnés de Pour l’Emancipation Sociale
à toutes celles et ceux qui, informé.e.s, suivent, participent à nos activités
à toutes et tous les autres qui partagent peu ou prou nos convictions

Nous sommes confinés, ou pour d’autres, obligés d’aller travailler dans des conditions dramatiques. Nous traversons une épreuve difficile et nous souhaitons que, toutes et tous, nous puissions en sortir au mieux et au plus vite.

Nous devons saisir ce moment, comme temps d’échanges par écrit, par téléphone, pour lire, écrire afin de nous préparer aux combats à venir. Cette effervescence intellectuelle, cette prise de conscience de ce qui va nous conduire à une récession, à une crise économique, nous en avons besoin pour affronter les régressions sociales que le pouvoir va tenter de nous imposer suite à la pandémie… Toute léthargie est préjudiciable. Les seuls sacrifices auxquels nous voudrons bien consentir, sont ceux des nantis, des élites zélotes du système.

Dans l’attente de ces moments que l’on espère décisifs, PES continuera à paraître par courrier électronique. Nous ferons parvenir à tous nos abonnés (postaux et courriels), l’édition électronique, puis, en différé, l’édition papier aux abonnés postaux. N’hésitez plus à faire circuler les textes contenus dans PES, à nous faire part de vos réactions, de nos questionnements, de nous faire parvenir vos soutiens financiers et réabonnements pour décupler nos moyens, à adhérer ou ré-adhérer aux AES.

Il faut faire monter en puissance la volonté irrépressible du changement radical pour préparer le « jour d’après » :

-         Celui des mobilisations massives nécessaires pour fissurer le bloc au pouvoir, nous donnant les moyens d’organiser, par en bas, la démocratie sociale, seule médiation possible pour définir les besoins réels à satisfaire pour le plus grand nombre
-         Au cours de cette étape à venir, devra primer tout un « travail » d’organisation, de coordination, de rencontres et de débats, à même de faire surgir propositions, initiatives et une stratégie commune partagée. C’est tout un sens de l’organisation démocratique composée de responsables élus, révocables, qu’il faudra faire éclore.

Il faudra se convaincre et convaincre d’autres que les discussions stériles paralysant l’action, sur les réformes du parlementaro-capitalisme ou l’Union Européenne déliquescente, sont désormais obsolètes surtout face à la puissance médiatique et la répression qui tentera d’étouffer les aspirations à la transformation sociale et écologique qu’il faut viser.

Le mouvement de lutte qui surgira aura besoin, issus de ses rangs, d’activistes, d’organisateurs, d’orateurs, d’écrivains, d’autodidactes, d’intellectuels à l’esprit critique sans concessions.

Dès que le confinement aura pris fin, il appartiendra à chacun d’entre nous de s’auto-organiser, de se réunir régulièrement pour agir, tout en étant à l’écoute de l’embrasement social que nous souhaitons.

Aucune illusion face à la crise économique qui vient et aux pseudo-solutions sacrificielles que la caste régnante tentera d’imposer. A l’image des printemps arabes, c’est : « qu’ils dégagent tous !» pour faire advenir, en suscitant une crise politique durable, une organisation sociale nouvelle succédant à l’Etat capitaliste qu’il faudra briser. Dans cette conjoncture probable, la lutte de chapelles, des egos, serait mortifère ; elle faciliterait la reprise en mains du mouvement par les forces dominantes.

A l’individualisme, il faudra substituer par l’action, la réflexion dans la lutte, l’éclosion de militants aguerris, unis, contrôlés par la base. L’émancipation est à la fois  individuelle et collective inscrite dans un processus démocratique dont les classes ouvrières et populaires doivent s’emparer. C’est d’une République sociale, égalitaire, écologique dont nous avons besoin. De multiples obstacles vont se dresser. Il nous faudra les surmonter. Seule l’intelligence collective partagée peut y parvenir, tout en rejetant les fausses solutions que nombre de charlatans tenteront de faire prévaloir.

Malgré nos forces limitées, les AES entendent contribuer en ce sens, comme nombre d’individus, d’organisations, d’associations. C’est le moment d’y réfléchir pour, demain, agir en ce sens.

Gérard, Marc, Odile, Stéphanie, Françoise, Jean-Louis, Alain, Romain AES (voir au dos), et Jano (PES), le 29 mars 2020  


Gérard Deneux – Président  - 76 avenue Carnot 70200 Lure  gerard.deneux70@gmail.com   
Marc Chapuis – Vice-président - 362 les Larmets70270 Fresse  suipacsax23@orange.fr  
Odile Mangeot – Secrétaire - 43 J rue Jean Jaurès 70200 Lure  odile.mangeot@wanadoo.fr  
Stéphanie Roussillon – secrétaire adjointe -  stephanie_roussillon@hotmail.com
Françoise Rougy – trésorière - 17 avenue Carnot 70200 Lure francoise.rougy@laposte.net
Jean-Louis Lamboley – trésorier-adj. - 5 chemin des fougères 70270 Melisey  06.38.01.17045   
Alain David  06.61.42.45.73
Romain Menigoz menigoz@outlook.fr
Jano Cellejanoluis@mailusine.fr
ROUGES de colère
car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme
VERTS de rage
contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète
NOIRS d’espoir
 pour une société de justice sociale et d’égalité
que nous voulons multicolore, multiculturelle et solidaire

Nos objectifs :

Ø  Favoriser l’émancipation sociale, individuelle et collective, et ce, en promouvant, par la réflexion et l’action, la critique du système capitaliste, ses dérives ultra libérales et les dégâts dont il est porteur (contradictions Nord-Sud,  néocolonialisme, mise en cause de l’équilibre écologique de la planète, destruction des conquêtes sociales, démantèlement des services publics…).
Ø  Favoriser l’expression publique des aspirations des exploités, précarisés, sans droits, discriminés pour qu’ils soient acteurs, dans un mouvement social autonome, du destin collectif à construire entre les peuples.
Ø  Diffuser la confiance suffisante et nécessaire à l’auto-organisation, favorisant le rapport de forces indispensable à la transformation sociale.
Ø  Participer à l’émergence d’une réelle force antiraciste, anti-impérialiste et anticapitaliste, aux côtés de tous les mouvements et organisations qui partagent ces convictions, pour un monde de paix, de justice et de solidarité.
Ø   
Les AES c’est :
Ø  Informer pour se libérer                                                                 Se libérer pour agir
Ø  Agir en s’auto-organisant                                         S’auto-organiser dans l’égalité

