La « guerre » de l’eau
La
première mégabassine, sur les 16 programmées en Sèvre niortaise (au total
6 729 443 m3 d’eau retenue) est opérationnelle depuis le 17 février à
Mauzé-sur-le-Mignon. La Coop de l’eau, instigatrice du projet, prétend que
toutes les cultures de maïs, luzerne et mélanges fourragers pourront ainsi
nourrir vaches, chèvres et autres ruminants l’hiver. De fait, il s’agit d’un accaparement de la ressource en eau au profit d’une monoculture de maïs,
concernant entre 6 et 7% des exploitations agricoles de la Nouvelle
Aquitaine ; cette région produit un tiers du maïs français dont 1 et 2
millions de tonnes sont exportées sur 4.5 millions récoltées. Inutile de
préciser que la FNSEA est plus que favorable au projet… Les opposants, quant à
eux, dénoncent l’empiètement de ces réserves sur les terres agricoles, le
développement du processus d’eutrophisation, l’eau stagnante permettant la
prolifération d’algues et autres cyanobactéries dangereuses pour la santé
humaine. L’absurdité du projet consiste à pomper l’eau souterraine pour
l’exposer à l’évaporation et à diverses pollutions au moment où les phénomènes
de sécheresse s’amplifient. L’eau est un
Bien commun et ne doit pas être accaparé au profit de quelques-uns. C’est
la revendication principale des manifestants ce 25 mars, à Sainte-Soline.
Ce 25 mars, la lutte contre les mégabassines a pris la forme d’un
Notre-Dame-des-Landes. C’est précisément ce que redoute le gouvernement d’où la
mobilisation inouïe de policiers. Pour les opposants, le message est limpide :
« Le pouvoir est prêt à blesser et à
tuer pour défendre son modèle mortifère ». Ce
25 mars, le ministre de l’intérieur, comme à son habitude, a interdit la
manifestation et a transformé la mégabassine de Sainte-Soline (ou plutôt le
trou creusé pour l’installer) en citadelle assiégée : plusieurs
hélicoptères quadrillent le ciel, des dizaines de camions de la gendarmerie
encerclent le « trou », le canon à eau est prêt. 3 200 gendarmes et policiers font barrage aux manifestants,
les quads remplacent les motos de la
Brav’M… Face à ça, une « foule »
immense de 30 000 personnes
venues manifester leur désaccord. La violence
étatique qui s’est exercée contre les manifestants est un véritable tournant dans l’histoire du mouvement
climatique.
Les
gouvernants savent bien que les bassines ne répondront pas aux sécheresses à
venir. Ils savent que le dossier scientifique supposé les légitimer est
hautement douteux. Ils savent bien que plusieurs de ces projets sont illégaux :
les 6 bassines, prévues en Charente et Deux-Sèvres, autorisées par arrêté
préfectoral de 2008, après recours et appel, ont été déclarées illégales par le
tribunal en février 2023 ; celle de Mauzé-sur-le-Mignon, construite sans
avoir attendu le verdict du tribunal administratif qui a annulé l’arrêté
préfectoral en décembre 2009, fonctionne en toute illégalité ! Ils le
savent, mais ils choisissent d’imposer à
tout prix l’agriculture industrielle, aux effets sanitaires, climatiques et
humains désastreux. De même, en matière de politique
pour le climat, ils savent bien qu’une politique vigoureuse d’économies
d’énergie serait la priorité pour réduire les émissions de gaz à effet de
serre, que construire des autoroutes est un contresens absolu, que laisser se
développer l’artificialisation des sols dégrade rapidement la biodiversité... et
ainsi de suite. Ils savent, mais ils continuent à détruire. Pour préserver sans scrupules un système dont l’objectif est de créer du profit et d’accumuler du capital
financier, quelles qu’en soient les conséquences écologiques, donc humaines.
Le
gouvernement, sourd, ne sait répondre que par des doigts d’honneur (à
l’Assemblée nationale) et des moyens de police
démesurés. Ce n’est pas pathologique, c’est sa réponse à la montée de l’inquiétude
que génère la situation écologique et de la révolte que nourrissent le mépris
et les inégalités. Elle exprime la radicalité du capitalisme, fermement décidé
à maintenir son fonctionnement face à toutes les possibilités d’alternatives. Le
masque tombe. Il met face à face techno-capitalisme et écologie redistributive.
