D’où
viennent les coronavirus ?
Nous
avons extrait de l’article de Sonia Shah, paru dans le Monde Diplomatique de mars 2020, les éléments qui nous
permettent de comprendre que l’apparition de nouveaux virus relève de notre
mode de surexploitation de la nature. Ce phénomène n’est pas inconnu et des
laboratoires de recherche ont déjà alerté, mais, les crédits publics de la
recherche (français et européens), sont en diminution constante La recherche anticipe sur du temps long, ce
dont les chercheurs ne disposent pas, ce qui signifie l’incapacité des Etats à
protéger leurs populations.
« Serait-ce un pangolin ? Une
chauve-souris ? Ou encore un serpent comme on a pu l’entendre ? De
telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante
face aux pandémies a une cause plus profonde : la destruction accélérée des habitats ».
« Depuis 1940, des centaines de microbes
pathogènes sont apparus ou réapparus dans des régions où parfois ils n’avaient jamais
été observés auparavant. C’est le cas du VIH, d’Ebola ou encore de Zika… La
plupart sont issus d’animaux sauvages. Or, il est faux de croire que ces
animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous
contaminer. En réalité, la plus grande partie de leurs microbes vivent en eux
sans leur faire aucun mal. Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées,
nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et
de s’adapter ».
« La destruction des habitats menace
d’extinction quantité d’espèces, parmi lesquelles des plantes médicinales et
des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Quant à celles
qui survivent, elles n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les portions
d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines. Il en résulte
une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme, lesquels
permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils
deviennent des agents pathogènes meurtriers ». Sonia Shah illustre cette
affirmation par des exemples. « Prenons celui d’Ebola dont la source a été
localisée chez des espèces de chauves-souris d’Afrique de l’ouest et Afrique
centrale qui ont subi récemment des déforestations. En abattant des forêts, on
contraint les chauves-souris à aller se percher sur les arbres de nos jardins
et de nos fermes. Il est facile d’imaginer qu’un humain ingère de la salive de
chauve-souris en mordant dans un fruit ou en tentant de la tuer… et s’expose
aux microbes qui ont trouvé refuge dans ses tissus… Ce phénomène est qualifié
de « passage de la barrière d’espèces ».
« Les risques d’émergence de maladies ne sont
pas accentués seulement par la perte des habitats, mais aussi par la façon dont
on les remplace. Pour assouvir son appétit carnivore, l’homme a rasé une
surface équivalant à celle du continent africain afin de nourrir et d’élever
des bêtes destinées à l’abattage. Certaines d’entre elles empruntent ensuite
les voies du commerce illégal ou sont vendues sur des marchés d’animaux
vivants. Là, des espèces qui ne se seraient sans doute jamais croisées dans la
nature se retrouvent encagées côte à côte et les microbes peuvent allègrement
passer de l’un à l’autre. Ce type de développement a déjà engendré en 2002-2003
le coronavirus responsable de l’épidémie de SRAS ».
« Notre système d’élevage industriel qui entasse les bêtes les unes sur les
autres crée les conditions idéales pour que les microbes se muent en agents
pathogènes mortels pour les animaux : exemple, les virus de la grippe
aviaire ou encore le H5N1 qui contraignit à l’abattage de dizaines de milliers
de volailles en Amérique du nord en 2014. Les montagnes de déjections produites
par notre bétail offrent aux microbes d’origine animale d’autres occasions
d’infecter les populations, exemple pour la bactérie Escherichia coli, portée
par la moitié des animaux enfermés dans les parcs d’engraissement américains, même
si elle demeure inoffensive. Et comme il n’est pas rare que les déjections
animales se déversent dans notre eau potable et nos aliments, 90 000
Américains sont contaminés chaque année ».
« Ces phénomènes de mutation des microbes
animaux en agents pathogènes humains n’est pas nouveau, son apparition date de
la révolution néolithique quand l’être humain a commencé à détruire les
habitats sauvages pour étendre les terres cultivées… mais notre mode de
production l’accélère.
Nous
pouvons réduire les risques d’émergence de ces microbes, protéger
les habitats sauvages, mettre en place une surveillance étroite des milieux
dans lesquels les microbes des animaux sont susceptibles de se muer en agents
pathogènes (mission des chercheurs du programme Predict, financé par l’Agence
des Etats-Unis pour le développement international) à condition que les décisions
politiques ne soient pas contraires, en développant, par exemple, les
industries extractives et l’ensemble des activités industrielles ou en
supprimant les moyens à la recherche. Trump en octobre 2019 a décidé de mettre
un terme au programme Predict et début février 2020, a annoncé sa volonté de réduire
de 53% sa contribution au budget de l’OMS.
« Les émergences de virus sont
inévitables, pas les épidémies » (Larry Brilliant épidémiologiste). Nous
serons épargnés par les épidémies à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons
mis à perturber la nature et la vie animale ».
Sonia
Shah
Le
Monde Diplomatique mars 2020
Hervé Kempf affirme qu’un point semble quasiment certain :
le virus s’est « échappé » d’un marché d’animaux sauvages de Wuhan.
Ces marchés sont alimentés en partie par le trafic d’animaux, une des causes
majeures de l’érosion de la diversité faunistique. Ces marchés sont bien
l’expression de la pression que l’activité humaine exerce sur les écosystèmes
surtout forestiers, peu ou pas anthropisés. L’érosion globale des espèces est
en route. Tout ceci rappelle que la question de la biodiversité est tout aussi
importante que celle du changement climatique
Le
Covid-19 est un symptôme du saccage écologique que le développement industriel
ahurissant de la Chine a causé en quelques décennies ; Saccage qu’elle a
ralenti, certes, continuant à se fixer des objectifs de croissance de + 5 % par
an, délirant comtpe tenu de la taille de son économie et de l’état de la
biosphère.
Sur
Reporterre le 17 mars 2020 « Le coronavirus fait la grève générale »
La main dans le sac.
Directeur
de recherche CNRS à Aix-Marseille, mon équipe travaille sur les virus à ARN
(acide ribonucléique) dont font partie les coronavirus. Quand, en 2003, a
émergé l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), l’Union
européenne a lancé des grands programmes de recherche pour essayer de ne pas
être prise au dépourvu en cas d’émergence. Cette recherche fondamentale se
réalise sur des programmes de long terme qui peuvent éventuellement avoir des
débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante. Avec mon équipe, nous
avons obtenu des résultats dès 2004 mais, en recherche virale, en Europe comme
en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite,
on oublie. Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV avait
disparu : on ignorait s’il allait revenir. L’UE s’est désengagée de ces
grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable… Avec
des collègues belges et hollandais, nous avons envoyé, il y a 5 ans, deux
lettres d’intention à la commission européenne pour dire qu’il fallait
anticiper. Zika est apparu… La science ne marche pas dans l’urgence et la
réponse immédiate. Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les
coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de
travail que l’on a vu peu à peu se dégrader.
Bruno
Canard, chercheur du CNRS spécialiste des coronavirus