 
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Ø   J’adhère à l’association Les Amis de l’Emancipation Sociale et verse ma cotisation 2020 
.  5 € (étudiants, sans travail et faibles revenus)
. 25€ (actifs et retraités)  

Ø  J’effectue le règlement
. par chèque libellé à les Amis de l’émancipation Sociale à envoyer à Odile Mangeot – 43 J, rue Jean Jaurès 70200 Lure
. en espèces

Ø  Je  m’abonne à la publication Pour l’émancipation Sociale
 (10 n° par an) 25€ (5€ faibles revenus) ou 6€ (abonnement courriel)
J’effectue  le règlement par chèque libellé à  PES à envoyer à Gérard Deneux 76 av. Carnot 70200 Lure

Un monde de solidarité et de combats collectifs pour l’émancipation sociale tant individuelle que collective est nécessaire !



De pitoyables pitres
(Editorial de PES n° 61)

Avant l’ouverture de la séquence de confinement, nous eûmes droit à des dénégations ahurissantes, suivies d’un revirement révélant la bêtise crasse de la caste politicienne. La chronologie des faits parle d’elle-même. Ce fut Macron et sa Brigitte, le 5 mars, au théâtre : tout va bien, sauf qu’il y a un nombre de Gilets Jaunes les obligeant, pour éviter les huées, à se dérober sous bonne escorte par la petite porte. Comme pour payer le prix de cet affront présidentiel, le 7 mars au soir, les manifestants eurent droit à la castagne. Dans le même temps, le virus jaune faisait des dégâts en Chine, en Corée, les Bourses dévissaient. L’Italie était touchée. Pourtant, fin janvier, Buzyn n’avait-elle pas déclaré « le virus restera à Wuhan » ! C’était nous refaire le coup du nuage de Tchernobyl ! Le 11 mars, Macron en remettait une couche : « nous ne renoncerons à rien… surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes… ». Le 12, Blanquer : « il n’y aura aucune fermeture d’écoles ». Patatras ! Le soir-même, il était démenti. Martial, se présentant en petit père de la nation en péril, Macron déclarait la guerre au virus qui avait franchi nos frontières ; les écoles seraient fermées. Le 14, son premier sinistre confirma ce que l’on pressentait : confinement général, aux abris, mais l’économie devait continuer de tourner. Le 16, il tançait ceux qui ne respectaient pas ses consignes. Puis vint sur nos écrans, Martin Hirsch, le massacreur des hôpitaux de Paris, nous suppliant de nous protéger… sans masques et sans moyens, y compris pour les hospitaliers en première ligne.
Le même aveuglement, suivi d’une lucidité ahurie, se répandait chez Trump, Johnson et aux dirigeants, « bas du front », des Pays bas. A Londres, l’homme aux mèches blondes ébouriffées, affirmait, sans rire, qu’il fallait laisser faire. Tous seront frappés mais tous ne mourront pas. La loi du marché de la mort ferait le tri, le plus grand nombre serait immunisé ! Casse-cou ! lui répondirent des scientifiques, « sans confinement, c’est 510 000 victimes » ! Revenu à la raison, le 1er ministre restait perplexe : les hôpitaux publics pressurisés pendant tant d’années pouvaient-ils tenir le choc ?
Chez nous, le cocasse et le pitoyable faisaient bon ménage. Restez chez vous, mais allez aux urnes, il faut sauver la démocratie ! Pas bien nombreux, des électeurs s’y rendirent, la peur au ventre. Le clou de la soirée, ce fut l’effondrement de Buzyn ; celle qui avait abandonné le front hospitalier pour la conquête de Paris, suite aux frasques rocambolesques de Griveaux, se trouvait bien marrie, reléguée en 3ème position. Elle craqua : « je n’ai plus de travail », « ces élections c’était une mascarade ». « A chaque meeting, j’y allais la peur au ventre ». Au moment du vote, elle perd toute contenance, elle a oublié sa carte d’identité et envoie derechef un de ses larbins la récupérer chez elle… Puis vient le moment de déposer son bulletin dans l’urne, et pas moyen de déboucher, avec diligence, le flacon de gel hydroalcoolique pour Madame ! C’était d’un guignol ! lui faisant perdre toute retenue, le remord affluant, elle cracha le morceau : « Je savais, j’ai averti le président le 11 janvier puis Edouard Philippe le 30 janvier », « il va y avoir des milliers de morts ». Affligeant pour celle qui était restée de marbre face aux hospitaliers scandant « l’Etat compte ses sous, on va compter les morts ».
Depuis, les décideurs très responsables… se cachent derrière le petit doigt d’un comité d’experts médicaux et encense, sans vergogne, ces dévoués médecins et infirmiers qui font face à la pénurie de moyens.
Bref, toute fiction est en deçà de cette réalité d’une morbidité croquignolesque. Mais, le pire nous attend peut-être : comme à la guerre, des sacrifices vont être exigés afin de rembourser la dette explosive et restaurer les profits de la minorité dérisoire des rentiers du Capital… Déjà, au Sénat, le gras double Larcher s’active pour supprimer les 35 heures, réduire les congés, et geler les salaires. On aura bientôt droit au « retroussez vos manches pour la reconstruction ». Reste, à la fin du confinement, à démasquer, dans la rue, Macron et Cie, ses pitoyables pitreries déversées avec la grandiloquence qui sied à sa rhétorique ampoulée. Ce devrait être la dernière séance de ces acteurs du film  noir qu’ils nous ont imposé. Le pourra-t-on ?