Toutes
celles et ceux qui comprennent la gravité de la situation savent que la
solution ne peut passer par un consensus paisible, mais par des conflits
assumés : sortir du système destructeur
impose de faire reculer de puissants intérêts ». « Lorsqu’on
déploie 3 200 gendarmes cela ne peut que mal se passer » déclare
Marine Tondelier (EELV). Les plus motivés des manifestants (environ 4 000)
se dirigent vers le « trou » pour l’occuper. Impossible ! Vers
12h30, les premières détonations retentissent. Aux feux d’artifices et jets de
pierres des militants, les gendarmes répondent par des milliers de grenades
lacrymogènes et de désencerclement (4 000 !). Le cortège des
militants est assourdi (45 tirs à la minute), étouffé et aveuglé par le nuage
blanc des lacrymos mélangé à la fumée
noire des véhicules de gendarmerie incendiés. Bilan, deux heures plus tard :
près de 200 personnes blessées, dont 40 gravement et deux avec un pronostic
vital engagé. 24 gendarmes blessés dont un hélitreuillé. La LDH l’a
constaté : il y a eu entrave par
les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation
d’urgence absolue. Les parents de cette victime (toujours dans le coma à ce
jour), déposent plainte contre l’Etat pour « tentative de meurtre et
entrave aux secours », avec, à l’appui, des preuves, et notamment
l’enregistrement des conversations téléphoniques entre un médecin et le SAMU
précisant « On n’enverra pas
d’hélico ou de SMUR sur place parce qu’on
a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre ».
Pour
certains militants, cette journée est un « moment historique car
jamais une lutte pour l’eau n’avait rassemblé autant de personnes ». Ce 25 mars, le combat a changé d’échelle et
les bassines sont devenues un sujet d’intérêt national.
Le gouvernement Macron/Darmanin ne répond que par la violence. A l’image de ce qu’il pratique
maintenant vis-à-vis des manifestants contre la réforme des retraites, il
s’agit de faire peur, de décourager les manifestants, d’accuser les mouvements d’exercer des
violences… et de dissoudre les
associations les plus « radicales ». Darmanin vient d’annoncer la dissolution
de Soulèvements de la Terre. Le
mouvement réagit : « Quant à la
prétention de faire disparaître Soulèvements de la Terre, nous sommes
bien curieux de voir ce que représentera la « dissolution » d’une
coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections
syndicales, ONGs, à travers le pays et au-delà ». Darmanin est
récidiviste en la matière : après s’être attaqué à ceux qu’il nomme les
« ultra-gauchistes » : le média Nantes révoltée, le Gale (groupe
antifasciste Lyon et environs) et le Bloc Lorrain, aujourd’hui, c’est le tour
de ceux qu’il qualifie « d’éco-terroristes ».
Bassines Non Merci, Confédération paysanne
Soulèvements de la Terre et tous
leurs nombreux soutiens, sont d’accord pour réfléchir à une évolution des modes
d’action. « On souhaite tous ne
jamais revivre cela. Même les plus aguerris se sont sentis en danger » assure
Nicolas Girod, porte-parole de la
Confédération paysanne. Pour autant pas
question d’abandonner le combat. Ils affichent le communiqué commun suivant
: « La lutte internationale pour le
partage de l’eau se poursuit. Nous réitérons notre demande d’arrêt immédiat des
travaux et l’ouverture d’un dialogue sur la préservation et le partage de l’eau
pour mettre fin aux projets des mégabassines. Malgré la brutalité inouïe du
gouvernement, le mouvement sort encore renforcé par le niveau de mobilisation
inédit. Et nous le disons : si le gouvernement s’obstine, nous reviendrons
et continuerons à trouver les moyens pour que les chantiers s’arrêtent par des
gestes de désobéissance toujours plus massifs. No bassaran !
Ce
combat contre l’accaparement de l’eau en Poitou est le nôtre ; il
préfigure les luttes à venir de nombre d’humains dans le monde qui n’ont ou
n’auront plus accès à ce Bien commun, indispensable à la vie.
OM,
le 29.03.23
Extraits
d’articles parus sur Reporterre.net et Confédération paysanne