Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 3 avril 2023

 

La « guerre » de l’eau

 

La première mégabassine, sur les 16 programmées en Sèvre niortaise (au total 6 729 443 m3 d’eau retenue) est opérationnelle depuis le 17 février à Mauzé-sur-le-Mignon. La Coop de l’eau, instigatrice du projet, prétend que toutes les cultures de maïs, luzerne et mélanges fourragers pourront ainsi nourrir vaches, chèvres et autres ruminants l’hiver. De fait, il s’agit d’un accaparement de la ressource en eau  au profit d’une monoculture de maïs, concernant entre 6 et 7% des exploitations agricoles de la Nouvelle Aquitaine ; cette région produit un tiers du maïs français dont 1 et 2 millions de tonnes sont exportées sur 4.5 millions récoltées. Inutile de préciser que la FNSEA est plus que favorable au projet… Les opposants, quant à eux, dénoncent l’empiètement de ces réserves sur les terres agricoles, le développement du processus d’eutrophisation, l’eau stagnante permettant la prolifération d’algues et autres cyanobactéries dangereuses pour la santé humaine. L’absurdité du projet consiste à pomper l’eau souterraine pour l’exposer à l’évaporation et à diverses pollutions au moment où les phénomènes de sécheresse s’amplifient. L’eau est un Bien commun et ne doit pas être accaparé au profit de quelques-uns. C’est la revendication principale des manifestants ce 25 mars, à Sainte-Soline.

 

Ce 25 mars, la lutte contre les mégabassines a pris la forme d’un Notre-Dame-des-Landes. C’est précisément ce que redoute le gouvernement d’où la mobilisation inouïe de policiers. Pour les opposants, le message est limpide : « Le pouvoir est prêt à blesser et à  tuer pour défendre son modèle mortifère ». Ce 25 mars, le ministre de l’intérieur, comme à son habitude, a interdit la manifestation et a transformé la mégabassine de Sainte-Soline (ou plutôt le trou creusé pour l’installer) en citadelle assiégée : plusieurs hélicoptères quadrillent le ciel, des dizaines de camions de la gendarmerie encerclent le « trou », le canon à eau est prêt. 3 200 gendarmes et policiers font barrage aux manifestants, les quads remplacent les motos de la Brav’M… Face à ça, une  « foule » immense de 30 000 personnes venues manifester leur désaccord. La violence étatique qui s’est exercée contre les manifestants est un véritable tournant dans l’histoire du mouvement climatique.

 

Les gouvernants savent bien que les bassines ne répondront pas aux sécheresses à venir. Ils savent que le dossier scientifique supposé les légitimer est hautement douteux. Ils savent bien que plusieurs de ces projets sont illégaux : les 6 bassines, prévues en Charente et Deux-Sèvres, autorisées par arrêté préfectoral de 2008, après recours et appel, ont été déclarées illégales par le tribunal en février 2023 ; celle de Mauzé-sur-le-Mignon, construite sans avoir attendu le verdict du tribunal administratif qui a annulé l’arrêté préfectoral en décembre 2009, fonctionne en toute illégalité ! Ils le savent, mais ils choisissent d’imposer à tout prix l’agriculture industrielle, aux effets sanitaires, climatiques et humains désastreux. De même, en matière de politique pour le climat, ils savent bien qu’une politique vigoureuse d’économies d’énergie serait la priorité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, que construire des autoroutes est un contresens absolu, que laisser se développer l’artificialisation des sols dégrade rapidement la biodiversité... et ainsi de suite. Ils savent, mais ils continuent à détruire. Pour préserver sans scrupules un système dont l’objectif est de créer du profit et d’accumuler du capital financier, quelles qu’en soient les conséquences écologiques, donc humaines.

 

Le gouvernement, sourd, ne sait répondre que par des doigts d’honneur (à l’Assemblée nationale)  et des moyens de police démesurés. Ce n’est pas pathologique, c’est sa réponse à la montée de l’inquiétude que génère la situation écologique et de la révolte que nourrissent le mépris et les inégalités. Elle exprime la radicalité du capitalisme, fermement décidé à maintenir son fonctionnement face à toutes les possibilités d’alternatives. Le masque tombe. Il met face à face techno-capitalisme et écologie redistributive.