GD le 25.03.2020   


Premiers de cordée
C’était dans un État, appelé Macronie,
Les premiers de cordée en étaient les génies,
Les forces vives, les guides irremplaçables,
A la vie du pays, seuls indispensables.
Méritant largement tout l’argent qu’ils gagnaient
Pensant que la richesse, c’est eux qui la créaient.
Bien au chaud dans leur bulle, entre gens honorables,
Ils n’avaient pour les autres qu’ignorance confortable.
Chauffeurs d’autobus, infirmières et caissières,
Agents de propreté, postiers et boulangères,
Ouvriers, ouvrières, agents électriciens ...
Fondus dans le décor, tous ces gens n’étaient rien. 

Ils s’habillèrent de jaune, aux ronds-points c’est pratique,
Pour être bien visibles, discuter politique,
Réclamant bêtement plus de services publics,
Complètement impensable en bonne république !
Ils avaient grand besoin surtout d’être écoutés,
Trouver la dignité et la fraternité.
Dangereux extrémistes, casseurs, activistes,
Tel fut leur portrait dans la presse macroniste.

 Mais par un jour de mars, la surprise arriva,
Le coronavirus montra qu’il était là.
Beaucoup furent atteints, la peur se répandit,
Macronie débordée par cette épidémie :
Même les plus puissants pouvaient être touchés,
L’économie souffrit, affolés les marchés !
Il se passa alors un phénomène bizarre,
La corde changea de sens, vraiment pas par hasard.
Une sorte de tête-à-queue, un beau changement de pied,
Les derniers de cordée furent alors les premiers !
On vit que c’étaient eux les vrais indispensables.
Grâce à eux le pays restait encore vivable.
Chauffeurs d’autobus, infirmières et caissières,
Agents de propreté, postiers et boulangères,
Ouvriers, ouvrières, agents électriciens …
La parole macronienne s’y adapta très bien.
Ils furent encensés : modèles de dévouement !
Alors pour les soignants ? plus de lits, plus de gens ?
Que nenni ! des paroles et des encouragements,
Sur un ton pénétré, ce sera suffisant.
De son PC de guerre : « Mes chers compatriotes,
Les services publics sont notre bien commun,
La solidarité est notre seul chemin.
Et bla et bla et bla et surtout blablabla...

 Moralité : Ce « nouveau » président croit-il vraiment tout ça?
A vous de le penser ou de n’y croire pas !
Si vous êtes sceptiques, ne baissez pas les bras,
On ne lâchera rien confinement ou pas.
Le combat continue, Attac est toujours là !
Quelou – 20 mars 2020



L’Europe, ennemie du droit d’asile

Cinq banderoles sont accrochées simultanément le 7 mars dernier, sur 4 ponts de Paris par des militants soutenant les personnes exilées en situation de refoulement. « Votre politique migratoire tue » assène une coalition d’organisations contre les violences aux frontières, elle annonce des plaintes contre la Grèce et l’UE pour les violations des droits des personnes exilées. Depuis début mars, des personnes meurent à la frontière gréco-turque ! Cette situation est la conséquence directe de choix politiques opérés par les dirigeants européens qui voudraient boucler les frontières de l’UE, notamment en sous-traitant à des Etats non européens, l’examen des demandes d’asile et l’encampement des indésirables. Des images insoutenables arrivent quotidiennement montrant des personnes exilées, refoulées ou mises délibérément en danger. Pour empêcher leur entrée en Europe, la police et l’armée grecques, rejointes par une partie de la population ainsi que par des mouvements fascistes, ont déployé un niveau de violence inédit. En mer, comme le long de la rivière Evros, leurs agents barrent la route aux bateaux, provoquent des naufrages, tirent en l’air, blessent et tuent. Non seulement l’UE ne condamne pas ces actes gravissimes, mais elle les soutient et les encourage : au lieu de rappeler aux autorités grecques que le droit international comme le droit européen interdisent de refouler à la frontière une personne en demande de protection internationale sans avoir examiné sa situation, le président du conseil européen salue les efforts des Grecs pour « protéger les frontières de l’Europe », tandis que la présidente de la Commission européenne qualifie la Grèce de « bouclier européen » comme si l’Europe était menacée par un ennemi. De son côté, l’agence européenne Frontex va déployer une intervention rapide dans la zone, ouvrant un nouveau front de la « guerre aux migrants » menée depuis une vingtaine d’années par l’UE à ses frontières. (1)
Que se passe-t-il à la frontière gréco-turque ? Qui décide de bloquer ceux qui fuient, et notamment des Syriens  bombardés par Assad et son allié russe ? Quel jeu joue Erdogan ? Et la France ?

Que se passe-t-il ?

Sommes-nous, à nouveau, comme en 2015, face à ce que les « bien-pensants » nommaient la « crise des migrants » alors même qu’il s’agissait de l’incapacité européenne à définir une politique d’accueil, digne de ce nom. En 2015, il s’est trouvé quelques pays, et notamment l’Allemagne de Merkel pour accueillir des centaines de milliers de migrants, Syriens plus particulièrement. Aujourd’hui, on n’en est plus là. L’UE est déterminée à accentuer le refoulement aux frontières pour ne pas accueillir dans son espace territorial. C’est une nouvelle illustration de sa politique, l’externalisation à des sous-traitants. Elle le fit en 2016 avec la Turquie, celle-ci s’engageant, moyennant 6 milliards d’euros, à contenir les réfugiés syriens en Turquie. Les 3.2 milliards déjà versés n’ont jamais bénéficié aux 3.7 millions de réfugiés en Turquie !

Et voilà que, le 28 février, au moment où Assad/Poutine bombardent sans relâche les populations d’Idlib et de sa région, Erdogan annonce que la voie vers l’UE est ouverte, ce qui déclenche immédiatement un affrontement « diplomatique » entre Erdogan et Mitsotakis : pas question pour la Grèce d’accepter  ces réfugiés syriens. Il décide de suspendre le droit d’asile en Grèce et d’envoyer l’armée, bloquant ainsi à la frontière gréco-turque, le long du fleuve Evros, les Syriens notamment, mais aussi des Afghans, des Irakiens, otages d’un chantage odieux d’Erdogan face à l’UE. Erdogan réclame plus d’aide et l’UE exige le respect de l’accord de 2016 pour verser les 2.8 milliards restants.

Début mars, l’hypocrisie diplomatique se met en œuvre : pour l’UE, il s’agit de ne pas cabrer la Turquie qui « n’est pas une ennemie » et de soutenir la Grèce dans sa tâche de « bouclier » de l’Europe. On ne « condamne » pas, à Bruxelles, la rupture de l’engagement d’Erdogan, on rejette « fermement » l’usage de la pression migratoire à des fins politiques !! On promet 170 millions d’euros et l’aménagement de l’accord de 2016 avec de nouvelles mesures d’aides. De même, on ne condamne pas la décision du gouvernement grec de « suspension » du traitement des demandes d’asile, pourtant contraire au droit international, on redonne des moyens à Frontex qui va déployer « une force rapide » à la frontière gréco-turque dans l’Evros (1 navire, 2 patrouilleurs, 2 hélicoptères, 1 avion), les garde-côtes seront renforcés au-delà des 530 déjà présents et des fonctionnaires du bureau d’asile seront chargés d’accélérer l’examen des demandes et on promet 700 millions à la Grèce pour améliorer les centres de « réception ».

Coupable est l’UE d’abandonner ainsi les exilés, en exigeant de la Grèce qu’elle assume leur accueil ; ce ne sont pas les quelques centaines de millions d’euros et de nouveaux renforts sécuritaires qui vont répondre aux besoins vitaux des migrants. Ce n’est pas non plus la proposition d’Ursula von der Leyen d’accueil de 1 500 enfants mineurs qui va régler la question. Il y aurait environ 30 000 personnes dans les « centres de réception et d’identification » des îles de la mer Egée (les hotspots) en surpopulation insupportable et ce serait de nouveau quelques dizaines de milliers de personnes en errance à la frontière grecque. L’UE nous fait croire qu’elle ne peut accueillir dignement 100 000 personnes ! Argument irrecevable qui nie le droit international.

Les autorités grecques, sures de ne pas être condamnées, exécutent leur plan : mise en camp de rétention de tous ceux qui ont franchi la frontière depuis le 1er mars, en vue de leur expulsion, volonté d’ouvrir un camp à la frontière bulgare, déclenchant la colère du ministre de la défense bulgare, chef du parti nationaliste, Krassimir Karatchanov, se déclarant prêt à déployer 400 militaires si besoin. Quant aux exilés, coincés à la frontière, ils sont repoussés à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau, violentés, battus, certains déshabillés et dépouillés de leur argent avant d’être refoulés.

Peut-on imaginer que de tels actes « criminels », que pareils traitements puissent se dérouler dans l’UE !

Politique migratoire de la Grèce


Entrée dans la zone euro en 2001, la Grèce subit la crise de 2018 qui provoque des effets dévastateurs dans le pays : plans d’austérité, coupes massives dans les budgets sociaux, baisse des salaires, réformes des retraites,… Entre 2009 et 2019 neuf plans d’austérité se sont enchaînés.  Entre 2008 et 2014, plus de 20 000 manifestations ont lieu à travers le pays. Avec des conséquences d’instabilité gouvernementale : entre 2008 et 2016, la Grèce connaît 5 gouvernements successifs, et l’arrivée d’un parti néo-nazi au parlement en 2012.

La Grèce devient pays d’immigration, après 1989 et la chute des régimes communistes dans les Balkans et en Europe de l’Est, accueillant majoritairement des Albanais, mais aussi des Bulgares, Géorgiens, Roumains et Russes. Ses premières lois sur l’immigration de 1991 l’appréhendent comme une affaire de maintien de l’ordre et de santé publique. Avec les printemps arabes et la guerre en Syrie, le nombre d’exilés qui entrent en Europe par la Grèce augmente. Ce qui conduit l’UE à imposer l’accueil des exilés aux Etats membres proches des frontières externes de l’Europe, la Grèce et l’Italie. L’année 2015 voit une augmentation importante des exilés aux portes du continent européen (et principalement en Grèce – 853 000 personnes et en Italie – 154 000) ; globalement ce sont 1.5 million de personnes entrées en Europe (1/500ème de la population) qui auraient pu être réparties de manière équilibrée et n’auraient pas constitué une  « visibilité anxiogène » qui a alimenté le discours officiel xénophobe.

Sous forte pression de l’UE, en 2016, le gouvernement Tsipras modifie la législation, durcissant l’accueil : création de 5 « centres de réception et d’identification (hotspots) sur les seuls territoires des îles de la mer Egée (Samos, Lesbos, Chios, Kos, Leros), procédure accélérée à la frontière... Il s’agit d’identifier les migrants « économiques » en vue de leur refoulement, d’identifier les demandeurs d’asile, les enregistrer, traiter leur demande, les relocaliser ou les expulser. La relocalisation est un mécanisme de répartition européen consistant en un transfert d’un quota de personnes répondant à certains critères vers les Etats-Membres : en Grèce l’objectif était de relocaliser 63 302 personnes : fin 2017 seuls 20 % des demandeurs avaient quitté le pays.

Pour autant, le nombre de réfugiés en Grèce n’a jamais dépassé 65 000 personnes. Fin 2018, 20 % des demandeurs d’asile sont Syriens, 17.82 % Afghans, 14.53 % Irakiens, 11.57 % Pakistanais et 7.22 % Turcs. Pour relativiser les thèses de « l’envahissement », il convient de préciser qu’Erdogan ouvre la frontière pour 12 000 à 15 000 personnes, alors que la Grèce est un pays qui reçoit plus de 35 millions de touristes chaque été !

Mais, voilà, l’hystérie gonfle. Aujourd’hui, Mitsotakis, « Nouvelle démocratie », chef du gouvernement conservateur depuis juillet 2019, doit faire face à la fronde des insulaires opposés à l’installation de nouveaux centres de réfugiés sur les îles où la situation est catastrophique. Ces îles prisons sont devenues symbole de l’échec de l’accueil au sein de l’UE, les hotspots « entassent » les exilés dans des conditions déplorables : mi-novembre 2019, Lesbos, prévu pour 2 840 personnes en compte 14 919, Chios prévu pour 1014 en dénombre 4 776 ; celui de Samos en compte 6 232 au lieu de 648, etc. 