 

Toutes celles et ceux qui comprennent la gravité de la situation savent que la solution ne peut passer par un consensus paisible, mais par des conflits assumés : sortir du système destructeur impose de faire reculer de puissants intérêts ». « Lorsqu’on déploie 3 200 gendarmes cela ne peut que mal se passer » déclare Marine Tondelier (EELV). Les plus motivés des manifestants (environ 4 000) se dirigent vers le « trou » pour l’occuper. Impossible ! Vers 12h30, les premières détonations retentissent. Aux feux d’artifices et jets de pierres des militants, les gendarmes répondent par des milliers de grenades lacrymogènes et de désencerclement (4 000 !). Le cortège des militants est assourdi (45 tirs à la minute), étouffé et aveuglé par le nuage blanc des lacrymos mélangé à  la fumée noire des véhicules de gendarmerie incendiés. Bilan, deux heures plus tard : près de 200 personnes blessées, dont 40 gravement et deux avec un pronostic vital engagé. 24 gendarmes blessés dont un hélitreuillé. La LDH l’a constaté : il y a eu entrave par les forces de l’ordre à l’intervention des secours pour une situation d’urgence absolue. Les parents de cette victime (toujours dans le coma à ce jour), déposent plainte contre l’Etat pour « tentative de meurtre et entrave aux secours », avec, à l’appui, des preuves, et notamment l’enregistrement des conversations téléphoniques entre un médecin et le SAMU précisant « On n’enverra pas d’hélico ou de SMUR sur place parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre ».

 

Pour certains militants, cette journée est un « moment historique car jamais une lutte pour l’eau n’avait rassemblé autant de personnes ».  Ce 25 mars, le combat a changé d’échelle et les bassines sont devenues un sujet d’intérêt national.

 

Le gouvernement Macron/Darmanin ne répond que par la violence. A l’image de ce qu’il pratique maintenant vis-à-vis des manifestants contre la réforme des retraites, il s’agit de faire peur, de décourager les manifestants, d’accuser les mouvements d’exercer des violences… et de dissoudre les associations les plus « radicales ». Darmanin vient d’annoncer la dissolution de Soulèvements de la Terre. Le mouvement réagit : « Quant à la prétention de  faire disparaître Soulèvements de la Terre, nous sommes bien curieux de voir ce que représentera la « dissolution » d’une coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales, ONGs, à travers le pays et au-delà ». Darmanin est récidiviste en la matière : après s’être attaqué à ceux qu’il nomme les « ultra-gauchistes » : le média Nantes révoltée, le Gale (groupe antifasciste Lyon et environs)  et le Bloc Lorrain, aujourd’hui, c’est le tour de ceux qu’il qualifie « d’éco-terroristes ».

 

Bassines Non Merci, Confédération paysanne Soulèvements de la Terre et tous leurs nombreux soutiens, sont d’accord pour réfléchir à une évolution des modes d’action. « On souhaite tous ne jamais revivre cela. Même les plus aguerris se sont sentis en danger » assure Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. Pour autant pas question d’abandonner le combat. Ils affichent le communiqué commun suivant : «  La lutte internationale pour le partage de l’eau se poursuit. Nous réitérons notre demande d’arrêt immédiat des travaux et l’ouverture d’un dialogue sur la préservation et le partage de l’eau pour mettre fin aux projets des mégabassines. Malgré la brutalité inouïe du gouvernement, le mouvement sort encore renforcé par le niveau de mobilisation inédit. Et nous le disons : si le gouvernement s’obstine, nous reviendrons et continuerons à trouver les moyens pour que les chantiers s’arrêtent par des gestes de désobéissance toujours plus massifs. No bassaran !

 

Ce combat contre l’accaparement de l’eau en Poitou est le nôtre ; il préfigure les luttes à venir de nombre d’humains dans le monde qui n’ont ou n’auront plus accès à ce Bien commun, indispensable à la vie.

 

OM, le 29.03.23  

Extraits d’articles parus sur Reporterre.net et Confédération paysanne