Par provocation ( ?) hautement symbolique dans l’histoire de la Grèce, le 1er ministre a envisagé la possibilité d’entasser les réfugiés dans de nouveaux camps construits dans des îles inhabitées et arides, qui furent les lieux d’incarcération et d’exil pour les militants de gauche après la guerre civile (1949) ; les îles sèches et stériles de Gyaros et Makronisos ont été des lieux de martyr pour les prisonniers politiques pendant la dictature militaire de 1967-1974. Cela ne peut que contenter l’extrême-droite qui, en toute impunité, se comporte en « milices » anti-migrants. Dans l’Evros, l’extrême-droite attise les colères. Dans les villages, les habitants patrouillent jour et nuit au bord du fleuve, fusil de chasse au dos et dénoncent aux forces de l’ordre ceux qui tentent la traversée, accueillis par des gaz lacrymogènes, tirs à balle réelle, arrêtant ceux qui veulent passer en Europe et les maltraitant… Et bien ! Cela ne suffit pas à ébranler les Etats membres de l’UE !!!, ce qui fait dire à un eurodéputé de Syriza « Dans l’Evros, la République est en train d’être abattue, nous ne sommes pas menacés par les réfugiés mais par la paralysie des dirigeants de l’UE et par l’Extrême-Droite ». L’on comprend encore mieux cette intervention lorsque l’on sait que Tsipras, par souci d’une perspective de carrière politique future, a déclaré qu’il était d’accord avec la fermeture de la frontière et qu’il était prêt à apporter son soutien à une confrontation vigoureuse de la menace turque. Interrogé sur la jeunesse de Syriza qui a appelé à manifester, avec la gauche anticapitaliste radicale, à Athènes et Thessalonique pour soutenir les exilés, méprisant, il a estimé qu’ils sont jeunes et qu’il est normal qu’ils soient un peu plus sensibles.

Dès son arrivée au pouvoir, Mitsotakis a mis en œuvre une politique agressive de répression des migrants et a réformé le droit d’asile, concernant la validité des titres de séjour, la détention généralisée et prolongée, la restriction dans l’accès au marché du travail, la procédure accélérée à la frontière pour les personnes vulnérables, etc… L’on reconnaît dans ces mesures, celles votées par le parlement français fin 2018. Elles portent la « marque » de la politique migratoire européenne régressive, menant une guerre ouverte contre les migrants. 


 Europe, ennemie du droit d’asile 

Une soixantaine d’intellectuels s’indignent que l’UE refuse sa protection à ceux qui fuient les horreurs de la guerre menée par un Etat criminel en Syrie. Nul besoin de requérir l’unanimité pour une telle décision, un seul Etat membre de l’UE suffit pour enclencher cette procédure prévue dans le droit européen.

En réalité, les personnes exilées sont des instruments dans les négociations, véritable politique de « troc ». Pour quels résultats ? Quatre ans après l’accord indigne UE/Turquie, les hotspots n’ont pas cessé d’être engorgés, laissant des milliers de personnes vivre dans des conditions dégradantes et inhumaines. Alors qu’Assad, soutenu par la Russie, poursuit la guerre, déplaçant, à nouveau, des centaines de milliers de personnes, on continue : Erdogan exerce son chantage « je cesse d’être le gendarme » d’une partie des frontières extérieures de l’UE. La Grèce et les Etats membres de l’UE se déclarent indignés et… mettent en œuvre au nom de la protection « des frontières », des mesures illégales et brutales en violation des droits des exilés. Le voilà, l’odieux consensus au sein de l’UE : fermeture de la frontière gréco-turque et protection des frontières au prix des vies humaines ! Le régime autoritaire d’Erdogan s’en trouve renforcé. Le chantage a payé. Fermez le ban !

Cette situation illustre la politique volontairement régressive de l’UE, depuis les années 2000, qui consiste à verrouiller les frontières : d’une part, sur son territoire avec une politique d’enfermement et d’encampement des exilés, d’autre part, à ses frontières, extérieures en la confiant à des sous-traitants (Turquie, Libye). Parallèlement, elle fait reposer sur les pays qui forment la frontière extérieure la charge de l’accueil. Ainsi, le règlement Dublin contraint le demandeur d’asile à déposer sa demande dans le pays européen où il arrive, à savoir principalement, la Grèce et l’Italie.

Il y a donc une politique migratoire européenne et elle s’applique tous les jours !

La Cour européenne des droits de l’Homme vient de rejeter la requête dont l’avaient saisie, le 16 juin 2016, 51 personnes de nationalités afghane, syrienne et palestinienne (parmi lesquelles de nombreux mineurs) maintenus de force dans une situation de détresse extrême dans le hotspot de Chios (nourriture inadaptée, conditions matérielles dangereuses, grandes difficultés d’accès aux soins, privation de liberté, arbitraire administratif anxiogène avec la menace permanente d’un renvoi vers la Turquie. La seule violation retenue par la Cour concerne l’impossibilité pour les requérants de former des recours effectifs contre les décisions du fait du manque d’informations accessibles sur place. Pour le reste, il aura fallu plus de 3 ans à la CEDH pour juger que la plainte des 51 de Chios n’est pas fondée : elle n’est « pas convaincue que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles », les problèmes liés à l’accès aux soins évoqués sont relativisés en rappelant que « l’arrivée massive de migrants avait créé pour les autorités des difficultés organisationnelles, logistiques… » ; s’agissant, enfin, de la surpopulation et de la promiscuité, si elle n’en écarte pas la réalité elle relève que les requérants n’ont pas indiqué le nombre de mètres carrés dans les conteneurs ….

Depuis 3 ans, des dizaines de milliers de personnes sont confinées dans les 5 hotspots de la mer Egée par l’UE qui finance la Grèce afin qu’elle joue le rôle de garde-frontière de l’Europe. C’est cette politique là que mettent en oeuvre tous les Etats membres.   

La frontière tue avec le consentement de l’UE et de la France. Macron a adressé toute sa « solidarité » à la Grèce et à la Bulgarie et assure que la France « est prête à contribuer aux efforts européens pour leur prêter une assistance rapide et protéger les frontières » ! Par ses propos, Macron accepte que se déroulent de telles barbaries, considérant ceux qui fuient la guerre et la misère comme des pestiférés et approuvant, seul, la politique migratoire de l’UE, en fermant les yeux, hypocritement, sur les refoulements des êtres humains qui tentent de passer. Nous devons dénoncer sans relâche ces politiques criminelles. Migrer n’est pas un crime  mais un droit. Fermer les frontières et persécuter des individus n’évite pas une « crise » migratoire et humanitaire mais la crée et la renforce.

Odile Mangeot, le 22.03.2020

Sources : alencontre.org/ Gisti, Migreurop

(1)    Appel à retrouver sur www.gisti.org/


Nous avons lu :  Les voraces : les élites et l’argent sous Macron
La réalité dépasse la fiction. Après 2 ans d’enquêtes, de multiples témoignages, l’auteur de cet essai décapant, donne raison aux Gilets Jaunes. On n’a jamais connu autant de ministres multimillionnaires, de hauts fonctionnaires pantouflant dans le privé, de députés devenus lobbyistes, avocats d’affaires, nommés au sein des conseils d’administration des banques et des grandes entreprises. L’enrichissement éhonté, la corruption des mœurs sont leurs règles non écrites. Ceux qui se font pincer, comme Fillon, sont l’exception. La gloutonnerie des cumulards est sans borne. François Baroin, un exemple : il peut cumuler des emplois à foison : maire de Troyes, président de l’agglo, avocat d’affaires, conseiller de la banque britannique Barclays, avec des revenus pharaoniques. C’est dans cet ouvrage toute une galerie de portraits qui défilent de droite et de gauche : JF Copé, Alain Madelin, Hervé Gaymard, Laurent Wauquiez, Hubert Védrine, Cazeneuve, Fleur Pellerin, et tant d’autres. Au-delà de ces figures, émerge un système « ni de droite, ni de gauche » qui est advenu. Tous issus des grandes écoles, et surtout de l’ENA, les « camarades » de promo soignent les anciens et consolent les déçus, en reclassant et distribuant des postes, où la figuration est très lucrative. Désormais, les « mormons » de Macron y veillent. L’omerta y prévaut. Quand un scandale éclate, après avoir tenté de l’étouffer, on le présente comme une exception et l’on jure que demain sera différent à l’aide de cache-sexe. Ainsi fut mise en place une commission de déontologie, rattachée à Matignon, composée de très hauts fonctionnaires, nommés, sans capacité d’enquête indépendante et de moyens d’appliquer les avis réticents qu’elle peut émettre. Ces élites engraissées sont les zélotes de l’austérité, sauf pour ceux, les mêmes, qui organisent la casse du service public, la flexibilité précarisée. GD
Vincent Jauvert, éd. Robert Laffont, janvier 2020, 19€  


Inde. Les intellectuels tentent de résister aux nationalistes
Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, Modi mène avec les nationalistes hindous un combat permanent contre les intellectuels, journalistes, activistes et artistes indiens. La purge a démarré à la JNU, université fondée par Indira Gandhi. Modi a placé ses hommes à la tête de l’établissement et laissé le syndicat de la mouvance nationaliste faire la police sur le campus. Faire taire tous ceux qui s’opposent à l’hindouité, idéologie visant à l’instauration d’une Inde hindoue au détriment des autres religions, en particulier des musulmans, inventée dans les années 1920 par Vinayak Damodar Savarkar (admirateur d’Hitler). Modi s’appuie sur le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), association de volontaires nationaux fondée en 1925 avec le soutien des hautes castes brahmanes. Le RSS est partout, compte entre 4 à 5 millions de membres. (l’assassin de Gandhi en 1948 était du RSS). Le BJP, le parti au pouvoir, est sa branche politique. Menaces, assassinats ont été perpétrés contre les opposants : Gauri Lankesh, journaliste laïque et féministe, pourfendant le système des castes, les discriminations envers les musulmans et les dalits, a été assassinée en sept. 2017. En 2018, 6 journalistes ont été tués. L’écrivaine Arundhati Roy a tout subi. Macron, en visite en Inde en mars 2018, a voulu la rencontrer. Elle raconte « Je l’ai vu, en tête à tête et je lui ai dit : quoi que je vous dise, cela ne fera aucune différence puisque vous voulez vendre vos Rafale, mais c’est mon devoir de le faire. Je lui ai raconté tout ce qui se passait ici ». Son entrevue n’a rien changé. Modi est engagé avec les chefs d’Etat occidentaux dans des négociations commerciales… Face à ce qui se trame, hindouisme et nationalisme, l’historienne Romila Thapar dit : « Je me battrai jusqu’au bout. Car je crois en la jeunesse et j’ai l’espoir qu’elle remédie un jour à tout cela ». Extraits d’un article le Monde du 23 mars 2020


Restez chez vous
Pendant que vous confinez, 20 000 soldats US débarquent avec armes tanks et bagages, sans masques ni précautions pour franchir sans soucis ces frontières qui pour vous sont étanches. Ce sont des manœuvres militaires de grande envergure en Europe simulant l’attaque d’un pays de l’Otan en 2028 pour “la protéger de toute menace potentielle” (même le virus ?). Voici l’opération Defender Europe 20, considérée comme l'exercice doté du plus grand déploiement militaire US depuis 25 ans sur le sol européen ! Avec ces multiples voyages de militaires de l'Otan entre les bases d’Europe, et du monde, et la coordination avec les armées des autres pays, plus le soutien de dizaines de milliers de civils dans plusieurs pays sans oublier les 37 000 soldats, dont 20 000 Américains qui vont participer entre avril et juin à cette opération, voici la voie royale pour répandre le virus. Mettez un masque sur votre nez et votre bouche mais surtout mettez-le sur vos yeux : Les foyers d’infections suivent déjà ces activités militaires. Détail annexe : notez l’impact écologique d’un tel déploiement de force, un seul char US de 70 tonnes consomme 400 litres aux 100 kms ! Trazibule n° 149
Cette opération doit être annulée !


Religions. La comptabilité morbide n’explique rien

Le texte paru dans PES précédent, engage le débat sur la « nature » du pouvoir exercé par les institutions. Les religions sont-elles toujours maléfiques quelles que soient les circonstances ? Faut-il s’en prendre aux religions, alors même que l’on assiste en France, tout particulièrement, à un phénomène massif de déchristianisation et d’adaptation séculière de la religion musulmane dont la traduction la plus singulière est la « prolifération des mariages mixtes » (1) ? Certes les soubresauts d’intolérance religieuse existent et peuvent prendre la forme d’actes terroristes. Il n’y a donc pas lieu d’en minimiser l’importance. Mais le problème soulevé par l’article de Stéphanie est ailleurs : c’est celui de la condamnation justifiée des crimes commis au nom de la religion qui conduit, dans sa conclusion, à l’affirmation d’un nouveau paradis, celui « d’un divin amour (partagé) qui nous laisse(rait) notre libre arbitre ». Il s’agit là d’une véritable croyance où l’humanité serait réconciliée avec elle-même et ce, sans tenir compte des rapports de classe, du poids des traditions séculaires et des mentalités, bref, de ces résistances de longue durée. Cette croyance résulte, à mon sens, de l’énumération quantitative des crimes commis au nom de Dieu et ce, indépendamment des contextes historiques. Le nombre de morts et de femmes reléguées, opprimées, les textes « sacrés » le promouvant plus ou moins explicitement ne rendent pas compte des processus, le plus souvent contradictoires qui en furent la trame historique. Ci-après, je voudrais schématiquement illustrer une appréhension plus qualitative reposant sur un constat du même ordre.

Les groupes sociaux, les formations sociales nationales, quelles que soient d’ailleurs les époques, sont confrontés à leur propre représentation du monde. Pour comprendre le monde, face à des connaissances plus ou moins imparfaites, le recours à des croyances, des mythes et des conceptions religieuses s’institue, se transforme en pouvoirs au sein des communautés, bref, des structures d’asservissement et, parfois, de libération.

Pour une approche matérialiste et historique des religions

Les sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs pouvaient croire à la terre-mère parfois vengeresse mais leur survie reposait sur l’abondance relative des animaux qu’ils magnifièrent dans les grottes. Avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, animaux élevés et plantes cultivées devinrent propriété d’un clan. La division du travail s’institua ; des corps armés, censés protéger la communauté, firent régner une hiérarchie de pouvoir, des chefs et de sorciers invoquant les dieux… Le matriarcat - bien qu’il subsiste encore (2) - fut remplacé par un patriarcat. Cette évolution connut bien des formes différentes reposant sur des appréhensions du monde terrestre, largement incompréhensibles par lui-même sauf à invoquer les puissances mythiques de l’au-delà. L’alliance des chefs et des sorciers favorisa, de fait, la cohésion du clan face à l’adversité des calamités naturelles et aux conflits de territoires avec d’autres clans. Il n’est pas anodin de noter, face à la représentation rousseauiste du « bon sauvage », la récente découverte, en Alsace, d’ossements humains révélant la pratique de l’anthropophage.

En me focalisant sur le christianisme, je voudrais indiquer l’ambiguïté qui le caractérise (mais l’on trouve les mêmes paradoxes dans les autres religions). Ainsi, l’histoire des Hébreux, en esclavage en Egypte, se libérant de cet assujettissement dans la recherche de la « terre promise » massacrèrent sur leur passage ceux qui leur faisaient obstacle. La Bible, le judaïsme, le recours à la notion de « peuple élu » à qui tout est permis, proviennent de cette ambiguïté initiale.

Lors de l’occupation romaine, la religion judaïque est devenue un instrument de collaboration. Se lèvent dès lors des prophètes de la délivrance, Jésus, pour autant qu’il ait existé, est l’un d’entre eux, parmi d’autres. Chasser les prêtres des temples est l’appel symbolique à desserrer l’emprise romaine. Cette lutte ne peut, dans les conditions de l’époque, que prendre la forme eschatologique des fins dernières du monde d’ici justifiant le « militantisme » missionnaire de l’évangélisation dans l’attente de l’apocalypse. Parmi d’autres, la secte chrétienne accroît son influence dans l’empire romain entré en décadence sous l’effet, notamment, des invasions barbares qu’il ne peut plus juguler. Face au désordre existant, à la plèbe trop « remuante », les massacres des chrétiens (et autres sectes), l’Empereur se convertit, restaure son pouvoir en imposant un seul culte institué, celui du christianisme. Ce ne sera pas suffisant pour maintenir l’Empire mais entraînera en revanche la diffusion du christianisme puis la scission entre l’Eglise d’Occident et d’Orient, résultant de la division puis de l’effondrement de l’empire romain. Sans ces cataclysmes, il n’est guère possible de fournir une « explication » prosaïque pour comprendre les raisons de la diffusion d’un monothéisme à moins d’avoir recours aux invocations mystiques qui le caractérisent.

Pour se maintenir au pouvoir, les classes dominantes, dans leurs affrontements avec d’autres, vont devoir se servir et instrumentaliser le catholicisme institué, qui s’y prête. Ce fut le cas des rois francs qui, avec la bénédiction des prêtres, instituèrent leur sacralisation et la confusion entretenue entre le temporel et le spirituel. Ce ne fut pas sans heurts criminels, la chasse aux païens, aux « sorcières » paysannes qui, par leurs connaissances empiriques des plantes, prétendaient mieux soigner les vivants que l’appel à la prière. Puis la corruption bien temporelle de l’Eglise provoqua des schismes et l’institution de l’inquisition et la torture nécessaire pour réduire par la terreur les hérétiques. Ceux qui ambitionnaient de revenir à la doctrine originelle, ces « parfaits » furent réduits à néant par la croisade contre les Cathares. Il en allait ainsi pour maintenir l’unité féodale qui risquait de se disloquer en France.

Plus tard, la royauté française fit prévaloir une certaine indépendance à l’égard du Saint-Siège romain. Puis vint le schisme protestant. Au-delà du contenu de cette doctrine, la rupture avec la papauté fut consommée. Elle exprimait la volonté des princes allemands et des bourgeois d’acquérir une indépendance relative. Les conséquences en furent effroyables : guerres de religion en France qui finirent par rétablir la souveraineté du roi et des féodaux et ouvrirent dans le sang la voie à l’absolutisme. Dans les provinces allemandes les luttes furent tout aussi impitoyables : les princes allemands appuyés sur la doctrine luthérienne s’opposèrent aux paysans gagnés par l’évangile de Thomas Münzer prônant un communisme primitif (3). Cette lutte de classes ne pouvait, à l’époque, que prendre la forme d’une guerre de religions. En Grande-Bretagne, les schismes se traduisirent par la suprématie de l’Eglise anglicane, et par conséquent, le rejet du papisme. En Espagne, l’histoire fut différente : ce fut l’islam qui fut combattu avec la dernière extrémité : « la Reconquista ». Après bien des massacres et tortures menées par l’inquisition, la suprématie royale catholique l’emporta sur toute l’Espagne.

La domination religieuse confortant le pouvoir royal fut, de fait, entamée d’abord par l’esprit des Lumières puis en France par la Révolution Le développement des connaissances scientifiques (que l’on pense à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert) et de la philosophie humaniste eut un profond impact sur les élites. Les mentalités se modifièrent ouvrant la voie au rationalisme et à la domination de la bourgeoisie, puis, bien plus tard, à la séparation (relative) de l’Eglise et de l’Etat. L’Eglise devait conserver toutefois un réel pouvoir, certes minoré, non plus cette fonction d’intrication du pouvoir temporel et céleste, mais celle d’une instrumentalisation permettant de continuer à soumettre les populations. Une certaine déchristianisation était en marche, concurrencée par le développement nécessaire des connaissances scientifiques et de l’alphabétisation massive (que l’on pense au développement industriel et de manière concomitante celui de l’instruction primaire). De fait, le nationalisme et le racisme s’imposaient comme idéologie dominante dans la concurrence capitaliste entre nations et la suprématie à acquérir sur l’ensemble des peuples à coloniser.

Aux Amériques, l’histoire prit un tour différent : aux USA, au Canada, le protestantisme élitiste cautionnant l’enrichissement et la conquête de l’Ouest aboutit au génocide des Indiens et au recours à l’esclavage intensif que les pays d’Europe avaient déjà mis en œuvre sous les divers régimes monarchiques. En Amérique du Sud (dite latine !), avec les conquistadors espagnols, à la recherche de l’or pour tenter de sauver l’Empire sur le déclin, cela se traduisit à la fois par un génocide de grande ampleur et une évangélisation forcée. Fin 19ème et début 20ème, des schismes religieux se produisirent. Ils manifestaient l’aspiration des paysans à se soustraire à la domination de l’Eglise instituée et aux bourgeoisies compradores. Il n’est pas anodin de relever que la théologie de la libération fut une arme idéologique pour se soustraire à la misère et à l’oppression des caciques, des latifundiaires, de l’armée au service des classes dominantes, elles-mêmes plus ou moins assujetties à l’impérialisme US. Des prêtres promouvant la théologie de la libération soutinrent, rejoignirent les guérillas (Ernesto Cardenal au Salvador Guitterez au Pérou, Leonardo, Clodius Boff au Brésil pour ne citer que quelques-uns).

En Iran, le régime mis en place par les Etats-Unis avec le shah d’Iran (coup d’Etat contre le nationaliste Mossadegh allié au parti communiste Tudeh), et la répression impitoyable menée par la police politique, la Savak, avec l’aide de la CIA entrainèrent la disparition de toutes les forces d’opposition sauf celle qui se manifesta par la suite dans les mosquées, seuls lieux de réunion autorisés. La représentation théologique prônée par les chiites était devenue la seule vision dominante anti-impérialiste disponible pour se débarrasser de la dictature du shah d’Iran… On connaît la suite dramatique. Bref, ce dernier exemple prouve, s’il en est besoin, que « les peuples font leur propre histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font » enfermés le plus souvent dans la « fausse conscience » qui les meut, les traditions, les mentalités, qui les enserrent dans des logiques aboutissant à des impasses.

S’il y a lieu de distinguer les croyances millénaristes, les dogmes religieux, des convictions s’appuyant sur des faits et surtout sur l’analyse des rapports sociaux réellement existants, il n’empêche, l’emporte toujours, plus ou moins, l’idéologie comme fausse conscience. Il en est ainsi du laïcisme intolérant qui substitue à la lutte des classes la lutte contre les religions et plus radicalement contre l’islam. Il occulte, comme l’athéisme intransigeant, les rapports de classes pour mieux les instrumentaliser. Il évite de prendre en compte la force des traditions et des pratiques familiales, l’histoire longue des mentalités, y compris celle du patriarcat, et donc de la libération des femmes par elles-mêmes. Plus fondamentalement, c’est la nature du pouvoir qu’il faut saisir. « Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu, rend absolument fou ». Pour autant, on ne saurait en revenir au mythe du bon sauvage. Les sociétés primitives, certaines du moins, recoururent au cannibalisme, d’autres dans l’époque récente (guerre au Cambodge) après avoir tué leurs ennemis mangeaient leur foie pour ingérer leur force. Les croyances peuvent alimenter des pratiques des plus archaïques. Il en va de même pour les Empires. Les chefs aztèques, outre les sacrifices humains pratiqués pour invoquer la prétendue bienfaisance des dieux, étaient ensevelis avec leurs épouses et serviteurs préalablement étranglés.

Toute la comptabilité morbide pour mettre en lumière ces pratiques n’explique rien, mise à part la révulsion morale qu’elles suscitent aujourd’hui… Ne restent, pour rationnaliser ces processus historiques, que l’analyse des rapports sociaux, des idéologies, des mythes, religions, qui justifient le pouvoir des classes dominantes.

GD le 20 mars 2020  

(1)    Lire pour en savoir plus d’Emmanuel Todd « L’origine des systèmes familiaux » Gallimard 2011 ainsi que « les luttes de classes au 21ème siècle », Seuil 2020
(2)    Sur les sociétés primitives, même s’il est aujourd’hui dépassé par les recherches actuelles, il est toujours intéressant de relire « L’origine de la famille et de la propriété privée » de Friedrich Engels. Pour une approche beaucoup plus scientifique et réaliste, lire « Métamorphoses de la parenté » de Maurice Godelier, Flammarion, qui a étudié de près différentes sociétés primitives y compris celles qui subsistent dans les sociétés actuelles   
(3)    Lire « les guerres des paysans » de Friedrich Engels